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Le nouveau à la rescousse de l'ancien


Aider les pays à sauvegarder les aliments et les cultures traditionnelles

LUVE, Swaziland - Lorsque Flora Shongwe Lamatsebula, une agricultrice âgée, invite ses petits-enfants à dîner, ils lui donnent du fil à retordre. "Si je prépare des plats traditionnels, ils n'en veulent pas," se plaint-elle. "Alors, je dois préparer deux plats différents, un pour moi, car je ne mange pas d'huile de cuisson, ni de soupes en sachets - et un autre pour eux."

Ce pays d'Afrique australe est en train de subir une véritable révolution de son régime alimentaire, engendrant ainsi des problèmes de santé.

"Nous constatons une augmentation de l'hypertension et du diabète," explique Nikiwe Dlamini, une spécialiste d'économie familiale du gouvernement. "Les gens ont abandonné les aliments indigènes et consomment désormais des aliments prêts-à-manger. La population rurale achète de la nourriture pré-emballée en ville, comme du poisson en conserve, du corned-beef, des soupes en sachets, du bouillon de poulet et des boissons non alcoolisées."

Quel est le lien entre les femmes, la biodiversité et les systèmes de savoirs locaux?

STATION DE RECHERCHE MALKERNS, Swaziland - En dépit d'années d'expérience en tant que responsable de la banque de gènes nationale où sont stockés 850 échantillons de plantes ou de semences, essentiellement de cultures vivrières indigènes, Thandi Lupupa a appris récemment quelque chose de nouveau sur les graines.

A un atelier LinKS, Mme Lupupa a découvert le rôle des femmes dans la sélection des graines de maïs, même si, en tant que culture commerciale, le maïs est considéré du domaine de l'homme.

Thandi Lupupa, responsable de la banque de gènes, sort un échantillon de graines du congélateur.

"L'atelier m'a ouvert les yeux sur l'importance du rôle des femmes," dit-elle. "J'étais concentrée uniquement sur les savoirs indigènes et la biodiversité."

"Il s'avère que les femmes vont choisir les graines qu'elles veulent dans les champs de maïs avant la récolte, tandis que les hommes sont pressés de rentrer la récolte le plus vite possible. Je pensais que les femmes s'occupaient seulement des légumineuses.

"Aussi maintenant, quand je cherche des graines de maïs, je parle aux femmes," conclut-elle.

Dans les trois pays présentés dans cette brochure, des récits analogues ont illustré le lien étroit entre les femmes, la biodiversité et les systèmes de savoirs locaux. Le coordonnateur tanzanien de LinKS, Sachin Das, ajoute: "Dans nos ministères, nous tenions déjà compte des différents rôles des hommes et des femmes, nous connaissons l'importance des savoirs indigènes et, depuis le Sommet de Rio, nous avons des programmes sur la biodiversité, mais c'est la première fois que nous avons rassemblé les trois en un projet unique."

COMMENT SE DÉFENDRE. Le Ministère de l'agriculture swazi combat cette tendance. En cette belle journée d'automne dans la salle municipale du village, les économistes et les vulgarisateurs sont en train de tester un questionnaire sur les cultures vivrières traditionnelles, leur préparation et leurs qualités. Mme Lamatsebula et les autres agriculteurs décrivent avec enthousiasme les propriétés d'une longue liste d'aliments traditionnels tels que haricots, pois, fruits à coque, céréales et courges, des aliments qu'ils ont préparés selon des recettes traditionnelles pour un déjeuner de groupe copieux.

"Nous répertorions ces connaissances et essayons de voir comment les inculquer à nouveau à la population et, en particulier, comment sauver et multiplier les semences qui sont en train de disparaître," explique Simeon Nxumalo, l'agent de vulgarisation qui a dirigé le groupe de réflexion.

L'initiative tombe à point car au moins 40 pour cent des Swazis - ceux touchés par le virus du SIDA - ont plus que jamais besoin d'aliments traditionnels sains. Les nutritionnistes expliquent que ce type d'alimentation constitue leur premier remède.

