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8. DÉBATS ACTUELS


Ce chapitre est une réflexion portant sur certaines questions relatives à la certification environnementale et sociale volontaire, qui sont actuellement débattues et qui n’ont pas encore été abordées dans les chapitres précédents. Les discussions portent plus spécifiquement sur la certification des produits des cultures commerciales horticoles et tropicales lorsque cela est opportun; la plupart des discussions portent néanmoins sur l'ensemble des produits.

Comme la majeure partie de cet ouvrage, le présent chapitre n’est pas exhaustif et tente de présenter un panorama des questions les plus importantes, sans trop entrer dans les détails.

8.1 SPÉCIFICITÉ LOCALE ET CRÉDIBILITÉ MONDIALE

Les exploitants travaillent dans des circonstances très variées, sous différents climats et sur différents sols, dans différentes situations socio-économiques, avec différents niveaux de services et d’infrastructures d’appui. En face se trouvent les consommateurs, qui sont également loin de constituer un groupe homogène, avec des perceptions et des priorités qui varient quant aux concepts de production et de commerce responsables sur le plan environnemental et social. Cependant, les normes et programmes de certification abordés ici visent à être applicables et à jouir d'une crédibilité dans le monde entier.

Il n’est dès lors pas surprenant que la prise en considération de la spécificité locale dans les systèmes d’élaboration de normes internationales et des systèmes de vérification à l'échelle mondiale ait toujours été et reste un défi permanent. Les normes ne doivent pas être trop détaillées, afin de conserver une flexibilité suffisante pour des interprétations plus spécifiques pertinentes pour chaque contexte local. Néanmoins, les normes trop générales et vagues sont difficiles à expliquer aux consommateurs. De la même manière, les procédures d’inspection et de certification peuvent nécessiter une adaptation à la situation locale, mais trop de flexibilité pourrait aller à l’encontre de la nécessité d’une crédibilité forte.

Cela comporte certaines implications à la fois pour l’élaboration des normes et pour le système de vérification.

Elaboration des normes

Les normes élaborées dans un pays ou une zone géographique en particulier peuvent discriminer les producteurs d’autres pays ou zones si elles ne prennent pas en compte les différentes conditions locales. L’implication d’un grand nombre d’intervenants dans l’élaboration des normes est importante pour assurer que la norme ne discrimine pas intentionnellement une certaine catégorie de producteurs ou de transformateurs. Cependant, il existe un compromis entre l’efficacité et la participation dans le processus d’élaboration de normes. La possibilité doit être donnée à ceux qui le souhaitent de formuler des observations sur un projet de norme. A cette fin, les organes d’élaboration de normes peuvent rendre publics leurs programmes de travail et projets de normes. Ils peuvent également rechercher activement la participation de groupes d’intervenants qui peuvent être affectés par la norme et qui à défaut ne seraient pas informés du développement de cette norme.

En général, plus une norme est normative, plus il est probable qu’elle discrimine intentionnellement certains producteurs. Inversement, les normes formulées en termes de performance pour atteindre leurs objectifs laisseront plus vraisemblablement les producteurs gérer le «comment». Un exemple peut illustrer ce point. Si une norme vise «l’absence de pollution des cours d’eau», la norme peut indiquer quels pesticides ne pas utiliser, la largeur des zones tampons, etc. Elle peut aussi adopter des normes en termes de qualité de l’eau pour les eaux d’écoulement (éventuellement en relation avec la qualité des eaux d’affluent), laissant les producteurs décider de ce que cela signifie pour leur utilisation de pesticides et les zones tampons. Cependant, un compromis est possible avec la vérifiabilité et les coûts de certification. Pour reprendre le même exemple, un inspecteur peut facilement vérifier la zone tampon, mais pour mesurer la qualité de l’eau le producteur devra payer les tests en laboratoire.

Un autre moyen d'intégrer de la flexibilité dans les normes est d'élaborer des normes génériques au niveau international, sur la base desquelles des normes nationales, sectorielles ou spécifiques à l’organisme de certification peuvent être développées. Dans un tel système, l’accréditation est un moyen de contrôler si les normes spécifiques sont en accord et dans l’esprit des normes génériques. L’inconvénient d’un tel système est l’existence de normes spécifiques différentes traitant du même problème, ce qui peut entraver le commerce. Un bon exemple est celui des IBS et du système d’accréditation. Les organismes de certification n’acceptent pas automatiquement le travail effectué par d’autres organes accrédités, même accrédités par le même organe, entre autres parce que certains de ces organes ont des exigences supplémentaires. Ces exigences supplémentaires peuvent être dues à la législation nationale ou aux préférences des consommateurs sur le marché dans lequel ces organes opèrent.

