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QUATRIÈME PARTIE
Perspectives


INTRODUCTION

Les pêches de capture vont-elles connaître une «implosion», c’est-à-dire une diminution considérable des prises, en quantité comme en qualité, du fait de la difficulté croissante de freiner la recherche et la capture de poisson? Ou les gouvernements, les pêcheurs et autres parties prenantes pourront-ils enrayer leur progression là où elles s’intensifient? Pourra-t-on stopper le développement de l’aquaculture parce que l’ensemble de la société juge son impact sur l’environnement trop lourd, ou, au contraire, la technologie fournira-t-elle aux exploitants et aux scientifiques de ce secteur les expédients qui leur permettront de neutraliser l’incidence négative de leur activité et de poursuivre et accentuer sa courbe de croissance?

Personne n’a la réponse et personne ne peut dire avec certitude ce qu’il adviendra de la pêche de capture ou de l’aquaculture, en particulier à l’horizon de plusieurs décennies. Toutefois, compte tenu de l’inertie des activités humaines et des similitudes de certains schémas de l’évolution naturelle, on peut raisonnablement formuler des prévisions, du moins à court terme. D’ailleurs, ceux qui portent un intérêt à ce secteur font déjà de même en élaborant des scénarios quant à l’avenir des pêches de capture et de l’aquaculture.

La section sur les Perspectives s’intéressera d’abord à la prochaine décennie (le court terme) avant de se pencher sur ce qui pourrait se passer par la suite (le moyen à long terme).

S’agissant du court terme, nous étudierons l’évolution générale des attitudes envers la production et la consommation de poisson et analyserons son influence sur les tendances à court terme avérées, en fonction de la croissance démographique et de la progression du revenu et aussi de l’état des ressources marines.

La discussion sur l’évolution à moyen et long termes s’appuiera sur deux simulations informatisées de la situation des pêches et de l’aquaculture dans le monde en 2010, 2015 et 2020.

LES 10 PROCHAINES ANNÉES – CONTRAINTES ET OPPORTUNITÉS

Le développement des pêches de capture et de l’aquaculture est fonction de l’évolution constante des opportunités commerciales et techniques qui s’offrent aux pêcheurs et aux pisciculteurs d’une part et, de l’autre, des contraintes légales et environnementales. Les opportunités changent en fonction de l’évolution, notamment de la demande de poisson, de l’accès aux ressources naturelles, de l’état des ressources halieutiques, et de la gouvernance et des politiques du secteur. Les réactions des pêcheurs et aquaculteurs à ces évolutions se traduiront dans des stratégies de développement de l’aquaculture et des adaptations s’inscrivant dans un secteur des pêches de capture arrivant à maturité. Nous analysons plus en détail dans les pages qui suivent les tendances susceptibles de s’esquisser au niveau des opportunités, des contraintes et de la réaction des pêcheurs et aquaculteurs.

Demande de poisson

La demande augmente avec le nombre des consommateurs et avec la hausse de leur revenu. Mais elle évolue aussi – à la hausse ou à la baisse – selon l’idée que le consommateur se fait du poisson en tant qu’aliment et de son incidence sur ses modes de consommation. Ces changements peuvent avoir des causes diverses: ils peuvent être le résultat de la publicité commerciale ou d’une meilleure connaissance des caractéristiques alimentaires du poisson ou encore de préoccupations écologiques influençant la consommation.

Il est un fait qu’à court et moyen termes, la demande de poisson doit augmenter sous l’effet de la croissance démographique et de la progression des revenus. Toutefois, cette augmentation sera relativement lente dans les pays développés – et probablement inférieure à 1 pour cent par an (en termes de quantité de poisson) – où la démographie est stationnaire ou ne croît que très lentement et où la consommation par habitant est déjà assez élevée et ne progresse pas au rythme du revenu disponible.

En revanche, dans les pays en développement, la demande progressera plus rapidement sous l’effet d’une progression démographique plus forte et parce que, dans certains pays, la consommation par habitant est très faible. La croissance (exprimée, une fois encore, en quantité) pourrait aisément être deux à trois fois supérieure à celle projetée pour les pays développés.

Ces tendances de la consommation et de la demande donnent une impression de stabilité qui ne correspond pas à la réalité. Si, plutôt que de considérer le «poisson» comme un produit homogène, on le décompose en espèces et en types de produits, on note alors dans le passé des fluctuations prononcées de la demande et de la consommation des divers espèces et produits (Première partie) qui devraient se poursuivre. La plupart du temps, il s’agit de réactions à de brèves variations de la disponibilité du poisson sur le marché résultant de modifications du volume de la biomasse des poissons accessible aux pêcheurs.

La complexité de ces fluctuations dans le temps permet difficilement de distinguer des tendances dans la demande. Cependant, beaucoup semblent s’accorder à reconnaître que, dans les pays développés en particulier, certains consommateurs revoient la conception qu’ils ont du poisson, considérant par exemple: (i) que le poisson n’est pas seulement un aliment, mais qu’il est également bénéfique pour la santé; (ii) que la consommation de certains poissons contribuerait à préserver l’environnement aquatique et serait donc écologiquement rationnelle; et que le poisson est un aliment de luxe, cher, qui se consomme occasionnellement et en petites quantités.

Les changements d’attitude du consommateur ne vont pas tous dans le même sens et n’ont pas toujours pour résultat une hausse généralisée de la consommation de poisson. Les nouvelles tendances peuvent par exemple faire progresser la demande de poisson jugé bénéfique pour la santé ou pour l’environnement et, par la même occasion faire reculer la demande de poisson qui, aux yeux du public, n’est pas revêtu des mêmes qualités.

À cet égard, les changements des conditions régissant le commerce mondial du poisson pèsent d’un poids certain. La libéralisation progressive du marché devrait accroître les pressions subies par les populations naturelles de poisson des pays en développement, et plus spécialement par les espèces très demandées sur le marché international. À mesure qu’augmentent les exportations de ces espèces, les pays exportateurs vont probablement devoir importer du poisson moins onéreux, ce qui renforcera les pressions, non seulement sur les espèces de haute valeur, mais aussi sur d’autres espèces moins prisées des eaux tropicales comme tempérées, en fait, à l’échelon mondial.

Accès aux ressources naturelles

En matière d’accès, la tendance est assez claire. S’agissant des pêcheurs, on constate une réduction consécutive aux restrictions qui leur sont imposées. Dans le cas des pêches de capture, ces restrictions peuvent prendre plusieurs formes dont les plus courantes sont la mise en place et l’octroi de droits d’usage (un système qui a son utilité lorsque les candidats pêcheurs sont trop nombreux), la perception de redevances sous l’une ou l’autre forme, la création de zones marines protégées ou similaires, et l’arrêt de l’exploitation commerciale au profit d’une forme d’utilisation n’entraînant pas un épuisement des ressources.

