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Elargir l’horizon: incorporer la foresterie
internationale dans les programmes de recherche
et d’enseignement supérieur en foresterie 1

M. Hosny El-Lakany

M. Hosny El-Lakany est Sous-Directeur général, Département des forêts, FAO, Rome.

L’adjonction d’une dimension internationale à la recherche et à l’enseignement supérieur en foresterie permettrait au personnel d’encadrement d’être mieux préparé pour traiter les problèmes d’échelle planétaire et de combler une sérieuse lacune dans les débats intergouvernementaux.

Contrairement aux problèmes écologiques mondiaux et aux politiques relatives à la plupart des ressources naturelles, il a été difficile de traiter à l’échelon international certains problèmes spécifiques au secteur forestier – notamment le commerce, la déforestation et l’aménagement durable des forêts en général. Après la Conférence des Nations Unies sur l’environnement et le développement (CNUED) tenue à Rio de Janeiro (Brésil) en 1992, la communauté mondiale est parvenue à conclure des accords et à ratifier des conventions sur certaines questions comme les changements climatiques, la diversité biologique, la désertification et les espèces menacées d’extinction. Plus récemment, le Sommet mondial pour le développement durable (SMDD), tenu à Johannesbourg (Afrique du Sud) en 2003, s’est attaqué aux thèmes eau, énergie, santé, agriculture et biodiversité (EESAB) sans toutefois aborder directement la foresterie, au grand regret de la communauté forestière – alors que le Plan d’application du SMDD reconnaissait la gestion forestière comme essentielle à la réalisation du développement durable.

Les programmes des écoles forestières sont rarement centrés sur l’étude des questions débattues au niveau international. Il s’agit là d’une lacune qui peut s’expliquer par une méconnaissance des problèmes mondiaux, du débat international ainsi que des compétences et des connaissances précises dont les organisations internationales ont besoin, mais aussi par le manque d’intérêt de la part des étudiants et des facultés, l’insuffisance des ressources et l’incertitude concernant les débouchés des diplômés sur le marché du travail.

Le présent article propose d’introduire des cours de foresterie internationale, pour les étudiants du premier, du deuxième et du troisième cycles universitaires. Il identifie des questions importantes débattues sur la scène internationale durant la dernière décennie, que les étudiants en foresterie sont censés bien connaître et propose des moyens de renforcer les capacités des institutions afin qu’elles puissent offrir des cours internationaux pour que les forestiers et les chercheurs du secteur soient à même de résoudre les problèmes intéressant l’ensemble de la planète qui se posent d’ores et déjà ou se profilent à l’horizon.

DIALOGUE INTERNATIONAL SUR LES FORÊTS

Après être parvenus à un consensus sur les «Principes relatifs aux forêts» (in extenso Déclaration de principes, non juridiquement contraignante mais faisant autorité, pour un consensus mondial sur la gestion, la conservation et l’exploitation écologiquement viable de tous les types de forêts) à la CNUED, les pays ont reconnu qu’un forum mondial pour discuter des questions de politique forestière serait essentiel pour parvenir à un aménagement durable des forêts partout dans le monde. Ainsi, trois ans après la CNUED, le Groupe intergouvernemental sur les forêts (GIF) a été établi dans le cadre de la Commission du développement durable des Nations Unies. A la fin de son mandat de deux ans (1995 à 1997), le Forum intergouvernemental sur les forêts (FIF) a succédé au GIF (1997 à 2000).

Le GIF et le FIF ont accepté plus de 200 propositions d’action en faveur de l’aménagement durable des forêts, mais n’ont pas réussi à résoudre certains problèmes délicats liés au financement, au transfert de technologie et au commerce. Les discussions n’ont pas non plus débouché sur un accord quant à la question d’un instrument juridique international concernant les forêts. Pour sortir de l’impasse, les pays sont parvenus à un compromis qui a débouché sur l’établissement du Forum des Nations Unies sur les forêts (FNUF), pour une période initiale de cinq ans (2000 à 2005).

Les objectifs du FNUF sont les suivants:

Le Partenariat de collaboration sur les forêts (PCF), un organe interinstitutions constitué de 14 organisations, institutions et instruments internationaux en rapport avec la foresterie, présidé par la FAO, a été établi en avril 2001 pour soutenir le FNUF dans ses travaux et renforcer la coopération et la coordination dans le secteur forestier. Ce type de travail d’équipe est relativement nouveau sur la scène mondiale et le PCF fait figure de chef de file à de nombreux égards. D’importants forums intergouvernementaux, dont le Sommet mondial pour le développement durable, mentionnent les réalisations du PCF.