Une manière différente d'assurer une flexibilité adéquate est de distinguer entre les normes minimales et les normes de progrès. Les normes minimales seraient les mêmes quel que soit le lieu où la norme est mise en œuvre, et constitueraient le fondement de la crédibilité du label vis-à-vis des consommateurs. Les critères de progrès seraient également les mêmes, mais ils pourraient être mis en œuvre sur une période qui prend en compte les circonstances et priorités locales spécifiques. Un exemple de cette approche est le système du commerce équitable. Un inconvénient potentiel de cette approche est qu’il est difficile de sanctionner les producteurs ou les équipements qui ont satisfait aux normes minimales mais qui ne se sont pas engagés à mettre en œuvre les critères de progrès.

Le système de vérification

Certaines différences dans les systèmes de vérification peuvent être nécessaires pour appréhender les circonstances locales. Par exemple, pour les petits exploitants dont les fermes sont trop petites pour justifier les coûts de certification, des systèmes de contrôle interne ont été développés par les systèmes de certification biologique et du commerce équitable. Dans ce cas, un groupe de petits exploitants met au point un système de contrôle interne pour s’assurer que tous les membres du groupe adhèrent à la norme. Le système de certification contrôle alors si le système interne fonctionne correctement et ré-inspecte un certain pourcentage des exploitations.

Plus généralement, les organismes de certification réclament un système d’inspection basé sur l’évaluation des risques, au lieu de suivre les mêmes procédures quelles que soient les circonstances. Cela peut impliquer plus de visites à l’improviste des installations lorsque le risque de non conformité est perçu comme plus grand. Ou, dans le cas de la certification biologique, cela peut permettre de raccourcir ou de supprimer la période de conversion selon l’histoire de l’exploitation. Dans le cas des normes sociales, une approche basée sur les risques pourrait conduire à plus d’entretiens au sein d’un groupe donné d’employés, au lieu d'une sélection complètement aléatoire.

Cependant, d’autres différences dans les systèmes de vérification ont leur origine dans les histoires administratives différentes des organismes de mise en œuvre plutôt que leur adaptation aux spécificités locales ou aux exigences spécifiques des consommateurs. Celles-ci peuvent comprendre des différences dans les règles d’accréditation (par ex. la nécessité pour les organismes de certification d’être accrédités ISO 65), dans la fréquence des inspections, dans les formats des rapports et dans les exigences de traçabilité (par ex. la nécessité pour les certificats d’accompagner les produits). Dans le cas des produits biologiques, de telles différences entravent clairement le commerce et la nécessité est largement reconnue de l’harmonisation et de la reconnaissance de l’équivalence, ou les deux, des systèmes de garantie.

8.2 RESPONSABILITÉ DES ONG D’ÉLABORATION DE NORMES ET DES ORGANES D’ACCRÉDITATION

Bendell[136] soutient que les normes et les programmes de certification font partie d’un développement plus large. Les règles environnementales mises en œuvre internationalement ou les travailleurs organisés au niveau mondial ne donnent pas à l’économie mondiale une force de contrepoids effective. Entre-temps, dans la plupart des pays développés, l’identité individuelle est de plus en plus déterminée par la manière dont on dépense son argent et son temps libre. Les ONG d’élaboration de normes représentent un «mouvement consommateur» de consommateurs exigeant une meilleure performance environnementale et sociale de l’entreprise. Bendell identifie quatre types d’activités d’ONG entraînant un changement: par la contrainte (campagnes); par la promotion (recherche et conseil); par la facilitation; et par la production. L’élaboration de normes et les programmes de labellisation sont des changements qui concernent la facilitation ou la production, en offrant des incitations de marché pour le changement ou en fournissant un modèle commercial alternatif (commerce équitable).

Cependant, le pouvoir de contrôle de la société civile par le biais des activités des ONG pour contrebalancer la force commerciale mondiale connaît ses limites. En premier lieu, le contrôle des consommateurs par le biais de la certification et de la labellisation est ouvert seulement aux consommateurs qui ont les moyens économiques de choisir des produits «éthiques» plus chers. Ainsi, ce type de contrôle tendrait à favoriser leurs intérêts spécifiques.