Les restrictions d’accès se multiplient aussi dans le domaine de l’aquaculture et cette tendance se poursuivra. Les autorisations d’exercer, avec notamment les évaluations d’impact sur l’environnement auxquelles sont soumises les nouvelles exploitations, vont aussi se généraliser dans les pays en développement. L’activité des fermes commerciales spécialisées dans l’élevage des poissons à nageoires et crustacés à haute valeur ajoutée, où qu’elles se trouvent, va de plus en plus être limitée par des quotas rigides d’approvisionnement en poisson à faible valeur (destiné à l’engraissement), en huile et farine de poisson.

Ressources aquatiques

La lente progression des taux de reconstitution des stocks (qu’elle soit due à une meilleure gestion ou aux conditions climatiques) est encourageante, mais le phénomène est trop récent pour pouvoir en tirer des conclusions fiables. Les efforts de gouvernance des 10 dernières années et la réduction des flottes à long rayon d’action n’ont pas encore produit d’effets visibles au niveau mondial sur l’état des stocks quoique, localement, la situation dans certains pays donnerait des signes d’amélioration.

Les tendances observées dans de nombreux stocks exploités ne sont pas engageantes, et pourtant les pressions sur les ressources halieutiques sont de plus en plus fortes (voir aussi la section sur l’état des ressources halieutiques marines, Première partie). Une analyse des tendances des niveaux trophiques moyens dans les statistiques de la FAO relatives à la production des pêches de capture atteste d’un déclin dans la plupart des régions du monde, et en particulier dans l’Atlantique Nord-Ouest. Cette tendance se manifeste aussi dans les pêches de capture continentales. Un examen des rapports entre débarquements de poissons prédateurs (piscivores) et débarquements de poissons se nourrissant de plancton (planctivores) à la recherche de changements similaires montre, pour l’Atlantique Nord-Est, une situation particulièrement préoccupante et, hormis peut-être les cas de l’océan Indien oriental et du Pacifique Centre-Ouest, des écosystèmes exploités au maximum avec très peu de marge de manœuvre, quel que soit le domaine. Il n’est pas impossible que, dans les 10 prochaines années, la pratique de la pêche commerciale tout au long de la chaîne alimentaire puisse aussi s’aggraver dans d’autres zones océaniques.

S’agissant du potentiel des espèces non conventionnelles, il va de soi que faute de nouvelles méthodes de capture de calmar océanique à haut rendement énergétique (ou tant que restera interdite l’utilisation à grande échelle des filets dérivants pour la pêche des espèces pélagiques), cette espèce restera largement hors d’accès. Par ailleurs, la pêche des espèces mésopélagiques ne pourra se développer sans une hausse substantielle et soutenue des prix mondiaux des huiles et farines de poisson. La stratégie consistant à exploiter délibérément les échelons inférieurs de la chaîne trophique de l’écosystème (y compris le krill) pour pouvoir encore développer les pêches (et doubler ainsi les captures potentielles mondiales) implique des coûts de développement technologique élevés et suscite des préoccupations quant à une concurrence entre l’homme et les grands cétacés. Les ressources démersales pélagiques, que ce soit dans les zones économiques exclusives ou en haute mer, ne sont pas de nature à assurer des captures substantielles ni durables.

Le suivi et le diagnostic de l’état des stocks ainsi que la formulation de conseils en matière de gestion continueront à être perturbés par les variations naturelles et par le changement climatique. Les systèmes de gestion pourront de mieux en mieux prévoir les changements à venir mais, sauf dans quelques pays de premier plan, l’industrie ne semble pas disposée à adapter ses méthodes aux prévisions systématiques. De ce fait, tant que ne seront pas mis en place les moyens d’ajuster les capacités de pêche et les retraits à un environnement instable, une partie des stocks sera inévitablement surexploitée tant que les systèmes de gestion ne commenceront pas à faire preuve d’une grande retenue, un scénario onéreux et peu probable, du moins pour les 10 années à venir.

Les débarquements déclarés des pêches marines s’élèvent à 80-90 millions de tonnes, volume qui été atteint il y a quelque temps déjà (voir aussi la section sur l’état des ressources halieutiques, Première partie). Depuis quelque temps, on s’accorde généralement à reconnaître que, considérant les rejets estimés (actuellement moins de 7 millions de tonnes par an), les quantités qui seront propbablement capturées dans le cadre d’activités de pêche illicite, non déclarée et non réglementée et l’impossibilité d’optimiser simultanément la production de toutes les espèces, le potentiel le plus vraisemblable des espèces marines conventionnelles se maintiendra entre 80 et 90 millions de tonnes. Les statistiques récentes sur les prises et les ressources aquatiques ne remettent pas ce consensus en cause.

Gouvernance et politiques spécifiques au secteur

Au cours des cinq à 10 prochaines années, les politiques spécifiques au secteur vont très vraisemblablement conduire à une généralisation des droits d’usage individuels, entraînant une élimination des entreprises de pêche marginales. Cette situation se présentera surtout dans les pays développés. Par ailleurs, les politiques économiques applicables au secteur des pêches vont être moins laxistes. Les subventions liées directement à la capacité et à l’effort de pêche vont être considérablement réduites et, pour de plus en plus de pêcheurs, les services assurés par les pouvoirs publics vont devenir payants, et ils ne pourront exercer qu’en acquittant une redevance. Les coûts vont donc augmenter, ce qui aura pour effet d’éliminer les entreprises de pêche marginales, de faire augmenter les prix réels du poisson et de stimuler la production aquacole.

S’agissant des pêches tropicales artisanales, les droits d’usage seront de plus en plus souvent communaux – plutôt qu’individuels – et combinés avec des formules de cogestion. Cette structure de gouvernance devrait permettre de contrôler l’accès et, ainsi, fournir le fondement juridique de l’accroissement de la productivité de la main-d’œuvre (sans faire augmenter le volume total des captures) dont le secteur a besoin pour pouvoir progresser au même rythme que les autres secteurs économiques. Pour les pêches artisanales d’Asie du Sud et du Sud-Est et de Chine, le changement devrait être considérable: un recul de l’emploi et une diminution du nombre des embarcations, mais une productivité en hausse (en termes économiques) pour les pêcheurs qui resteront en activité. Une évolution semblable devrait aussi se dessiner au cours des cinq à 10 années à venir dans les régions d’Afrique qui ne sont pas frappées par des guerres civiles.

