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5. Evaluation des apports et des résultats

5.1 Introduction - l'approche

Une fois identifiés les apports et les résultats attendus, l'étape suivante consiste à définir des mesures appropriées de leur valeur.

Dans une analyse financière, le processus d'évaluation est assez simple, et on utilise des prix de marché pour tous les apports (facteurs de production) et résultats (produits). Les effets non marchands (effets externes ou indirects) ne sont pas évalués dans l'analyse financière, étant donné qu'ils n'entrent pas dans le tableau de cash flow de l'entité financière.

Le processus d'évaluation est plus complexe pour l'analyse d'efficacité économique, tout d'abord parce que certains prix de marché pour des apports et des produits directs peuvent ne pas être une mesure appropriée de la valeur économique telle que définie au chapitre 3, et ensuite parce que les valeurs d'impacts non marchands sont pris en considération dans toute la mesure possible.

L'encadré 5.1 illustre la grande diversité de valeurs d'utilisation et autres couramment associées à l'économie forestière. Dans la plupart des cas nous avons affaire à une gradation de types de valeurs, depuis des valeurs de marché clairement et aisément mesurables (exemple: bois d'oeuvre) jusqu'à des valeurs d'existence et à la valeur de la biodiversité, qui ne peut pas dans les conditions présentes être valablement placée dans un cadre de valeur monétaire chiffrée.

5.2 Utilisation des prix de marché dans l'analyse financière

Un prix de marché est le montant en argent qu'un acheteur (consommateur) doit payer à un moment donné sur un marché donné pour un bien ou service, ou le montant en argent que le vendeur d'un bien ou service en obtient sur le marché. Ce prix de marché est déterminé par l'interaction entre (1) la volonté de payer des consommateurs pour un bien ou service (demande), (2) le prix de revient et la volonté de vendre des fournisseurs (offre), et (3) les politiques qui restreignent le libre jeu de l'offre et de la demande. Quelle que soit la façon dont les politiques, les conditions du marché et autres considérations influent sur le montant final du prix de marché, le point essentiel est qu'il devient une réalité une fois qu'une transaction a eu lieu.

Les prix de marché mondiaux sont particulièrement utiles dans l'analyse économique en tant que base d'évaluation des apports et des produits qui font l'objet d'un commerce international. On en distingue deux types principaux, les prix d'exportation (prix FOB) et les prix d'importation (prix CAF).

Prix d'exportation ou prix FOB. Le sigle FOB signifie free on board, ou franco à bord. Le prix FOB comprend tous les frais encourus pour amener les marchandises à bord d'un navire au port de sortie du pays exportateur (ou sur tout autre moyen de transport): prix au départ du lieu de production, frais de commercialisation et de transport locaux, redevances portuaires locales, droits de douane ou subventions à l'exportation, etc.

Prix d'importation ou prix CAF. Le sigle CAF signifie coût, assurance, fret. Le prix CAF se définit comme étant le prix de la marchandise livrée à quai dans le port ou autre point d'entrée du pays importateur, et il comprend le prix au point de sortie du pays exportateur (c'est-à-dire le prix FOB), plus le fret jusqu'au point d'entrée dans le pays importateur, les frais d'assurance et, dans certains cas, les frais de déchargement du navire au port d'entrée. Il exclut les droits de douane et subventions à l'importation, les redevances portuaires au point d'entrée (par exemple: taxes, manutention autre que déchargement, entreposage et honoraires d'agent en douane), ainsi que les frais locaux de commercialisation et de transport.

Encadré 5.1 Valeurs d'utilisation et autres associées à l'économie forestière

VALEURS D'UTILISATION DIRECTE ASSOCIEES A:

Des usages de consommation

  • Biens marchands commerciaux ou industriels (bois de feu, bois d'oeuvre, bois à pâte, perches, fruits, gibier, fourrage, médicaments, etc.)

  • Biens et services non marchands traditionnels (bois de feu, gibier, peaux, perches, fruits, noix, etc.)

Des usages autres que de consommation

  • Loisirs (excursions en forêt, safaris photographiques, randonnée, etc.)

  • Science et éducation (études forestières de nature diverse)

VALEURS D'UTILISATION INDIRECTE ASSOCIEES A:

  • La protection de bassins versants (protection des zones en aval)

  • La protection des sols et l'amélioration de la fertilité (maintien de la fertilité du sol, particulièrement important dans les régions tropicales)

  • Les échanges gazeux et le stockage du carbone (amélioration de la qualité de l'air, réduction des gaz à effet de serre)

  • Les habitats et la protection de la biodiversité et des espèces (sources potentielles de médicaments, sources de matériel génétique pour de futurs animaux domestiques et plantes cultivées)

  • La productivité du sol sur des terres forestières converties (productivité de l'espace et du sol pour des cultures agricoles et horticoles et l'élevage)

VALEUR AUTRE QUE D'UTILISATION, OU VALEUR D'EXISTENCE

Une forêt peut être appréciée par certains pour sa seule existence et sans intention d'utiliser ses ressources dans l'avenir. En d'autres termes, la valeur qu'ils lui attribuent réside dans sa seule présence, qu'ils souhaitent perpétuer. Beaucoup sont disposés à consacrer de l'argent, du temps ou d'autres ressources pour aider à préserver des espèces et des écosystèmes particulièrement menacés. Ces valeurs d'existence, qui se manifestent au plan économique, peuvent être fondées sur des valeurs religieuses, spirituelles, culturelles ou autres conservées par des individus ou des groupes au sein de la société. Bien qu'elles soient difficiles à mesurer, ces valeurs doivent être reconnues lorsqu'on évalue les contributions de la forêt au bien-être humain.

Les prix de marché observés pour les facteurs de production et les produits reflètent les conditions présentes et passées de l'offre et de la demande. Les valeurs utilisées dans les analyses de projets prennent en considération les conditions futures de l'offre et de la demande. Par conséquent, pour arriver à des estimations de valeur future, il faut faire des ajustements aux prix observés et aux tendances dans ces prix. Les ajustements suivants sont recommandés: (1) ajuster les prix futurs pour éliminer les effets probables de l'inflation; (2) ajuster en fonction des changements relatifs dans les prix de biens et services déterminés; (3) ajuster en fonction des impacts potentiels du projet lui-même sur les prix futurs. Ces trois considérations sont discutées plus en détail dans la section qui suit.

5.3 Estimation des prix futurs

Un prix de marché actuel ou passé est une réalité. Il représente la valeur d'échange qu'a ou avait un bien ou service sur un marché donné. Les prix de marché actuels peuvent être utilisés directement pour évaluer les apports et produits aujourd'hui. Lorsqu'il décide de la manière d'ajuster les prix actuels de façon à pouvoir les utiliser pour évaluer les apports et résultats qui se produiront à un moment futur, l'analyste doit considérer trois facteurs: (1) l'inflation générale des prix; (2) les changements de prix relatifs des apports et résultats; (3) l'effet grand projet.