En second lieu, l'absence même de responsabilisation des ONG est problématique[137]. Il est compréhensible que les syndicats ne soient pas toujours enthousiastes à propos des normes de responsabilité sociale et des programmes de certification. Ils se considèrent comme les véritables représentants des travailleurs, qui peuvent ne pas être directement représentés parmi les membres des ONG d’élaboration de normes. Les syndicats n'accepteront de reconnaître le rôle complémentaire que les ONG peuvent jouer que lorsque ces programmes de certification donneront plus d’espace aux organisations de travailleurs et à la négociation collective.

La responsabilisation face aux intervenants pourrait - mais ne doit pas nécessairement - être assurée par le biais d'organisations d’ONG ou de comités consultatifs. Quoi qu'il en soit, il est important d’impliquer les acteurs qui seront directement affectés dans le processus d’élaboration de normes, comme cela est discuté plus haut. La responsabilisation face aux consommateurs peut être améliorée par la transparence, la révélation d’informations sur le contenu des normes, des méthodes de vérification et l’organisation, et, dans le cas de la labellisation, par des labels ayant une signification (ou «signifiants»).

La responsabilisation des organismes de certification et d’accréditation est liée à la discussion sur la responsabilisation des organes d’élaboration de normes. Il est généralement admis que la certification par l’organe d’élaboration de normes crée lui-même des problèmes de conflits d’intérêts. Ainsi, la plupart des organes d’élaboration de normes mentionnés dans ce document, à l’exception de SAN/Rainforest Alliance, ont séparé ces fonctions, essentiellement par le biais d’un programme d’accréditation.

Les organes d’élaboration de normes peuvent avoir l'impression de ne pas être en position de juger la compétence d’un organisme de certification per se. Ainsi, ils peuvent exiger que l’organisme de certification soit accrédité par un autre organe d’accréditation (généralement un membre de la Fédération internationale d’accréditation) par rapport à une ou plusieurs lignes directrices ISO pour le fonctionnement des organismes de certification et d’inspection (Guides ISO 62, 65 et 66). Dans ces cas, l’accréditation par l’organe d’élaboration de normes évalue seulement les aspects spécifiques de la vérification de leur norme, comme les indicateurs de vérification.

Dans le système ISO, même l’accréditation est complètement séparée du processus d’élaboration de normes, et le résultat est qu’ISO ne contrôle pas l’utilisation de ses normes (par ex. ISO 14001). Si les conflits d’intérêts sont écartés, l’inconvénient est que, lorsque la vérification n’est pas approfondie, la norme peut perdre sa signification pratique et l’organe d’élaboration de normes n’a aucun moyen d’améliorer la situation.

8.3 "L’INDUSTRIE DE LA CERTIFICATION"

L’agriculture n’est pas le seul secteur concerné par un nombre croissant de normes et de systèmes de certification. Les activités économiques sont de plus en plus «codifiées» et l’adhésion aux codes est de plus en plus contrôlée par une certification par tierce partie. Cela a conduit à une augmentation du nombre des sociétés d’audit, d’essai et de certification, qui constituent maintenant un secteur rentable à part entière.

Bien que ce modèle de certification par tierce partie offre une plus grande indépendance dans les décisions de certification, le modèle n’est pas entièrement dénué de conflits d’intérêts. En premier lieu, si l’organisme de certification est une société commerciale, il aura un intérêt à effectuer autant d’inspections que possible et à délivrer autant de certificats que possible, tout en maintenant des coûts bas. Cela pourrait compromettre la qualité des inspections. En second lieu, si un plus grand nombre d’organismes de certification offrent le même service de certification, une trop grande sévérité peut encourager les clients à aller chez les concurrents. Dans le même temps, la concurrence peut aussi inciter à accroître la qualité du service pour préserver la «bonne renommée». Tout scandale résultant d’une fraude qui n’a pas encore été détectée par l’organisme de certification affecte non seulement le marché des produits avec label, mais également l’image et le marché de l’organisme de certification impliqué.

Une autre plainte récurrente à propos de l’«industrie de la certification» - y compris les organes d’élaboration de normes - est l’insistance sur les détails. Le simple fait de décrire une situation plus ou moins idéale sous la forme d’une norme, et de procéder à des inspections, conduit à une «mise en œuvre à la lettre» aux dépens de «l’esprit». Au lieu d’engager à atteindre un niveau idéal par une amélioration continue, cela encourage à considérer le certificat comme un objectif en lui-même. La conséquence est que les normes originales «minimum» deviennent le «maximum».