Les six Commissions régionales des forêts de la FAO (pour l’Afrique, l’Asie et le Pacifique, l’Europe, l’Amérique latine et les Caraïbes, le Proche-Orient et l’Amérique du Nord), ainsi que son Comité des forêts (COFO) servent aussi de tribune pour un dialogue international sur les forêts. Tous les deux ans, ces organes rassemblent les chefs des institutions forestières nationales du monde entier, dans un premier temps au niveau régional, puis au niveau mondial, pour discuter des politiques forestières, examiner l’évolution des ressources forestières et recommander des changements dans les priorités et les programmes forestiers nationaux.

Ainsi, des questions concernant directement et indirectement les forêts et la foresterie sont abordées dans une multitude de forums, tant verticalement (aux niveaux national, régional et mondial) qu’horizontalement (dimensions politiques, juridiques, économiques, environnementales et sociales). La foresterie tient une place importante dans les discussions et les programmes de travail des organes intergouvernementaux des trois principales conventions postérieures à la CNUED. Toutefois, sans réellement contester cette tendance, les gestionnaires des forêts estiment que l’étude des forêts ne se réduit pas au climat, à la diversité biologique et à la désertification.

L’une des principales questions dont on continue à débattre depuis la CNUED est de savoir s’il convient d’entamer des négociations pour promouvoir un instrument international juridiquement contraignant sur les forêts. A la CNUED, de nombreux pays, en particulier en développement, ont déclaré qu’une convention forestière risquait de menacer leur droit souverain de gérer les forêts à l’intérieur de leurs frontières. Ils ont aussi fait valoir que l’on n’avait pas suffisamment prêté attention à l’escalade de la déforestation dans les pays industrialisés et aux menaces pesant sur les forêts tempérées et boréales. Beaucoup de pays développés ont déploré que l’on ne se préoccupe pas suffisamment de préserver les avantages écologiques d’échelle planétaire que procurent les forêts. Au fil du temps, certains pays ont revu leur position sur ce sujet.

Les pays qui sont aujourd’hui favorables à un instrument juridiquement contraignant sur les forêts souhaitent que les questions forestières soient traitées (éventuellement séparément), dans le cadre de plusieurs mécanismes différents et de divers accords environnementaux multilatéraux, dont la Convention sur la diversité biologique (CDB) et le Protocole de Kyoto de la Convention-cadre des Nations Unies sur le changement climatique (CCCC-ONU). Ils soutiennent qu’une convention sur les forêts prendrait en compte tous les types de forêts et toutes les valeurs forestières, de manière complète et exhaustive, en fournissant un programme d’action commun, un cadre pour son application et des règles et des objectifs impartiaux pour mesurer les performances des pays.

Les pays opposés à une convention forestière font valoir que des arrangements volontaires comme les neuf processus régionaux et écorégionaux relatifs aux critères et aux indicateurs de l’aménagement durable des forêts, démontrent que des mesures contraignantes ne sont pas nécessaires. Ils prétendent qu’un instrument mondial unique n’aurait jamais autant de succès que les nombreux traités, organisations, initiatives et partenariats régionaux qui ont fait la preuve de leur efficacité; que les approches volontaires reposant sur des incitations sont plus efficaces que les accords juridiquement contraignants, qui en fin de compte ne sont pas applicables ou manquent d’efficacité; et qu’une convention ferait double emploi avec les arrangements internationaux ou régionaux existants, sans leur ajouter grand chose.

Exemples de thèmes principaux ou accessoires abordés par les institutions, organisations et processus en rapport avec la foresterie au niveau international

Etendue des ressources forestières: déforestation, promotion des forêts naturelles et plantées, remise en état et régénération des terres dégradées, conservation du couvert forestier

Diversité biologique forestière: conservation et aires protégées, protection des types de forêts uniques et des écosystèmes fragiles, diversité des écosystèmes

Santé et vitalité des forêts: dégradation des forêts, pollution atmosphérique, feux, insectes, ravageurs et maladies, espèces exotiques envahissantes

Fonctions productives des forêts: récolte durable du bois, produits forestiers non ligneux;

Fonctions protectrices des forêts: conservation des sols et des eaux, contribution aux cycles mondiaux du carbone, écosystèmes fragiles, stratégies de conservation;

Avantages socioéconomiques procurés par les forêts: offre et demande, emploi et création de revenus, systèmes de gestion autochtones et communautaires, connaissances traditionnelles, évaluation des biens et des services, instruments économiques, politiques fiscales et régimes fonciers;

Cadre juridique, politique et institutionnel: programmes nationaux relatifs aux forêts et à l’utilisation des terres, critères et indicateurs d’aménagement durable des forêts, suivi, évaluation et établissement de rapports, science et recherche, participation du public, gouvernance et mise en application des lois;

Coopération et commerce internationaux: assistance financière, transfert de technologie, renforcement de capacités, commerce international de produits et de services, commerce illégal des produits forestiers.

