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Le développement forestier durable au Mexique:
un système hiérarchique de critères et indicateurs

C. Luján Álvarez, J.M. Olivas García et J.E. Magaña Magaña

Concepción Luján Álvarez, Jesús M. Olivas García et José Eduardo Magaña Magaña sont professeurs chercheurs auprès du Département des sciences forestières et agricoles de l’Université autonome de Chihuahua, Delicias, Chihuahua (Mexique).

Un système à quatre niveaux de principes, critères, indicateurs et vérificateurs conçu pour évaluer les progrès vers le développement forestier durable et mis à l’essai dans un programme de forêt modèle.

L’évaluation stratégique est un élément fondamental et essentiel des programmes visant le développement forestier durable1. Elle a pour but de suivre les progrès réalisés dans la réalisation des objectifs afin d’accroître les possibilités de succès, soit en guidant ou en corrigeant le processus, soit en changeant le plan stratégique (Sharplin, 1985). L’évaluation stratégique contribue aussi à définir, identifier et détecter les changements et la dynamique au sein du système qui favorisent le développement durable. Le processus d’évaluation stratégique doit être, lui-même, dynamique, car les organisations travaillent dans des environnements dynamiques où les conditions intérieures et extérieures peuvent changer radicalement, et elles doivent être à même de réagir rapidement et d’appliquer les mesures correctives qui s’imposent pour assurer les progrès vers le développement durable (David, 1987).

Le présent article décrit une étude menée au Mexique pour établir un système hiérarchique de principes, critères, indicateurs et vérificateurs visant à mesurer les progrès vers le développement forestier durable dans les régions forestières tempérées froides du Mexique. Le système se fondait sur des données de référence nationales et internationales (y compris le Processus de Montréal sur les critères et indicateurs de conservation et gestion durable des forêts tempérées et boréales hors d’Europe, auquel participe le Mexique) et adaptées aux conditions sociales, culturelles et écologiques régnant dans la zone concernée. Il a ensuite été utilisé dans une évaluation stratégique du développement durable dans le Programme de forêt modèle de Chihuahua, dans les montagnes de Tarahumara de l’Etat de Chihuahua au Mexique. Cette superficie de 110 067 ha comprend sept forêts ejidos (propriétés foncières communautaires) et a une population de 22 417 habitants.

Dans l’étude, une stratégie participative étayait toutes les prises de décisions. Le système se réalisait moyennant l’instauration d’un partenariat entre les communautés forestières et ejidos et une équipe multidisciplinaire de chercheurs et d’experts travaillant au développement forestier.

CONCEPTION ET MISE EN ŒUVRE DU MODÈLE

Pour construire le modèle d’évaluation stratégique et le système hiérarchique, les chercheurs ont formulé un concept de développement durable propre aux communautés vivant dans les régions forestières tempérées froides du Mexique (Luján Álvarez et Magaña Magaña, 1999). Le concept prenait en compte les conditions sociales, économiques, culturelles et écologiques de ces régions. Il comprenait la conservation et l’amélioration des ressources naturelles et de l’environnement existants. Il reconnaissait aussi le rôle central joué par les communautés forestières dans la formulation, la mise en œuvre et le contrôle des plans, programmes et projets de développement à l’aide d’un processus actif et participatif de prise de décisions. Le modèle particulier conçu pour l’évaluation stratégique du Programme de forêt modèle de Chihuaha est donné à la figure 1.

Une fois le modèle mis au point, on a organisé un atelier participatif qui a réuni les ejidos, les communautés forestières et les experts de différentes organisations travaillant dans la zone pour fournir des informations en retour sur les éléments du système hiérarchique (Luján Álvarez, Olivas García et Magaña Magaña, 2001). Les participants ont analysé et validé le système et ses indicateurs sous l’angle de la perception communautaire d’un avenir souhaitable. En outre, l’atelier a défini le système de pondération permettant d’établir la contribution de chaque élément du système au développement durable.

Le modèle se voulait souple et dynamique pour pouvoir être appliqué à d’autres régions, aux plans national et mondial.

