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7. Traitement de l'incertitude: Analyse de sensibilité

7.1 Introduction

On a mentionné plus haut que: (1) la détermination et l'évaluation des coûts et bénéfices de tout projet exigent de scruter l'avenir; (2) les estimations de valeurs actuelles et futures sont sujettes à incertitude; (3) l'analyste doit reconnaître et traiter explicitement l'incertitude qui entoure les prévisions d'événements et les estimations de valeurs futures. Nous verrons dans ce chapitre comment traiter l'incertitude dans une analyse de projet. La principale technique proposée sera l'analyse de sensibilité, qui consiste à tester la sensibilité des mesures choisies de la valeur du projet à diverses hypothèses possibles concernant les facteurs de production et les produits et diverses relations techniques, à savoir comment la valeur actuelle nette ou le taux de rentabilité économique se modifie lorsqu'on change la valeur supposée d'un paramètre - ou groupe de paramètres - donné.

L'incertitude se rapporte au fait que l'analyste ne peut être sûr aujourd'hui de rien de ce qui se produira dans l'avenir. Ou encore, en raison d'une information insuffisante, il ne peut être sûr d'événements passés et présents qui lui fournissent une base pour prédire les conditions futures. En utilisant l'information disponible sur les événements passés, l'analyste fait des estimations - ou des conjectures - de ce qui a des chances de se produire: que sera la demande future de sciages de pin, que sera le prix de la main-d'oeuvre, quel sera l'effet des risques naturels sur un projet de reboisement, etc. Mais il n'est jamais certain de la mesure dans laquelle ces estimations se rapprochent de ce qui arrivera en réalité. Il y a toujours une certaine dose d'incertitude qui entre en jeu.

L'analyste peut se fier davantage à certaines prévisions qu'à d'autres, en particulier si l'on a davantage d'expérience (une observation plus précise d'événements et de tendances passées) sur lesquelles on puisse les fonder. Dans certains cas il aura même suffisamment d'information quantitative sur le passé pour être à même d'estimer la probabilité statistique d'un événement futur. On parle dans ce cas d'une situation de risque. En revanche, s'il n'y a que peu, ou pas du tout de base pour le calcul de probabilités chiffrées, on aura affaire à une situation d'incertitude.

Si cette distinction entre risque et incertitude est utile dans une discussion théorique, elle pourrait n'être qu'une source de confusion pour l'analyste qui a affaire à un projet réel, en effet il se trouve en réalité devant une gradation continue, d'un extrême où les probabilités d'un événement peuvent être chiffrées (par exemple dans le cas où l'on dispose de données mathématiques certaines) à l'autre extrême où l'on ne dispose d'aucune information sur laquelle on puisse baser des estimations de probabilité. Dans la plupart des cas, les problèmes de prévision auxquelles on est confronté dans la planification des projets se situent entre une situation de risque et une incertitude totale.

7.2 Objet du traitement de l'incertitude

Dans le processus d'évaluation, l'analyste identifie et ensuite évalue les apports et les résultats du projet qu'il analyse (chapitres 4 et 5). Les valeurs présumées qui en résultent, c'est-à-dire celles qui sont considérées comme ayant le plus de chances de se présenter, sont ensuite utilisées dans le calcul initial des mesures choisies de la valeur du projet (chapitre 6). Pour faire une analyse économique complète et utile, l'analyste doit aussi donner une idée de ce qui arriverait à ces mesures de la valeur ou de l'efficacité du projet si les valeurs réelles des divers facteurs de production et produits s'avéraient être différentes des valeurs présumées utilisées dans l'analyse. Si un changement plausible dans l'hypothèse faite sur la valeur présumée d'un paramètre donné (ou d'une combinaison de paramètres) a un effet déterminant sur la mesure attendue de la valeur ou de l'efficacité du projet, l'analyste cherchera en règle générale à faire en sorte de réduire l'incertitude. Le ternie de plausible dans ce contexte se rapporte à une estimation des valeurs possibles que peut prendre un paramètre autour de la valeur prévue utilisée dans l'analyse générale. Le terme de déterminant se rapporte d'une manière générale au point où la mesure de la valeur ou de l'efficacité d'un projet passe d'une valeur positive à une valeur négative - ou vice-versa - en ce qui concerne le critère de décision appliqué.[31]

