Page précédente Table des matières Page suivante


Les arbres, les produits de la forêt et la nutrition

La forêt et les arbres fournissent des aliments en complément des sources agricoles traditionnelles. Pourtant, naguère encore, forestiers et nutritionnistes ne prêtaient qu’une faible attention aux aliments de la forêt. Dans de nombreuses régions du monde, les produits forestiers autres que le bois, définis comme «produits d’origine biologique autres que le bois et services issus des forêts et des emplois du sol connexes» (FAO, 1995a), jouent un rôle biologique et social important dans les systèmes alimentaires locaux. Ils peuvent apporter une véritable contribution à la nutrition comme élément du régime alimentaire ou comme atout de la sécurité alimentaire des familles. Ils servent la santé par leur rôle dans la prévention et le traitement des maladies. Les pauvres qui habitent en forêt ou alentour, particulièrement les gens sans terre, les femmes et les enfants, dépendent à divers degrés de l’exploitation des ressources communes de la forêt dans la vie courante ou en période de crise.

Les aliments de la forêt peuvent constituer durablement un élément significatif des régimes alimentaires. Leur consommation élargit la base de l’alimentation, diversifie le régime alimentaire et contribue à prévenir les carences nutritionnelles ainsi qu’à maintenir l’équilibre de l’alimentation. Ces aliments proviennent de sources naturelles locales qui font partie de l’écosystème local ou sont compatibles avec lui. Les produits forestiers autres que le bois contribuent aussi à la sécurité alimentaire et à la santé familiales. Les feuilles et les fruits sauvages contiennent beaucoup de nutriments essentiels. Les graines, noix, racines et tubercules trouvés dans la forêt fournissent des lipides et des hydrates de carbone. Les champignons, gommes et sèves fournissent des protéines et des minéraux. Les animaux sauvages de la forêt fournissent souvent une bonne part de la viande consommée par les gens qui vivent en zone forestière ou alentour. D’autres ressources forestières jouent un rôle majeur dans l’économie de nombreux ménages en fournissant du bois de construction, du combustible et des intrants de production agricole, ou encore comme source de revenus; tout cela contribue à la sécurité alimentaire des ménages.

Dans certaines communautés du Swaziland, on a pu montrer que les feuilles sauvages fournissent autant de carotène, de vitamine C, de calcium et de fer que les feuilles des plantes cultivées et que la moitié des adultes font usage de 48 variétés de feuilles. Les enfants des plaines du Kenya et du Swaziland recueillent en forêt divers aliments pour compléter leur régime, surtout pendant la saison froide. En Afrique de l’Ouest, de la Gambie au Cameroun, les fèves du caroubier (Parkia sp.), une légumineuse arbustive permanente, fournissent un aliment riche en protéines et en lipides, connu sous le nom de dawadawa ou soumbara. Il est malaisé d’obtenir les chiffres de la production annuelle, car les caroubes n’entrent pas dans les circuits commerciaux habituels; selon une estimation qui remonte à 1980, 200 000 tonnes de fèves seraient récoltées dans le nord du Nigéria chaque année (Campbell-Platt, 1980). Les jardins domestiques où les plantations d’arbres sont mêlées aux cultures horticoles illustrent un type remarquable d’agroforesterie et fournissent à certaines communautés rurales une part significative de l’énergie alimentaire qu’elles consomment. Dans le sud-est du Nigéria, les grands enclos traditionnels peuvent contenir plus de 60 essences d’arbres fournisseurs de produits comestibles (Okafor et Fernandes, 1987). Les aliments de la forêt tirent une part de leur importance du fait qu’ils sont fréquemment disponibles en période de soudure, alors que les autres aliments sont rares.

Les produits forestiers autres que le bois n’ont pas reçu l’attention qu’ils méritent dans les plans de développement, et la plupart des programmes de nutrition sous-estiment aussi leur intérêt. Les responsables des forêts doivent jouer un rôle majeur dans la promotion de ces produits, sans limiter ce rôle à la formulation et à la promotion de méthodes d’exploitation durables. C’est désormais chose admise: il faut considérer la forêt comme un système dynamique et tenir compte des besoins des populations locales, particulièrement en matière de sécurité alimentaire et de nutrition, chaque fois qu’il est question de productivité ou d’environnement. Cependant, les services forestiers ne sont pas seuls responsables de ces aspects. Il faut éclairer tous les agents de développement des gouvernements et des organisations non gouvernementales opérant en zone forestière ou alentour, et surtout les vulgarisateurs et les agents de santé publique, à propos des contributions actuelles et potentielles des produits forestiers. Il faut en outre les impliquer dans les efforts de promotion de la sécurité alimentaire et de la nutrition des populations locales fondées sur les ressources disponibles.