L'inflation se rapporte aux hausses générales des prix touchant tous les biens et services. Elle reflète une baisse de la valeur réelle de la monnaie. Il peut y avoir en outre des changements dans les prix relatifs des biens et services. On peut s'attendre à ce que certains prix changent plus ou moins que le niveau général d'inflation, et par conséquent changent par rapport à d'autres prix. D'autres prix pourront être fortement influencés par les activités d'un projet. En élaborant des estimations de valeur future pour l'évaluation d'un projet, il importe que l'analyste fasse bien la distinction entre l'inflation générale et les changements relatifs et autres de prix, et effectue les ajustements appropriés en conséquence.

5.3.1 Traitement de l'inflation

L'approche générale recommandée est de travailler avec des prix nets d'inflation, mais d'inclure tous les changements de prix relatifs prévisibles (voir encadré 5.2). Par conséquent, si l'on prévoit que les prix de tous les apports et résultats du projet s'accroîtront au même rythme (c'est-à-dire au rythme de l'inflation générale), l'analyste pourra se contenter d'utiliser les prix actuels comme mesure des prix futurs (en gardant présent à l'esprit le fait que les prix réels en argent subiront une hausse correspondant à l'inflation). Le recours à des estimations de prix nets d'inflation, c'est-à-dire de prix relatifs, présente les avantages suivants: (1) l'analyste n'a pas à tenter d'estimer la hausse générale des prix au cours de la durée du projet, ce qui est toujours difficile à vérifier et à justifier; (2) les résultats sont plus faciles à appréhender; (3) l'analyste sera en mesure de montrer plus clairement les hypothèses employées dans l'analyse concernant les changements de prix relatifs.[13]

A titre empirique, il faut souligner que les changements de prix relatifs ont tendance à être plus prononcés dans une situation de forte inflation, alors que les investisseurs cherchent les moyens de se protéger contre l'inflation. Par exemple, une inflation élevée tend à encourager l'investissement dans la terre et autres biens immobiliers, dont la valeur s'accroît à un rythme supérieur ou égal à celui de l'inflation générale. Les comptes bancaires et autres placements à revenu fixe, en revanche, ont tendance à ne pas suivre le rythme de l'inflation, parce que le revenu fixe devient moins intéressant dans l'avenir à mesure que l'inflation s'accroît. Par conséquent, les prix relatifs des terrains et de certains autres biens pourront renchérir par rapport à d'autres prix en période d'inflation, parce que la demande de ces biens s'accroît.

5.3.2 Estimation des changements de prix relatifs

Il est très fréquent que certains prix augmentent (ou diminuent) par rapport à d'autres. Par exemple, dans de nombreux pays, le prix des bois sur pied augmente à un rythme plus rapide que celui de l'inflation générale des prix. Dans le cas où l'on s'attend à des changements de prix relatifs, la question se pose de savoir comment l'analyste doit chercher à estimer ou prévoir de tels changements. La prévision est un domaine de spécialisation en elle-même, et elle peut être très compliquée à effectuer en pratique si on veut le faire convenablement. Nous ne tenterons pas ici d'en présenter les techniques et méthodes.[14]

Dans la plupart des cas, l'analyste qui a affaire à des projets forestiers ne sera pas en mesure d'utiliser des techniques de prévision raffinées pour estimer les prix futurs, et il doit se contenter de techniques d'approximation simples.

Si l'on dispose de données acceptables sur les prix passés et que l'on s'attende à voir se maintenir les conditions qui ont déterminé ces prix, la méthode la plus simple pour déterminer les prix à un moment donné est d'utiliser un graphique. S'il apparaît une tendance évidente, on peut extrapoler la courbe de tendance dans l'avenir. On peut le faire par analyse de régression ou simplement en prolongeant visuellement dans l'avenir la courbe de tendance passée. Lorsqu'on travaille sur des données rétrospectives, on dispose d'un certain nombre de moyens pour aplanir les variations qui se produisent d'une année sur l'autre et opérer les ajustements nécessaires pour tenir compte de l'inflation, afin de parvenir à une estimation de tendance à long terme qui exclue les influences cycliques et les effets de l'inflation.

Encadré 5.2 Taux réels et taux nominaux

L'analyste doit être conscient de la différence entre taux réel et taux nominal. Chaque fois que c'est possible, il faut utiliser les taux réels, étant donné qu'ils ne sont pas perturbés par l'influence de l'inflation. Par exemple, il se peut que le prix nominal d'un bien ait augmenté de 10 pour cent par an, et que néanmoins son prix réel ait baissé si le taux moyen d'inflation durant la période considérée a été supérieur au taux moyen de hausse du prix nominal. Les taux réels d'actualisation et d'augmentation (ou de baisse) des coûts et des prix peuvent être déterminés empiriquement si l'on dispose d'information statistique secondaire de base telle qu'indices de prix de gros et de prix à la consommation, taux d'intérêt appliqués par les banques centrales pour différents types de prêts, intérêts payés sur l'épargne, etc. Ce genre de statistiques est généralement rapporté en termes nominaux comprenant l'inflation et un facteur de risque. Par exemple, le tableau ci-dessous montre les approches “valeur réelle” et “valeur courante”. Comme indiqué dans l'approche valeur réelle, en Ignorant l'inflation dans l'estimation de rendement nous arrivons à un taux de rentabilité de 5,63 pour cent. En supposant que le meilleur autre taux de rentabilité possible pour l'investisseur potentiel soit de 6 pour cent, nous pourrions à tort émettre un avis défavorable sur l'investissement dans des activités forestières (telles que reboisement, dans ce cas). Notre erreur serait de comparer un taux réel avec un taux courant.

En revanche, dans l'approche “valeur courante”, nous gonflons notre estimation de prix en utilisant un taux d'inflation prévu à long terme (estimé ici en moyenne à 3 pour cent par an sur la durée de la révolution), et nous arrivons à un taux de rentabilité en valeur courante de 8,8 pour cent. En le comparant au meilleur autre taux possible de 6 pour cent (également en valeur courante), nous arrivons à la conclusion que le propriétaire doit investir dans la forêt, toutes choses égales d'ailleurs, c'est-à-dire en ne tenant pas compte du facteur de risque et d'incertitude (Si nous avions des coûts intermédiaires, nous devrions aussi, avec cette approche, les prendre en compte dans les prix courants).

Exemple hypothétique montrant les différences selon que l'on utilise des prix réels estimés ou des prix courants.

