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Biodiversité forestière, nutrition
et santé des populations dans les
systèmesde production alimentaire
orientés vers le marché

T. Johns et P. Maundu

Timothy Johns travaille pour l’École de diététique et de nutrition humaine, Campus Macdonald, Université McGill, Ste Anne de Bellevue, Québec, Canada, et pour le Bureau régional pour l’Afrique subsaharienne de l’Institut international des ressources phytogénétiques (IPGRI), Nairobi, Kenya.
Patrick Maundu travaille aussi pour le Bureau régional pour l’Afrique subsaharienne de l’Institut international des ressources phytogénétiques (IPGRI), à Nairobi.

La diversité des systèmes de production et des écosystèmes naturels accroît les
possibilités de diversification des régimes alimentaires et les perspectives de durabilité.

Les écosystèmes forestiers contribuent à l’alimentation et à la subsistance de leurs habitants et, dans les économies orientées de façon croissante vers le marché, ils fournissent une bonne partie des aliments et des médicaments consommés par les populations urbaines. La prise de conscience de l’importance de l’utilisation durable des ressources forestières pour les moyens d’existence locaux et le bien-être des populations nationales justifie que l’on investisse dans la conservation de la diversité biologique forestière et dans son intégration avec les objectifs de réduction de la pauvreté, de sécurité alimentaire et de réduction des maladies dans les politiques de développement. Toutefois, il faut d’abord démontrer de manière plus complète que la biodiversité est indispensable pour combattre la malnutrition et les maladies des populations vulnérables, à un moment où la croissance démographique et la demande de ressources atteignent des niveaux sans précédent dans le monde. Le présent article décrit les éléments clés du lien entre la biodiversité forestière et la viabilité des systèmes alimentaires contemporains.

Quelques fruits néotropicaux du Brésil très riches en provitamine A

Fruit

Partie analysée

α-carotène
(µg/g)

β-carotène
(µg/g)

β-cryptoxanthine
(µg/g)

Autres caroténoïdes
(µg/g)

Activité vitamine A dans les aliments composés
(équivalents d’activité rétinol/100 g)

 

 

Mauritia vinifera

Pulpe

80,5

 

360

 

 

 

γ-carotène, 37

3 050

 

Astrocaryum vulgare

Pulpe

 

107

 

3,6

 

 

930

 

Eugenia uniflora

Pulpe

 

 

9.5

 

 

 

b-zeacarotène, 5,9

830

 

Acrocomia makayayba

Pulpe

 

 

55

 

 

 

 

490

 

Bactris gasipaes

Pulpe bouillie

3,2

 

22

 

 

 

γ-carotène, 18

270

 

Malpighia glabra

 

 

 

26

 

3,6

 

 

230

 

Mammea americana

Pulpe

 

 

14

 

 

 

β-apo-10’-caroténal, 5
β-apo-8’-caroténal,11

195

 

Spondias lutea

Pulpe et peau

 

 

1,4

 

17,0

 

 

93

 

Cariocar villosum

Pulpe

 

 

1,2

 

4,4

 

 

30

 

Source: D’après Rodriguez-Amaya,1996.
Note: A titre de comparaison, la mangue (Mangifera spp.) et la papaye (Carica papaya) fournissent respectivement 38-257 et 25-150 d’équivalents d’activité rétinol pour 100 g (USDA-ARS, 2004).

LA BIODIVERSITÉ, LES RÉGIMES ALIMENTAIRES ET LA SANTÉ DES HABITANTS DES FORÊTS

La plupart des sociétés reconnaissent l’interdépendance entre l’alimentation, la médecine et la santé. L’alimentation est généralement associée à l’identité culturelle et au bien-être social. Les aliments des populations indigènes font partie de riches systèmes de connaissances. Les systèmes alimentaires traditionnels puisent normalement dans la biodiversité locale et s’appuient sur la production et la gestion locales des terres et des environnements spécifiques (Johns, 2006).
La documentation ethnobiologique témoigne de l’importance, historique et actuelle, des diverses ressources que consomment les communautés vivant à l’intérieur et aux abords des forêts, partout dans le monde. Elle démontre aussi la richesse des connaissances traditionnelles des communautés indigènes locales concernant les espèces animales et végétales chassées et récoltées à des fins alimentaires, et la valeur médicinale des essences forestières. Dans des écosystèmes très divers, quelque 7 000 espèces végétales terrestres ont été répertoriées comme plantes récoltées ou cultivées à des fins alimentaires (Wood et al., 2005), et des milliers d’autres espèces ont des propriétés médicinales (Napralert, 2006).