Encadré 7.1 Sensibilité à des valeurs changeantes dans le temps

Supposons par exemple un projet de reboisement de 20 ans dans lequel la main-d'oeuvre représente un poste important de coût. La valeur prévue de la main-d'oeuvre utilisée pour calculer la valeur nette actualisée du projet, de 1 200 U, est de 2 U par jour. Cette valeur (prix virtuel) de la main-d'oeuvre est calculée en appliquant un abattement de 50 pour cent sur les salaires réels en vigueur pour tenir compte du fort taux de chômage dans la région. Ce chiffre de 2 U par jour est utilisé pour toute la durée du projet. Cependant, considérant l'évolution des dix dernières années dans la région du projet, on estime que, même en l'absence du projet, le chômage pourrait diminuer progressivement au cours de la durée du projet. Il est donc justifié de tester la sensibilité de la valeur nette actualisée du projet à l'hypothèse d'un accroissement graduel de la valeur de la main-d'oeuvre jusqu'à 4 U (niveau actuel de salaire) à l'année 10, et d'un maintien à ce niveau jusqu'à la fin du projet (10 ans plus tard). Notons qu'il n'existe aucune base quantitative qui permette d'estimer la manière dont le taux de salaire évoluera à l'avenir, avec ou sans le projet. L'hypothèse faite dans l'analyse de sensibilité est considérée intuitivement comme plausible. La plupart des jugements de cet ordre ne sont fondés que sur l'intuition. L'analyste pourra chercher à tester d'autres hypothèses de taux de salaires en plus de celle de 4 U/jour, par exemple une augmentation au delà de ce chiffre pendant les dix dernières années du projet. Cela dépendra de son jugement, du temps et des fonds disponibles pour l'analyse, et des résultats de l'analyse de sensibilité faite à partir de l'hypothèse initiale de changements plausibles dans la valeur de la main-d'oeuvre (de 2 U à 4 U/jour). Si le résultat final du projet n'est pas influencé par cette hypothèse, il ne sera pas sensible à un changement dans la valeur prévue de la main-d'oeuvre qui serait en deçà de cet extrême de 4 U/jours. Il sera donc inutile de tester d'autres valeurs moins extrêmes. En revanche, on pourra tester des valeurs plus extrêmes.

7.3 Directives pour le traitement de l'incertitude

Il est recommandé d'adopter pour analyser l'incertitude la démarche suivante, à la fois pratique et systématique. Elle comprend trois étapes, qui sont développées dans les sections suivantes:

1. Identifier les principales sources probables d'incertitude pour le projet analysé, et pour chacune d'elles établir un éventail plausible de valeurs pour les paramètres en cause;

2. Effectuer une analyse de sensibilité pour le projet, en utilisant diverses combinaisons d'hypothèses différentes concernant la valeur des paramètres associés aux principales sources d'incertitude, et analyser plus en détail les paramètres pour lesquels des changements dans les hypothèses de valeurs sont déterminants vis-à-vis du résultat du projet;

3. Déterminer les moyens de modifier la conception du projet afin d'éliminer ou réduire les principales sources d'incertitude qui sont déterminantes vis-à-vis du résultat final du projet.

L'analyse de sensibilité fournit un moyen peu coûteux d'identifier les paramètres critiques du projet afin de définir un projet solide et viable, et d'appréhender et réduire l'incertitude concernant son résultat. On pourra rassembler davantage d'information sur les paramètres critiques influençant le résultat final du projet, à un degré qui dépendra des fonds disponibles, de l'effet estimé de l'incertitude sur les résultats du projet, et d'autres facteurs. Les trois étapes esquissées ci-dessus fournissent pour cela un cadre logique.

7.4 Identification des principales sources probables d'incertitude

L'incertitude est associée à la disponibilité et à l'échelonnement de la plupart des apports et résultats, aux relations entre facteurs de production et produits (fonctions de production), aux prix (ou valeurs) des uns et des autres, et même aux objectifs du projet. Il serait difficile et coûteux de traiter toutes les incertitudes qui s'associent à chacun des facteurs entrant en jeu dans un projet. C'est pourquoi une première étape consistera à identifier systématiquement les principales catégories d'incertitude associées à un projet proposé, et à évaluer pour commencer leur importance potentielle pour la prise de décision concernant le projet.

Dans les projets forestiers, les principales sources d'incertitude comprennent notamment:

1. Des facteurs naturels tels que la météorologie, l'incidence des feux, des insectes et des maladies, et la variation naturelle entre les essences et à l'intérieur d'une même essence poussant en des lieux différents. Ces éléments d'incertitude sont souvent particulièrement importants pour les projets de reboisement, du fait que le temps qui s'écoule entre l'investissement (plantation) et le profit (exploitation) peut être long (Dans certains cas ces facteurs peuvent faire l'objet d'une analyse de probabilité).

2. Des facteurs techniques et des facteurs de productivité relatifs à la transformation de différents types de bois, au rendement de la conversion, aux relations apports-production en sylviculture, aux effets de diverses techniques possibles (notamment traitements sylvicoles) sur les biens et services autres que le bois tirés de la forêt, à la productivité de la main-d'oeuvre, aux systèmes de transport, etc.