1
Modèle d’évaluation stratégique pour le Programme de forêt modèle de Chihuahua

Le système hiérarchique

On a adopté un système à quatre niveaux pour l’évaluation du développement durable dans la communauté. Il comprenait:

• des principes de développement durable;
• des critères de développement durable;
• des indicateurs tirés des critères;
• des vérificateurs pour mesurer des actions stratégiques données, dont les valeurs qualitatives ou quantitatives permettent la comparaison des résultats au fil du temps.

Le pas suivant consistait à identifier les principes, critères, indicateurs et vérificateurs relatifs aux trois domaines d’évaluation suivants: socioéconomique, écologique et environnemental, ainsi que la culture et l’autogestion communautaires. Chacun de ces domaines a ses propres principes de durabilité et ses vérificateurs relatifs, de même que chaque principe a ses critères dont chacun a des indicateurs. (figure 2). Un principe fournit le cadre du développement forestier durable. Il constitue une loi ou vérité fondamentale comme base d’un motif ou d’une action, et donne une justification aux critères, indicateurs et vérificateurs générés (Prabhu, Colfer et Dudley, 1999). Pour les besoins de l’étude, un principe a été considéré comme un but réalisable dans le processus social et écologique du développement durable.

Dans le modèle d’évaluation, le système hiérarchique comprenait les principes de durabilité de base suivants:

Principe 1: Le respect et l’intérêt portés à la vie communautaire favorisent le développement durable. Il s’agit d’un principe éthique et signifie que le développement ne devrait pas se faire au détriment d’autres groupes extérieurs non liés à la communauté en jeu.

Principe 2: Le développement harmonieux de la population, des ressources naturelles et de l’environnement est à la base de la qualité de la vie humaine. Ce que l’on demande, en fait, au développement c’est qu’il améliore la qualité de la vie des gens. La croissance économique est un important élément constitutif du développement mais ne saurait être un but en soi. Le développement durable n’est réel que s’il améliore à tous les égards la vie de la communauté.

Principe 3: La conservation et la protection de la biodiversité et de l’environnement favorisent le développement durable. Le développement axé sur la conservation comprend nécessairement une action délibérée visant à protéger la structure, les fonctions et la diversité des écosystèmes et de l’environnement.

Principe 4: La gestion de l’écosystème forestier ne doit pas outrepasser la capacité de l’écosystème. L’écosystème a des limites qui varient de l’un à l’autre. Il importe que les politiques établissent un équilibre entre le nombre d’habitants et leurs moyens de subsistance, d’une part, et la capacité de l’écosystème de l’autre. Cette capacité doit être protégée par une gestion prudente qui vise la fourniture durable de biens et services de qualité. En outre, l’interaction continue entre l’homme, les ressources naturelles et l’environnement doit tendre à minimiser les dommages éventuels causés à l’écosystème.

Principe 5: La culture de la communauté doit être en harmonie avec le développement durable. Il faut que les gens réexaminent leurs valeurs et leur comportement. La communauté devrait promouvoir des valeurs qui étayent la nouvelle éthique, et éliminent celles qui sont incompatibles avec un mode de vie durable.

Principe 6: L’autogestion et un régime de propriété communautaires sont essentiels pour le développement durable. Des communautés bien informées, motivées, engagées et responsables peuvent et doivent contribuer aux décisions les influençant et jouer un rôle central dans le développement durable.

Pour chaque principe, des critères, indicateurs et vérificateurs ont été définis et serviront de mesures fiables pour évaluer les progrès vers le développement durable (tableau 1).

2
Système hiérarchique d'evaluation stratégique du développement durable

APPLICATION DU SYSTÈME HIÉRARCHIQUE DANS L’ÉVALUATION STRATÉGIQUE

En utilisant la structure décrite ci-dessus, le niveau de développement durable dans la communauté de la forêt modèle de Chihuahua a été mesuré en comparant ses réalisations avec les résultats souhaités.

Collecte de données

Des enquêtes ont été préparées et menées pour recueillir des données de sources primaires et secondaires afin de caractériser les aspects socioéconomiques, culturels et d’autogestion des différents secteurs liés au développement dans la zone intéressée par le programme. Un questionnaire a été mis au point afin de recueillir des données pour chacun des vérificateurs des principes socio-économiques par le biais d’interviews personnelles. L’échantillon déterminé statistiquement pour l’enquête comprenait 150 individus. Les interviewers ont reçu une formation pour assurer la qualité et la cohérence de l’opération de récolte des données.