Quel que soit le niveau du système, la qualité du système de vérification dépendra beaucoup de la capacité et de la motivation de l’inspecteur. L’inspecteur ne doit pas seulement connaître la norme et les exigences de certification, mais il doit également connaître suffisamment la culture et le système de production, la situation socio-économique locale, et de préférence parler la langue locale. Un débat actuel porte sur ce qui est «suffisant» à cet égard. L’anecdote de l’inspecteur biologique qui, au milieu du champ de café demandait où se trouvaient les plantations de café est un exemple d’incapacité tant de l’inspecteur que de l’organisme de certification. Dans le même temps, il y a également des limites à ce qui peut être exigé de la part des inspecteurs, qui doivent couvrir une multitude de systèmes de production, pays et normes. En particulier dans le cas des normes «nouvelles», il peut ne pas être possible de trouver un inspecteur qui aura l’expérience à la fois de la norme, du système de production et du pays.

Il est préférable de recourir à des inspecteurs locaux ou régionaux qu'à des inspecteurs venant d’ailleurs, car ils sont en principe plus familiarisés avec la situation locale, et cela réduit également de manière significative le coût d’inspection. Cependant, les inspecteurs locaux devront être en mesure de faire leur rapport dans une langue comprise au bureau de l’organisme de certification, qui peut se trouver dans un autre pays. En outre, les conflits d’intérêts doivent être évités: l’inspecteur ne doit pas avoir de liens familiaux ou économiques avec le site à inspecter, ni être autrement susceptible de corruption ou de coercition.

L’audit des critères sociaux et de travail pose des défis spécifiques. Les frontières entre conformité et non conformité à certaines normes sont souvent plus vagues qu’avec les critères environnementaux. Une zone grise subsiste, dans laquelle l’interprétation immédiate de la norme par l’auditeur est plus importante. Certains soutiennent qu’il est impossible d’être parfaitement objectif, et que ce fait doit être admis par les organismes de certification. Des évaluations participatives du lieu de travail ont été proposées comme un outil possible pour contrôler les normes sociales. Cependant, ces méthodes prennent du temps et accroissent considérablement les coûts d’inspection. Pour traiter ces problèmes spécifiques, le projet Responsabilisation sociale dans l’agriculture durable (Social Accountability in Sustainable Agriculture, ou SASA), mentionné dans le chapitre 4, cherche à identifier la pratique optimale dans l’audit social.

Un moyen important d’assurer une vérification fiable et sérieuse est l’accréditation des organismes de certification. Comme mentionné plus haut, l’accréditation peut recouvrir deux aspects, qui peuvent être contrôlés par le biais de deux services différents d’accréditation. Un aspect est le suivi du fonctionnement et de l’organisation généraux de l’organisme, pour lequel ISO a développé des directives. Un autre aspect est que l’accréditation pour les normes sociales ou environnementales se concentre sur des indicateurs, des méthodes particulières d’audit et des compétences spéciales d’audit, définis par l’organe d’élaboration de normes.

Une dernière question concernant l’industrie de la certification est celle des redevances demandées pour les services de certification. Des différences considérables dans les coûts de certification semblent exister en fonction de l’organisme de certification. Il est cependant difficile de comparer les redevances, chaque organisme les calculant différemment. Certains basent leurs calculs sur les services fournis. Cela rend inévitablement la certification plus chère pour les producteurs éloignés parce que le temps de déplacement et les coûts d’hôtel augmentent. D’autres calculent sur la base de la superficie. Pour les systèmes de production extensive, cela peut aboutir à des coûts de certification très élevés par rapport au chiffre d’affaires. La plupart des organismes utilisent une combinaison de calculs basés sur les services et la superficie; il peut donc être utile pour un producteur de se renseigner pour savoir quel organisme offre la meilleure solution pour ses équipements. A cet égard, les services fournis comptent aussi, et pas seulement le prix. Les services offerts peuvent varier quant à la possibilité de certifications multiples (nombre d’accréditations de l’organisme), aux accords d’équivalence avec d’autres organismes pour faciliter le commerce, à la connaissance d’autres exigences d’exportation et d’importation, à la transparence dans la prise de décision, et à l'opportunité des mises à jour sur les changements de normes et de procédures de certification.[138]

8.4 QUI PAYE?

Le corollaire du coût des services de certification est la question de savoir qui doit payer. Les coûts associés à la certification sociale et environnementale sont, en premier lieu, les coûts de mise en œuvre de la norme (coûts de mise en conformité), et, en second lieu, les frais de certification. Les coûts de tenue de documentation et de registres sont habituellement considérés comme faisant partie des coûts de mise en conformité, car ils font normalement partie des exigences des normes. Cependant, les documents eux-mêmes ne contribuent pas à établir des méthodes de production plus favorables à l’environnement ou socialement plus justes, mais servent plutôt d’outils de vérification. Ils pourraient donc également être considérés comme faisant partie des coûts de certification.