3. Des facteurs économiques et financiers relatifs aux valeurs admises pour les apports et les résultats, à la disponibilité et au coût du capital, etc.

4. Des facteurs humains liés à la disponibilité et au coût de la main-d'oeuvre, à la capacité de prédire des événements futurs (volumes de bois disponibles, marchés, etc.) et, ce qui est le plus important, à la capacité de gestion.

L'importance potentielle de chacune de ces sources d'incertitude dépendra des circonstances entourant le projet considéré. Théoriquement, l'analyste pourrait tester la sensibilité du projet à des changements dans les hypothèses concernant tous les paramètres d'apports et de résultats, et leur combinaison. En pratique, l'analyse de sensibilité doit se limiter à quelques sources potentielles d'incertitude importantes pour le projet étudié. L'analyste doit faire preuve de jugement pour décider quels paramètres il doit tester dans l'analyse de sensibilité, compte tenu des contraintes de temps et de budget. Si les valeurs futures concernant la main-d'oeuvre, par exemple, sont particulièrement incertaines, et que la main-d'oeuvre soit un élément important du projet, il faudra effectuer une analyse de sensibilité vis-à-vis de différentes hypothèses possibles concernant la valeur future de la main-d'oeuvre (voir exemple précédent). En règle générale, l'analyste devra analyser l'impact sur la valeur du projet, ou autres mesures choisies de l'efficacité économique, de changements dans les valeurs estimées des produits, du fait que ce sont souvent ceux-ci qui ont la plus grande influence sur le résultat final du projet. Il n'y a pas de règles pour choisir les paramètres ou combinaisons de paramètres à tester. Les études de cas de la FAO fournissent des exemples de choix d'éléments à tester dans diverses situations réelles de projets forestiers.

En règle générale, s'il a déterminé pour un projet une valeur nette actualisée ou un taux de rentabilité économique acceptable, en utilisant les estimations initiales de valeurs de paramètres (valeurs présumées), l'analyste sera intéressé de tester d'autres hypothèses de valeurs qui sont moins favorables vis-à-vis du résultat du projet, c'est-à-dire des coûts plus élevés et des bénéfices moins élevés. Les résultats donneront une idée de l'importance que devraient avoir des hausses imprévues des coûts ou des réductions de la valeur des bénéfices pour avoir un effet déterminant sur les mesures choisies de la valeur du projet (voir plus haut définition du terme déterminant).

En résumé, l'analyste commence par évaluer quels sont les principaux éléments d'incertitude et de risque probables pour le projet proposé. Ce faisant, il pourra déceler certains problèmes potentiels: retard au démarrage du projet, hausses de coûts possibles, goulets d'étranglement dans les approvisionnements en bois, aléas du marché, etc. Cette information lui fournira une première approximation des facteurs qui devront être testés dans l'analyse de sensibilité. Il examinera alors l'importance relative et l'échelonnement des divers facteurs de production et produits (qui peuvent être tirés des tableaux de flux de valeurs du projet), et relever tous ceux qui représentent une part importante des coûts ou des bénéfices du projet. Il fera ensuite une première estimation de la fourchette de valeur que l'on peut raisonnablement prévoir pour chacun, en s'appuyant sur l'expérience passée et les tendances projetées. A ce stade, l'analyste doit plutôt pécher par excès de prudence, c'est-à-dire prendre une fourchette trop large plutôt que trop étroite - il sera toujours temps de la rétrécir par la suite. Il doit aussi chercher à se faire une idée de l'interdépendance entre les valeurs des facteurs de production et des produits, par exemple la mesure dans laquelle des prix plus bas ou plus élevés pour certains facteurs de production et produits sont associés à des prix plus bas ou plus élevés pour d'autres facteurs de production et produits.

En pratique, l'analyste se retrouve en général avec un nombre limité de paramètres principaux à tester dans l'analyse de sensibilité. Comme on l'a déjà mentionné, les études de cas publiées en supplément de l'Etude FAO: Forêts n°17 (1979) fournissent des exemples pratiques d'analyse de sensibilité pour des projets forestiers réels.

7.5 L'analyse de sensibilité

Utilisant la liste de paramètres et les estimations des fourchettes plausibles de valeurs de ces paramètres (telles qu'établies à la première étape), l'analyste procède alors à l'analyse de sensibilité. Avec une organisation systématique, il est relativement simple d'effectuer cette analyse à l'aide d'une calculatrice de poche. Il en existe des modèles programmables qui peuvent aisément traiter les calculs complexes entrant en jeu dans une analyse de sensibilité. Si le temps le permet, il vaut mieux faire un certain nombre d'analyses de sensibilité plutôt que deux ou trois, car il est parfois malaisé de savoir à l'avance quels sont les facteurs auxquels le résultat du projet est sensible.