Les organes régionaux des pêches devraient se renforcer par une délégation progressive des prérogatives de leurs membres dans un but de renforcement de la gouvernance destiné à reconstituer les stocks, limiter les surcapacités des flottes de pêche et, surtout, combattre la pêche illicite, non déclarée et non réglementée. Ils pourraient aussi devenir les initiateurs d’un élargissement de la gestion conventionnelle des pêches, passant de la monospécificité à l’écosystème (en appliquant l’«approche écosystémique»), en particulier pour les ressources partagées ou de haute mer. Les organes de gestion devront comprendre notamment l’incidence des pêches et des changements climatiques sur les habitats et les communautés marines, les interactions écologiques et les effets des rejets. Tout cela nécessitant un effort de surveillance et de recherche, les organes régionaux des pêches ayant dans leurs attributions les réserves et pêches de grande valeur ou des ressources particulièrement vulnérables (récifs coralliens, espèces menacées, etc.) pourront être ceux pour lesquels la question se posera avec le plus d’acuité.

Partout dans le monde, les producteurs aquacoles vont devoir s’adapter à un nombre croissant de normes qui auront principalement deux objectifs: garantir que leurs produits soient bons pour la santé du consommateur et minimiser l’impact écologique des technologies de production utilisées. Les règlements ou directives seront harmonisés afin de faciliter le commerce international. En contrepartie, le secteur aquacole gagnera une meilleure reconnaissance juridique.

S’agissant du cadre légal visant à contrôler et limiter l’incidence sur l’environnement, les 10 prochaines années devraient voir une multiplication et un renforcement des mesures destinées à limiter l’introduction d’espèces exotiques. Par ailleurs, les parties prenantes vont élaborer des cadres de politique pour régir l’utilisation des organismes aquatiques génétiquement modifiés. Avec le développement de l’aquaculture, les gouvernements vont éprouver le besoin de mettre sur pied des programmes intégrés d’hygiène des animaux aquatiques apte à offrir des services réguliers de santé animale au secteur de l’aquaculture.

Adaptation aux atouts et aux inconvénients des pêches de capture

Les pêches de capture ont cessé de se développer en termes de nombre de pêcheurs et de navires de pêche. Cette industrie se consolide et arrive progressivement à maturité à mesure que les obstacles se multiplient et que les opportunités diminuent. Pour de nombreux pêcheurs, l’inconvénient majeur réside dans une baisse de l’accès aux ressources. Les pêches des zones économiques exclusives de la plupart des pays sont maintenant encadrées par les pouvoirs publics, ce qui veut dire que les exploitants d’entreprises de pêche n’ont plus guère de possibilités d’expansion. La pêche en haute mer est une activité à fort coefficient de capital et, en dehors des espèces pélagiques, sa pérennité est moins qu’assurée. Ainsi, la plupart des pêcheurs et des entreprises de pêche se trouvent dans des situations où les niveaux d’exploitation ont atteint, voire dépassé leur seuil de durabilité et, pour pouvoir accroître leur revenu, ils doivent soit prendre la même quantité de poisson en abaissant leurs coûts ou en vendant sur des marchés plus rémunérateurs, soit capturer davantage, mais pour cela évincer d’autres pêcheurs.

Par la même occasion, l’industrie connaît un phénomène de vieillissement, en particulier dans les pays développés. Dans les pays de l’OCDE, l’âge moyen des pêcheurs est en hausse parce que, de plus en plus, les pêcheurs âgés quittent la profession plus vite qu’ils ne sont remplacés. Cette situation semble avoir plusieurs causes, comme des conditions de travail peu attrayantes et un haut degré d’exploitation des stocks pouvant inciter les pouvoirs publics à appliquer des politiques qui entraîneraient une diminution du nombre des pêcheurs en activité.

Toutefois, la diminution du nombre des pêcheurs et l’accroissement de la productivité par individu sont en fait des conditions préalables de la viabilité économique des pêches de capture dans les économies avancées. Par conséquent, bien que l’âge moyen des pêcheurs et des navires reste élevé, et même s’il augmentait encore, la situation économique permettrait l’entrée en activité de nouveaux navires et de jeunes pêcheurs (dont une part croissante seront des travailleurs migrants) et de conserver, même dans les économies développées, les niveaux de production actuels au cours de la prochaine décennie. Quoi qu’il en soit, le nombre des nouveaux pêcheurs et navires sera inférieur à celui des navires mis au rebut et des pêcheurs partis à la retraite.

Une telle évolution se constate dans la flotte de plus de 100 tonnes de jauge brute (ou 24 m longueur hors tout). Cette flotte, vieillissante, compte environ 24 000 bateaux de pêche. En 2004, les navires vieux de plus de 30 ans représentaient 35 pour cent de la flotte, soit un peu plus de 8 700 unités, contre 6 pour cent ou 1 400 navires au début des années 90. La plupart de ces 8 700 navires devraient être désarmés au cours des 10 prochaines années, soit en moyenne 870 navires par an. Au début de cette décennie, la construction de nouveaux navires de grand tonnage se faisait au rythme de 300 navires par an. Si l’on tient également compte des navires perdus accidentellement, la flotte des navires de plus de 100 tonnes de jauge brute pourrait, dans un avenir proche, diminuer de quelque 600 unités par an. Cependant, les nouveaux navires étant, même à taille égale, beaucoup plus productifs que ceux qu’ils remplacent, il va de soi que la capacité de pêche de la flotte ne diminuera pas dans les mêmes proportions.

Dans les pays en développement, la croissance économique va permettre aux petits pêcheurs artisanaux de se spécialiser et de progresser d’une activité de subsistance vers une exploitation de type plus commercial, grâce aux opportunités qu’offriront le marché et la situation de l’emploi. La croissance économique dégagera davantage d’emplois en zone urbaine et dans le tiers secteur, ce qui fera baisser le nombre de personnes pratiquant une pêche à temps partiel et occasionnelle, laissant ainsi aux pêcheurs à plein temps davantage de ressources exploitables. À mesure que la gestion partagée se développe et se généralise, l’incidence de la surexploitation se fera moins sentir et assurera la pérennité des pêches. La croissance urbaine générera de meilleurs débouchés pour le poisson. Cela se traduira par une hausse des ventes intérieures, des importations de produits bon marché surgelés ou en boîte ainsi que des importations d’espèces à forte valeur.