Il est important de développer la recherche technologique, de fixer des normes de qualité et d’élaborer des stratégies de communication pour informer les consommateurs, afin d’assurer la percée commerciale des produits forestiers dotés d’un véritable potentiel économique.

La conservation des aliments

Le caractère saisonnier de l’horticulture fait sérieusement obstacle à l’exploitation rentable des fruits et des légumes, surtout dans les pays tropicaux. Les produits horticoles mûrissent pendant une courte saison, à peu près tous en même temps et en quantités dépassant de beaucoup la capacité d’absorption du marché. Les bas prix pratiqués au moment de la cueillette poussent les producteurs à s’abstenir de vendre, et c’est ainsi que des volumes considérables de fruits et de légumes sont mis au rebut. Le séchage de certains aliments riches en nutriments, comme la mangue ou les feuilles vertes, peut permettre d’améliorer le revenu et la situation nutritionnelle des familles, car les aliments séchés sont parfois bien cotés sur les marchés.

Dans beaucoup de pays d’Afrique, du Niger à la Zambie, les femmes appliquent des techniques de séchage solaire à certains fruits, légumes, champignons et tubercules riches en vitamine A et en fer (encadrés 23 et 24). La vente de ces produits sur les marchés locaux fournit un revenu appréciable. Au Niger, on introduit depuis peu dans la consommation des écoliers le cuir de mangue, qui est un concentré de pulpe de mangue en feuille que les femmes vendent couramment dans la rue. Des informations pratiques sur les techniques de conservation et sur la construction et l’utilisation des séchoirs solaires sont disponibles dans les publications de la FAO intitulées Techniques de transformation et de conservation artisanales de fruits et légumes (FAO, 1988d) et Fruits and vegetable processing (FAO, 1995c). La conservation est également traitée au chapitre 6.

Facteurs à prendre en compte dans la diversification de la production alimentaire

Deux facteurs importants à prendre en compte dans l’adoption d’une politique de diversification alimentaire sont l’acceptabilité des produits et la capacité des marchés à absorber les surplus. Plusieurs céréales à petits grains l’emportent sur les autres: sur le plan nutritionnel, par leur qualité protéique et, sur le plan écologique, par leur fiabilité productive en situation de pluviosité irrégulière et d’intrants limités. En revanche, elles sont plus difficiles à transformer que le maïs ou le riz. Certes, les technologies de transformation mécanique par mouture abrasive sont au point, mais elles ne sont pas souvent disponibles au niveau des villages.

D’autres aliments d’origine étrangère, comme le soja, se heurtent parfois au départ à des problèmes initiaux d’acceptabilité. En pareil cas, un solide programme d’éducation des consommateurs aidera à stimuler une demande locale soutenue.

ENCADRÉ 23
SÉCHAGE DE LÉGUMES À MANTAPALA, EN ZAMBIE,
POUR REMÉDIER AUX PÉNURIES SAISONNIÈRES

A Mantapala, presque tous les ménages conservent quelques légumes locaux à la fin de la saison des pluies, entre février et mai. Toutefois, les quantités conservées sont variables, et certaines personnes les ont épuisées dès le mois de mai. Le séchage au soleil reste la méthode la plus utilisée. Les légumes le plus souvent conservés sont les feuilles de haricot, de citrouille et de dolique, le mulembwe, le mankolobwe et les champignons. La conservation de ces légumes produits localement est de plus en plus fréquente car les autres sources de condiments, en particulier le gibier local (singe, antilope, chèvre sauvage, kob), commencent à se tarir.

Source: FAO, 1992g.

Il faut aussi vérifier que les marchés sont prêts à gérer un flux plus abondant de denrées alimentaires plus variées. Pour ce qui est du soja, les marchés s’ouvriront probablement si l’on a encouragé l’utilisation d’un soja cultivé sur place dans la fabrication d’aliments du bétail et pour d’autres usages alimentaires comme l’extraction de l’huile. De même, le séchage des cossettes de manioc pour la fabrication d’aliments du bétail peut contribuer à stabiliser les prix du marché et stimuler une augmentation de la production.

Les gouvernements, et plus particulièrement les autorités locales, peuvent favoriser l’efficacité des services commerciaux en allouant des infrastructures aux marchés locaux. Ces marchés peuvent servir de lieu de rencontre où les producteurs peuvent vendre leurs produits aux intermédiaires qui les transportent sur les marchés urbains. Les marchés locaux comptent beaucoup aussi comme sources d’aliments pour les travailleurs ruraux agricoles et non agricoles, les artisans et les pauvres. Toute amélioration des marchés locaux peut avoir des répercussions positives sur la sécurité alimentaire et l’allègement de la pauvreté rurale.