Sur le plan nutritionnel, les environnements sylvestres offrent d’abondantes sources de protéines et de graisses animales (vertébrés et invertébrés), complétées par des hydrates de carbone d’origine végétale provenant de fruits et de tubercules, ainsi qu’une foison de plantes à feuilles, fruits, noix et autres parties de plantes qui garantissent un apport équilibré en vitamines et minéraux essentiels. De nombreux types de forêts ont peu de sources sauvages d’hydrates de carbone, mais cette carence peut être corrigée par la production en forêt de cultures telles que céréales (le maïs par exemple), racines et tubercules (notamment le manioc et l’igname) ou bananes. De même, des systèmes de culture traditionnels faisant appel à l’agrobiodiversité peuvent garantir des disponibilités alimentaires suffisantes, malgré des pénuries potentielles intermittentes et saisonnières de nombreux aliments forestiers. Ainsi, les aliments provenant des forêts peuvent constituer un filet de sécurité précieux en cas de pénurie des cultures vivrières. Il est donc incontestable que la nutrition suffisante de certaines populations repose sur la biodiversité forestière. Certains produits forestiers, comme les fruits de Mauritia vinifera et d’autres palmiers brésiliens riches en provitamines A (béta-carotène et autres caroténoïdes), sont reconnus pour leurs propriétés nutritives exceptionnelles (Rodriguez-Amaya, 1996, 1999) (voir le tableau). Toutefois, la composition nutritionnelle de la plupart des espèces sauvages et des cultures mineures est encore mal connue (Burlingame, 2000).

Les liens entre l’alimentation et la santé sont de mieux en mieux compris, pour ce qui est des avantages fonctionnels procurés par les agents phytochimiques, notamment de nombreux caroténoïdes et phénoliques, sans parler de leur valeur en tant que nutriments essentiels (Johns et Sthapit, 2004). Stimulants de l’immunité et antioxydants, les agents glycémiques et lipidiques peuvent modérer des maladies communicables et non communicables comme le diabète, le cancer et les maladies cardiovasculaires. La goyave, par exemple, est riche en lycopène, un antioxydant dont les propriétés contre le cancer sont reconnues. Beaucoup de noix ont une teneur élevée en huiles spécifiques comme les acides gras oméga 3 (noix) et les acides gras mono-insaturés (amandes, noix macadamia, pistache, noisette), qui réduisent les risques de maladies cardiovasculaires et d’autres maladies. Les noix d’arganier (Argania spinosa) du sud-ouest du Maroc ont des propriétés similaires, mais de nombreuses espèces forestières commercialisables n’ont pas été caractérisées selon leur composition en acides gras spécifiques (Leakey, 1999). Les feuilles de nombreuses essences forestières sont riches en xanthophylles, excellents pour les yeux. Citons pour exemples les feuilles de Gnetum spp.et de Adansonia digitata (baobab), qui sont largement consommées en Afrique subsaharienne, et celles de Cnidoscolus acontifolius, un légume très apprécié par les populations locales en Amérique centrale (Serrano, Goñi et Saura-Calixto, 2005).

Ces propriétés fonctionnelles des aliments sont rarement reconnues par les communautés locales qui n’ont pas accès à des analyses scientifiques, mais les populations attribuent souvent à certains aliments particuliers des vertus pour le traitement ou la prévention des maladies. En fait, la séparation entre médecine et alimentation établie par les scientifiques est en contraste avec les concepts traditionnels de la santé pour lesquels les valeurs thérapeutiques et nourricières des aliments forment un tout.

