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Gérer les forêts naturelles pour obtenir des récoltes durables d’acajou amérique (Swietenia macrophylla): expériences dans des forêts communautaires mexicaines

L.K. Snook, V.A. Santos Jiménez, M. Carreón Mundo, C. Chan Rivas, F. J. May Ek, P. Mas Kantún,
C. Hernández Hernández, A. Nolasco Morales et C. Escobar Ruiz

Laura K. Snook est experte principale au Centre de recherche forestière internationale (CIFOR), Bogor (Indonésie).
Victoria A. Santos Jimenez est Directrice technique de l’Organización de Ejidos Productores Forestales de la Zona Maya, Felipe Carrillo Puerto (Mexique).
Marcelo Carreón Mundo est Directeur du Programme forestier public du Quintana Roo, relevant du Secrétariat pour le développement rural et indigène de l’agriculture et de l’élevage (SEDARI), Chetumal (Mexique).
Celso Chan Rivas est Directeur technique de la Sociedad de Productores Forestales Ejidales du Quintana Roo, Chetumal (Mexique).
Francisco Javier May Ek est Directeur technique de l’Organización de Ejidos Forestales Quintana Roo «Chaktemal», Chetumal (Mexique).
Pedro Mas Kantún travaille à la Direction technique de la Sociedad de Pueblos Indígenas Forestales de Quintana Roo «Tumben Cuxtal», Quintana Roo (Mexique).
Alfredo Nolasco Morales est Représentant adjoint pour la protection de l’environnement, Circonscription de Quintana Roo, Ministère de l’environnement et des ressources naturelles (SEMARNAT) (Mexique).
Carlos Hernández Hernández est Chef régional pour la Péninsule du Yucatán, Région XII, Comisión Nacional Forestal (CONAFOR) (Mexique).
Carlos Escobar Ruíz est Directeur technique de sept ejidos indépendants au Quintana Roo (Mexique).
Les points de vue exprimés dans cet article n’engagent que leurs auteurs et ne reflètent pas nécessairement l’opinion du CIFOR.

Dans l’Etat du Quintana Roo, au Mexique, une approche de recherche concertée et de gestion adaptative jette les bases de la gestion durable des acajous amérique.

L’acajou amérique (Swietenia macrophylla), principale essence ligneuse des forêts néotropicales, est désormais l’espèce dont on parle le plus dans les débats sur la faisabilité de l’aménagement durable des forêts tropicales (Rice, Gullison et Reid, 1997). L’aire naturelle de l’acajou amérique s’étend de la partie sud du Mexique à un arc longeant le bassin amazonien méridional de la Bolivie, du Brésil et du Pérou (Lamb, 1966). Dans son aire naturelle, le bois d’acajou est encore issu des forêts naturelles car les efforts déployés pendant plusieurs décennies pour établir des plantations pures de l’acajou amérique ont été dans une large mesure infructueux par suite des attaques de Hypsipyla grandella, un insecte foreur des pousses (Patiño Valera, 1997; Mayhew et Newton, 1998). La poursuite de l’exploitation a reposé sur une expansion progressive dans des forêts jusque-là inexploitées, au fur et à mesure que les techniques de débusquage changeaient et que les diamètres limites baissaient avec l’évolution des marchés, et que de nouvelles sources étaient utilisées (exemple: Brésil, Bolivie et Pérou) (Grogan, Barreto et Veríssimo, 2002; Blundell, et Rodan, 2003). Ces dernières années, des quantités notables d’acajou entrant sur le circuit commercial international à partir de la région amazonienne ont été récoltées illégalement, parfois sur les terres des tribus indigènes et sans leur consentement (Watson, 1996). Cela a incité les Etats-Unis et quelques pays européens à geler les importations d’acajous amérique en provenance du Brésil en 2002, et le Gouvernement brésilien à suspendre l’exploitation des acajous amérique (Grogan, Barreto et Veríssimo, 2002). Aujourd’hui, presque tout le bois d’acajou faisant l’objet d’un commerce international vient du Pérou et est importé par les Etats-Unis.