Outre l'analyse de différentes valeurs possibles de paramètres, l'analyste pourra chercher à tester la sensibilité des résultats à des retards dans l'exécution, et à des changements dans les hypothèses relatives à différents objectifs. Ce dernier type d'analyses de sensibilité s'applique à des cas où l'on a, à côté de l'objectif d'efficacité économique, d'autres objectifs tels que redistribution des revenus, qualité de l'environnement, amélioration de l'emploi, etc.

7.5.1 Utilisation des mesures de valeur nette actualisée pour l'analyse de sensibilité

Il est généralement souhaitable de tester la sensibilité des résultats du projet à une combinaison de changements dans les hypothèses de valeurs des facteurs de production et des produits, et à différents niveaux de valeurs pour des facteurs de production ou des produits donnés. Cette analyse de sensibilité peut se faire en utilisant soit la valeur nette actualisée du projet soit son taux de rentabilité économique, mais la première est la plus couramment utilisée.

Le tableau 7.1 présente les résultats d'une analyse de sensibilité concernant un projet de bois de feu en République de Corée.[32] Avec un taux d'actualisation de 12 pour cent, on trouve une valeur nette actualisée du projet de 102 500 won/ha. Le tableau montre la sensibilité de la valeur nette actualisée à un changement de 20 pour cent dans l'un ou l'autre des principaux éléments de coûts et de bénéfices indiqués dans la colonne 1.

Tableau 7.1 Etude de cas bois de feu en Corée - analyse de sensibilité (won/ha)

Un changement de 20 pour cent dans les coûts ou bénéfices suivants:

entraîne les changements suivants dans la VNA* du projet (taux d'actualisation 12%):

1. Plants

14 200

2. Plantation

8 400

3. Fertilisation

2 100

4. Supervision

4 070

5. Divers - outils

1 500

6. Exploitation

32 650

7. Prix du bois de feu

79 580

Source: Etude de cas n°2. FAO (1979).
* Valeur nette actualisée (102 500 won/ha avec un taux d'actualisation de 12%).

On peut interpréter ce tableau comme suit (en prenant le coût de plantation comme exemple):

En d'autres termes, le tableau peut être utilisé pour estimer des changements dans la VNA dus à une hausse ou à une baisse dans la valeur d'un facteur quelconque donné.

Outre cette interprétation générale, on peut également estimer la sensibilité de mesures de la valeur du projet en fonction de:

Il faut noter que le tableau ne renseigne pas l'analyste sur l'interaction entre facteurs, autrement dit ne lui indique pas quelles sont les combinaisons et les amplitudes de changements les plus probables. Cela reste une affaire de jugement de la part de l'analyste. Mais une fois qu'il aura arrêté les combinaisons probables, il pourra en évaluer les effets à l'aide du tableau de sensibilité. D'autre part, on a supposé que les effets de changements dans la valeur d'un paramètre sont en relation linéaire avec la mesure de la valeur du projet (la VNA dans le cas présent).

Dans certains cas on utilise le taux de rentabilité économique (TRE) au lieu de la valeur nette actualisée (VNA) comme mesure de l'efficacité économique. Il faut alors, dans l'analyse de sensibilité, recalculer le TRE pour chaque changement dans une hypothèse ou une combinaison d'hypothèses.

L'analyse de sensibilité faisant appel à la VNA peut également fournir des informations essentielles concernant la sensibilité du TRE à des changements dans la valeur des paramètres de coûts ou bénéfices. Cela résulte des définitions discutées au chapitre 6, où l'on a souligné que lorsque la VNA est égale à zéro le TRE est égal au taux d'actualisation utilisé pour le calcul de la VNA. Par conséquent, dans l'analyse de sensibilité de la VNA, lorsque les coûts s'accroissent (ou que les bénéfices décroissent) jusqu'au point où VNA = 0, le TRE est égal au taux d'actualisation utilisé. Ce point d'équilibre ou seuil de rentabilité est important pour l'organe de décision (voir section 7.5.2).

Si l'analyste désire tester la sensibilité du TRE à des changements déterminés dans la valeur des paramètres (autres que ceux pour lesquels la VNA est égale à zéro), il lui faudra recalculer le TRE pour chaque changement de valeur. Avec un ordinateur, il est très simple de traiter un grand nombre de combinaisons en peu de temps. Si l'on utilise une calculatrice de bureau, la méthode est tout aussi simple, mais l'exécution bien plus lourde en temps et en nombre d'étapes nécessaires (Il faut souligner qu'il existe des calculatrices relativement peu coûteuses qui peuvent traiter ce type d'analyse de sensibilité d'une manière rapide et relativement simple).