Les chercheurs ont caractérisé les aspects écologiques et environnementaux de la zone par une analyse historique de la gestion forestière dans cette zone sur la base des documents et rapports existants. Au cours de l’atelier participatif, les chercheurs, de concert avec les ejidos et les communautés forestières, ont défini le niveau souhaitable de développement durable pour chacun des trois domaines du système hiérarchique.

Une fois les enquêtes complétées, les données sur les variables à l’étude ont été élaborées dans une base de données Excel.

Comparaison de l’efficacité effective par rapport à celle souhaitée

Les données recueillies ont été utilisées pour obtenir les valeurs relatives à chaque vérificateur au sein du système hiérarchique. Chaque vérificateur a ensuite été qualifié au plan de sa contribution au développement durable et apprécié suivant l’échelle suivante: de 90 à 100 pour cent étaient considérés comme un résultat excellent, de 80 à 90 pour cent, bon; de 65 à 80 pour cent, moyen; de 50 à 65 pour cent, médiocre; et moins de 50pour cent indiquait l’absence de développement (Luján Álvarez, Olivas García et Magaña Magaña, 2001). Chaque vérificateur a fait ensuite l’objet d’une comparaison avec le modèle de développement durable «idéal» pour déterminer le niveau effectif de progrès vers le développement durable (tableau 2). La somme des contributions des vérificateurs fournit une indication du progrès relatif à chaque indicateur, la somme des contributions des indicateurs montre le progrès relatif aux critères, et ainsi de suite.

De telle manière on a défini un profil de développement durable fondé sur la comparaison des résultats effectifs par rapport à l’idéal pour chacun des domaines thématiques de base – socioéconomique, écologique et environnemental, et culturel et de l’autogestion communautaire – et leurs principes correspondants de durabilité (tableau 3). Par exemple, dans le domaine socioéconomique, la valeur effective (25,7 pour cent) représente 64,3 pour cent de la valeur idéale (40 pour cent), soit un classement médiocre suivant l’échelle susmentionnée.

D’une manière générale, ce profil a montré que le niveau actuel de progrès vers le développement forestier durable dans la zone du programme n’était que moyen. Les programmes et projets mis en œuvre au titre du Programme de forêt modèle de Chihuahua entre 1994 et 1999 n’avaient donc pas encore exercé l’impact voulu sur le développement durable. Sur cette base, la communauté a établi de nouvelles actions stratégiques pour un développement durable futur.

TABLEAU 1. Exemple de la structure et du contenu du système hiérarchique pour l’évaluation stratégique: Principe 1

Principe

Critère

Indicateur

Vérificateur

1: Le respect et l’intérêt portés à la vie communautaire favorisent le développement durable

1.1: La prise de décisions communautaires autonomes permet le développement durable

1.1.1: Mécanismes de prise de décisions promettant l’autonomie communautaire

1.1.1.1: Nombre de mécanismes de prise de décisions

1.1.1.2: Types de mécanismes de prise de décisions

1.1.1.3: Opération des mécanismes

1.1.2: Absence de participation des secteurs extérieurs à la prise de décisions fondamentales pour la vie communautaire

1.1.2.1: Types d’actions communautaires entreprises en l’absence d’interventions extérieures dans la prise de décisions

1.1.3: L’organisation intérieure favorise l’autonomie

1.1.3.1: Identification des aspects organisationnels qui favorisent l’autonomie

1.1.4: Respect de la structure organisationnelle communautaire

1.1.4.1: Identification et classification des témoignages de la population locale et des institutions extérieures

1.1.5: Responsabilité de la communauté vis-à-vis de la gestion et de l’intégrité des ressources naturelles

1.1.5.1: Types de responsabilités des fournisseurs de services forestiers techniques dans la gestion des ressources naturelles

TABLEAU 2. Exemple de calcul des vérificateurs, indicateurs, critères et principes de durabilité: Principe 1

Niveau dans le système hiérarchique

Contribution idéale au développement durable
(%)

Contribution effective
(%)

Progrès vers l’idéal
(%)