Adaptation aux atouts et aux inconvénients de l’aquaculture

À mesure que les salaires réels augmentent en Chine et en Asie du Sud et du Sud-Est – qui représentent maintenant près de 90 pour cent de la production mondiale (en quantité) – la production aquacole ainsi que les capitaux et le savoir-faire technique qui l’accompagnent vont se répandre en Afrique et en Amérique latine pour tenter d’abaisser leurs coûts de production.

Le poisson représente une part non négligeable des disponibilités alimentaires mondiales et quelque 16 pour cent de l’ensemble des protéines animales consommées. Toutefois, comme on l’a déjà dit, le terme poisson recouvre un très grand nombre d’espèces et de produits, ce qui constitue à la fois un atout et un obstacle pour le développement de l’aquaculture.

C’est un atout pour le chef d’entreprise qui souhaite développer un nouveau produit d’«aquaculture». Grâce à la multitude de débouchés des divers produits de la pêche, il lui suffit d’en choisir un et de produire le produit concerné en le cultivant plutôt qu’en le capturant. L’inconvénient est que, une fois implanté sur ce marché, il sera freiné par ses limites naturelles. Il pourra difficilement vendre des quantités de poisson d’élevage plusieurs fois supérieurs à ceux des pêches de capture traditionnelle sans avoir une incidence sur les prix.

C’est pourquoi la recherche de nouvelles espèces (à haute valeur, de préférence) va se poursuivre et donnera à coup sûr des résultats avant 2015.

Des stratégies visant à promouvoir l’aquaculture hauturière vont aussi être poursuivies. Il est logique que ces méthodes de culture se développent dans les économies industrialisées où la main-d’œuvre est chère et l’environnement très protégé. Dans les pays en développement où le secteur aquacole n’est pas encore bien implanté, il faut s’attendre à ce que l’aquaculture démarre, comme ce fut le cas dans la plupart des pays, par un développement de la pisciculture en eaux continentales suivie d’une aquaculture côtière.

2015 ET AU-DELÀ: SCÉNARIOS FUTURS POUR LES PÊCHES ET L’AQUACULTURE MONDIALES

Cette section décrit succinctement et compare deux études complétées récemment sur l’avenir des pêches et de l’aquaculture dans le monde. Les deux études, effectuées par la FAO et l’IFPRI1, utilisent des simulations quantitatives informatiques pour opérer des projections à l’horizon 2015 et 2020. Ces projections quantitatives seront ensuite comparées avec les projections publiées dans La situation mondiale des pêches et de l’aquaculture 2002.

Perspectives futures pour le poisson et les produits de la pêche: projections à moyen terme aux horizons 2010 et 2015 (étude de la FAO)

L’analyse de cette étude de la FAO suit trois axes: elle établit une projection de la demande de poisson à partir d’hypothèses spécifiques relatives à la croissance démographique et macroéconomique et évalue les prix relatifs constants de produits de substitution, elle projette l’offre sur la base de prix réels inchangés eux aussi, puis elle rapproche l’offre et la demande mondiales en jouant sur les prix.

La demande de poisson pour la consommation humaine et animale

La demande totale mondiale2 de poisson et de produits de la pêche devrait augmenter de quelque 50 millions de tonnes, passant de 133 millions de tonnes en 1999/2001 à 183 millions de tonnes d’ici 2015. Cela représente un taux de croissance annuelle de 2,1 pour cent contre 3,1 pour cent au cours des 20 années précédentes. La demande pour l’alimentation humaine représenterait 137 millions de tonnes. La demande moyenne mondiale de produits de la mer par habitant pourrait se situer à 18,4 kg en 2010 et 19,1 kg en 2015, contre 16,1 kg en 1999/2001. Cette hausse de la demande implique une augmentation de 18 pour cent au cours des 15 années à venir contre une augmentation de 40 pour cent sur les 20 dernières années. La demande de poissons à nageoires par habitant pourrait représenter 13,7 kg en 2010 et 14,3 kg en 2015, tandis que la demande de crustacés et autres animaux aquatiques serait respectivement de 4,7 kg et 4,8 kg.

Sur l’ensemble de la hausse de la demande pour l’alimentation humaine (quelque 40 millions de tonnes), 46 pour cent environ proviendraient de la croissance démographique, tandis que les 54 pour cent restants seraient le résultat du développement économique et d’autres facteurs.

D’après les prévisions, la demande mondiale de farine et d’huile de poisson ne devrait progresser que de 1,1 pour cent (de 2000 à 2010) et 0,5 pour cent (de 2010 à 2015) par an3. Si la demande de farine des pays développés doit reculer de 1,6 pour cent par an, celle des pays en développement progresserait de 2,6 pour cent par an jusqu’en 2010 et de 1,4 pour cent par la suite. Le montant de poisson nécessaire pour satisfaire la demande mondiale de poisson destiné à la transformation en farine et à d’autres utilisations non alimentaires serait de quelque 45 millions de tonnes en 2015.

Perspectives de la production de poisson

La production totale mondiale de poisson devrait passer de 129 millions de tonnes en 1999/2001 à 159 millions de tonnes d’ici 2010 et à 172 millions de tonnes en 20154. Cela veut dire que l’augmentation de la production mondiale de poisson devrait diminuer pour passer d’un taux annuel de 2,7 pour cent au cours des 10 dernières années à 2,1 pour cent par an entre 1999/2001 et 2010 et à 1,6 pour cent par an entre 2010 et 2015. La production mondiale des pêches de capture devrait stagner, tandis que la production aquacole mondiale devrait augmenter sensiblement, quoique à un rythme moindre que dans le passé.

Sur les 43 millions de tonnes dont la production halieutique mondiale devrait progresser entre 1999/2001 et 2015, 73 pour cent proviendraient de l’aquaculture, supposée représenter 39 pour cent de la production halieutique totale en 2015 (contre 27,5 pour cent en 1999/2001).

La part des espèces pélagiques dans la production halieutique totale devrait baisser, passant de 30,8 pour cent en 1999/2001 à 24,5 pour cent en 2015. De même, la part des espèces démersales devrait reculer, de 16,2 pour cent à 12,7 pour cent. En revanche, la part des poissons d’eau douce et diadromes devrait progresser et passer de 23,7 pour cent en 1999/2001 à 29,3 pour cent en 2015, tandis que celle des crustacés, mollusques et céphalopodes augmenterait de 20,5 à 25,6 pour cent sur la même période.