PAS DE RÉCOLTE SANS SEMENCES. Zodwa Mamba, une agronome du ministère qui travaille dans une autre région du pays, est spécialisée dans les légumineuses, base type de l'alimentation des pauvres. "Je cherchais des variétés améliorées et une meilleure tolérance aux maladies pour aider les paysans à accroître leurs rendements," se souvient-elle. "Mais en 1992, les superficies cultivées diminuaient et, avec la grave sécheresse, les agriculteurs en arrivaient à manger les graines. Les sociétés semencières annoncèrent qu'il n'était pas rentable de multiplier les graines de légumineuses car les agriculteurs ne les achetaient pas régulièrement.

On répertorie les qualités culinaires des cultures
vivrières traditionnelles à Luve, Swaziland (à droite),
tandis qu'un étudiant commande des aliments prêts-à-manger
dans une ville voisine (en bas).

Mme Mamba a commencé à encourager les agriculteurs à former des associations pour multiplier les semences pour la vente locale.

Rebecca Ntondo Shabangu, un des neuf membres d'une de ces associations, affirme que ses graines ont du succès: "Nous n'arrivons pas à satisfaire la demande, surtout pour une variété locale d'arachide. L'an dernier, nous avons eu plus de 50 clients et vendu 70 kilos de semences."

Mme Mamba, une des 25 participants invités à l'atelier d'inauguration de LinKS au Swaziland, a depuis reçu des fonds pour un projet d'étude de production semencière. "La formation LinKS a été très, très utile" dit-elle. "J'ai désormais changé ma méthodologie de recherche pour une approche plus participative et j'obtiens de meilleurs résultats. J'ai appris que je ne devais pas essayer d'imposer ce que je sais. Les agriculteurs savaient énormément de choses qui m'étaient nouvelles. Si vous vous présentez avec une liste de questions, ils vous répondent n'importe quoi pour en finir au plus vite."

Elle ajoute que la tendance actuelle est aux semences hybrides plus productives plutôt qu'aux semences en pollinisation libre, qui sont souvent tout ce que les pauvres peuvent se permettre de cultiver; et à l'exportation plutôt qu'aux cultures de subsistance. "Ceux qui ont de graves problèmes de sécurité alimentaire risquent d'être délaissés," conclut-elle.

"Si vous vous présentez avec une liste
de questions, les agriculteurs
vous disent n'importe quoi
juste pour en finir au plus vite."

Zodwa Mamba - AGRONOME

En quoi consiste LinKS?

Dans de nombreux pays en développement, les savoirs locaux de millions de petits agriculteurs et éleveurs ne sont pas traités comme une véritable ressource nationale. Les programmes en faveur de l'agriculture orientée vers la production et les cultures commerciales ont la priorité sur les programmes tirant parti, par exemple, des remèdes locaux aux maladies du bétail, des variétés de semences locales, du rôle des femmes dans la gestion des systèmes semenciers ou des systèmes indigènes de gestion des ressources naturelles.

Depuis 1998, le projet LinKS (Systèmes de savoirs locaux et indigènes), mis en oeuvre par la Division de la parité hommes-femmes et de la population de la FAO, grâce aux 4 millions de dollars EU du gouvernement norvégien, a travaillé avec des partenaires stratégiques au Mozambique et en République-Unie de Tanzanie et, depuis 2000, au Swaziland, pour faire évoluer cette situation.

Bien loin d'être utilisés par les gouvernements, les savoirs agricoles locaux et les semences traditionnelles, bien adaptés à des conditions locales souvent rudes, sont en train de se perdre. Ainsi, les petits agriculteurs et éleveurs sont de plus en plus vulnérables à la faim et à la pauvreté. Aussi LinKS propose-t-il trois activités principales - formation, recherche et communication - pour renforcer la position des vulgarisateurs, des chercheurs et des décideurs dont quelques-uns sont présentés dans ces pages. Ces professionnels sont bien placés pour promouvoir l'intégration du secteur traditionnel et la sagesse accumulée au fil des siècles avec les politiques et les pratiques modernes. En tant que fondement intellectuel de ce développement espéré, LinKS aide à mieux comprendre les liens entre les systèmes de savoirs locaux, les rôles respectifs des hommes et des femmes et leurs relations entre eux, la sécurité alimentaire et la conservation et gestion de la biodiversité.

Cette brochure, qui est le fruit d'une mission de photoreportage de la Division de l'information de la FAO réalisée en mai 2004, fait partie d'une collection sur le programme de terrain de l'Organisation (les autres titres figurent au dos de la couverture).


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