Vérificateur

1.1.1.1: Nombre de mécanismes de prise de décisions

40

36

36/40 = 90

1.1.1.2: Types de mécanismes de prise de décisions

30

27

27/30 = 90

1.1.1.3: Opération des mécanismes

30

18

18/30 = 60

Total

100

81

Indicateurs

1.1.1: Mécanismes de prise de décisions promettant l’autonomie communautaire

24

24 x 0.81 = 19.4

81 (somme des contributions effectives des trois vérificateurs correspondant à l’indicateur 1.1.1)

Critère

1.1: La prise de décisions communautaire autonome permet le développement durable

30

30 x 0.65 = 19.5

65 (somme des contributions des cinq indicateurs appartenant au critère 1.1)

Principe

1: Le respect et l’intérêt portés à la vie communautaire favorisent le développement durable

18

18 x 0.64 = 11.5

64 (somme des contributions des quatre critères appartenant au Principe 1)

TABLEAU 3. Niveaux du développement durable dans les trois domaines du Programme de forêt modèle de Chihuahua et leurs principes de durabilité respectifs

Zone/principe

Idéal
(%)

Effectif
(%)

Progrès vers
l’idéal
(%)

Niveau de
développement durable

Socioéconomique

40

25.7

64.3

Médiocre

Principe 1

18

11.5

64.0

Médiocre

Principe 2

22

14.2

64.5

Médiocre

Ecologie et environnement

30

23.8

79.3

Moyen

Principe 3

9

7.0

77.4

Moyen

Principe 4

21

16.8

79.8

Moyen

Culture et autogestion communautaires

30

21.5

71.6

Moyen

Principle 5

15

10.4

69.3

Moyen

Principle 6

15

11.1

74.0

Moyen

Total

100

71.0

Moyen

CONCLUSIONS

Le système modèle et hiérarchique d’évaluation stratégique du développement forestier durable élaboré dans cette étude fournit une assise solide pour un développement futur.

Les aspects suivants étaient fondamentaux pour déterminer l’efficacité du processus d’évaluation stratégique: l’analyse de la situation socioéconomique, environnementale et culturelle (dans ce cas, le Programme de forêt modèle de Chihuahua); l’établissement du modèle d’évaluation et du système d’évaluation stratégique, avec des classements par rapport à un niveau «idéal» pour les principes, critères, indicateurs et vérificateurs de durabilité, définis grâce à un processus participatif à large base; la participation de la communauté et des institutions s’occupant du développement et oeuvrant dans la zone intéressée par le programme; et l’examen des valeurs effectives obtenues grâce à l’application du modèle.

Enfin, s’il est vrai que la théorie du Programme de forêt modèle de Chihuahua comprend le concept de «développement durable», la communauté n’avait pas, dans une large mesure, saisi suffisamment bien le concept pour favoriser le développement communautaire orienté vers la durabilité. En outre, la communauté n’avait pas participé assez activement à la formulation et à la mise en œuvre des plans, programmes et projets de développement durable pour en tirer une réponse à ses besoins, aspirations et préférences. Il faudrait, dès lors, chercher à renforcer, voire modifier, les idées et attitudes de la population locale afin de renforcer leur responsabilité, leur engagement et leur participation vis-à-vis de la mise en œuvre de projets de développement durable.

Bibliographie

David, F.R. 1987. Concepts of strategic management. Toronto, Canada, Merrill Publishing Company.

Luján Álvarez, C., Olivas García, J.M. et Magaña Magaña, J.E. 2001. Evaluación estratégica del desarrollo sustentable en el área de influencia del Bosque Modelo Chihuahua. Dans Taller Participativo para la Consolidación del Sistema de Información Estratégica: Principios, criterios, indicadores y verificadores. Rapport technique. Delicias, Chihuahua, Mexique, Département des sciences forestières et agricoles, Université autonome de Chihuahua.

Luján Álvarez, C. et Magaña Magaña, J.E. 1999. Concepto de desarrollo sustentable. Delicias, Chihuahua, Mexico, Département des sciences forestières et agricoles, Université autonome de Chihuahua.

Prabhu, R., Colfer, C.I.P. et Dudley, R.G. 1999. Guidelines for developing, testing and selecting criteria and indicators for sustainable management. Criteria and Indicators Toolbox Series No. 1. CIFOR.

Sharplin, A. 1985. Strategic management. New York, Etats-Unis, McGraw Hill.


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