Perspectives commerciales et incidence sur les prix

Une comparaison des projections de l’offre et de la demande de poisson et produits de la pêche montre que la demande tendrait à dépasser l’offre potentielle. Le déficit, tous types de poissons confondus, pourrait représenter 9,4 millions de tonnes d’ici à 2010 et 10,9 millions en 2015. Mais cette situation ne se concrétisera pas parce que le marché se rééquilibrera, d’une part, sous l’effet de hausses des prix relatifs et de déplacements de la demande entre divers types de poissons et de produits de la pêche et, de l’autre, par le jeu de glissements de la demande vers des aliments protéines de substitution.

Pour simuler l’effet d’équilibrage du marché des changements de prix, on a utilisé le Modèle d’équilibre des prix mondiaux5. D’après les projections, les prix de tous les types de poissons devraient augmenter en termes réels de 3,0 pour cent et 3,2 pour cent d’ici à 2010 et 2015 respectivement. Les hausses des prix réels seront lourdes de conséquences pour les consommateurs à revenu faible. À cause de la hausse des prix, la consommation mondiale de tous les types de poissons serait de 165,2 millions de tonnes en 2010, soit 3,1 millions de tonnes en dessous de la demande projetée à prix relatifs constants. De même, en 2015, la consommation totale de poisson serait de 179,0 millions de tonnes, ce qui correspondrait à une diminution de la demande de 3,8 millions de tonnes. En revanche, sous l’effet de la hausse des prix, l’offre mondiale de tous les types de poissons aurait progressé de 6,3 et 7,1 millions de tonnes, respectivement, à la fin des deux périodes étudiées.

Cette étude indique que l’ensemble des pays en développement pourraient porter leurs exportations nettes de poisson et de produits de la pêche de 7,2 millions de tonnes en 1999/2001 à 10,6 millions de tonnes en 2010, pour ensuite les réduire légèrement, à 10,3 millions de tonnes en 2015, principalement sous l’effet d’une hausse de la demande intérieure. D’un point de vue régional, l’Amérique latine et les Caraibes devraient rester de gros exportateurs nets mondiaux de poisson, et l’Afrique, qui était un importateur net marginal de poisson en 1999/2001, deviendrait un exportateur net en 2010. L’Asie devrait réduire légèrement ses importations nettes qui passeront de 5,1 millions de tonnes en 1999/2001 à 4,8 millions de tonnes en 2015. En revanche, la Chine qui, d’après les projections, deviendrait un importateur net en prix relatifs constants, devrait devenir un exportateur net de poisson en 2015 grâce, principalement, à l’augmentation continue de sa production aquacole.

Les pays développés devraient abaisser leurs importations nettes de poisson et produits de la pêche, qui étaient de 11,3 millions de tonnes en 1999/2001, à 10,6 millions de tonnes en 2010 et 10,3 millions de tonnes d’ici à 2015. D’un point de vue régional, l’Amérique du Nord devrait voir ses importations nettes augmenter, de 1,7 million de tonnes en 1999/2001 à 2,4 millions de tonnes en 2015. S’agissant de l’Europe occidentale, on prévoit une diminution de ses importations nettes, qui représentent actuellement 2,6 millions de tonnes, à quelque 0,2 million de tonnes en 2015. Les autres pays développés, dont le Japon notamment, devraient maintenir plus ou moins leurs niveaux actuels d’importation de poisson.

Conclusions: offre et consommation humaine

D’après ces projections, une pénurie générale de poisson pourrait se déclarer du côté de l’offre dans les prochaines années. Bien que la gravité de cette pénurie diffère d’un pays à l’autre, le résultat d’ensemble sera une hausse du prix du poisson. Les prix de tous les types de poissons pourraient augmenter de 3,0 et 3,2 pour cent en termes réels d’ici à 2010 et 2015 respectivement.

Aux prix d’équilibre mondiaux, l’augmentation de la production mondiale de poisson devrait ralentir et passer des 2,9 pour cent par an enregistrés au cours des deux dernières décennies à 2,1 pour cent par an entre 1999/2001 et 2015. La production mondiale de poisson des pays en développement devrait augmenter de 2,7 pour cent par an au cours de la période étudiée, ce qui représente la moitié du taux moyen des deux dernières décennies. Dans ces pays, on ne prévoit un développement des pêches de capture que d’environ 1 pour cent par an, ce qui veut dire que l’essentiel de l’augmentation viendrait de l’aquaculture, supposée croître à un rythme de 4,5 pour cent l’an. La part des pays en développement dans la production halieutique mondiale devrait passer des 75 pour cent de 1999/2001 à 81 pour cent en 2015. La production halieutique totale des pays en développement ne devrait progresser que de 0,3 pour cent par an, ce qui représente tout de même un progrès par rapport à la croissance négative des deux décennies écoulées. De ce fait, la part des pays développés dans la production halieutique mondiale devrait reculer de 25 pour cent à 19 pour cent en 2015. La production des pêches de capture des pays développés devrait stagner, voire reculer en chiffres absolus au cours de la période examinée.

En moyenne, en 2015, les gens consommeront davantage de poisson, mais les augmentations devraient dorénavant être plus lentes qu’au cours des 20 dernières années. Aux prix d’équilibre, la consommation mondiale de poisson par habitant augmenterait à un taux annuel cumulé de 0,8 pour cent de 1999/2001 à 2015, soit 1,5 pour cent de moins que pour les deux dernières décennies. Les pays en développement viendraient en tête avec une hausse de la demande par habitant calculée à 1,3 pour cent par an, tandis que cette même demande diminuerait en moyenne de 0,2 pour cent par an dans les pays développés.

Le poisson à l’horizon 2020: l’offre et la demande sur des marchés mondiaux en pleine évolution (étude de l’IFPRI)

L’étude de l’IFPRI procède à des projections de l’offre, de la demande et du commerce de poisson de 1997 à 2020 en réaction à divers scénarios politiques et environnementaux applicables au secteur des pêches. Cette étude, qui s’inspire des bases de données statistiques de la FAO, repose sur six scénarios6 en utilisant le modèle IMPACT7 de l’IFPRI adapté au cas du poisson de consommation. Ce résumé que nous en donnons analyse deux de ces scénarios: le scénario de base et celui baptisé «effondrement écologique».