Pour préparer les futurs forestiers à prendre part aux délibérations internationales, les universités pourraient inviter les négociateurs gouvernementaux, les diplomates et les experts internationaux
à s’engager dans l’enseignement et la recherche à temps partiel ou à titre volontaire

FAO/17355

POURQUOI IL FAUT INTÉGRER LA FORESTERIE INTERNATIONALE DANS LA RECHERCHE ET L’ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR

La recherche et l’éducation forestières internationales portent sur des sujets d’ampleur mondiale ou transfrontières. Ces sujets couvrent, entre autres; les délibérations intergouvernementales sur les forêts; les conventions, instruments et traités relatifs aux forêts; et les manières de tirer profit des avantages économiques, environnementaux et sociaux que procurent les forêts à l’échelle de la planète.

Certaines écoles et organisations de recherche, principalement en Amérique du Nord et en Europe, ont pendant de nombreuses années porté leur attention sur la foresterie en zone tropicale ou sèche. Certaines ont attiré des étudiants étrangers pour leur enseigner la foresterie «locale». Bien que cela soit méritoire, ce n’est pas cela que l’on entend par enseigner et effectuer des recherches sur des problèmes de portée internationale. Les écoles qui ont ajouté une dimension internationale à leurs programmes d’études ces dernières années l’ont fait essentiellement au niveau du troisième cycle et des programmes de formation continue.

Il est compréhensible que le principal objectif des écoles forestières, au moins au niveau de la licence, soit de produire des diplômés ayant des capacités adaptées aux besoins locaux. Mais de nombreuses écoles tentent de produire plus de diplômés que le secteur forestier local ne peut en absorber.

Des recherches sur des questions forestières d’ampleur internationale sont aussi cruellement nécessaires. Jusqu’à présent, les rapports ou les comptes rendus de situation des pays ont rarement été fondés sur des recherches universitaires approfondies. Les politiques nationales ont plutôt été formulées sur la base de l’intérêt politique. Il est rare que des universitaires ou des chercheurs, ou même des consultants externes, aient fait partie de délégations à des forums intergouvernementaux.

Les universités disposent de plusieurs armes pour renforcer leurs liens avec les organisations et institutions internationales s’occupant de foresterie, notamment:

PROPOSITION POUR LE LANCEMENT D’UN CONSORTIUM D’ENSEIGNEMENT FORESTIER INTERNATIONAL

Malgré les difficultés évidentes auxquelles est confronté l’enseignement forestier, au niveau des premier, deuxième et troisième cycles, et les obstacles qui empêchent d’intégrer l’étude des problèmes forestiers internationaux dans les programmes du troisième cycle, le fait que les étudiants en foresterie ne reçoivent pas de formation sur les questions internationales est une grave lacune de l’enseignement forestier. Il est proposé d’y remédier en incluant un cours général sur la foresterie internationale dans les programmes d’études forestières des premier et deuxième cycles et en mettant en place des cours de spécialisation du troisième cycle. Le mieux serait de dispenser les cours de spécialisation sur des problèmes forestiers de dimension internationale dans le cadre de systèmes de formation continue.

Cependant, aucune faculté (ou université) forestière n’est dotée de moyens financiers et humains suffisants pour pouvoir traiter, à elle seule, toutes les questions forestières de portée internationale. En outre, l’établissement d’un département ou d’une unité spéciale pour la foresterie internationale n’est pas toujours justifié en raison de la faible demande et du faible taux d’inscription potentiels. Un consortium d’enseignement forestier international pourrait coordonner les efforts pour répartir ces activités entre un certain nombre d’institutions en regroupant les ressources humaines et en coordonnant, dans un premier temps, les offres de cours spécialisés relevant d’une formation continue. Un consortium d’enseignement forestier international ne serait pas en conflit avec les efforts actuellement déployés pour organiser le Partenariat international pour l’enseignement forestier (voir encadré, p. 38).