Article

Unités

“Valeur réelle”

“Valeur courante”

Révolution

Années

40

40

Rendement à l'âge d'exploitabilité

Mbfa/acre

20

20

Prix courant (année 0)

$/Mbf

30

30

Accroissement de prix réelb

%/an

1

1

Inflation moyenne prévue

%/an

(S.O.)

3

Prix estimé à l'âge d'exploitabilité

$/Mbf

44,67c

145,70d

Rendement en valeur à l'âge d'exploitabilité

$/acre

893

2 914

Coût (année 0)

$/acre

100

100

Taux de rentabilité interne ®

%

5,63e

8,80f

a Millier de pieds-planches

b Exclut les effets de l'inflation

c 30(1.01)40 = 44,67

d 30[(1.01)(1.03)]40 = 145,70

Dans ce type de projection de tendance, on suppose que certains facteurs (autres que le projet lui-même) ont influé sur les prix dans le passé, et ont des chances de continuer à le faire dans l'avenir pendant la durée du projet. Bien que ce ne soit pas toujours le cas, ce type simple de technique de projection est le plus souvent utilisé en pratique. Par exemple, dans de nombreux cas les caractéristiques qualitatives du produit changent au cours de la période de projection. Cela complique les choses. Par exemple, dans le cas d'un projet d'aménagement d'une forêt de teck, les vieux peuplements ont été exploités, et les bois nouvellement produits sont de plus petit diamètre. Dans ces conditions, le prix du mètre cube de teck doit être ajusté pour tenir compte de ces changements dans la qualité du bois. Toutefois, il est très difficile en pratique de le faire d'une manière très convaincante. En conséquence, l'analyse des tendances de prix est imparfaite, mais on ne peut faire grand'chose pour y remédier.

Pour certains produits forestiers, les relevés de prix intérieurs dans le temps sont souvent limités. En fait, c'est le cas habituel dans les pays où la contribution du secteur forestier à l'économie est modeste et où les services statistiques ne sont pas très développés. Dans ce cas, l'analyste ne peut guère faire plus que de chercher à recueillir l'opinion de personnes compétentes et d'observer les tendances des prix relatifs dans d'autres pays, et ensuite de les adapter à ses besoins. On peut introduire dans l'analyse de sensibilité des résultats du projet diverses hypothèses de prix.

Dans d'autres cas, il existe des relevés précis couvrant une longue durée, et l'on peut percevoir des tendances nettes. Cela peut être le cas, par exemple, pour les salaires, ou encore pour certains produits qui font l'objet d'un commerce international, et au sujet desquels on peut obtenir des statistiques auprès d'organismes internationaux ou des services nationaux du commerce extérieur.[15]

On peut assez facilement imaginer l'évolution approximative des prix futurs sans avoir beaucoup de données. Par exemple, si les ressources forestières d'une région donnée s'épuisent rapidement, et que la densité de population et l'activité économique générale montrent une nette tendance à la hausse, l'analyste a des raisons suffisantes de prévoir une pénurie croissante de produits forestiers et une hausse des prix. Il pourra alors choisir un taux plausible de hausse des prix, et en tester d'autres dans l'analyse de sensibilité.

En ce qui concerne les facteurs de production, il existe généralement des statistiques de prix des biens importés (dans le pays du projet ou dans les archives de douane d'un pays importateur voisin, ou dans les dossiers des importateurs). On peut en déduire des tendances de prix, et les projeter dans l'avenir.

5.3.3 L'effet grand projet

Naturellement, un projet nouveau que l'on analyse n'a pas encore influé sur la manière dont les prix ont évolué dans le passé par rapport à d'autres prix, ou sur le taux général d'inflation. En revanche, le projet proposé peut avoir une dimension suffisante, par rapport aux marchés fournisseurs ou acheteurs, pour influer sur les prix futurs. Ainsi, les achats de bois d'un projet papetier peuvent être un fait entièrement nouveau ou influer fortement sur les prix des bois, et sa production pourra accroître considérablement l'offre et entraîner une baisse dans les prix futurs des produits papetiers. Ou encore, les besoins du projet en facteurs de production donnés peuvent être assez importants pour en faire monter les prix. Si l'on dispose d'information qui puisse permettre d'estimer dans quelle mesure le projet risque d'influer sur les prix futurs, il faut la prendre en compte. On pourra parfois seulement dire dans quelle direction s'exercera cette influence. Même s'il ne peut apprécier l'importance de l'effet, l'analyste devra néanmoins indiquer dans quel sens se feront les changements attendus, de façon à pouvoir tester quantitativement divers prix possibles dans l'analyse de sensibilité.

5.4 Prix de marché et valeurs économiques - quelques définitions

Il faut utiliser les prix de marché dans l'analyse économique dans la mesure où ils reflètent la valeur économique. C'est pourquoi la première étape logique consiste à distinguer les apports et les résultats qui sont associés à des prix de marché.

Pour pouvoir discuter utilement de l'adéquation des prix de marché existants comme mesure de la valeur économique, il faut au préalable clairement définir la signification des termes de prix de marché et valeur économique. Tels que définis à la section 5.2, les prix de marché sont les prix que les acheteurs paient et que les vendeurs reçoivent pour des biens qui sont achetés et vendus sur un marché donné.

La mesure fondamentale de la valeur économique est la volonté des consommateurs de payer pour des biens et services, compte tenu des politiques qui influent sur cette volonté de payer. Dans le cas des facteurs de production ou coûts, on emploie souvent le terme de coût d'opportunité. Comme on l'a discuté au chapitre 2, le coût de l'utilisation d'un facteur de production dans le projet considéré est la valeur à laquelle on renonce en ne l'utilisant pas pour le meilleur autre emploi possible, autrement dit son coût d'opportunité. Cependant, cette valeur est mesurée en fonction de la volonté de payer des consommateurs pour les biens ou services auxquels on a renoncé. Ainsi, tant dans le cas de bénéfices (résultats) que dans celui de coûts (apports), on utilise la volonté de payer comme base d'évaluation dans l'analyse économique.

Si cela fournit une définition conceptuelle satisfaisante de la valeur économique, il faut être plus précis lorsqu'il s'agit d'appliquer ce concept en pratique, et de décider quelle est exactement la mesure de valeur économique appropriée pour évaluer les différents types d'apports et de résultats.

La figure 5.1 présente une vue d'ensemble des méthodes d'évaluation à employer dans l'analyse d'efficacité économique. Nous discuterons plus en détail, dans le reste de ce chapitre et dans ses annexes, des méthodes employées pour diverses catégories d'apports et de résultats.

