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RÉSUMÉ


Dans le cadre du projet «Identification et diffusion de bonnes pratiques d’irrigation en Afrique de l’Ouest» financé par le ministère français des affaires étrangères, l’IPTRID a développé depuis deux ans un partenariat avec l’EIER, le PSI-CORAF, l’AFARTCT, l’AMVS, le PSSA et la Senagrhy SA, pour suivre douze périmètres irrigués de cinq pays d’Afrique de l’Ouest (Burkina Faso, Mali, Mauritanie, Niger et Sénégal) pendant une, deux ou trois campagnes. Les objectifs de ce projet étaient d’identifier, de caractériser et d’évaluer les pratiques à l’échelle du périmètre et de la parcelle, qu’elles soient individuelles ou collectives, organisationnelles, techniques ou financières, et de diffuser par des moyens appropriés celles identifiées comme ayant des résultats positifs. Le projet visait également à dresser un bilan des filières rizicoles dans la région.

Le projet a permis d’alimenter une base de données sur les aspects agronomiques, hydrauliques, économiques et organisationnels des périmètres étudiés. Des informations précises et récentes sur les performances économiques et techniques des périmètres rizicoles au Sahel y sont présentées. Le projet a également développé une méthode de diagnostic comparatif rapide (DCR) pour analyser comparativement les pratiques et les performances des périmètres étudiés. La dimension régionale du projet a permis de mettre pratiques et performances en perspective et constitue la plus-value essentielle du projet. Cette démarche a permis d’identifier des principes d’amélioration des performances des systèmes irrigués et certaines «bonnes pratiques» associées à ces principes et actuellement appliquées sur certains aménagements. Vingt-six études de cas concrets de ces «bonnes pratiques» sont présentées selon un format standardisé (objectifs, modalités de mise en œuvre, éléments de contexte, évaluations). L’accent est mis sur l’association de «bonnes pratiques», sur les «bonnes pratiques» alternatives et sur les principes de chaque étude de cas.

Alors que le potentiel d’irrigation reste largement sous-exploité en Afrique subsaharienne et que l’écart entre production rizicole et demande en riz ne cesse de croître, la riziculture irriguée (par pompage avec maîtrise de l’eau, collective et transférée aux usagers) est actuellement critiquée. Les coûts d’investissements élevés, la dégradation des aménagements, leur faible taux de mise en valeur, la stagnation des rendements et la non compétitivité du riz local sont stigmatisés.

L’analyse comparée des douze périmètres irrigués contraste avec cette vision pessimiste de l’irrigation en Afrique sahélienne. Les résultats moyens sur les périmètres étudiés sont encourageants, bien que variables: la valorisation du travail se situe entre 1 000 et plus de 5 000 FCFA/h·j, les revenus nets/exploitation/campagne s’échelonnent entre 100 000 et 400 000 FCFA et la contribution des périmètres irrigués à la couverture des besoins alimentaires varie de 30 à 190 pour cent. Dans certains contextes, la riziculture s’avère donc une activité attractive pour les producteurs. Le coût de revient du kilogramme de paddy varie de 54 à 95 FCFA/kg et celui du riz décortiqué de 97 à 229 FCFA/kg: moyennant certaines pratiques, ce prix du riz peut être compétitif face aux importations. Cependant les producteurs rencontrent des difficultés de commercialisation liées à la forte variabilité des rendements entre producteurs d’un même aménagement, à la faible intégration des filières, à la taille trop petite des exploitations irriguées et à la faible intensité culturale. Par ailleurs, même si la viabilité financière de la riziculture irriguée est rarement atteinte actuellement, dans certaines conditions l’agriculture irriguée peut être financièrement viable. Au-delà de ces résultats économiques et financiers, l’irrigation améliore la sécurité alimentaire des familles en garantissant un rendement minimum. La riziculture irriguée permet également de satisfaire une nouvelle demande alimentaire pour du riz blanc et les revenus monétaires qui s’en dégagent rendent le milieu rural plus attractif, ce qui tend à limiter l’exode.