Dans les pays du monde entier, les universités ne peuvent plus ignorer l’existence de problèmes forestiers d’une importance planétaire et se limiter à produire des diplômés capables seulement de se consacrer aux questions locales et nationales

FAO/FO500/C. Palmberg Lerche,  FAO/14883/J.M. Micaud, FAO/17944/L. Dematteis,  FAO/20004/J. Spaull, FAO/20834/R. Messori,  FAO/FO454/C. Palmberg-Lerche

RENFORCEMENT DES CAPACITÉS EN MATIÈRE DE RECHERCHE ET D’ENSEIGNEMENT FORESTIER INTERNATIONAL

Le principal obstacle pour incorporer la recherche et l’éducation forestières internationales dans les programmes des institutions d’enseignement supérieur est que la majorité des écoles n’ont pas d’équipe enseignante possédant toutes les compétences requises. Compte tenu des restrictions financières actuelles, il est peu réaliste de penser que le personnel pourrait être désigné uniquement pour enseigner cette discipline ou se consacrer à ce domaine de recherche.

A défaut, les écoles qui comptent vraiment mettre en place un programme de ce type pourraient attirer, pour compléter leur personnel, une masse critique d’étudiants, de négociateurs du gouvernement, de diplomates et d’experts internationaux, à titre bénévole ou à temps partiel, pour enseigner et guider les recherches. Les facultés de foresterie pourraient aussi collaborer plus étroitement avec les facultés spécialisées dans d’autres disciplines, telles que politique, droit et économie internationaux, dans leur pays ou à l’étranger.

Fortes de leurs compétences techniques et de leurs ressources financières, les institutions de recherche et d’éducation forestière supérieure des pays développés peuvent et doivent contribuer à renforcer les capacités des institutions des pays en développement, ce qui serait bénéfique aussi bien pour les unes que pour les autres. En définissant leurs programmes d’études et leurs exigences, les institutions de recherche et d’enseignement supérieur en foresterie des pays développés devraient être plus conscientes des besoins des pays en développement et s’efforcer d’y répondre, en particulier en ce qui concerne la foresterie internationale.

Les approches traditionnelles de la coopération, qui favorisent aussi l’«internationalisation» des programmes, prévoient aussi ce qui suit:

Dans la foresterie comme dans d’autres disciplines, ces activités se sont avérées, durant de nombreuses décennies, mutuellement bénéfiques pour les pays participants, les universités et les étudiants sur les plans scientifique, politique, économique, social et culturel. Au cours des années récentes, les restrictions financières et, dans une moindre mesure, la dégradation des conditions de sécurité et des environnements politiques ont cependant réduit les échanges d’étudiants et les échanges entre universités en général.

De nombreuses institutions offrant un enseignement forestier supérieur et effectuant des recherches, notamment en Amérique du Nord et en Europe, ont du personnel qui peut facilement acquérir l’expérience requise pour élargir l’enseignement international. Ces institutions sont généralement proches des instances des débats, des négociations et des prises de décision intergouvernementales sur les forêts. Ainsi, non seulement elles sont équipées pour diriger des cours à l’étranger, mais elles peuvent aussi attirer des étudiants venus du monde entier et des étudiants des pays en développement pour leur dispenser une formation. Des stratégies concertées et communes sont nécessaires pour éviter les doubles emplois et le gaspillage de ressources limitées. Les gouvernements et les donateurs privés devraient considérer l’aide à l’enseignement forestier international comme un investissement, et non comme un don.

CONCLUSIONS

Le débat sur les problèmes forestiers d’échelle planétaire, impulsé par les gouvernements, les entreprises, les groupes de pression, les consommateurs et d’autres parties prenantes, a un impact sur les forêts et influence souvent les politiques forestières nationales. Les discussions politiques dans des forums intergouvernementaux sur la foresterie sont rarement fondées sur des informations scientifiques et techniques obtenues grâce à la recherche. Le fait que les spécialistes, les techniciens et les décideurs du secteur forestier n’aient pas reçu la formation adéquate pour évaluer les problèmes forestiers mondiaux et conduire, le cas échéant, des négociations sur ces sujets est tout aussi alarmant.

Les écoles forestières ont essayé d’ajuster leurs programmes d’études pour produire des diplômés ayant les compétences de base nécessaires, complétées par une étude de disciplines apparentées. Cela est louable pour l’enseignement du troisième cycle. Toutefois les universités, dans leur rôle de chef de file de la société, ne peuvent plus ignorer les problèmes forestiers mondiaux et se contenter de produire des diplômés ayant reçu une formation adéquate pour traiter les problèmes locaux et nationaux. Les questions mondiales sont trop graves pour être laissées aux diplomates et aux politiciens. Il est grand temps que les institutions chef de file en matière d’enseignement forestier mettent en commun leurs ressources et coordonnent leurs activités afin d’offrir une formation en foresterie internationale, au moins dans le cadre de certains programmes de formation continue.

1 Le present article est une adaptation d’un exposé du Jubilé présenté à la Faculté de foresterie de l’Université de la Colombie britannique (Canada) en mars 2004.

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