Figure 5.1 Conditions et méthodes d'évaluation (Gregersen et al., 1987)

5.4.1 Mesures appropriées de la valeur économique pour différents types de résultats

Pour les besoins de l'analyse, on peut distinguer dans les résultats des projets trois types d'effets (voir figure 5.2). Tout d'abord, un projet peut avoir pour résultat d'accroître la disponibilité totale d'un bien ou service pour la société. Cela concerne deux catégories de résultats (catégories I et II de la figure 5.2): (1) des biens ou services de consommation; (2) des biens ou services intermédiaires ou de production (c'est-à-dire des résultats du projet qui serviront d'apports dans d'autres processus de production produisant des biens de consommation). Dans le premier cas, la mesure appropriée de la valeur est la volonté de payer des consommateurs pour le produit du projet lui-même. Dans le second cas, c'est la volonté de payer des producteurs pour le produit du projet, qui à son tour est conditionnée par la volonté de payer des consommateurs pour les autres biens et services qui seront obtenus à partir du produit du projet considéré.

Figure 5.2 Résultats: mesure de leur valeur économique[16]

Le deuxième type d'effets d'un projet est d'accroître les disponibilités de devises pour l'économie du pays. Cela concerne également deux catégories de résultats (catégories III et IV de la figure 5.2): (1) exportations et (2) substitution d'importations. La valeur de ces résultats du projet se mesure en fonction de la volonté de payer locale pour les biens et services qui peuvent être achetés avec les devises étrangères gagnées (dans le cas d'exportations) ou économisées (dans le cas de substitution d'importations). Etant donné qu'il est nécessaire de mesurer la valeur économique en fonction de la volonté de payer des consommateurs locaux pour les biens et services exprimée en monnaie locale, les devises étrangères gagnées ou économisées doivent être converties en monnaie locale, et il faut tenir compte des politiques nationales qui créent une différence entre la volonté de payer locale et ce que le pays doit effectivement payer en devises étrangères pour les biens et services importés. Les valeurs CAF et FOB non ajustées (converties en monnaie locale) peuvent ne pas refléter la volonté de payer dans des cas où le gouvernement impose des droits de douane ou octroie des subventions à l'exportation et à l'importation.

Le troisième type d'effets d'un projet est une substitution d'autres productions intérieures, libérant ainsi des ressources pour d'autres emplois ailleurs dans l'économie du pays (catégorie V de la figure 5.2). La mesure appropriée de valeur économique est ici le coût d'opportunité des ressources libérées, qui est conditionné par la volonté de payer pour les biens et services qui seront produits avec ces ressources.

Dans la section 5.5 nous discuterons de la manière de déterminer l'adéquation des prix de marché, et les facteurs susceptibles de causer une divergence entre le prix de marché local et la valeur économique pour ces cinq catégories de résultats.

Les méthodes de calcul de la valeur économique pour les résultats seront discutées dans l'annexe 5.1, pour les cas où les prix de marché ne sont pas considérés comme une mesure appropriée.

5.4.2 Mesures appropriées de la valeur économique pour différents types d'apports (facteurs de production)

Les apports utilisés dans un projet peuvent avoir deux effets économiques fondamentaux (figure 5.3). Ils peuvent: (1) soit réduire la disponibilité de devises pour le reste de l'économie; (2) soit réduire la disponibilité réelle de ressources ou de facteurs de production pour le reste de l'économie. Une réduction de la disponibilité de devises peut résulter de l'emploi de facteurs de production importés lorsqu'il n'existe pas de contingents d'importation, ou de l'emploi local de facteurs de production qui autrement auraient été exportés (catégories A et B de la figure 5.3). Lorsque des facteurs de production sont importés (catégorie A), la mesure appropriée du coût d'opportunité est basée sur la volonté de payer pour les biens et services qui auraient pu être achetés avec les devises étrangères dépensées pour les facteurs de production importés pour le projet. Cette catégorie comprend également l'utilisation par le projet d'un facteur de production produit localement dont les disponibilités sont limitées, ce qui oblige un utilisateur antérieur de ce facteur de production à l'importer. Dans un cas comme dans l'autre - utilisation directe d'un facteur de production importé ou obligation pour quelqu'un d'autre de l'importer -, l'effet est le même, ainsi que la mesure de valeur à lui appliquer.

Pour des biens produits localement qui auraient été exportés s'ils n'avaient pas été utilisés comme facteurs de production par le projet (catégorie B), la mesure appropriée du coût d'opportunité est basée sur la volonté de payer pour les biens et services qui auraient été achetés avec les devises gagnées en les exportant s'ils n'avaient pas été utilisés dans le projet.

Le deuxième type d'effet résultant de l'emploi par le projet d'un bien ou service qui est ainsi détourné d'un autre emploi dans le pays est de réduire la disponibilité réelle de ressources ou de facteurs de production pour le reste de l'économie. On peut en distinguer trois catégories: (1) des biens ou services produits localement qui ne réduisent pas les exportations ni n'entraînent de nouvelles importations (catégorie C de la figure 5.3); (2) des biens ou services importés pour lesquels il existe des contingents d'importation, c'est-à-dire une restriction quantitative des importations de ces biens ou services (catégorie D); (3) des ressources locales, principalement terre et main-d'oeuvre, qui ne sont pas produites en tant que telles (catégorie E).

Figure 5.3 Facteurs de production: mesure de leur valeur économique[17]

Pour les apports de la catégorie C, on peut pour les besoins de l'évaluation faire encore une autre distinction. Si le projet entraîne une production intérieure supplémentaire du bien ou service considéré, la mesure appropriée de la valeur économique est le coût d'opportunité des ressources utilisées pour produire le bien ou service considéré. Si le projet réduit la disponibilité du facteur de production pour le reste de l'économie, la mesure appropriée de la valeur économique sera le coût d'opportunité du facteur de production lui-même pour son meilleur autre emploi possible. Dans ce dernier cas, c'est le coût d'opportunité du bien ou service lui-même, c'est-à-dire la valeur à laquelle on renonce en l'utilisant dans le projet plutôt que dans son meilleur autre emploi possible (Noter que si d'autres utilisateurs importent maintenant ce bien ou service, il entre alors dans la catégorie A).

Lorsqu'il existe des contingents d'importation pour un bien ou service, et qu'ils sont entièrement utilisés (catégorie D), il n'y a pas de sortie supplémentaire de devises, étant donné que la quantité totale importée dans le pays demeure la même (au niveau du contingent). Par conséquent, le coût d'opportunité à appliquer est la valeur à laquelle on renonce en soustrayant le bien ou service à un autre emploi dans le pays pour l'utiliser dans le projet. Naturellement, si le contingent n'est pas entièrement utilisé, c'est-à-dire que les importations du bien ou service considéré sans le projet sont au-dessous du niveau du contingent, celui-ci n'est pas effectif, et du point de vue de l'analyse le bien ou service est reclassé comme étant importé sans contingent d'importation (catégorie A de la figure 5.3).