La main-d’œuvre nécessaire est un autre facteur qu’il faut évaluer soigneusement avant d’introduire dans une communauté de nouvelles cultures ou de nouveaux systèmes de production, par exemple les potagers familiaux. La dimension travail revêt une importance particulière pour apprécier le temps dont disposent les femmes et leurs possibilités d’investir avantageusement dans d’autres activités les ressources disponibles. Par exemple, si le but premier d’une intervention sur une stratégie de diversification alimentaire consiste à améliorer l’état nutritionnel des femmes et des enfants d’âge préscolaire, il est possible dans certaines circonstances d’arriver le plus sûrement à ce résultat en réduisant la charge de travail des femmes, grâce à l’aménagement d’un nouveau puits et d’un nouveau moulin à grain avant d’installer des jardins potagers ou de nouveaux champs de mil. Il est donc utile de bien comprendre les processus de production et de distribution du travail selon le sexe, ainsi que d’apprécier avec exactitude les perceptions, les priorités et les contraintes des producteurs et des consommateurs en encourageant la participation des communautés aux phases de planification de la stratégie proposée.

ENCADRÉ 24
LES TECHNIQUES AMÉLIORÉES DE SÉCHAGE PROTÈGENT
LES NUTRIMENTS

Depuis des temps immémoriaux, la méthode la plus courante pour conserver les fruits, les légumes, la viande et le poisson est le séchage au soleil. En réduisant la teneur en eau des denrées alimentaires, on empêche la croissance des microorganismes responsables de la pourriture. Les activités enzymatiques et biochimiques sont pratiquement stoppées, ou fortement réduites. Les aliments déshydratés peuvent se conserver pendant longtemps à la température ambiante et fournir ainsi des nutriments quand il n’y a plus de denrées fraîches.

Le séchage au soleil et à l’air libre comporte des inconvénients: infestation par les insectes, contamination par la saleté, les oiseaux ou les rongeurs, détérioration par les pluies éventuelles. L’utilisation de séchoirs solaires pour remplacer le séchage à l’air libre a l’avantage d’offrir une température ambiante plus élevée et un flot d’air continu qui améliorent considérablement les niveaux de séchage. Le produit obtenu est de meilleure qualité et mieux protégé puisqu’il se trouve dans les compartiments du séchoir solaire.

Dans un séchoir solaire, la chaleur des radiations est absorbée par une surface noire. A l’intérieur du séchoir, la température peut se maintenir entre 60 et 70 °C, ce qui réduit la détérioration des vitamines et autres nutriments. De récents résultats obtenus en laboratoire en utilisant du liquide chromatographique à haute pression pour séparer les caroténoïdes montrent que la rétention du carotène après séchage solaire est de 40 à 80 pour cent selon le produit, soit un taux bien supérieur à celui qui est obtenu avec les méthodes traditionnelles de séchage. Par exemple, les feuilles fraîches de dolique contiennent 2 435µg d’équivalent de rétinol pour 100 g; les feuilles séchées dans un four solaire contiennent encore 2 071 µg, alors que les feuilles séchées par des méthodes traditionnelles n’en ont que 847 µg.

Le séchoir solaire n’exige pas de matériaux de construction sophistiqués. On peut construire un séchoir de type familial pour 10 $EU. Le coût d’un séchoir de type communal, qui peut être utilisé par tous les membres de la communauté, est d’environ 250 $EU.

Source: FAO, 1993b.

Souvent, l’intérêt principal d’un producteur consiste à s’assurer un marché régulier et à réaliser le profit maximal. La commercialisation des fruits, des légumes et autres produits horticoles présente des problèmes spéciaux en raison du caractère fragile et périssable de ces denrées alimentaires. Un moyen permettant d’éviter les surplus de production consiste à étaler les semis de certaines cultures. Les services de vulgarisation jouent un rôle crucial en fournissant aux producteurs et aux consommateurs des informations pertinentes et adaptées sur les variétés, le stockage, la commercialisation et la consommation. Les bons agents de vulgarisation et de marketing écoutent les producteurs pour mieux comprendre les contraintes qui prévalent dans la zone de production en ce qui concerne les intrants, les fournisseurs, les transporteurs et les acheteurs (figure 21). Ils tiennent aussi à aiguiser leur connaissance des désirs du consommateur en parlant avec les intermédiaires, les grossistes, les détaillants et les consommateurs urbains (figure 22).