Production halieutique

On estime (dans le scénario de base) que la production halieutique destinée à la consommation humaine augmentera d’une manière générale de 40 pour cent pour atteindre 130 millions de tonnes d’ici 2020, à un rythme annuel moyen de 1,5 pour cent (1,8 pour cent dans les pays en développement, Chine comprise, ou 1,6 pour cent sans la Chine; 0,4 pour cent dans les pays développés). Les taux annuels moyens de croissance des pêches de capture et de l’aquaculture devraient être de 0,7 et 2,8 pour cent respectivement, le taux de croissance des pêches de capture des pays développés (0,7 pour cent) étant inférieur à celui des pays en développement (1,0 pour cent). En 2020, près de 73 pour cent de l’augmentation totale de la production halieutique destinée à la consommation humaine viendront des pays en développement (par rapport à 73 pour cent en 1997). L’aquaculture assurera 41 pour cent de l’offre de poisson de consommation (54 millions de tonnes), et la part des poissons de consommation à faible valeur dans la production halieutique de consommation totale restera stable à son niveau de 48 pour cent. Un effort d’investissement et une accélération du développement de l’aquaculture auront pour résultat une augmentation notable de la production. Dans le scénario de l’effondrement écologique, l’augmentation de la production aquacole a pour effet de limiter la baisse de la production à 17 pour cent.

Consommation de poisson

La consommation des produits à faible et forte valeur va augmenter dans les pays en développement (scénario de base) de 1,9 pour cent par an, ou 2,0 pour cent si on inclut la Chine, tandis qu’elle restera stable dans les pays développés (0,2 pour cent) et en Afrique subsaharienne. Ce scénario évalue le taux d’accroissement de la consommation mondiale à environ 1,5 pour cent par an entre 1997 et 2020. L’augmentation de la consommation de mollusques et crustacés par habitant devrait être la plus forte (1,0 pour cent et 0,7 pour cent par an respectivement), alors que celle des poissons à nageoires de haute valeur devrait baisser. Une baisse de la production chinoise fera diminuer la consommation de 1 kg, la Chine étant principalement touchée et la consommation et les prix mondiaux du poisson n’étant guère affectés en dehors du pays. Un développement accéléré de l’aquaculture ferait progresser la consommation de poisson comestible de 1,9 kg par habitant dans le scénario de base. Dans le scénario de l’effondrement écologique, la consommation par habitant ne reculerait que de 17,1 kg (scénario de base) à 14,2 kg en raison de l’effet de modération de la hausse des prix sur la demande et de l’augmentation de la production aquacole sur l’offre.

Encadré 12

La consommation de poisson jusqu’en 20301 dans l’Union européenne

La FAO a fait réaliser une étude prospective à long terme de la consommation de poisson dans l’Union européenne.

Cette étude indique que, par rapport à 1998, la consommation de poisson par habitant2 des 25 pays de l’UE3 va, sur la période 2005-30, afficher une tendance à la hausse (allant de 1 à 12 pour cent) dans 19 pays4 et une tendance à la baisse (de 1 à 4 pour cent) dans les six autres5.

Les tendances générales de la consommation dans l’UE à quinze antérieure à 2004 traduisent une hausse de la consommation des produits de la mer. Cette hausse va de pair avec une hausse des ventes de produits prêts à consommer. Par contre, les produits surgelés sont en perte de vitesse tandis que la consommation de poisson frais stagne ou diminue. La part croissante des grandes surfaces dans la vente au détail des produits de la mer a aussi pour effet d’élargir l’offre et, par conséquent, d’accroître la consommation, tandis que les arguments de santé pourraient encore renforcer la tendance à la consommation de produits de la mer.

L’amélioration de la situation économique est, dans les nouveaux pays membres, le premier moteur de l’augmentation de la consommation par habitant. Les produits surgelés représentent encore l’essentiel de la consommation de poisson, mais on constate une plus grande variété d’espèces, les petits poissons pélagiques cédant le terrain à des espèces démersales ou à d’autres, plus exotiques, comme crustacés, mollusques ou céphalopodes. Les poissons d’eau douce vont progressivement être remplacés par les espèces marines, plus faciles à préparer, qui offrent une plus large palette de goûts et sont de plus en plus faciles à se procurer grâce à la multiplication des supermarchés.

L’augmentation de la disponibilité nette sera le résultat d’une hausse des importations de pays tiers (principalement d’Asie, d’Afrique et d’Amérique du Sud) et d’une augmentation de la production aquacole dans certains pays (Espagne, Grèce, Norvège et Royaume-Uni). L’adhésion de nouveaux pays à l’UE aura pour effet de développer les échanges intra-européens: premièrement parce qu’une part importante du commerce extérieur européen se fait actuellement avec des pays d’Europe orientale et septentrionale; deuxièment, en raison de la délocalisation d’usines occidentales dans les nouveaux États membres de l’Est de l’Europe, comme la Pologne et les États baltes; et troisièmement à cause d’une réduction des mécanismes de réexportation entre pays occidentaux. Par la même occasion, l’abaissement des barrières commerciales et l’amélioration qualitative des produits de la pêche transformés en provenance des pays en développement va entraîner une restructuration de l’industrie européenne de la transformation.

1 Les projections de la consommation future de poisson se fondent sur des hypothèses dérivées de tendances passées, de publications spécialisées et de conseils d’experts. Plus de 1 200 hypothèses ont été formulées concernant les taux de croissance des captures, de l’aquaculture, de la production, des importations et exportations de denrées. S’agissant des captures, il est probable que la production européenne de navires ne progressera plus jusqu’en 2030. Pour l’aquaculture, la production de saumon, de bar et de dorade augmentera à un rythme élevé, mais les contraintes environnementales, les choix politiques en matière d’affectation des zones côtières et les règlements sanitaires vont, à l’avenir, constituer un frein au développement exponentiel que connaît la pisciculture.
2 Consommation totale visible (offre nette destinée à la consommation humaine) divisée par le nombre d’habitants d’un pays.
3 Allemagne, Autriche, Belgique-Luxembourg, Chypre, Danemark, Espagne, Estonie, Finlande, France, Grèce, Hongrie, Irlande, Italie, Lettonie, Lituanie, Malte, Pays-Bas, Pologne, Portugal, République tchèque, Royaume-Uni, Slovaquie, Slovénie et Suède.
4 Allemagne, Autriche, Belgique-Luxembourg, Danemark, Finlande, France, Grèce, Hongrie, Italie, Lettonie, Lituanie, Malte, Pays-Bas, Pologne, Portugal, Royaume-Uni, République tchèque, Slovaquie et Slovénie.
5 Chypre, Espagne, Estonie, Irlande, Portugal et Suède.