Lorsque les facteurs de production du projet sont des ressources locales, la mesure appropriée de leur valeur est simplement le coût d'opportunité de la ressource, ou la valeur à laquelle on renonce en utilisant la ressource dans le projet plutôt que dans son meilleur autre emploi possible.

Nous discuterons à l'annexe 5.2 des méthodes de calcul de la valeur économique des facteurs de production pour les cas où les prix de marché ne sont pas considérés comme des approximations valables des valeurs économiques. Dans la section qui suit nous discuterons certains des facteurs à considérer pour déterminer l'opportunité d'utiliser les prix de marché.

5.5 Détermination de la validité des prix de marché existants comme mesures de la valeur économique

En pratique la plupart des analystes tendent à accepter les prix de marché comme approximations pour la mesure des valeurs économiques, et ne tentent d'établir des prix virtuels que pour les principaux apports et résultats pour lesquels le prix de marché n'est pas considéré comme une mesure appropriée de la valeur économique. Il devrait appartenir à l'analyste de montrer de manière convaincante que l'importance quantitative et qualitative de la différence entre un prix de marché et la volonté de payer est suffisante pour justifier l'effort supplémentaire nécessaire pour établir un prix virtuel pour un apport ou un résultat. Tout à fait à part du temps et des fonds supplémentaires requis pour établir des prix virtuels, il y a un danger que des prix virtuels impropres conduisent à des décisions qui, prises dans le contexte des mécanismes actuels de l'économie, soient pires pour le pays que si l'on avait utilisé des prix de marché (qui prennent en compte les influences des politiques, des coutumes, des attitudes, et des objectifs non économiques qui gouvernent en fait l'économie).

Pour une situation donnée quelconque, la validité du prix de marché pour un facteur de production ou un produit dépend (1) de son importance dans l'ensemble du projet; (2) du degré estimé de divergence entre le prix de marché et la volonté de payer ou le coût d'opportunité pour le facteur de production ou le produit; (3) de la possibilité pratique d'établir un prix virtuel acceptable (ce qui se rattache essentiellement au temps et au budget disponibles pour l'analyse économique dans chaque cas, et à l'objet de cette analyse). Nous discuterons chacun de ces trois facteurs dans les sections qui suivent.

5.5.1 Estimation de l'importance des facteurs de production et des produits

La plupart des produits de projets forestiers qui ont un prix de marché contribuent aux bénéfices totaux du projet, et se prêtent à l'établissement de prix virtuels.

De nombreux facteurs de production qui peuvent se mesurer en prix de marché ont une importance relativement insignifiante vis-à-vis des coûts totaux. Tout projet comporte l'achat d'une multitude de petits articles - fournitures de bureau, outils manuels, etc. Ces articles n'ont généralement pas besoin de prix virtuels. Toutefois, il faut faire ici une mise en garde. Un projet peut comprendre un certain nombre d'apports divers qui pris individuellement sont peu importants en regard des coûts totaux, mais qui additionnés peuvent avoir une influence non négligeable sur ceux-ci. Il ne vaut sans doute pas la peine de dépenser du temps et des efforts pour établir des prix virtuels pour chaque article, mais il est cependant possible, par une analyse de sensibilité, de tester l'effet sur le résultat du projet d'un accroissement de la valeur de certains ou de la totalité de ces facteurs de production combinés (voir chapitre 7).

La plupart des projets forestiers, également, mettent en jeu des facteurs de production importants tels que terre, main-d'oeuvre, engins lourds, équipements de transformation, etc. On pourra ou non envisager d'établir pour eux des prix virtuels, selon le temps et les fonds disponibles et les conditions qui influent sur leurs prix de marché.

A titre de règle empirique, si un facteur de production évalué par son prix de marché représente 5 pour cent ou plus de la valeur totale actualisée du coût du projet, il est logique d'établir pour lui un prix virtuel pour déterminer sa valeur économique. Que cela vaille la peine ou non dépendra de l'amplitude de la différence estimée entre son prix de marché et sa valeur économique (ainsi que nous le verrons à la section qui suit). Par exemple, si un article qui représente 5 pour cent du coût total en valeur actualisée a un prix virtuel estimé qui est égal à 20 pour cent de son prix de marché, l'application d'un prix virtuel aura pour effet de réduire le coût de cet article à seulement 1 pour cent du coût total (20 pour cent de 5 pour cent) pour l'analyse économique. Cela peut avoir une incidence notable sur la rentabilité économique du projet. En revanche, si un tel article a un prix virtuel estimé égal à 90 pour cent de son prix de marché, la différence vis-à-vis du coût total ne sera que de 0,5 pour cent (4,5 pour cent au lieu de 5 pour cent), ce qui aura une incidence bien moindre sur la rentabilité économique.

Certains postes souvent classés comme facteurs de production peuvent poser des problèmes. Par exemple, les projets incluent généralement divers ouvrages, constructions, routes, etc. S'ils ont été inscrits comme “facteurs de production”, ils représenteront sans doute une part importante des coûts totaux. Comme on l'a souligné au chapitre précédent, il convient de les décomposer en fonction de leurs facteurs de production élémentaires - main-d'oeuvre, équipements, matériaux divers, etc. Dans ce cas, le jugement à porter revient à apprécier si les facteurs de production élémentaires sont suffisamment importants pour mériter l'effort d'établir pour eux des prix virtuels.

5.5.2 Détermination des divergences entre prix de marché locaux et valeurs économiques

On peut établir un prix virtuel pour un facteur de production ou un produit important s'il risque d'y avoir un écart important entre son prix de marché et sa valeur économique. Une telle divergence peut être causée par la politique gouvernementale ou par d'autres facteurs.

Divergences causées par la politique gouvernementale

Les gouvernements appliquent des politiques qui mettent en jeu de nombreux instruments divers pour orienter leur économie vers ce qu'ils considèrent comme étant les objectifs du développement économique et social de leur pays. Ce sont couramment des taxes (dont les droits de douane), des subventions, des prix plancher et des prix plafond réglementaires, des restrictions quantitatives sur les transactions commerciales. Parmi ces moyens employés, seules les réglementations imposant des prix minima (ou prix plancher) et des prix plafond restreignent les mouvements de prix locaux et en conséquence influent sur les valeurs économiques. Même de telles politiques, cependant, n'entraînent de divergences entre prix de marché locaux et valeurs économiques que pour certaines des catégories de facteurs de production et de produits discutées à la section 5.2 (et illustrées par les figures 5.2 et 5.3). Il faut reconnaître aussi que dans de nombreux pays il existe des politiques sur le papier qui en fait sont sans effet, et que pour les besoins de l'analyse on peut ignorer. Par exemple, un gouvernement peut avoir fixé un prix plafond pour les bois de construction, mais si les prix de marché des bois sont inférieurs au prix plafond celui-ci sera sans effet, car le prix du bois sera le même avec ou sans fixation de prix maxima. L'efficacité de telles politiques peut être estimée en déterminant ce qui arriverait avec la politique en place, et ce qui arriverait sans cette politique.