La déforestation (conversion des forêts) et la récolte du bois ont sérieusement appauvri les ressources en acajou amérique un peu partout dans son aire naturelle, de sorte que la survie de nombreuses populations de cette espèce est devenue préoccupante, de même que la durabilité de son commerce (Kammesheidt et al., 2001; Blundell et Rodan, 2003). En conséquence, en 2002, après trois débats houleux entre les signataires, l’acajou amérique a été inscrit à l’Annexe II de la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction (CITES), qui exhorte les autorités scientifiques et les dirigeants de chaque pays exportateur à définir des niveaux d’exploitation durables pour cette espèce et à aligner sur ces niveaux les licences d’exportation qu’ils accordent (Rodan et Blundell, 2003). Les dispositions concernant l’Annexe II prennent effet en novembre 2003.

Selon le Groupe de travail sur l’acajou amérique du Secrétariat de la CITES, la production communautaire de l’acajou amérique dans le sud du Mexique représente le seul effort accompli de façon sérieuse et sur le long terme pour garantir la durabilité de la production de bois d’acajou issu des forêts naturelles (J. Grogan, communication personnelle). Dans la Forêt Maya, qui est la plus vaste zone de forêt tropicale d’un seul tenant située au nord de l’Amazone, les progrès considérables accomplis sur la voie de l’aménagement durable sont le fruit de quasiment 20 ans d’inventaires, de soins sylvicoles, d’observations et d’études qui ont accru la base de connaissances sur la sylviculture de l’acajou amérique. Ces expériences et ces études peuvent servir de référence aux producteurs d’autres régions pour établir des systèmes de production d’acajou durable et équitables qui fournissent non seulement du bois mais aussi un gagne-pain aux populations rurales, tout en favorisant la conservation des forêts.

LE DÉFI DE LA DURABILITÉ DES RÉCOLTES D’ACAJOU

Le seul moyen de pouvoir continuer à récolter l’acajou à l’avenir est de faire en sorte que les arbres coupés soient remplacés par la croissance des arbres sur pied qui n’ont pas encore atteint le diamètre limite et de favoriser la régénération dans chaque parterre de coupe annuel.

L’acajou amérique se régénère très bien après de graves perturbations qui détruisent la plupart des espèces associées et créent des espaces vides relativement grands (superficie optimale: >5000 m²). En Amérique centrale, des conditions favorables ont été créées par des ouragans suivis de feux, par le défrichement pour les parcs à grumes et par les pratiques d’essartage adoptées pour ouvrir des champs à l’agriculture itinérante (Lamb, 1966; Snook, 1996). Ainsi, les acajous amérique se rencontrent essentiellement dans des peuplements équiens pouvant comprendre quelques individus plus vieux qui ont survécu à la perturbation qui a donné naissance au peuplement. Les cépées postérieures à la perturbation peuvent avoir des densités allant jusqu’à 50 acajous amérique à l’hectare (>30cm), imbriqués avec 450 arbres à l’hectare d’autres espèces (Snook, 2003), même si, dans la région, les densités totales d’acajous amérique de taille commerciale, sont plutôt de l’ordre de un arbre à l’hectare. Dans la partie sud de la péninsule du Yucatán, où les perturbations ont été fréquentes, les forêts se présentent généralement comme des mosaïques de peuplements équiens d’âges différents.

Malheureusement, la coupe sélective du bois crée des conditions peu favorables à la régénération de l’acajou amérique, qu’elle empêche pour deux raisons: en maintenant une ombre peu propice à la survie des plantules d’acajou amérique (Dickinson et Whigham, 1999; Snook et Negreros-Castillo, 2003) et en appauvrissant les sources de semences d’acajous amérique. Les marchés des autres espèces sont limités et l’on a constaté que, même en récoltant un nombre aussi élevé que 15 espèces, on ouvrait moins de 3 pour cent du couvert de cimes, essentiellement en formant des espaces vides inférieurs à 300 m² (Whitman, Brokaw et Hagan, 1997; Robinson, 1998). Les semences d’acajou amérique ne restent viables que quelques mois (Morris, Negreros-Castillo et Mize, 2000), de sorte qu’il n’y a pas de réserve de graines dans le sol. On peut remédier au manque de sources de semences en semant des graines ou en plantant des plantules d’acajou amérique. La création de conditions favorables à leur survie est plus ardue et nécessite des investissements dans des traitements sylvicoles.