Dans la plupart des cas, les coûts de mise en conformité comme les coûts de certification sont supportés en premier lieu par le producteur ou par l’installation qui est certifiée. Lorsque ces coûts ont un impact notable sur les coûts totaux de production, ils sont probablement répercutés par un prix supérieur à la sortie de l’exploitation, si les conditions du marché le permettent. Pour certains programmes, la possibilité de percevoir une prime de prix, comme avec la certification biologique et du commerce équitable, peut être la principale raison de poursuivre la certification. Dans le cas du commerce équitable, les coûts de certification sont supportés par les distributeurs, par le biais du paiement de redevances aux initiatives nationales de commerce équitable. Toutefois, les coûts de mise en conformité sont sous la responsabilité des groupes de producteurs du commerce équitable. Les études de cas du chapitre 6 donnent l’impression que ces coûts de mise en conformité sont essentiellement liés au développement d’une organisation démocratique, et largement compensés par le prix minimum et la prime de prix du commerce équitable.

La discussion de savoir qui doit supporter la charge d'une production plus respectueuse de l’environnement et plus juste socialement donne davantage matière à débat en l’absence de label et de prime de prix; cela est particulièrement le cas lorsqu’un acheteur essaye de convaincre les fournisseurs de mettre en œuvre une norme donnée, comme avec EurepGap, le programme d’implication sociale SA8000 et l’ETI. Comme le montrent les études de cas en Afrique du sud, l’ajustement des salaires minimum ou des conditions de logement peut être très coûteux. Si un acheteur en Europe ou aux États-Unis demande à ses fournisseurs de se conformer à ces normes, ne devrait-il pas également payer pour cela? Et ces acheteurs peuvent-ils alors répercuter les coûts sur les consommateurs? Comment persuaderiez-vous les consommateurs de payer plus sans un label qui prouve la mise en conformité? Ou les actionnaires seraient-ils prêts à recevoir moins de dividendes, et les détaillants se contenteraient-ils d’une marge moins grande?

La première question à poser dans cette discussion est peut-être de savoir pourquoi ces acheteurs demandent aux fournisseurs de mettre en œuvre ces normes. D’une manière ou d’une autre, ils doivent évaluer les produits provenant de sources d’approvisionnement qui sont en conformité plutôt que de sources d’approvisionnement qui ne sont pas en conformité. Il peut s’agir d’un réel intérêt pour l’environnement et le bien-être des travailleurs, ou plus une question d’image de l’entreprise. Dans les deux cas, on pourrait soutenir que leur appréciation de la conformité devrait également s'exprimer dans la relation commerciale. Cela peut être sous la forme d’un prix plus élevé à la sortie de l’exploitation, ou dans d’autres termes commerciaux plus favorables, tels que des contrats à plus long terme, de meilleurs accords de préfinancement, etc. Cependant, dans un marché surabondant, les acheteurs, en particulier les supermarchés, peuvent imposer des exigences sans fournir de compensation. Le seul intérêt de la mise en œuvre d’une norme pourrait être qu’il est improbable que l’acheteur se tourne vers d’autres fournisseurs.

Si les coûts de mise en conformité et de certification ne sont pas répercutés le long de la filière d’approvisionnement, il se peut fort bien que seuls les producteurs les plus importants et les plus aisés seront en mesure d’appliquer ces normes. Ceci réduira de nouveau l’impact des normes sur l’environnement ou les conditions de travail. Ou, si une norme devient la règle plutôt que l’exception, cela peut exclure les petits producteurs pauvres du marché dans sa totalité.

8.5 POTENTIEL ET CONTRAINTES POUR LES PAYS EN DÉVELOPPEMENT ET LES PETITS EXPLOITANTS

Comme il ressort du chapitre 5 sur les marchés et du chapitre 6 sur l’impact au niveau de l’exploitation, les normes et les programmes de certification étudiés présentent à la fois des bénéfices potentiels et des défis pour les producteurs en général dans les pays en développement, et pour les petits exploitants en particulier.