 

Prix du poisson

L’étude montre que les prix du poisson vont probablement encore augmenter au cours des 20 prochaines années. Le scénario de base, le plus plausible, fait état de hausses de 15 pour cent pour les crustacés et poissons à nageoires de haute valeur et 18 pour cent pour la farine et l’huile de poisson, tandis que pour les mollusques et les poissons à faible valeur, l’évolution des prix réels devrait être nettement moindre quoique positive (4 pour cent et 6 pour cent respectivement). Il n’en irait pas de même pour les autres denrées alimentaires dont les prix connaîtraient un recul pratiquement identique. Le poisson devrait devenir 20 pour cent plus cher que les autres produits carnés. Plusieurs scénarios entrevoient une hausse des prix de la farine et l’huile de poisson qui feraient plus que doubler (+134 et 128 pour cent respectivement) sous l’effet conjugué de l’effondrement écologique et d’une demande accrue de l’aquaculture. Outre la pression exercée sur les prix des farines et huiles de poisson (+42 pour cent), un développement rapide de l’aquaculture devrait faire baisser les prix réels du poisson de consommation à faible valeur (-12 pour cent), ce qui laisse penser que l’investissement dans le rendement des systèmes de production correspondants mettrait davantage ces produits à la portée des catégories pauvres de la population. On prévoit qu’un meilleur rendement de la transformation ferait baisser les prix de la farine de poisson (-16 pour cent) et de l’huile de poisson (-6 pour cent), ce qui implique que la culture des espèces carnivores pourrait tirer profit de la recherche dans ce domaine. Une croissance plus lente de l’aquaculture entraînerait des hausses de prix marquées de tous les produits halieutiques de consommation (de l’ordre de +19-25 pour cent), ce qui souligne l’incidence de l’aquaculture sur le marché en fonction du volume de l’offre des pêches de capture.

Commerce mondial

S’agissant des échanges internationaux nets, la progression de la consommation (dans le scénario de base) dépassera celle de la production de 0,2 pour cent chaque année jusqu’en 2020 dans les pays en développement (0,3 pour cent sans la Chine), ce qui se traduira par une diminution des exportations nettes de ces pays (Chine exclue) vers les pays développés (5 pour cent de la production halieutique consommable contre 11 pour cent à la fin des années 90). L’Amérique latine, la Chine et l’Inde devraient être des exportateurs nets, mais seule l’Amérique latine exportera une part significative de sa production. Les pays en développement resteront des importateurs nets de poisson de consommation à faible valeur et des exportateurs nets de poisson de haute valeur, quoique beaucoup commenceront à importer des produits à haute valeur, ce qui devrait entraîner une augmentation des échanges Sud-Sud.

Conclusions

L’approche quantitative suivie par l’étude de l’IFPRI confirme cinq grandes mutations structurelles qui sont déjà en cours mais qui vont s’imposer de plus en plus d’ici à 2020.

Comparaison entre les études de l’IFPRI et de la FAO et les projections antérieures

Ces deux études font-elles entrevoir les mêmes perspectives d’avenir pour les pêches et l’aquaculture? La réponse est affirmative, mais sous réserve de différences très nettes.

Ces différences portent sur le volume total produit et consommé, sur les rôles relatifs de la production des pêches de capture et de l’aquaculture ainsi que sur les tendances des prix réels du poisson.

L’étude de la FAO est plus optimiste en termes d’offre et de consommation de poisson. Elle prévoit que la production totale atteindra 179 millions de tonnes en 2015 alors que le scénario de base de l’IFPRI table sur une production moindre – 170 millions de tonnes – pour 2020. On ne peut donc que s’attendre à ce que l’étude de la FAO anticipe une hausse des prix réels inférieure (3,2 pour cent environ d’ici 2015) à celle de l’étude de l’IFPRI qui la situe entre 4 et 15 pour cent suivant la catégorie d’espèces d’ici 2020.

En outre, l’étude de l’IFPRI s’attend à une augmentation significative des débarquements des pêches de capture alors que la FAO est beaucoup plus circonspecte à cet égard. L’étude de l’IFPRI prévoit pour les pêches de capture une production de 116 millions de tonnes en 2020 tandis que celle de la FAO n’en attend que 105 millions en 2015.

La différence la plus marquée se manifeste par conséquent dans la production aquacole. L’IFPRI n’escompte que la moitié environ de la croissance prévue dans l’étude de la FAO. Elle estime – dans son scénario de base – que d’ici à 2020, l’aquaculture représentera 54 millions de tonnes (une hausse de 18 millions de tonnes par rapport au volume de 2000), alors que l’étude de la FAO prévoit une production de 74 millions de tonnes dès 2015 (38 millions de plus qu’en 2000).

Les modèles utilisés par la FAO et l’IFPRI pour simuler les scénarios futurs présentent de grandes similitudes. Tous deux prennent les échanges internationaux comme mécanisme d’égalisation de l’offre et la demande mondiales de poisson; tous deux considèrent que les évolutions plausibles des industries donneront lieu à l’apparition de produits de substitution proches. Par conséquent, les causes fondamentales de ces différences de résultats seraient davantage à chercher dans les postulats utilisés. Trois d’entre eux semblent revêtir une importance particulière: Ils concernent la sensibilité aux prix, la possibilité matérielle d’augmenter la production des pêches de capture et la «réactivité» de l’aquaculture aux opportunités de développement.

L’étude de la FAO part du principe que le consommateur réagit directement (demande élastique) à de petites hausses des prix réels en réduisant sa consommation. Or, comme les aquaculteurs réagissent très rapidement aux opportunités que leur apportent les hausses de prix – et la hausse de la demande, même lorsque les prix restent inchangés – dans l’étude de la FAO, le marché ne force pas le consommateur à réduire sa consommation de poisson très en dessous du niveau de consommation souhaité en l’absence d’une hausse des prix réels. L’étude de la FAO ne considère pas que les pêches de capture seront en mesure d’accroître sensiblement la production.

L’étude de l’IFPRI est beaucoup plus prudente quant à la possibilité d’une augmentation rapide de la production aquacole. Par conséquent, elle ne croit pas non plus que le secteur halieutique dans son ensemble pourra augmenter sa production aussi vite que le suppose l’étude de la FAO, en dépit du fait que l’étude de l’IFPRI est beaucoup plus optimiste lorsqu’il s’agit de l’augmentation des débarquements des pêches de capture.

Les prévisions contenues dans La situation mondiale des pêches et de l’aquaculture 2002 (SOFIA 2002) sont dans la palette de celles de l’étude de l’IFPRI. Les prévisions du SOFIA 2002 relatives à la production de 2020 (totale, destinée à la consommation humaine et aquaculture) se situent dans la tranche supérieure des prévisions de l’étude de l’IFPRI, ce qui veut dire que les prévisions du SOFIA 2002 sont à mi-chemin de celles des études de la FAO (résumées et commentées plus haut) et de l’étude de l’IFPRI. Comme on pouvait s’y attendre, SOFIA 2002 est lui aussi plus pessimiste que l’étude de l’IFPRI pour ce qui est de la production des pêches de capture (tableau 16).