Prix minimum imposé par le gouvernement. Si un prix minimum imposé par un gouvernement est effectif pour un bien ou service donné, l'offre tendra à excéder la demande de ce bien ou service au prix minimum établi. Si l'offre n'excède pas la demande à ce prix, cela veut dire que le prix minimum est un instrument inefficace de la politique, étant donné que le prix de marché s'établirait au même niveau avec ou sans cette politique (prix minimum).

Si un prix minimum pour un produit d'un projet est efficace - c'est-à-dire s'il y a un excédent de l'offre de ce bien ou service au prix minimum -, il est peu probable qu'un projet soit proposé pour créer une offre supplémentaire de ce produit. Etant donné que les acheteurs peuvent en obtenir les quantités qu'ils veulent au prix minimum sans le projet, tout supplément d'offre resterait vraisemblablement inutilisé tant que la politique restera en vigueur. La consommation restera la même avec ou sans le projet, de telle sorte que le résultat du projet aurait une valeur égale à zéro. Naturellement, si l'on prévoit une baisse du prix minimum, il faudra en tenir compte.

On peut avoir un témoignage de l'efficacité d'une politique de prix minima en observant la situation de l'offre de biens et services. Les indices que l'on pourra en avoir sont les suivants:

Prix plafond imposé par le gouvernement. Lorsqu'un prix plafond imposé par le gouvernement est effectif, les acheteurs ne pourront pas acheter autant qu'ils le désireraient au prix contrôlé, autrement dit il y aura une demande excessive au prix de marché existant. S'il n'y avait pas de contrôle des prix, les acheteurs renchériraient le prix de marché jusqu'à ce que l'offre disponible soit égale à la demande à un prix plus élevé.

Un endroit où l'on peut avoir un témoignage de l'existence d'un plafond de prix est la réglementation intéressant la commercialisation d'un facteur de production ou d'un produit. Toutefois, la simple existence d'une réglementation n'est pas une assurance que l'imposition de plafonds de prix soit effective. Il faut par conséquent chercher des preuves aisément observables sur le marché que la consommation est effectivement restreinte par le contrôle étatique. Les témoignages d'une politique effective de prix contrôlés seront par exemple la présence de queues, de marché noir, et de diverses formes de rationnement. Ce sont autant d'indicateurs montrant que l'acheteur marginal est disposé à payer plus que le prix en vigueur pour la quantité offerte sur le marché.

La nature et le sens des divergences entre prix de marché locaux et mesures économiques des valeurs résultant de contrôles étatiques effectifs des prix locaux (prix minima et prix plafond) sont résumés dans le tableau 5.1 pour chacune des catégories de produits et de facteurs de production indiquées dans les figures 5.2 et 5.3. Comme indiqué pour plusieurs catégories de produits et de facteurs de production, les politiques peuvent soit ne pas être effectivement appliquées, soit, si elles le sont, ne pas intervenir en ce qui concerne les mesures de valeur économique utilisées pour la catégorie particulière considérée.

Tableau 5.1 Divergences entre les prix de marché locaux et les valeurs économiques résultant de contrôles étatiques effectifs des prix locauxa



Contrôle des prix locaux

Prix minima

Prix plafond

Produits (voir figure 5.2)



I.

Bien ou service de consommation s'ajoutant aux disponibilités totales

SO

PL < vdp

II.

Bien ou service de production ou intermédiaire s'ajoutant aux disponibilités totales

SO

PL < vdp

III.

Exportation

SO

SO

IV.

Substitut d'importation

SO

SO

V.

Substitut de produits locaux

SO

SO

Facteurs de production (voir figure 5.3)



A.

Facteur de production importé - pas de contingentement

PL > CO

SO

B.

Facteur de production produit localement qui aurait été exporté

SO

SO

C1.

Facteur de production produit localement non exportable, lorsque le projet provoque une offre supplémentaire

SO

SO

C2.

Facteur de production produit localement non exportable, lorsque le projet entraîne une réduction de la disponibilité pour le reste de l'économie

PL > CO

PL < CO

D.

Facteur de production importé, lorsqu'il existe un contingentement

SO

PL < CO

E.

Ressources locales

PL > CO

PL < CO

a PL = prix local; vdp = volonté de payer; CO = coût d'opportunité; SO = sans objet, c'est-à-dire n'intervenant pas en ce qui concerne la mesure appropriée de la valeur économique telle qu'indiqué dans la figure 5.2 (produits) ou 5.3 (facteurs de production), ou encore la politique ne peut être effective pour le type particulier de facteur de production ou de produit considéré.

La discussion qui précède se rapporte aux divergences entre prix de marché locaux et valeurs économiques qui sont dues à l'influence de politiques étatiques. Celles-ci, du fait de l'existence d'un taux de change officiel (TCO), peuvent aussi provoquer des divergences entre le prix de marché en vigueur pour la devise étrangère (le TCO) et la valeur économique réelle de cette devise en fonction de ce qu'elle peut en fait acheter sur le marché local sur la base des prix intérieurs. Etant donné que plusieurs des catégories de produits (III et IV) de la figure 5.2 et de facteurs de production (A et B) de la figure 5.3 mettent en jeu des prix de marché mondiaux (valeurs CAF et FOB) pour calculer les valeurs économiques, ces divergences doivent être prises en compte si elles existent, et les effets liés aux taux de change doivent être affectés de prix virtuels. On utilise couramment un taux de change virtuel ou taux de change de référence (TCR). On en trouvera une explication dans Ward et Deren (1991).