Potentiel general et contraintes

Une contrainte générale pour les producteurs et les exportateurs dans de nombreux pays en développement est l’absence d’un organisme local de certification, ou d’un bureau local d’un organisme opérant internationalement. Cela signifie que les opérateurs doivent se tourner vers les organismes de certification étrangers. Comme cela a été étudié dans la section sur l’industrie de la certification, le recours à des inspecteurs locaux est généralement privilégié, non seulement pour réduire les coûts de certification mais également en raison d’une plus grande connaissance locale. Cependant, un organisme de certification doit investir du temps et des ressources financières pour trouver un inspecteur local compétent et former cette personne sur les détails des normes et des méthodes de vérification.

Ainsi, lorsque le nombre des opérateurs à inspecter dans un pays donné est peu élevé, des organismes étrangers peuvent envoyer des inspecteurs plutôt qu’engager un consultant local pour de courtes périodes. Cela entraîne des coûts de certification plus importants, parce que les frais de déplacement et d’hôtel sont intégrés dans la redevance. Lorsqu’il y a suffisamment de clients, un organisme étranger peut engager un inspecteur local de manière plus permanente. Ce n’est que lorsque le «marché de la certification» est assez important qu’un bureau local peut se justifier pour les inspecteurs, pouvant traiter les paiements par le biais des banques locales et avec quelqu’un pour répondre au téléphone dans la langue locale.

Certaines normes requièrent des tests de laboratoire pour l’analyse des sols, l’évaluation de la qualité de l’eau ou l’analyse des résidus de pesticide. Si ces tests sont demandés, il est habituellement nécessaire que le laboratoire lui-même soit accrédité, tout comme l’organisme de certification. Certains pays en développement n’ont pas de laboratoire de capacité suffisante, ou ont un laboratoire non accrédité officiellement. Dans d’autres cas, ils sont trop éloignés, trop chers ou pour une autre raison inaccessibles aux opérateurs qui souhaitent être certifiés. Parce que des tests comparables sont de plus en plus nécessaires pour d’autres objectifs (par exemple, répondre aux conditions de l’Accord SPS), la capacité des laboratoires dans les pays en développement s’est régulièrement améliorée au cours des ans. Cependant, dans certains pays, il peut s’avérer impossible pour les producteurs de se conformer à ces conditions de certification et les organes d’élaboration de normes et de certification doivent envisager des alternatives afin de ne pas discriminer ces producteurs.

En général, les normes sociales et environnementales et les programmes de certification volontaire offrent le potentiel d’un meilleur accès aux marchés. Cela peut prendre la forme du statut de «fournisseur favori» pour quelques grands acheteurs, une meilleure image sur le marché en général, ou un accès à un marché de niche spécifique avec des primes de prix. Cependant, ce potentiel n’est pas un fait statique, car les conditions du marché peuvent changer rapidement, et une certification reconnue aujourd’hui peut perdre de l’importance demain. Par exemple, le certificat ISO 14001 faisait à son origine la différence dans les négociations avec les acheteurs, mais après que presque toutes les sociétés de grande ou moyenne taille ont obtenu ce certificat, celui-ci a perdu son intérêt.

Potentiel et contraintes en relation avec des programmes spécifiques de certification

Pour l’agriculture biologique, les marchés comme les impacts sont variables. En ce qui concerne l’exportation de produits biologiques vers des chaînes de supermarchés européens, Harris et ses collègues[139] soulignent le fait que certains supermarchés s’orientent vers un Système de gestion par catégorie pour les achats, dans lequel une société prend la responsabilité de s’approvisionner pour tous les produits dans leur catégorie particulière, conventionnels et biologiques. Les exigences d’uniformité et de traçabilité favorisent le recours à de grandes exploitations commerciales uniques. Cependant, à certains égards, les rigueurs de la certification biologique rendent les petits exploitants biologiques plus probablement acceptables comme sources de produits que les petits exploitants conventionnels. Les acheteurs sont assurés que les installations de production ont été visitées une fois par an, et qu'aucun problème de résidus de pesticide ne devrait se produire.