La densité moyenne des acajous amérique de taille commerciale en Amérique centrale est de l’ordre de un arbre à l’hectare, mais les densités peuvent être plus élevées si l’acajou amérique se régénère dans des clairières après une perturbation
(Photo: L.K. SNOOK)

La création de conditions favorables à la survie de plantules d’acajou amérique qui ont besoin de lumière est une tâche ardue; les ejidos de l’Etat du Quintana Roo les plantent dans des parcs à grumes, dans des espaces vides après la coupe et sur des voies de rondins
(Photo: L.K. SNOOK)

PROGRÈS DANS LA GESTION DES ACAJOUS AMÉRIQUE, AU QUINTANA ROO, MEXIQUE

L’Etat du Quintana Roo, au Mexique, dans la partie orientale de la péninsule du Yucatán, est boisé à 49 pour cent et produit 32 pour cent des bois tropicaux précieux du Mexique (essentiellement acajous et quelques bois de cèdres, Cedrela odorata) (INEGI, 1990). Quarante-trois pour cent des terres de l’Etat du Quintana Roo sont gérées dans le cadre de propriétés foncières collectives, appelées ejidos (INEGI, 1990). Les ejidatarios sont pour la plupart des agriculteurs qui abattent des arbres et brûlent le terrain chaque année pour produire du maïs, des haricots et des courges pour leur subsistance. L’Etat compte 125 ejidos qui pratiquent actuellement la foresterie commerciale, chacun contrôlant une surface pouvant aller de moins de 1 000 ha à plus de 55 000 ha. Depuis que le contrôle de l’exploitation forestière a été confié à ces ejidos en 1984, chacun s’est réservé des zones forestières permanentes d’une superficie comprise entre moins de 1 000 et 40 000 ha, pour la production de bois d’œuvre et d’autres produits forestiers. L’agriculture n’est pas pratiquée dans ces zones. En 2003, ces forêts réservées couvraient au total 800 000 ha, mais d’autres ejidos continuent de s’ajouter. Trente-six ejidos sont actuellement autorisés à récolter approximativement 7 000 m³ de bois d’acajou par an. Un certain nombre d’ejidos ont obtenu la certification du Forest Stewardship Council. Les récoltes annuelles peuvent être modifiées et d’autres ejidos commenceront à produire de l’acajou lorsque les inventaires et les plans d’aménagement forestier seront achevés et lorsque les permis requis seront accordés.

La plupart des ejidos producteurs d’acajous amérique du Quintana Roo font partie d’une des cinq associations, dont chacune a une direction technique, d’une équipe de forestiers et de techniciens qui supervise les inventaires forestiers et élabore un plan d’aménagement pour chaque forêt de l’ejido. La direction technique aide aussi les ejidos à développer leur capacité d’organisation, pour gérer leurs opérations sylvicoles, et fournit un appui pour la vente des produits forestiers. Certaines directions techniques ont reçu des fonds du gouvernement fédéral ou de l’Etat et/ou de donateurs internationaux.

Outre l’exploitation de l’acajou amérique, les communautés produisent et vendent d’autres bois tropicaux, de conifères et de feuillus. Elles produisent et vendent aussi des traverses de chemin de fer, de petits arbres de sous-étage comme perches de construction, et divers produits forestiers non ligneux, ainsi que des services écologiques. Le bois est récolté par l’ejido et vendu comme une ressource communautaire, les profits étant réinvestis dans l’ejido ou partagés équitablement entre ses membres. Sept ejidos et une des associations ont des scieries opérationnelles, qui payent des salaires à leurs membres pour débiter en planches le bois d’acajou ou d’autres espèces. Les grumes et les planches sont vendues essentiellement sur le marché intérieur.