Certains résultats hydrauliques sont également encourageants et des pratiques intéressantes sont mises en œuvre par certaines coopératives. L’analyse montre en premier lieu que, sur les aménagements étudiés, les coopératives effectuent des provisions importantes pour l’amortissement de leur équipement de pompage. Plusieurs d’entre elles ont ainsi déjà procédé de façon autonome à leur renouvellement. Par ailleurs, certaines coopératives parviennent à assurer un approvisionnement en eau proche des besoins des cultures, à un coût satisfaisant, tout en maintenant une certaine équité de distribution à l’échelle du périmètre. Enfin, s’il est vrai qu’un déficit d’entretien est constaté sur la plupart des périmètres, les coopérateurs ont de plus en plus conscience de la nécessité d’un entretien de qualité et adaptent leurs pratiques en conséquence.

Cependant, les compétences hydrauliques des producteurs restent insuffisantes pour assurer une irrigation efficace, productive et durable. L’expérience de certains périmètres montre que la solution repose en partie sur la professionnalisation des fonctions hydrauliques du périmètre. L’intervention d’experts permet d’apporter les compétences que ne possèdent pas les irrigants sur divers aspects de la gestion de l’eau: pompage, distribution, entretien des infrastructures, gestion de la redevance. Elle prend la forme d’un appui conseil ponctuel ou d’une totale délégation du service de l’eau.

Sur le plan agronomique, il ressort que, pour une même dose d’engrais, les performances individuelles pourraient être grandement améliorées, sans que les coûts de production augmentent. Qualité du suivi de la parcelle, composition des intrants et mode d’application appropriés, respect du calendrier cultural, contrôle efficace des adventices, maîtrise de l’eau à la parcelle, sont autant de principes d’amélioration des rendements, qui permettent d’envisager une moyenne de sept tonnes par hectare. Une intensification en intrants, dans un deuxième temps, serait mieux valorisée et contribuerait à augmenter encore les rendements, puis à les maintenir.

Pourtant ces pratiques sont parfois absentes sur certains aménagements, voire dans certaines régions.

Le problème de diffusion des connaissances agronomiques existe, certes, mais ne suffit pas à expliquer cet échec de vulgarisation (exemple de la combinaison urée/DAP connue au Mali et au Sénégal, mais absente au Burkina Faso, au Niger et en Mauritanie).

De nombreux agriculteurs connaissent les recommandations théoriques mais ne les appliquent pas, du fait de contraintes collectives et externes au système irrigué qu’ils subissent ou de leur propre stratégie individuelle. Le désengagement rapide des Etats des filières rizicoles n’a pas été compensé par l’émergence, lente, de nouveaux acteurs: organisations paysannes et autres opérateurs privés. Les filières, souvent informelles, restent partiellement organisées. Il en résulte des dysfonctionnements récurrents affectant les systèmes irrigués sahéliens: prix élevés des facteurs de production, difficultés d’accès au crédit, problèmes de commercialisation. Souvent, l’irrigant subit un environnement technique et économique, qui influence ses pratiques agricoles et donc ses performances agronomiques et détermine les facilités d’écoulement de sa production à un prix rémunérateur.

Ainsi la durabilité des systèmes irrigués repose sur la professionnalisation des producteurs, des coopératives et des filières. Cela requiert un engagement important et une plus grande responsabilisation des irrigants pour faire face aux enjeux de l’autogestion.

Certains périmètres ont développé leurs propres organisations et institutions, témoignant ainsi d’une relative maturité organisationnelle. Elle se traduit par quelques principes: concertation, transparence, décentralisation vers des organisations paysannes de base financièrement indépendantes, partage clair des responsabilités, professionnalisation de la gestion, organisation selon différents niveaux y compris supra périmètre, existence de règles et de sanctions effectivement appliquées. Les irrigants doivent façonner eux-mêmes leurs institutions et non imiter un modèle établi; un développement de leurs compétences est nécessaire.

De nouvelles formes d’appui conseil devraient donc voir le jour pour intégrer ces contraintes et permettre enfin de généraliser des pratiques efficaces sur les périmètres irrigués, ce qui permettrait d’en assurer la pérennité.


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