On peut retenir des études de cas que les méthodes biologiques peuvent améliorer les systèmes d’exploitation traditionnels et accroître les rendements. Cependant, l'utilité de s'engager dans un processus de certification dépend grandement du marché des produits certifiés biologiques, et du fait que les primes de prix compensent ou non les coûts de certification. Pour les systèmes d’exploitation qui font un usage intensif d’intrants externes, l’adoption des pratiques biologiques peut dans un premier temps réduire les rendements. Les effets sur le coût de production dépendent beaucoup des circonstances individuelles, comme les salaires locaux pour le travail non qualifié. La certification peut être essentielle pour obtenir une prime qui compensera des rendements moindres. En particulier pour les marchés à l’exportation, il faut faire attention au choix du programme de certification, et une certification multiple peut s’avérer nécessaire. En outre, le marché biologique se développe rapidement et les situations de surplus et de pénurie peuvent apparaître et disparaître rapidement. Il est difficile d'évaluer ce que sera le marché après la période de conversion obligatoire.

Le système du commerce équitable est surtout développé pour offrir un accès aux marchés à l’exportation pour ceux qu’on appelle les producteurs «désavantagés» dans les pays en développement, afin d’améliorer leurs moyens de subsistance. Cependant, même le commerce équitable peut poser des défis sous la forme d’exigences organisationnelles pour les associations d’exploitants. En outre, le marché du commerce équitable est assez limité, ce qui à son tour limite le nombre de producteurs qui peuvent en bénéficier.

Les normes et le système de certification SAN/Rainforest Alliance ont été élaborés pour une application dans les pays en développement. Cependant, leurs normes pour les bananes ont été élaborées pour les plantations, et les petits exploitants peuvent connaître des difficultés relatives aux exigences importantes en termes de documents et relatives aux coûts de certification. Dans le même temps, leurs normes pour le café sont appliquées aux exploitations avec plusieurs échelles pour la mise en œuvre.

En tant que normes du travail, SA8000 et le Code fondamental ETI sont particulièrement adaptés aux installations qui emploient beaucoup de salariés. La mise en œuvre de la norme sur les petites exploitations qui ne dépendent que de l’aide familiale n'aurait que peu de sens. Cela ne signifie pas que les exploitations familiales sont discriminées, car il est improbable que les acheteurs exigent de ces exploitations la conformité à SA8000[140]. Le seul point est que certains peuvent préférer les gros fournisseurs détenteurs d'un certificat SA8000 plutôt que les gros fournisseurs sans SA8000.

Les détaillants qui font la promotion d’EurepGap ont été largement critiqués parce qu’ils imposent plus de conditions aux producteurs, sans les rémunérer pour les coûts supplémentaires impliqués. On a craint que les producteurs dans les pays en développement, en particulier les petits exploitants se trouvent dans l'impossibilité de se conformer à la norme et perdent leur marché. En effet, le nombre de petits exploitants certifiés EurepGap est très limité, et il s'agit essentiellement des producteurs pour lesquels les coûts de certification et une partie des documents sont pris en charge par l’exportateur. Cependant, les détaillants semblent réaliser que les fournisseurs dans les pays en développement peuvent avoir besoin de plus de temps. Certains observateurs notent qu’ils sont généralement satisfaits dès lors que l’engagement est démontré et que des améliorations sont réalisées, même si la certification n’est pas encore obtenue. Il a également été remarqué que les organismes de certification diffusaient souvent des messages non vérifiés selon lesquels les producteurs sont sur le point de perdre leur marché européen s’ils n’obtiennent pas la certification EurepGap, sans expliquer exactement quels détaillants sont supposés demander EurepGap. EurepGap est souvent comprise à tort comme une réglementation UE, et la plupart des organismes de certification ne semblent pas faire d’effort pour corriger cette opinion et pour expliquer qu’EurepGap est une norme entièrement privée.

8.6 LE RÔLE POTENTIEL DES GOUVERNEMENTS

Les gouvernements peuvent jouer plusieurs rôles en relation avec les programmes de certification. En premier lieu, la législation nationale a un impact sur tout programme préconisant la mise en œuvre de certaines normes, puisqu’elle établit l’environnement juridique dans lequel cette mise en œuvre s’effectue. De manière plus spécifique, les gouvernements peuvent protéger juridiquement l’utilisation de certains termes sur les labels de produits. Les organismes gouvernementaux peuvent endosser le rôle d’organes d’élaboration de normes ou d’organes d’accréditation, ou les deux, et encore celui d’organismes de certification. Ils peuvent également encourager l’adoption de certaines normes en diffusant des informations, en accordant des incitations fiscales ou des subventions. Chacun de ces rôles potentiels est brièvement abordé dans la présente section.