Dans le cas d'une divergence reconnue entre le TCO et la valeur réelle de la devise au plan local, on calcule un TCR général que l'on utilisera dans tous les calculs de valeurs économiques pour les facteurs de production et les produits qui mettent en jeu des gains, des économies ou une utilisation de devises étrangères. Par conséquent, une fois que le TCR aura été établi, il pourra être utilisé pour toutes les catégories de facteurs de production et de produits indiquées dans les figures 5.2 et 5.3 qui mettent en jeu directement ou indirectement des devises (à savoir les catégories de produits III et IV et les catégories de facteurs de production A et B). Non seulement il faut utiliser un TCR général pour évaluer tous les facteurs de production et produits de ce type pour un projet déterminé, mais il faudra aussi l'utiliser pour analyser d'autres projets dans le pays. L'estimation d'un taux de change de référence devra donc se faire à l'échelon national, et il devra être utilisé systématiquement pour tous les projets. C'est le contraire de ce qui se passe avec de nombreux facteurs de production et produits locaux (ne faisant pas l'objet d'un commerce international). Par exemple, dans le cas de la main-d'oeuvre il y aura probablement des prix virtuels qui seront particuliers à des régions limitées d'un pays. Si le chômage est important dans une région (et la mobilité de la main-d'oeuvre faible), il existera alors un coût d'opportunité (prix virtuel) plus bas de la main-d'oeuvre pour les projets situés dans cette région que dans d'autres régions où le chômage est moins important.

Divergences causées par d'autres facteurs

Outre les politiques étatiques, d'autres circonstances dans l'environnement économique du projet peuvent causer des divergences entre les prix de marché locaux en vigueur et les valeurs économiques pour certaines catégories de facteurs de production et de produits.[18] Les principales à considérer sont:

Monopsone et monopole. L'existence d'un pouvoir de monopsone ou de monopole est fréquente dans de nombreux pays. La faculté de fixer les prix est une forme de monopole exercée par l'Etat. La distinction faite ici (en rapport avec les deux catégories d'influences des politiques discutées dans la section précédente) est que cette discussion porte sur le pouvoir de monopole et de monopsone exercé par des individus ou des groupes privés, tels que sociétés commerciales ou syndicats. Il est souvent difficile d'établir quelle est la relation entre l'existence de l'une ou l'autre de ces deux formes de contrôle du marché et les politiques étatiques, à savoir si en fait le gouvernement favorise l'une ou l'autre, ou les deux, ou s'il se contente de les autoriser ou de fermer les yeux sur elles. Dans certains cas, l'Etat est opposé à l'existence de monopole et de monopsone dans le secteur privé, mais il n'a pas le pouvoir politique de les supprimer.

Le point à noter ici du point de vue de l'évaluation est que, s'il existe un monopole ou un monopsone dans l'environnement du projet et que l'on prévoie qu'il se maintiendra pendant la durée du projet, il faudra prendre en compte son influence lorsqu'on examinera les divergences entre prix de marché et valeurs économiques. Par exemple, s'il existe un syndicat puissant que l'on peut s'attendre à voir se maintenir pendant toute la durée du projet, la divergence entre les salaires fixés par le syndicat et le coût d'opportunité réel de la main-d'oeuvre doit être prise en compte de la même façon que la divergence causée par la fixation d'un salaire minimum par le gouvernement.

Pouvoir de monopsone. Si un acheteur unique, ou un petit nombre d'acheteurs agissant de concert peuvent modifier les prix en jouant sur leur politique d'achat, il existe un état de monopsone.[19] Un acheteur qui jouit d'un certain pouvoir de monopsone modifiera à son avantage le prix de marché d'un facteur de production ou d'un produit. Si son pouvoir est effectif, le prix qu'il paiera pour le facteur de production ou le produit sera quelque peu inférieur au prix qu'il aurait payé s'il n'avait pas eu ce pouvoir de monopsone. Le prix de marché ne reflétera que partiellement la volonté de payer réelle de l'acheteur.

S'il y a un pouvoir de monopsone associé à un produit (bien ou service) du projet, ou à un facteur de production nécessaire au projet, il pourra se produire le même genre de divergences que dans le cas de politique de prix plafond. Par conséquent, le sens de ces divergences pour différentes catégories de facteurs de production et de produits pourra être reconnu dans la colonne 2 du tableau 5.1.

On peut dans certains cas déceler l'existence de forces de monopsone en examinant les relevés de ventes. Si un acheteur domine le marché, il y aura de bonnes raisons de soupçonner que cet acheteur influe en sa faveur sur les prix de marché. Dans le cas de collusion entre plusieurs acheteurs, cette influence est plus difficile à déceler et à mesurer. Etant donné que ce genre d'accords est interdit par la loi dans la plupart des pays, ils ont tendance à être passés secrètement ou par entente tacite entre acheteurs. En règle générale, lorsqu'on soupçonne l'existence de ce type d'influence sur le marché, le mieux est de la prendre en considération dans une analyse de sensibilité, étant donné qu'il est extrêmement difficile d'ajuster le prix de marché pour ce type d'effet.

Pouvoir de monopole. Si un vendeur unique, ou un petit nombre de vendeurs sur un marché ont la faculté d'influer sur les prix en modifiant leur politique de vente, il existe un état de monopole.[20] Il en résultera ou non une divergence entre les prix de marché et les valeurs économiques, selon le type de produit ou de facteur de production considéré.

En règle générale, les divergences causées par l'existence d'un pouvoir de monopole sur les marchés pour les produits ou facteurs de production d'un projet seront les mêmes que celles indiquées dans la colonne 1 du tableau 5.1 pour les politiques de prix minima. En d'autres termes, les monopolistes auront, en un sens, le pouvoir de fixer des prix minima. En ce qui concerne les produits, si un monopoliste fixe un prix à un niveau plus élevé que celui précédemment en vigueur sur le marché, il influera vraisemblablement sur le volume des ventes, étant donné que la consommation diminuera lorsque le prix augmentera.

En ce qui concerne les facteurs de production, des divergences peuvent apparaître entre le prix de marché local et le coût d'opportunité d'un bien ou service si le prix est fixé par un détenteur de monopole. Par exemple, dans le cas d'un facteur de production importé pour lequel il n'existe pas de contingent d'importation, un monopoliste qui contrôle le prix local des importations peut le fixer à un niveau supérieur au coût d'opportunité des devises étrangères utilisées pour l'importer. De même, dans le cas de ressources locales, telles que la main-d'oeuvre, le détenteur d'un monopole - par exemple un syndicat - peut fixer le salaire minimum à un niveau supérieur au coût d'opportunité de la main-d'oeuvre.

Influence de la spéculation ou du facteur de prestige sur les prix de marché. Le prix de la terre est souvent fixé sur le marché en fonction de la spéculation sur la valeur future des terrains ou du prestige associé à la propriété foncière. De telles influences peuvent causer une divergence entre le prix de marché de la terre et sa valeur vis-à-vis de ses diverses utilisations productives possibles (c'est-à-dire sa contribution au revenu national). La méthode d'évaluation utilisée (voir annexe 5.2) élimine la nécessité de se préoccuper de ces divergences. Il est proposé d'attribuer dans tous les cas à la terre un prix virtuel en fonction de ses autres utilisations productives possibles pendant la durée du projet, et non des prix de vente des terrains pratiqués.