7.5.2 Recherche du seuil de rentabilité

Un type courant d'analyse de sensibilité est l'analyse d'équilibre. Il est intéressant pour l'agent de décision de savoir dans quelle mesure les valeurs des paramètres d'un projet peuvent changer avant que la valeur du projet ne devienne inacceptable, quels que soient les critères d'acceptabilité. Il pourra par exemple chercher à savoir jusqu'où les coûts peuvent augmenter, ou les bénéfices diminuer, avant que la VNA ne tombe au-dessous de zéro, ou que le TRE ne tombe au-dessous du taux d'actualisation admis. De même, dans le cas d'un projet accusant une VNA négative ou un TRE inférieur au taux directeur, l'agent de décision pourra chercher à savoir dans quelle mesure les coûts devraient diminuer, ou les bénéfices s'accroître, pour rendre le projet acceptable au regard des critères choisis. Ce type d'analyse d'équilibre fournit une information utile en particulier dans les cas où la décision au sujet d'un projet s'appuiera sur un certain nombre de considérations en outre de la rentabilité économique.

A strictement parler, l'analyse d'équilibre est généralement effectuée en faisant varier la valeur d'un seul paramètre, tous les autres étant maintenus constants à leurs valeurs présumées. Toutefois, on peut aussi l'effectuer vis-à-vis d'un changement général dans les coûts ou les bénéfices, par exemple en déterminant quel est le pourcentage de changement dans l'ensemble des coûts nécessaire pour atteindre le point d'équilibre, où VNA = 0, ou TRE = le taux d'actualisation accepté.

Les valeurs des paramètres testés qui rendent la VNA égale à zéro ou le TRE égal au taux d'actualisation accepté sont appelées valeurs critiques ou valeurs seuils. Ce sont les valeurs qui déterminent le seuil de rentabilité d'un projet, et peuvent faire passer d'une décision positive à un refus du projet, ou vice-versa.

Dans les cas où l'incertitude au sujet des valeurs ou des bénéfices futurs est particulièrement élevée, l'analyste peut utiliser une méthode de prix de revient. Il calcule alors le prix ou la valeur du produit qui rendrait les bénéfices égaux aux coûts, en les actualisant au taux d'actualisation accepté. C'est donc une simple variante de l'analyse d'équilibre générale. L'exemple ci-dessous de calcul de prix de revient (Encadré 7.2) illustre cette approche.

Encadré 7.2 Analyse d'équilibre

Un projet de plantation est à l'étude. L'analyste a une assez bonne certitude quant aux coûts en jeu - 250 $/ha pour la plantation à l'année 0, et 10 $/ha/an à partir de l'année 1. Les techniciens ont une bonne idée des rendements moyens à attendre et de la durée de révolution optimale, et prévoient un rendement de 428 m3/ha à 15 ans. La valeur actuelle des bois sur pied est de 5 $/m3, mais elle subit des fluctuations, et l'on prévoit qu'une demande intensive sur des disponibilités limitées poussera les prix à la hausse dans l'avenir. L'analyste est incertain de la valeur des bois sur pied dans 15 ans (Il a utilisé une valeur présumée de 7$/m3, en s'appuyant sur une projection des tendances passées dans les prix réels). Etant donné cette incertitude, une information utile serait la valeur des bois sur pied qui rendrait la VNA du projet égale à zéro au taux d'actualisation applicable de 10 pour cent. La tâche de l'analyste est de calculer cette valeur, que l'on appellera prix de revient.

L'analyste peut aborder le calcul en partant de valeurs futures (à l'année 15) ou de valeurs actuelles. Etant donné qu'il est plus facile (une étape de moins) et plus logique de raisonner dans l'avenir, l'analyste fait un calcul d'intérêts composés au lieu d'actualiser les valeurs futures. Il utilise l'équation générale suivante:

Coût de plantation (C) + intérêts composés sur 15 ans
+ Coûts annuels (Ai) + intérêts composés sur 14 ans
= Prix (P) x Rendement (R)

Etant donné que l'analyste cherche à calculer P, l'équation devient:

(Nota: Le facteur d'intérêts composés de paiements annuels est tiré de l'Annexe 6.1)

Ce prix de revient de 3,10 $/m3 signifie que, les autres valeurs étant celles présumées, le coût de production des bois sur pied est dans ce projet, en admettant un taux de rendement du capital de 10 pour cent, de 3,10 $/m3. En d'autres termes, le prix des bois sur pied pourrait descendre à 3,10 $/m3, et le projet serait en équilibre à 10 pour cent. Etant donné que l'on est pratiquement certain que le prix sera au moins au niveau actuel de 5 $/m3, on peut admettre que le projet a de bonnes chances de procurer au moins les 10 pour cent de rendement requis pour ce type de projet.