Ces études s’accordent sur le fait que le monde ne devrait connaître aucune pénurie de poisson au cours des trois prochaines décennies et que l’impact sur les prix sera minime. Dans la pratique, cela veut dire que les disponibilités par habitant seront maintenues et que, selon toute vraisemblance, elles augmenteront. Elles augmenteront dans des proportions sensibles grâce à un développement durable de l’aquaculture conjuguée à une production soutenue des pêches de capture, provenant en majorité des océans.

Les simulations laissent une impression d’évolution graduelle et uniforme du secteur qui, hélas, ne correspond vraisemblablement pas à ce que sera l’avenir des pêches et de l’aquaculture mondiales. Malgré l’effet d’uniformisation de la mondialisation, il faut s’attendre à ce que le secteur des pêches reste diversifié en termes de résultats, avec:

Tableau 16
Comparaison des résultats des simulations

 

Année sur laquelle porte la simulation

2000

2010

2015

2020

2030

Source d’information

Statistiques FAOa

SOFIA 2002b

Étude FAOc

SOFIA 2002b

Étude IFPRI

SOFIA 2002b

Capture marine

86

87

 

87

87

Capture continentale

9

6

 

6

6

Capture totale

95

93

105

93

1162

93

Aquaculture

36

53

74

70

54

83

Production totale

131

146

179

163

1703

176

Production de poisson comestible1

96

120

 

138

130

150

Pourcentage utilisé pour l’alimentation humaine

73%

82%

 

85%

77%4

85%

Utilisation non alimentaire

35

26

 

26

405

26

Note: Tous les chiffres, à l’exception des pourcentages, sont exprimés en millions de tonnes et arrondis.
1
Animaux aquatiques autres que reptiles et mammifères, hors quantités utilisées pour la farine et l’huile de poisson.
2
Calculé par les auteurs à partir de la production totale moins l’aquaculture.
3
Calculé par les auteurs en ajoutant le poisson destiné à l’alimentation à la production de farine de poisson.
4
Calculé par les auteurs en comparant les utilisations alimentaires et non alimentaires.
5
Calculé par les auteurs en multipliant par 5 les prévisions de la production de farine de poisson.
Sources:

a
Basé sur les dernières statistiques en date de l’Unité de l’information, des données et des statistiques sur les pêches de la FAO.
b
FAO. 2002. Situation mondiale des pêche et de l’aquaculture 2002. Rome.
c
Op. cit., note 1.

1 FAO. 2004. Future prospects for fish and fishery products: medium-term projections to the years 2010 and 2015. FAO, Circulaire sur les pêches FIDI/972-1. Rome. (Sous presse); IFPRI. 2003. Fish to 2020: supply and demand in changing global markets, par C. Delgado, N. Wada. M. Rosegrant, S. Meijer et M. Ahmed. Institut international de recherche sur les politiques alimentaires (IFPRI), Washington, Etats-Unis.
2
En raison d’une absence générale de données, il n’a pas été possible d’inclure directement les prix dans la détermination des niveaux futurs de demande par manque de projection à moyen et court terme des prix du poisson et des autres produits de remplacement. Le Modèle de la demande alimentaire de la FAO a été utilisé pour établir des projections en prenant pour hypothèse de départ des prix relatifs constants. Les implications sur l’évolution des prix ont été dérivées en comparant les projections en prix constants de l’offre et de la demande à l’aide d’un modèle d’équilibre des marchés simple. Le Modèle de la demande alimentaire établit des projections de la demande par habitant et de la demande totale de l’ensemble des produits entrant dans le régime alimentaire d’un pays à partir de postulats sur la croissance démographique et la progression du produit intérieur brut (PIB) en tant qu’indicateur indirect du revenu disponible. Les prévisions démographiques des pays étudiés s’inspirent des projections les plus récentes des Nations Unies en matière de population (scénario de fécondité moyenne). Les postulats relatifs à la croissance du PIB sont ceux utilisés pour l’étude de la FAO Agriculture: Horizon 2015/2030, fondés quant à eux sur les dernières prévisions économiques des Nations Unies extrapolées jusqu’en 2015. Cependant, il est à noter que la situation internationale actuelle pourrait entraîner un ralentissement de la croissance économique pendant de nombreuses années, et à tout le moins pendant les premières années de la période étudiée.
3 Les projections de la demande de farine de poisson se basent sur l’expansion prévue de l’aquaculture et des secteurs de l’élevage de poulets et de porcs (dérivées des projections les plus récentes de la FAO) ainsi que sur le changement du rapport de prix prévu entre la farine de poisson et ses produits de substitution.
4
Les projections relatives à la production ont été faites pour chaque pays ou groupe de pays en adaptant différents types de fonctions de régression aux données de la période 1980-2001 séparément pour les pêches de capture et l’aquaculture et pour les grands groupes d’espèces.
5
Ce modèle part du principe qu’à chaque type de poisson correspond un prix moyen international dont les fluctuations se répercutent sur les prix des marchés nationaux. La simulation s’obtient en appliquant des élasticités particulières de l’offre et de la demande par rapport au prix pour chaque pays ou groupe de pays. Ce modèle élimine les déséquilibres entre l’offre et la demande par une méthode itérative d’équilibrage du marché (méthode Newton) qui détermine le niveau de prix auquel l’offre et la demande s’équilibrent. Au niveau de chaque pays, la différence entre l’offre et la demande représente les échanges commerciaux nets. Les fluctuations des cours mondiaux sont elles aussi transmises aux prix pratiqués sur les marchés nationaux.
6 (1) Scénario de base reposant sur les hypothèses les plus plausibles en matière de population et de revenu, de décisions politiques, de technologie et autres facteurs; (2) un rythme de développement de l’aquaculture de 50 pour cent supérieur à celui du scénario de base; (3) un recul de la production chinoise; (4) la productivité de la transformation de farine et huile de poisson progressant deux fois plus vite que dans le scénario de base; (5) une croissance plus lente de l’aquaculture (progrès technologique deux fois plus lent que dans le scénario de base); (6) effondrement écologique (tendance à la baisse exogène de 1 pour cent appliquée aux produits naturels, y compris les farines et huiles de poisson).
7
International Model for Policy Analysis of Agricultural Commodities and Trade.

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