Commentaires sur l'identification des divergences

Il est évident que très souvent l'analyste sera en mesure d'identifier certaines des divergences discutées ci-dessus, et d'estimer le sens de l'écart entre prix de marché et valeur économique, c'est-à-dire de déterminer si la valeur économique est supérieure ou inférieure au prix de marché actuel. Mais c'est une toute autre affaire de mesurer l'amplitude de cet écart. Quoi qu'il en soit, l'attention se porte vers les domaines où la divergence des prix peut avoir une répercussion importante sur la valeur du projet. Ce type d'analyse aide par conséquent à déceler les zones d'incertitude, à traiter plus tard dans l'analyse de sensibilité.

Il y a un autre point qu'il convient de mentionner. Il se rapporte aux effets du deuxième ordre, ou divergences qui se manifestent entre prix de marché et valeur économique à des échelons plus ou moins éloignés par rapport aux prix de marché des apports ou produits directs d'un projet. La discussion sur les divergences s'est portée uniquement sur les divergences directes ou du premier ordre qui peuvent être identifiées. Il est fort possible que l'analyste dispose d'information qui lui permette de juger s'il y a des divergences à des échelons plus lointains qui devraient être prises en compte. Par exemple, il se peut qu'il n'y ait pas de politique apparente ou autres facteurs qui influent directement sur le prix des tracteurs fabriqués localement pour causer une divergence entre leur prix de marché local et leur valeur économique du point de vue du projet. Cependant, il est connu qu'il y a une divergence entre le prix de marché local et la valeur économique de l'acier utilisé dans la fabrication du tracteur, et il faut donc tenter d'établir un prix virtuel pour le tracteur, en tenant compte du prix virtuel de l'acier. Il sera possible dans de rares cas de faire de telles corrections, mais en général, d'un point de vue pratique, il ne sera pas possible d'aller retrouver tous les effets de chaque facteur de production qui entre dans la production des facteurs de production utilisés dans un projet. Normalement, l'analyste devra se contenter de traiter les divergences évidentes directement associées aux prix des facteurs de production et aux produits du projet.

5.5.3 Facilité d'établissement de prix virtuels acceptables

Le dernier facteur à considérer pour décider s'il faut utiliser pour un facteur de production ou un produit donné son prix de marché, ou s'il faut lui attribuer un prix virtuel, se rapporte à la facilité d'établir un prix virtuel acceptable (voir encadré 5.3). Dans presque toutes les analyses de projets, l'analyste est confronté à des contraintes de temps et de budget. Il n'aura pas le temps d'établir des prix virtuels pour tous les postes importants d'apports et de résultats, pour lesquels on s'attend à une divergence entre le prix de marché et la valeur économique. Pour de nombreux facteurs de production ou produits pour lesquels il est difficile d'établir un prix virtuel, il faut faire un choix entre une estimation conjecturale approchée de prix virtuel (qui au moins rende compte des divergences estimées entre prix de marché et valeur économique) et l'utilisation du prix de marché, même s'il est reconnu n'être qu'une mesure imparfaite de la valeur économique (Dans ce dernier cas, la divergence est explicitement reconnue dans le rapport d'analyse, et on pourra tester différentes valeurs possibles dans l'analyse de sensibilité). Le choix entre les deux devra s'appuyer sur les circonstances qui entourent l'analyse (son objet) et sur le jugement de l'analyste quant à l'importance de la valeur de l'élément particulier considéré vis-à-vis de la mesure choisie de l'efficacité économique.

Encadré 5.3 Etablissement de prix virtuels

Dans l'analyse économique, il faut ajuster des prix et coûts imparfaits pour refléter une économie en parfait équilibre, c'est-à-dire qu'il faut éliminer les imperfections. Si par exemple les plants forestiers sont subventionnés et ne coûtent que 50 unités de monnaie locale, alors que leur prix de revient réel est de 90 U, le coût financier pour l'acheteur de plants est de 50 U, tandis que leur valeur économique, hors subvention, serait de 90 U. Le prix économique est ce que la société débourse réellement, et dont l'acheteur de plants ne paie qu'une fraction. La société paie le reste sous forme de subvention.

En pratique, l'établissement de prix virtuels s'impose en général pour:

  • Tous les biens et services importés ou exportés (tout ce qui implique une dépense de devises, notamment si le taux de change est artificiellement bloqué);

  • Tous les biens et services subventionnés, ou dont les prix sont fixés (tous les biens et services devant être utilisés dans le projet et qui sont actuellement subventionnés, tels que production et vente de plants de pépinière, etc.);

  • La main-d'oeuvre, s'il y a un chômage ou un sous-emploi chronique dans le pays.

Enfin, pour la plupart des projets forestiers l'analyste rencontrera des effets indirects (effets externes ou effets sans valeur marchande) pour lesquels il est difficile, sinon impossible, d'établir des prix virtuels acceptables (par exemple pour évaluer la beauté d'un paysage, un surcroît d'autosuffisance, une réduction de pénibilité du travail). Dans de tels cas, le mieux que l'analyste puisse faire est de décrire les effets de manière physique ou qualitative, et d'indiquer dans quelle mesure ils sont susceptibles d'influer sur les résultats du projet et son impact sur la société.

Nous discuterons plus en détail, dans les annexes 5.1 et 6.2, certaines des considérations pratiques qui influent sur la décision de tenter ou non d'établir un prix virtuel pour un facteur de production ou un produit.


[13] Pour une discussion plus détaillée sur le traitement de l'inflation et des exemples d'application en économie forestière, voir Gregersen (1975).
[14] Le lecteur pourra trouver une discussion de diverses techniques dans IUFRO (1971) et dans Chisholm (1971).
[15] Voir Nations Unies/FAO, 1977.
[16] Ce diagramme dichotomique pour présenter les règles d'évaluation a été proposé par Ward (1978).
[17] Cette méthode de présentation dichotomique pour les règles d'évaluation a été proposée par Ward (1978).
[18] Noter que l'on parle ici des prix de marché actuels. Dans tous les cas où l'on utilise les prix de marché actuels comme base pour les valeurs économiques, un certain nombre de facteurs qui influeront sur les prix et les valeurs économiques futurs projetés doivent être pris en compte.
[19] A strictement parler, lorsqu'il y a un petit nombre d'acheteurs qui contrôlent un marché, au lieu d'un acheteur unique, les économistes parlent d'oligopsone. Pour des raisons de commodité, nous emploierons le terme de monopsone dans les deux cas.
[20] Nous emploierons ici le terme de pouvoir de monopole pour désigner aussi bien un monopole proprement dit (un seul vendeur) qu'un oligopole (un petit nombre de vendeurs).

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