Les volumes totaux de toutes les espèces de conifères et de feuillus autres que l’acajou amérique sont très supérieurs à ceux d’acajou amérique mais, à volume égal, l’acajou amérique rapporte beaucoup plus d’argent que les autres espèces: en 2002, 1 517 pesos (137 dollars EU) au mètre cube, contre 264 pesos (24 dollars EU) au mètre cube pour les bois de conifères et 241 pesos (22 dollars EU) au mètre cube pour les bois de feuillus. Cette différence est encore plus marquée lorsque les grumes sont débitées en planches.

La plupart des ejidos producteurs de l’acajou amérique ont effectué des inventaires des mahoganis et des autres espèces commerciales présentes dans leurs forêts, jusqu’à un diamètre minimal de 10 cm. La récolte du bois se fait selon un cycle de coupe de 25 ans. La forêt est divisée en 25 parterres de coupe annuels et, chaque année, tous les mahoganis d’un diamètre supérieur au diamètre minimal de coupe (55 cm) sont abattus dans le parterre de coupe de l’année. Si l’on trouve des acheteurs pour d’autres espèces ligneuses, celles-ci sont aussi abattues jusqu’à un diamètre minimal variable selon l’espèce. Bon nombre d’ejidos forestiers de l’Etat du Quintana Roo sont à présent dans la dix-huitième ou la vingtième année de leur premier cycle de coupe, mais d’autres ont commencé plus récemment à être utilisés pour la foresterie.

La plupart des ejidos récoltent des graines (tombées des acajous amérique coupés ou sur pied) pour produire de jeunes plants. Après la récolte, ils mettent les jeunes plants en terre dans les parcs à grumes, dans les espaces restés vides après la coupe et dans les voies de rondins dans le parterre de coupe de l’année. Les jeunes plants et la main-d’œuvre affectée à ces opérations ont été payés soit par des programmes financés par le gouvernement soit en réinvestissant les gains de la foresterie.

Les grumes sont récoltées et vendues par l’ejido, et les profits sont réinvestis dans l’ejido ou
partagés équitablement entre ses membres

(Photo: L.K. SNOOK)

Plusieurs ejidos du Quintana Roo ont des scieries opérationnelles, qui versent des salaries à leurs membres qui débitent l’acajou amérique ou d’autres bois en planches en vue de les vendre, principalement sur le marché intérieur
(Photo: L.K. SNOOK)

RECHERCHE ET GESTION ADAPTATIVE

Au Quintana Roo, les organisations de foresterie communautaire adhèrent au principe de la gestion adaptative, basée sur l’apprentissage sur le tas, en mettant en œuvre des activités forestières à l’aide des meilleures connaissances disponibles et en modifiant les pratiques initiales à la lumière des nouvelles informations acquises grâce aux observations et à la recherche (Flachsenberg et Galletti, 1998). La première modification apportée aux plans d’aménagement initiaux a été une réduction des volumes de coupe annuels, consécutive au remplacement des inventaires initiaux des stocks dans les zones riches en mahoganis par des inventaires forestiers complets qui ont fourni des estimations plus réalistes des volumes sur pied. Dans un ejido, les premières estimations qui établissaient la récolte annuelle à 1 000 m³ par an ont été abaissées à 310 m³ par an.

Le suivi des plantations d’enrichissement a été limité, mais après qu’une étude ait révélé que 22 pour cent seulement des plantules d’acajou amérique qui avaient été établies sur des voies de rondins et dans des espaces laissés vides après la coupe, avaient survécu un à trois ans après la plantation, (Negreros-Castillo et Mize, 2003), les ejidos ont commencé à donner la préférence à des zones plus ensoleillées pour installer les plantules. La plupart des espaces laissés vides après la coupe s’étant révélés trop petits pour permettre la survie et la croissance des jeunes de plants d’acajou amérique, les efforts sont maintenant centrés sur des clairières plus grandes, d’une superficie moyenne de 1 800 m2. Des expériences ont aussi été mises en œuvre pour élargir et nettoyer les espaces laissés vides après la coupe avant de planter (à une densité de 3 m x 3 m). Cette pratique est plus réalisable depuis quelques années, avec l’expansion du marché des perches de construction, mais elle oblige en général à abattre des arbres d’une taille inférieure au diamètre limite. Dans les parcs à grumes, où les plantations d’enrichissement ont bien pris, au moins un ejido procède actuellement à des essais de nettoyage, d’éclaircie et d’élagage (Argüelles et al., 2003). Des observations supplémentaires seront nécessaires pour déterminer la surface qui doit être régénérée chaque année pour garantir les volumes de récolte futurs.