Les feuilles de Cnidoscolus acontifolius, une excellente source de béta-carotène (provitamine A) et de lutéine, tiennent une place importante dans les régimes alimentaires des communautés forestières vivant dans le sud du Mexique, au Guatemala et dans les pays voisins
T. Johns

Même en petites quantités, les produits d’origine animale, notamment les insectes, complètent l’alimentation de base et permettent au régime traditionnel de rester diversifié et équilibré (termites grillées en vente sur le marché de Limbe, Malawi)
P. Maundu

LA BIODIVERSITÉ FORESTIÈRE DANS DES SYSTÈMES ALIMENTAIRES EN MUTATION

L’évolution des systèmes alimentaires des pays en développement a une incidence sur la santé des hommes et des écosystèmes. Quand des populations rurales sont privées de l’accès à d’importantes ressources naturelles à cause de la dégradation de l’environnement, de changements économiques (notamment dans l’affectation des terres), de l’érosion culturelle ou de la pauvreté, elles doivent réduire leurs régimes et sont confrontées à l’insécurité alimentaire, à la malnutrition et à la maladie. De même, quand les populations migrent vers les villes, elles ne peuvent plus accéder facilement aux produits bénéfiques de la biodiversité locale, parce qu’ils ne sont pas disponibles ou parce qu’ils coûtent trop cher. 

L’urbanisation, conjuguée à la commercialisation des produits alimentaires et d’autres articles nécessaires à la subsistance, bouleverse les modes de consommation et d’utilisation des ressources. En Amérique latine, 78 pour cent de la population vit dans des villes. Quarante pour cent des Asiatiques et des Africains sont urbains et, dans ces deux régions, ce pourcentage devrait s’élever à 50 pour cent d’ici 2025 (Nations Unies, 2004). Comme on prévoit que la population mondiale comptera 8,3 milliards d’habitants en 2030, ce taux d’urbanisation élevé représente une très forte augmentation du nombre d’hommes dépendant d’aliments achetés et produits par d’autres, en dehors des villes. Rien que pour assurer la sécurité alimentaire présente et future, il faut intensifier les systèmes de production de céréales, de sucre, d’oléagineux, d’autres cultures alimentaires de base et d’aliments d’origine animale. Les augmentations de production reposeront lourdement sur la technologie et sur une exploitation plus intensive de la terre et des écosystèmes naturels, y compris des forêts.

A elles seules, trois cultures – le riz, le blé et le maïs – fournissent d’ores et déjà plus de 50 pour cent des disponibilités mondiales de produits destinés à l’alimentation humaine (Wood et al., 2005). Avec le riz et le blé, deux autres produits de l’agriculture à fort apport d’intrants et à rendement élevé, à savoir le sucre et l’huile comestible (de soja et autre), représentent des produits importants sur le marché mondial. Ensemble, ces aliments de base constituent l’essentiel du régime alimentaire des habitants des villes d’Afrique, d’Amérique latine et d’Asie. L’agriculture commerciale à grande échelle répond à la demande de ces cultures sur les marchés d’exportation et locaux. Par ailleurs, dans de nombreux pays en développement, les citadins sont de plus en plus tributaires de produits alimentaires importés.

La disponibilité d’aliments riches en calories à des prix abordables contribue à la sécurité alimentaire et a réduit le nombre de personnes sous-alimentées. Toutefois, les gens pauvres n’ont guère de possibilités de choisir ce qui figure à leur menu, faute de moyens économiques. Parallèlement, les producteurs locaux, en particulier les petits paysans, sont pénalisés par la concurrence des produits importés à bas prix (souvent subventionnés). A cause du manque d’infra­structures et de mesures de soutien aux petits producteurs, les produits forestiers du lieu restent introuvables ou trop chers sur les marchés locaux. Avec l’implantation croissante des supermarchés dans les pays en développement, les producteurs locaux risquent de voir se réduire leurs possibilités de vendre divers produits, en particulier des aliments sauvages provenant des forêts (Reardon et al., 2003). Cependant, même s’ils sont peu compétitifs, ceux-ci ne doivent pas être exclus, surtout s’ils parviennent à mettre en évidence le caractère unique de leurs produits et à s’emparer de créneaux spécifiques.