Promouvoir la diversification des régimes alimentaires

Il est souvent dit que les habitudes alimentaires sont difficiles et lentes à changer; c’est peut-être vrai s’il s’agit de changements volontaires. Sur le plan psychologique, l’aliment est étroitement associé à la famille, à la communauté et à la sécurité; les aliments familiers contentent et rassurent, particulièrement les aliments traditionnels de l’enfance, qui réveillent souvent des émotions. Néanmoins, dans la plupart des pays d’Afrique, les trois dernières générations sont passées par des changements très profonds de leurs approvisionnements et de leurs régimes alimentaires. Dans certaines zones urbaines, ce sont désormais les aliments introduits qui prédominent. L’aliment de base courant est la farine de maïs, la céréale préférée est le riz, et le pain de blé est un luxe très recherché. Même en zone rurale, l’éventail des aliments locaux traditionnels s’est considérablement rétréci.

Les gens mangent les aliments qu’ils aiment, qui sont disponibles et qu’ils peuvent se procurer. Si les aliments traditionnels se font rares et chers et que l’on n’a plus le temps ni la force de les produire, les transformer et les préparer, leur contribution au régime alimentaire de la famille diminue. Est-ce que les gens aiment et désirent encore consommer des aliments traditionnels? Il semble bien que oui, en dépit de l’urbanisation ou peut-être à cause d’elle. Comme le mentionnait le chapitre 4 dans sa section sur les habitudes urbaines de consommation, les produits caractéristiques vendus dans les rues des villes africaines sont pour la plupart des plats traditionnels et des aliments locaux. Par conséquent, une campagne de diversification des habitudes de consommation pourrait s’inspirer de ces préférences pour ouvrir à des produits agricoles plus variés des débouchés et des marchés nouveaux.

FIGURE 21
Comprendre ce qui se passe dans la zone de production

Source: FAO, 1990a.


FIGURE 22
Quels produits les clients désirent-ils?

Source: FAO, 1990a.

Le souhait de la diversification du régime alimentaire devrait recevoir le soutien d’une campagne publique en faveur de la diversification des repas servis dans les écoles et les hôpitaux et sur les lieux de travail. Cette campagne pourrait être financée par des subventions extérieures et par la vente de plats traditionnels et de collations variées. La fourniture aux vendeurs de rue d’équipements convenables pourrait rassurer les consommateurs les plus influents sur l’hygiène et la qualité des préparations et les encourager à donner l’exemple par leurs achats.

L’information et l’éducation nutritionnelles sont nécessaires pour que les gens puissent sélectionner en connaissance de cause les aliments qu’ils produisent, qu’ils achètent et qu’ils mangent. En effet, le succès des stratégies alimentaires qui visent à éliminer les carences nutritionnelles repose sur la volonté qu’ont les individus de changer leurs habitudes alimentaires. Néanmoins, l’information et l’éducation doivent dépasser les problèmes individuels et couvrir aussi les facteurs économiques, politiques et sociaux qui influencent les habitudes alimentaires et les choix des populations.

Les comportements touchant l’allaitement maternel illustrent les effets de la réalité sociale sur la nutrition. L’alimentation au sein ne comble pas seulement les besoins nutritionnels du nourrisson dans les quatre à six premiers mois de sa vie; elle le protège aussi contre la maladie pendant l’allaitement et après le sevrage. Les régimes de sevrage pauvres, trop volumineux, trop peu variés, trop riches en eau mais trop pauvres en protéines et en micronutriments risquent de compromettre le développement de l’enfant et son état nutritionnel. Il faut absolument tout faire pour maintenir la mère en bon état de santé et de nutrition, si l’on veut prévenir les carences en micronutriments chez elle et chez son nouveau-né. Si les pressions sociales risquent de réduire la durée de l’allaitement maternel, il faut encourager les maîtres d’école, les agents de santé et les vulgarisateurs à soutenir cette pratique et les bonnes méthodes de sevrage.

Comme les femmes exercent d’habitude la responsabilité principale pour l’alimentation dans un ménage, il est naturel que l’éducation nutritionnelle s’adresse surtout à elles. Cependant, les hommes du ménage influencent aussi le choix des aliments consommés, du fait qu’ils contrôlent généralement le gros des revenus de la famille. Il convient de dispenser une éducation et une formation en nutrition aux hommes et aux femmes et d’introduire cette matière dans le programme des écoles normales, des écoles primaires et secondaires, des collèges agricoles et des universités. L’emploi des médias, comme la radio et la télévision, prend également une importance croissante dans l’information et l’éducation du public sur la nutrition et l’hygiène de vie. L’éducation nutritionnelle est traitée plus en détail au chapitre 9.


Page précédente Début de page Page suivante