Des accords de collaboration entre des organisations forestières mexicaines et des chercheurs, en général en grande partie financés par des sources internationales, ont aussi élargi les connaissances sur les meilleurs moyens de parvenir à la durabilité. Au cours des sept dernières années, des études sur la conservation des mahoganis ont été effectuées dans ces forêts de production, avec un appui du Centre de recherche forestière internationale (CIFOR).

Les résultats de ces recherches ont été présentés à des forestiers, à des propriétaires de forêts et à des représentants d’institutions gouvernementales et d’institutions de recherche et d’enseignement du Mexique et du Bélize, qui en ont discuté à un atelier organisé en novembre 2003 par le CIFOR à Chetumal, dans l’Etat du Quintana Roo, dans le but d’appliquer ces nouvelles connaissances en les intégrant dans des directives de gestion, pour favoriser la régénération des mahoganis. Les résultats des recherches et les conclusions de l’atelier seront publiés en espagnol par le Centre agronomique tropical de recherche et d’enseignement (CATIE) dans un numéro spécial de la revue Recursos Naturales y Ambiente. Les résultats comprennent les éléments indiqués ci-après.

Régénération dans les clairières. Trois études ont été réalisées avec un appui du CIFOR en vue d’évaluer les méthodes visant à créer des conditions favorables à la régénération des mahoganis plantés ou naturels. Une expérience a évalué la survie et la croissance des plantules établies dans des clairières de différentes tailles (500 à 5 000 m²) et constaté que la croissance était plus rapide dans les clairières les plus grandes. Toutes les plantules établies en sous-étage sur des parcelles témoins étaient mortes la cinquième année, ce qui confirme l’inutilité des plantations d’enrichissement dans des endroits ombragés (Snook, Negreros-Castillo et O’Connor, 2003).

Une autre expérience portait sur diverses méthodes visant à ouvrir des clairières de 5 000 m². Deux méthodes, à savoir le défrichage à la machine, qui a déraciné tous les arbres sur pied, et la méthode «débroussaillement – coupe-brûlis», ont donné de bons résultats: 50 pour cent des plantules d’acajou amérique survivaient à cinq ans, et croissance annuelle moyenne en hauteur, de 65 cm. Lorsqu’on a laissé d’autres espèces se régénérer naturellement autour des plantules de mahoganis, 12 pour cent des plantules ont été attaquées par le foreur des jeunes pousses, contre 44 pour cent lorsque la végétation était coupée. La plantation d’acajous amérique dans des clairières représentant au total de 3 à 6 pour cent de chaque parterre de coupe annuel pourrait assurer le remplacement des acajous amérique coupés (Snook et Negreros-Castillo, 2003).

Une troisième expérience a évalué l’établissement de la régénération naturelle sur des espaces de 2 700 m², sous le vent de mahoganis porte-graines, ayant été soumis à quatre régimes sylvicoles différents. La régénération naturelle s’est établie là où le couvert de cimes avait été complètement enlevé, soit en déracinant tous les arbres sur pied soit par des coupes rases, alors qu’elle ne s’est pas faite dans les endroits où l’on avait cerné les arbres résiduels ou coupé le sous-étage (Toledo et Snook, 2003). Ces expériences confirment l’intérêt de planter ou de laisser des arbres semenciers dans des parcs à grumes et indiquent que le défrichage, par débroussaillement et brûlis, pourrait faire partie intégrante de la technique d’aménagement forestier.