Dans de nombreuses régions, l’utilisation de la biodiversité locale diminue et le régime alimentaire, moins varié mais très calorique, augmente les risques d’obésité et de maladies non communicables (Popkin, 2002). La mondialisation de la culture et du commerce favorise une occidentalisation des systèmes et des régimes alimentaires des pays en développement. Dans des situations où les taux de maladies infectieuses restent élevés et où la sous-alimentation et la suralimentation coexistent, les maladies communicables et non communicables créent un double fardeau. Les maladies chroniques ont un coût exorbitant, en particulier pour les pays en développement et en transition. Un récent rapport de l’Organisation mondiale de la santé (OMS, 2005) a estimé que, dans les 10 prochaines années, la perte de revenu national due aux maladies et aux attaques cardiaques et au diabète se chiffrerait, pour des pays très peuplés comme la Chine, l’Inde et la Fédération de Russie, à des centaines de milliards de dollars EU (pour chacun), alors que dans d’autres pays en développement, comme le Brésil, le Nigéria, le Pakistan et la République-Unie de Tanzanie, la perte s’élèverait respectivement à 49,2, 7,6, 30,7 et 2,5 milliards de dollars EU. La gageure consiste à résoudre un problème dont les causes et les conséquences couvrent des domaines aussi variés que la santé, l’agriculture, la culture, les marchés et l’environnement.

Alors que les effets des changements socioculturels rapides sont devant nos yeux partout dans le monde, les pays qui conservent des systèmes d’alimentation traditionnels solides dans lesquels les régimes alimentaires ont des fonctions sanitaires, culturelles et écologiques reconnues, sont mieux à même d’éviter l’augmentation des maladies associée à ces changements. Ceci est particulièrement bien illustré par les régimes alimentaires asiatiques et méditerranéens (Kim, Moon et Popkin, 2000; Trichopoulou et Vasilopoulou, 2000).

Des enseignements précieux sur le lien entre les sources traditionnelles de diversité alimentaire et diététique et la santé urbaine et rurale se dégagent des activités de recherche et de promotion conduites par l’Institut international des ressources phytogénétiques (IPGRI), en Afrique subsaharienne et dans d’autres régions (Frison et al., 2005). En Afrique orientale par exemple, la culture alimentaire traditionnelle est liée à la santé par un attachement aux origines rurales et ethniques, associé à des valeurs sociales et spirituelles. Une récente enquête transversale réalisée à Nairobi (Kenya) a révélé que l’identité ethnique était, plus encore que le statut économique, le principal déterminant des modes de consommation alimentaire traditionnels (Johns et al., 2005). Dans d’autres régions, les connections entre les facteurs socioculturels, sanitaires et environnementaux sont d’un autre ordre. En République de Corée, le marketing social s’appuie sur des traditions culturelles pour relier la notion de «cuisine saine» à une prise en considération des producteurs et des systèmes de production locaux (Kim, Moon et Popkin, 2000). Le Brésil a lancé une initiative multisectorielle pour mobiliser les ressources biologiques de la forêt amazonienne et de ses autres forêts afin de répondre aux besoins nationaux en matière de santé. Le «Slow Food Movement», né en Italie et de plus en plus influent en Europe, en Amérique du Nord et ailleurs, vise à mettre en relation les producteurs et les consommateurs d’aliments d’excellente qualité, à prévenir la disparition des produits alimentaires traditionnels à risque et à préserver la biodiversité des denrées alimentaires, illustrant là encore le rapport entre les valeurs socioculturelles et la santé des hommes et des écosystèmes (Petrini, 2004).

Les facteurs liés au marché et à l’économie sont aussi de puissants déterminants de la transformation des systèmes alimentaires. L’existence d’une demande, de la part des consommateurs, pour les aliments et les médicaments provenant des forêts, garantit que ceux-ci resteront présents sur le marché, tant que l’offre sera durable et les prix abordables.