Si le prix de revient s'était établi aux environs de 6 $/m3 (c'est-à-dire au-dessus du prix actuel mais au-dessous de l'estimation de l'analyste de 7 $/m3), l'analyste pourrait chercher à examiner le projet de plus près, en employant l'un des moyens proposés dans les sections suivantes.

La méthode du prix de revient a d'autres applications dans les cas où un projet comporte des biens et services non marchands, par exemple des effets sur l'environnement. Elle indique à l'organe de décision quelle doit être la valeur attribuée à ces biens ou services pour que le projet atteigne le seuil de rentabilité en fonction du taux d'actualisation social applicable. L'agent de décision pourra ne pas être en mesure de décider de la valeur précise d'un bien ou service non marchand produit par le projet, mais il pourra dire: “Il vaut au moins tant, par conséquent le projet est acceptable d'un point de vue économique.” Ou encore, si le prix de revient est très élevé, il pourra dire: “Je ne puis justifier la valeur indiquée par le calcul de prix de revient. Par conséquent, je ne puis considérer le projet comme acceptable économiquement, et il devra être rejeté, ou remodelé afin de réduire les coûts.”

7.6 Traitement des facteurs critiques identifiés dans l'analyse de sensibilité

Lorsqu'un changement plausible dans l'hypothèse faite au sujet de la valeur présumée d'un paramètre donné (ou d'une combinaison de paramètres) est déterminant du point de vue des résultats attendus d'un projet, il est souhaitable d'obtenir une information supplémentaire sur ce ou ces paramètre(s), si du moins c'est possible.[33]

Il pourra être nécessaire pour cela d'estimer la probabilité que différentes valeurs se présentent, en utilisant des techniques d'échantillonnage statistiques avec les données disponibles. Ou bien on pourra se contenter de probabilités subjectives, ou recourir à un certain nombre d'autres méthodes moins rigoureuses pour obtenir davantage d'information sur la probabilité ou la présence des valeurs qui sont déterminantes pour le résultat du projet.

On pourra consulter les techniciens et la littérature existante pour obtenir des estimations de valeurs des paramètres et de leur amplitude de variation dans des conditions changeantes. Il faudra consacrer des efforts plus précis aux études de marché. En outre, les auteurs de projets pourront souvent trouver auprès de laboratoires nationaux ou internationaux de technologie du bois une masse d'information sur les caractéristiques des essences forestières et de leur bois. Il convient de tirer parti au maximum d'une telle information. On pourra de même trouver auprès d'autres sources une information sur la production biologique, les problèmes d'insectes et de maladies, etc. Dans la plupart des cas, on manque de données sur lesquelles on puisse baser une analyse de probabilité objective, et on ne peut les obtenir en un temps limité. Il n'en reste pas moins que l'on dispose souvent d'une quantité d'informations utiles pour déterminer des probabilités subjectives.

Si un supplément d'information sur les paramètres critiques indique qu'il y a des chances non négligeables (une chance sur 20, par exemple) que ces paramètres prennent des valeurs qui influeraient sur la décision concernant un projet, on disposera des possibilités suivantes - qui ne s'excluent pas mutuellement:

Nous discuterons ci-dessous les deux premières de ces possibilités. La troisième se rapporte aux questions plus générales entourant les prises de décisions au sujet des projets, et sort du champ de ce guide.

7.6.1 Changement de la conception du projet

On pourra éventuellement réduire l'incertitude en redéfinissant le projet, par exemple en changeant son échelle, en modifiant les proportions des différents facteurs, en l'intégrant selon le cas avec une transformation des bois ou avec une production de matière première. Ou encore, on pourra donner au projet davantage de souplesse en organisant ses diverses activités d'une manière différente et selon un calendrier différent de celui initialement prévu, ou en introduisant une plus grande latitude dans le choix des facteurs de production ou des résultats finaux du projet, etc.

Quelques exemples montreront comment la reformulation d'un projet peut permettre de réduire l'incertitude. Si l'échelle initiale du projet était telle qu'elle permettait de répondre à une demande future estimée du marché quelque peu incertaine, elle pourra éventuellement être réduite de telle sorte que la capacité du projet se rapproche d'une estimation plus basse de la demande du marché, ce qui réduira l'effet sur le projet de l'incertitude du marché. En même temps, s'il intervient des économies d'échelle, les coûts pourront se trouver accrus. Dans ce cas le planificateur doit mettre en balance la réduction de l'incertitude et l'augmentation des coûts. Ou encore, on pourra remanier le projet de façon à démarrer avec une scierie de plus faible capacité ou une plantation de plus modeste étendue, et accroître progressivement cette capacité par tranches, à mesure que les conditions futures estimées du marché, la disponibilité de facteurs de production, etc. deviendront moins incertaines. Il existe encore d'autres possibilités de remanier un projet en réponse à l'incertitude (voir exemples dans l'encadré 7.3).