Fournir l’environnement juridique

Presque toutes les normes requièrent que les sociétés et les producteurs appliquent la législation nationale, et en particulier la législation environnementale ou sociale. Souvent, les programmes de certification offrent des mécanismes alternatifs d’application des lois nationales lorsque les gouvernements manquent de moyens - financiers ou autres - pour une application effective. Des problèmes peuvent survenir lorsque les exigences des normes volontaires sont en contradiction avec les réglementations nationales. Quoi qu'il en soit, les programmes de certification volontaire ne peuvent pas exiger que les intervenants opèrent en contradiction avec la législation nationale.

Protection des termes

Dans le cas de l’agriculture biologique, de nombreux gouvernements ont décidé de protéger légalement les termes «organique», «biologique» ou «écologique», et ont restreint l’utilisation de ces termes aux systèmes de production et aux produits qui se conforment aux normes biologiques. Pour des termes comme commerce équitable, commerce éthique, agriculture raisonnée, protection intégrée contre les ravageurs, etc., un tel contrôle légal n’existe pas encore. Le mouvement biologique a par le passé activement recherché cette protection juridique. Cependant, aujourd’hui, les opinions divergent quant à savoir si cette démarche était raisonnable. Beaucoup ont eu le sentiment d’avoir perdu le contrôle.

Les organismes gouvernementaux jouant le rôle d'organes d’élaboration de normes ou d’accréditation

La protection légale des termes associés aux méthodes de production de type biologique a eu pour résultat que les gouvernements ont élaboré leur propre réglementation biologique et sont devenus de facto des organes d’élaboration de normes. Cela n’est néanmoins pas obligatoire; les gouvernements peuvent également choisir de reconnaître les normes adoptées par d’autres. Pour les normes ISO et les normes biologiques, les organismes gouvernementaux endossent effectivement souvent le rôle d’organes d’accréditation, par lesquels un contrôle peut s’exercer sur la qualité des services de certification. Parfois, ce rôle est délégué à un organisme tripartite dans lequel des professionnels, des consommateurs et le gouvernement sont représentés (pas les syndicats, puisque ces organismes ne traitent normalement pas de normes du travail). Si un gouvernement a le sentiment qu’une norme ou qu’un système de vérification donné est discriminatoire à l’encontre de certains producteurs ou transformateurs dans sa juridiction, il peut trouver opportun de le signaler à l’organe concerné.

Fournir des infrastructures

Les gouvernements peuvent fournir des services de laboratoire accessibles aux producteurs pour un montant raisonnable. Ils peuvent aussi encourager la mise en place de bureaux locaux de certification, offrant un service unique ou multiple de certification. Par exemple, le Costa Rica a demandé à tous les organismes de certification biologique opérant au Costa Rica d’ouvrir un bureau dans le pays. D’autres mesures à cet égard pourraient être de faciliter les procédures administratives ou d’octroyer des incitations fiscales. Les gouvernements peuvent également activement inviter des organes internationaux à organiser des formations d’inspecteurs dans le pays pour les programmes de certification qu’ils considèrent comme étant les plus importants.

Inciter à l’adoption des normes

Si une norme sociale ou environnementale volontaire donnée est conforme à la politique du gouvernement, celui-ci pourra souhaiter encourager l’adoption de cette norme. A cette fin, le gouvernement pourra fournir des fonds aux organismes qui préconisent ces normes. Les gouvernements pourront également octroyer des subventions aux exploitants qui appliquent ces normes, par exemple en payant les coûts de certification pendant les périodes de conversion, ou les audits préalables en préparation pour la certification. Une autre option pourrait être celle des incitations fiscales en faveur des producteurs qui se conforment à la norme. La justification pourrait en être que ces producteurs coûteraient en moyenne moins à la société en termes de coûts de pollution environnementale ou de soins de santé pour les problèmes d’hygiène professionnelle des travailleurs.

Renforcement institutionnel

Les gouvernements peuvent former des agents de vulgarisation sur les normes et les conditions requises pour la certification. Ils peuvent également assurer qu’une prise en considération des normes soit intégrée dans les programmes d’enseignement des écoles et universités agricoles. Enfin, ils peuvent lancer des campagnes publiques d’information pour les producteurs ou les consommateurs.


[136] Bendell, 2000.
[137] Simmons, 1998.
[138] Voir également Van Elzakker, 2002, pour une "liste de doléances" de ce que les producteurs et les exportateurs requièrent des organismes de certification.
[139] Harris et al., 2001.
[140] Cependant, les acheteurs peuvent préférer les gros fournisseurs pour d’autres raisons, comme les économies d’échelle.

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