Les concepts traditionnels de la santé tendent à considérer les valeurs thérapeutiques et nourricières des aliments comme un tout; ainsi, les racines nutritives de Mondia whitei (gingembre blanc), une liane africaine, donnent du goût aux aliments et au thé mais ont aussi diverses propriétés médicinales (marchand ambulant au Kenya)
P. Maundu

Malgré la diffusion des supermarchés, qui risque de réduire les débouchés pour les producteurs locaux, l’existence d’une demande des consommateurs en matière d’aliments et de médicaments provenant des forêts garantit la présence continue de ces derniers sur les marchés (vente de fruits Uapaca kirkiana sur le marché de la ville de Mutare dans l’est du Zimbabwe)
P. Maundu

LES SYNERGIES AU NIVEAU DE LA POPULATION: RELIER LES MARCHÉS, LA SANTÉ ET LE COMPORTEMENT HUMAIN

Les ménages les plus pauvres du monde vivent pour la plupart dans les pays les plus riches en biodiversité. Cette biodiversité étant en grande partie issue des forêts tropicales, il est impossible de traiter séparément les problèmes de la conservation et de la pauvreté. Comme la majorité de la population mondiale est aujourd’hui, au moins en partie, tributaire d’aliments achetés, il est possible d’améliorer la condition nutritionnelle des pauvres vivant en milieu urbain et rural en facilitant l’accès à une gamme de produits forestiers bruts et transformés. Le meilleur moyen d’y parvenir est d’adopter un modèle reliant les producteurs et les consommateurs locaux, dans lequel la biodiversité contribue à la réduction de la pauvreté et à la viabilité des économies, dans un contexte socioculturel favorable. Le modèle s’appuie sur des synergies avérées et potentielles entre la conservation de la biodiversité, l’amélioration des revenus, les valeurs socioculturelles et les résultats sanitaires (voir la figure). Ainsi, alors que l’utilisation directe des ressources animales et végétales, conjuguée à l’obtention d’un revenu et à l’intégrité des traditions socioculturelles, peut contribuer à améliorer la nutrition et la santé, réciproquement une population en bonne santé a plus de chances d’avoir le désir et les moyens de mieux gérer son environnement naturel. Les communautés locales peuvent gérer et utiliser des espèces récoltées et cultivées pour améliorer leurs moyens d’existence, en mettant au point des produits alimentaires adaptés au contexte culturel local et commercialisables, de façon à répondre à la demande des consommateurs (de plus en plus urbains) et leur offrir des avantages nutritionnels et culturels. Ainsi, la liaison entre la biodiversité et la santé est à la fois une adaptation aux conséquences de la croissance économique et un moyen d’orienter la croissance de manière positive.

La promotion de la diversité des régimes alimentaires aux niveaux local, national et régional est une priorité et peut comprendre le transfert et le partage d’informations et d’expériences positives, dans le but d’encourager et renforcer l’utilisation de la diversité végétale et animale à des fins diététiques.

Pour que les habitants des villes puissent diversifier leur alimentation, il faut qu’ils puissent accéder à une gamme de produits sauvages, à un prix abordable. Toutefois, l’expérience montre que les consommateurs urbains acceptent de payer des prix élevés pour des aliments spéciaux, s’ils leur paraissent de bonne qualité ou recommandables sur le plan culturel. La viabilité des marchés dépend de la demande des consommateurs, qui peut être guidée par l’offre, par des services d’éducation ou de promotion, et par le renforcement de la culture alimentaire traditionnelle (Kim, Moon et Popkin, 2000). La demande génère des possibilités de revenu et d’amélioration des moyens d’existence si les agriculteurs sont reliés aux consommateurs. La réduction de la pauvreté a un impact indirect crucial sur la santé. Une diversité accrue des systèmes de production et des écosystèmes naturels augmente les possibilités pour que les ressources soient durables et tous les régimes alimentaires variés.

Dans la pratique, les systèmes alimentaires contemporains sont de plus en plus liés au commerce. Dans les pays en développement, les supermarchés et d’autres entités commerciales sont des partenaires bienvenus dans toute initiative à vocation à la fois économique et sociale, visant à encourager l’utilisation traditionnelle de la biodiversité dans les aliments. Ainsi, à Nairobi, au Kenya, l’organisation non gouvernementale locale Family Concerns a réussi à promouvoir des légumes à feuilles africains en reliant des petits producteurs à une chaîne de supermarchés
(Johns et al., 2005).