Encadré 7.3 Réponses à l'incertitude

En réponse à l'incertitude, on pourra retarder l'investissement dans certaines infrastructures fixes, telles que routes et bâtiments, jusqu'à ce que la situation concernant les conditions futures soit moins incertaine. L'effet potentiel de débouchés incertains pour un produit déterminé d'un projet d'industrie forestière pourra être réduit en diversifiant la gamme de productions. On pourra par exemple adjoindre à un projet de scierie une unité de production de moulures de façon à accroître sa souplesse, en ayant la faculté de passer des sciages aux moulures en fonction des conditions du marché.

Dans les projets de reboisement, la diversification peut également aider à réduire l'incertitude. Par exemple, en plantant plusieurs essences on réduira les risques d'attaques d'insectes et de maladies par rapport à une plantation monospécifique. La diversification des essences réduira aussi l'incertitude des débouchés futurs si les essences plantées ont des caractéristiques et des emplois qui se chevauchent dans une certaine mesure, mais aussi certaines caractéristiques uniques qui permettent de les orienter vers différents débouchés selon les conditions du moment. Un exemple de projet incluant explicitement ce type de souplesse est le projet de bois de feu de Corée: une partie des surfaces plantées comprend des essences à double fin pouvant être utilisées soit pour le combustible soit pour le bois d'oeuvre, selon l'évolution future des conditions du marché du bois de feu.

Une mise en garde s'impose en ce qui concerne le remaniement d'un projet. Dans la plupart des cas, si la conception initiale du projet s'appuyait sur une analyse poussée des diverses solutions possibles, elle a sans doute été considérée comme optimale vis-à-vis des critères employés pour juger de la valeur du projet et de sa contribution à l'économie. Si l'on entreprend de la remanier, il y a de fortes chances pour que les coûts prévus augmentent ou que les profits escomptés diminuent par rapport à la conception optimale initiale. Il faudra alors mettre en balance des niveaux plus bas d'incertitude et des niveaux plus bas de valeur du projet (par rapport à ce qu'on attendait du projet initial). Le planificateur pourra tenter de calculer et faire ressortir certains des choix à faire, mais l'arbitrage entre les solutions possibles restera une affaire de jugement. On ne peut établir aucune règle générale, étant donné qu'il est difficile de chiffrer la pondération subjective de l'incertitude par l'agent de décision.

Le remodelage d'un projet ne résoudra pas tous les problèmes d'incertitude, et il faut l'aborder avec précaution. Dans bien des cas il ne sera pas désirable, et il faudra recourir à d'autres méthodes pour répondre à l'incertitude. Dans certains cas d'incertitude incontrôlable, le remaniement du projet ne sera pas possible vis-à-vis de ses objectifs, et il pourra être nécessaire d'employer d'autres méthodes.

7.6.2 Comment introduire dans un projet des sauvegardes et une plus grande souplesse

On peut introduire dans les projets diverses sauvegardes, par exemple: une assurance sur divers éléments du projet (ce qui accroît son coût mais réduit le risque pour l'entité qui l'entreprend); des provisions pour imprévus physiques (ce qui est en réalité une forme d'auto-assurance); majorer le taux d'actualisation utilisé pour calculer la VNA du projet, ou arbitrairement abaisser la valeur estimée des produits ou accroître celle des facteurs de production dans les calculs de PRE ou de VNA.

Ces artifices peuvent ne pas être sensibles aux incertitudes reconnues. Par exemple, en majorant le taux d'actualisation on pénalise les coûts et bénéfices futurs plus que les coûts et bénéfices actuels ou prochains, or ce n'est pas forcément là que se situent les principales incertitudes. D'autre part, une majoration arbitraire des coûts (par exemple provision pour imprévus ou assurance) ou une réduction arbitraire des bénéfices laisserait supposer, pour un taux d'actualisation donné, que l'incertitude au sujet des valeurs futures est moins importante que celle concernant les valeurs actuelles ou prochaines. Cela peut ne pas correspondre aux niveaux et à la répartition dans le temps de l'incertitude identifiée. En dépit de leurs faiblesses, ces méthodes sont largement utilisées comme moyen commode de réduire le risque d'échec ou de taux de rentabilité inférieur aux prévisions. Cela revient en somme à dire que le critère d'acceptabilité du projet est rendu plus rigoureux, autrement dit que le projet doit montrer une efficacité meilleure que le seuil d'acceptabilité. Une provision pour imprévus, pour parer à l'incertitude physique, est probablement le moyen le plus satisfaisant de traiter le problème, en effet il n'a pas tendance à dissimuler ce qui est fait aux yeux de l'organe de décision.[34]