Production de semences. Une étude de la dynamique sur six ans, de la production de semences par des mahoganis de différentes tailles a révélé une variabilité considérable d’une année à l’autre et d’un arbre à l’autre; mais les arbres ayant un diamètre de 75 cm ou plus ont produit beaucoup plus de semences et de façon plus régulière que les arbres de plus petit diamètre. Alors que jusqu’à 27 pour cent des arbres d’un diamètre inférieur à 75 cm n’ont pas produit de semences pendant une année donnée, 93 pour cent des arbres plus grands en ont produit chaque année (Snook, Camara Cabrales et Kelty, 2003). Ces résultats ont d’importantes implications pour le maintien de la régénération des mahoganis, qu’ils soient naturels ou plantés: à moins que quelques mahoganis adultes ne soient protégés, le fait de récolter les arbres ayant atteint un diamètre limite minimal appauvrira considérablement le potentiel de production de semences dans ces forêts. Avec un appui des institutions gouvernementales mexicaines, quelques ejidos ont délimité des zones de production de semences. Les résultats de cette étude servent de base pour sélectionner ces arbres porte-graines.

CONCLUSIONS

Il n’est pas facile de conserver des acajous amérique dans des forêts productives, car ces arbres poussent en général en faible densité et sont récoltés, par coupes sélectives, à partir d’une matrice d’arbres plus abondante essentiellement constituée d’espèces non commerciales, de sorte qu’il reste un couvert de cimes pratiquement intact et peu de possibilités pour l’établissement de la régénération des acajous amérique, qui demande de la lumière. Toutefois, dans les forêts communautaires du Mexique, où le gouvernement a soutenu financièrement l’établissement de pépinières ainsi que d’autres activités sylvicoles, et où les ejidos peuvent compter sur le travail de leurs membres, des plantations d’enrichissement sont effectuées chaque année sur chaque parterre de coupe. Les pratiques sylvicoles continuent d’être affinées à la lumière des observations et des mesures des responsables de l’aménagement forestier, et d’études complémentaires réalisées avec la collaboration de chercheurs. Ces efforts servent aussi de modèle pour la gestion des concessions communautaires, de l’autre côté de la frontière, au Guatemala (Gretzinger, 1998).

Les problèmes posés par la sylviculture durable de l’acajou amérique demeurent. Certains témoignent de la nécessité d’intensifier les recherches, par exemple, pour déterminer la surface qui devrait faire l’objet de traitements de régénération chaque année. D’autres sont d’ordre économique ou institutionnel: les marchés limités pour les volumes sur pied élevés de conifères et de feuillus réduisent le potentiel économique de la forêt ce qui fait qu’il n’est pas rentable d’ouvrir de vastes trouées pour favoriser la régénération. Selon les réglementations actuelles, seuls les arbres dépassant un diamètre minimal donné peuvent être abattus et il est impossible de créer des clairières dans des forêts de production permanentes. Ces règles limitent les possibilités d’application des traitements sylvicoles plus intensifs pour favoriser la régénération d’acajous amérique.

D’autres facteurs peuvent compromettre la gestion des forêts naturelles, en tant qu’utilisation des terres. Malgré l’étendue et l’importance des forêts naturelles dans l’Etat du Quintana Roo, le gouvernement appuie moins la gestion des forêts naturelles que l’établissement de plantations ou le reboisement des terres dégradées, alors que l’appui global à la foresterie représente une fraction des subventions du gouvernement à l’agriculture, en particulier à l’élevage extensif de bovins, qui oblige à défricher les forêts. Malgré la vente des multiples produits et services de la forêt, dans de nombreux ejidos, les gains provenant du secteur sont insuffisants pour fournir un revenu adéquat à leurs membres et couvrir les coûts des services de gestion forestière fournis par les directions techniques. Face à cette situation, on s’efforce actuellement d’améliorer la capacité interne des ejidos en matière de foresterie, afin qu’ils puissent assurer eux-mêmes, une plus grande part des services forestiers (Arguelles et al., 2003)

Malgré ces défis, la Forêt Maya fait vivre des milliers de familles locales, grâce à l’acajou amérique et à la gamme de ressources et de services forestiers qui lui sont associés, tout en maintenant une large éventail de services environnementaux et en conservant la diversité biologique. Avec l’entrée en vigueur de la protection de l’Annexe II de la CITES, l’expérience de gestion et les activités de recherche entre les ejidos de la Forêt Maya peuvent fournir des enseignements utiles pour les pays producteurs d’acajous amérique qui cherchent à garantir la durabilité de leur production.

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