Les politiques et les réglementations internationales liées au commerce et aux droits de l’homme, notamment aux droits culturels et alimentaires, doivent préserver les systèmes alimentaires qui garantissent la pérennité des écosystèmes locaux et respectent les traditions culturelles. Ainsi, les directives volontaires internationales sur le droit à l’alimentation (FAO, 2005) reconnaissent expressément l’importance des coutumes et des traditions dans tout ce qui a trait à l’alimentation. L’Initiative intersectorielle sur la diversité biologique pour l’alimentation et la nutrition de la Convention sur la diversité biologique (CDB, 2006) doit son existence au fait que soit explicitement reconnu que les systèmes alimentaires traditionnels créent des synergies positives entre la santé des hommes et des écosystèmes et que la culture fournit un contexte essentiel pour promouvoir des choix diététiques positifs.

Synergies, au niveau de la population, entre la conservation de la biodiversité et la nutrition humaine dans les pays en développement

LES PRIORITÉS DE RECHERCHE ET D’ACTION

Si l’importance de la biodiversité comme source de nutriments et de substances médicinales propres à améliorer la santé est un bon argument, une stratégie reposant sur la recherche, l’amélioration de la commercialisation, l’éducation des consommateurs, des politiques appropriées et le renforcement des partenariats, montrera encore davantage son utilité. Les rôles que jouent les aliments et les médicaments traditionnels dans la santé et le bien-être sont suffisamment bien compris pour justifier que, dans les stratégies visant à soutenir les moyens d’existence axés sur la forêt et dans les approches sanitaires s’appuyant sur l’alimentation, on donne la priorité à la commercialisation des produits forestiers. 

Les recherches fondamentales propres à soutenir ces activités devraient inclure:

Les scientifiques des pays en développement ayant une connaissance des ressources, des coutumes et des valeurs culturelles locales sont appelés à jouer un rôle fondamental en identifiant des approches durables pour améliorer les régimes alimentaires et la santé. Un ensemble croissant de données fiables recueillies dans des pays en développement témoigne des propriétés sanitaires des aliments et des plantes médicinales indigènes. Bien que peu de pays en développement puissent financer des programmes de recherche-développement de grande envergure, les progrès reposeront d’une manière générale sur l’amélioration des infrastructures, des opportunités et des ressources scientifiques disponibles.

CONCLUSIONES

Les interventions réussies visant à encourager l’utilisation de la biodiversité forestière à des fins sanitaires seront probablement multisectorielles, multidisciplinaires et centrées sur les problèmes. Elles reconnaîtront que la diversité des régimes alimentaires est un moyen essentiel, rentable et durable de résoudre les problèmes sanitaires liés à la malnutrition, mais aussi que les approches visant à améliorer la nutrition et la santé en s’appuyant sur la diversité dépendent de la conservation et de l’utilisation durable des forêts, des autres espèces sauvages et de la biodiversité.

Pour formuler et mettre en œuvre des stratégies efficaces, il faut obtenir la participation de multiples parties prenantes, provenant des milieux scientifiques et sanitaires et du secteur public et privé, et intégrer leurs compétences. Si personne ou presque ne songerait à contester l’importance de la santé et de la sauvegarde de l’environnement, chaque secteur de développement a des priorités différentes. Un dialogue doit être instauré, par exemple entre les environnementalistes qui s’occupent des processus sous-jacents et les professionnels de la santé qui se concentrent sur la fourniture de soins essentiels. Les systèmes alimentaires et la nutrition offrent un terrain commun.

Au niveau national, les ministres de l’environnement, de la santé et de la nutrition, de l’agriculture, des forêts, du développement économique, de la culture et de l’éducation pourraient promouvoir les produits forestiers dans le cadre d’initiatives conjointes en faveur de la santé des hommes et des écosystèmes, tout en fournissant un appui aux infrastructures et aux programmes de soutien à ceux qui produisent et commercialisent des «aliments prioritaires».
Si des instruments internationaux comme la CDB peuvent servir de guide pour des initiatives nationales, ils soulignent aussi la nécessité de politiques cohérentes unissant les priorités de développement environnemental, sanitaire, agricole et économique, dans le cadre des Objectifs du Millénaire pour le développement.

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