On peut concevoir un projet en prenant en considération des imprévus déterminés. Par exemple, dans le cas d'un projet de reboisement industriel prévu en Tanzanie, il était reconnu qu'une incertitude majeure résidait dans l'éventualité que l'usine de pâte et papier projetée pour utiliser le bois produit ne soit pas construite. Le plan prévu pour parer à cet imprévu, dans l'éventualité improbable que l'usine ne soit pas construite, était le suivant: (1) réduction progressive du programme de plantation, pour le stopper au bout de cinq ans; (2) amener les arbres plantés à un âge d'exploitation de 25 ans pour produire des grumes de sciage, au lieu de la révolution plus courte prévue pour le bois à pâte. L'analyse du projet montra qu'il y aurait des débouchés acceptables pour les volumes de sciages qui seraient alors produits. Le même type de “planification des imprévus” a été introduit dans le projet de plantation de bois de feu en Corée, en plantant une partie de la surface avec des essences à double fin - bois de feu et bois d'oeuvre.

Il convient de faire deux dernières remarques au sujet de l'incertitude. Tout d'abord, l'incertitude est souvent liée aux objectifs du projet et aux critères de mesure de son efficacité pour atteindre ces objectifs. Nous ne discuterons pas de ce sujet ici, surtout parce qu'il cadrerait mieux avec une discussion sur la planification du secteur forestier, autrement dit c'est une question qui dépasse le cadre de la planification d'un projet particulier pour un objectif donné. Les objectifs assignés à un projet donné doivent procéder d'une évaluation plus générale de l'état du secteur et de l'orientation qu'il doit prendre. Le principal problème qui se présente avec les objectifs au niveau du projet se rapporte à leur définition. Il est dénué de sens de planifier un projet si l'on n'a pas au préalable défini clairement ses objectifs. Une fois les objectifs définis, les critères en découlent logiquement. Mais il y a des cas où les critères sont mal précisés, surtout parce que les objectifs sont contradictoires ou sont trop vaguement définis. L'incertitude dans ce cas est liée au manque de moyens d'arbitrage précis entre les divers objectifs contradictoires. L'analyse de sensibilité peut apporter une information sur laquelle l'organe de décision pourra fonder des jugements subjectifs concernant cet arbitrage. L'incertitude qui intervient ici se rapporte en réalité à l'incertitude concernant les valeurs relatives attribuées par la société ou par les organes de décision aux divers objectifs considérés.

Enfin, une question logique est celle-ci: combien faut-il dépenser pour réduire l'incertitude? En règle générale, cela dépend de la nature du projet et du budget disponible. Dans certains cas, un faible effort ou une faible dépense supplémentaire peut avoir pour résultat une réduction marquée de l'incertitude. Dans d'autres cas, une dépense importante aura peu d'effet à cet égard. Un jugement s'appuyant sur l'expérience passée et sur la connaissance de l'information disponible et le coût de son obtention fournira une idée de la relation particulière coût-bénéfice rencontrée par l'analyste. Comme le montre l'encadré 7.4, l'intérêt qu'il peut y avoir à réduire l'incertitude est une question de jugement, à laquelle il faudra répondre pour chaque cas particulier.

Encadré 7.4 L'importance relative

Dans le cas d'un projet d'expansion de la production de contreplaqué en Haute Amazonie, les analystes et les bailleurs de fonds décidèrent que la forte incertitude entourant les estimations de disponibilités totales de bois dans la région n'avait pas d'incidence sur la viabilité du projet. On savait que le projet pourrait disposer de volumes suffisants à un prix acceptable, et même l'estimation la plus basse indiquait des disponibilités suffisantes pour procurer au projet une large marge de sécurité. En revanche, dans le cas d'un projet intégré de sciage et de pâte et papier au Honduras, on a dépensé beaucoup d'argent dans des inventaires détaillés, afin que les bailleurs de fonds soient bien certains que le projet disposerait de volumes de bois suffisants à un coût acceptable avant de décider de l'échelle des installations industrielles et d'engager des sommes importantes dans les bâtiments, les équipements et les infrastructures. Dans ce cas, l'incertitude concernant les approvisionnements en bois et leur coût était considéré comme un facteur critique.



[31] Par exemple, lorsque la valeur nette actualisée du projet passe de positive à négative, en utilisant le taux d'actualisation recommandé pour les coûts et bénéfices, ou lorsque le taux de rentabilité économique tombe au-dessous du taux d'actualisation utilisé pour évaluer les projets publics.
[32] Voir Etude de cas n°2. FAO (1979).
[33] Voir plus haut à la section 7.2 ce qu'il faut entendre par les termes de plausible et de déterminant.
[34] On trouvera dans Gittinger (1982) une discussion plus poussée des provisions pour imprévus.

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