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ANNEXE 2

Allocution de M. Français Delmas, Secrétaire d'Etat auprès du Ministre de l'Environnement et du Cadre de Vie

Le gouvernment français s'est réjoui que l'Organisation des Nations Unies pour l'Alimentation et l'Agriculture (FAO) ait retenu notre proposition de choisir notre propre pays pour organiser ce colloque international. Je saluerai donc immédiatement M. Lucas qui représente cette Agence des Nations Unies pour qu'il transmette à M. Saouma, dont il est l'adjoint, mes remerciements et nos regrets de ne pas le voir parmi nous aujourd' hui.

Je remercierai et je féliciterai les membres étrangers du Comité d'organisation qui ont oeuvré depuis plusieurs années pour mettre au point cette importante réunion internationale: M. Tuomi (Canada), M. Steinmetz (Pays-Bas), M. Hooper (USA) et les éléments clefs de cette organisation: M. Jean-Louis Gaudet, Secrétaire de la Commission Européenne Consultative pour les Pêches dans les Eaux Intérieures et M. R.L. Welcomme, Secrétaire technique de cette même commission. Mes propres collaborateurs ont apporté leur contribution à ce Comité d'organisation. Cela était tout à fait normal. Je féliciterai également les rapporteurs de ce colloque qui ont eu à effectuer un travail de synthèse, qui était loin d'être facile; outre M. Tuomi, qui a vraiment été à la peine, je féliciterai M. Norling (Suède) et M. Gottschalk (USA). La France y participe également puisque M. le Directeur de la Protection de la Nature tirera les conclusions de ce colloque et que le Conseil Supérieur de la Pêche (CSP) a fourni l'un des rapporteurs, M. Cuinat, responsable de cette région sur le plan piscicole.

Je salue aussi la présence parmi nous de M. Lacarin, Maire de Vichy, qui nous accueille dans cette ville d'eaux célèbre dans le monde entier et celle de M. Martini, Président de l'Union des Fédérations de Pêches avec qui j'entretiens, depuis maintenant 2 ans, des relations toujours cordiales.

Maintenant, permettez-moi de revenir sur le titre de cette consultation. Je voudrais le traduire en termes plus simples, plus concrets. En fait, il s'agit, pour la grande masse des pêcheurs de gérer au mieux les ressources piscicoles des rivières et des lacs de nos pays respectifs. Il nous faut tenir compte des réalités: le potentiel de production a une limite que lui fixe les règles fondamentales de la biologie. En face, les parties prenantes sont nombreuses et importantes il y a la grande masse des pêcheurs sportifs, une détente, et aussi un produit de consommation de qualité; il y a aussi les pêcheurs moins nombreux, qui tirent de la pêche des revenus, et doivent s'équiper de matériels plus importants. Si l'on ne veut pas que des conflits se développent entre tous ces utilisateurs d'une même ressource, il faut gérer notre domaine piscicole de façon à ce que les prélèvements soient compatibles avec la production et bien répartis entre tous les bénéficiaires.

Cela suppose tout d'abord des efforts importants pour maintenir et surtout améliorer la qualité des eaux de nos rivières, mais il faut aussi une organisation de la pêche efficace et bien adaptée au terrain. Je crois que c'est le cas en France et je voudrais vous en indiquer les principales caractéristiques. Il faut rappeler d'abord que notre pays dispose d'un très vaste domaine piscicole: 125 000 km de cours d'eau de largeur supérieure à l m; augmenté de 150 000 km de ruisseau de largeur comprise entre 0,50 m et 1 m; plus de 240 000 ha de lacs et étangs, le tout à la disposition d'environ 4 millions de pêcheurs, et produisant 24 000 t de poissons.

Il existe chez nous une distinction administrative et juridique nette entre le domaine des eaux douces, lacs et rivières et celui des mers. Ma propre compétence s'étend sur les eaux douces, y compris dans les estuaires jusqu'à la limite administrative de salure d'eau. Au-delà, on entre dans le domaine de compétence des pêches maritimes qui relèvent de mon collègue des Transports. Cette distinction n'est pas aussi nette dans d'autres pays. Vous savez aussi que, dans notre pays, la pêche fluviale n'est pas rattachée au Ministère de l'Agriculture, comme cela existe parfois ailleurs, mais au Ministère de l'Environnement. Je vous laisse le soin d'en discuter au cours de votre colloque.

La France est un pays de vieilles traditions juridiques en matière de pêche. Des édits et ordonnances royaux relatifs à la pêche ont, en effet, imposé, dès la fin du XIIIème siècle, l'application d'un certain nombre de règles de police, en vue de la conservation du poisson, telle que la défense de pêcher à certaines époques de l'année avec certains engins.

Tous ces textes ont été codifiés une première fois dans l'ordonnance des Eaux et Foréts de 1669, prise sous le régime du Roi Louis XIV. Les lois de l'époque révolutionnaire (1789–1793) ont enlevé aux seigneurs le droit de pêche qu'ils tenaient de l'organisation féodale. La loi du 14 floréal an X a restitué à l'Etat le droit de pêche sur les rivières navigables et flottables, et un avis du Conseil d'Etat du 30 pluviose an XII a fait du droit de pêche l'accessoire du droit de propriété foncière. Depuis lors, cette situation juridique est restée fondamentalement la même; le droit de pêche appartient à l'Etat sur les cours d'eau domaniaux; il appartient aux riverains sur les cours d'eau non domaniaux.

La gestion de la pêche en France et la mise en valeur du domaine piscicole national présentent une originalité, qui peut retenir votre attention; elles relèvent concurremment de l'Administration et des groupements de pêcheurs, dans un souci permanent de concertation. A la base, tout est fondé sur la vie associative. Chaque pêcheur à la ligne doit adhérer à une association agréée de pêche et de pisciculture. Ces associations sont regroupées dans des fédérations départementales qui, elles mêmes, se retrouvent dans une Union nationale, que préside avec efficacité et compétence, le Président Martini, dont je rappelais tout à l'heure la présence parmi nous. L'association de pêche et de pisciculture (APP), agréée par le Préfet, a un rôle d'autant plus nécessaire et essentiel, qu'elle se situe au plus près de la rivière, ou du lac, ou de l'étang, dans lesquels se pratique la pêche. Elle peut traiter des questions aussi importantes que la surveillance du milieu, les alevinages, les améliorations piscicoles ou la constitution de partie civile en cas de dommages. La Fédération départementale, qui regroupe obligatoirement toutes les associations du département, est une autre coopérative à un second niveau, offrant plus de possibilités, car elle a plus de moyens.

Rassemblant jusqu'à 40.000 et 50.000 pêcheurs, c'est l'interlocuteur normal des Pouvoirs Publics, et le coordinateur de toutes les opérations piscicoles. J'est ainsi que des fédérations départmentales gèrent des piscicultures de repeuplement, louent des lots de pêche importants, participent à la détection des pollution et à la recherche de leurs causes, excercent la surveillance des cours d'eau avec les gardes-pêche du C S P ou avec leurs propres gardes, et, plus généralement, réalisent tous les investissements qui leur paraissent nécessaires dans l'intérêt des pêcheurs. J'ajouterai également qu'il existe en France une Fédération des pêcheurs aux filets et aux engins, dont le nombre d'adhérents (15.000) est très inférieur à celui des fédérations départementales (2.600.000 adhérents). Le rôle économique de certains de ces pêcheurs est essentiel, surtout dans les lacs et dans les estuaires, et je crois qu'il est au coeur des débats de votre réunion.

Enfin, au sommet, on trouve un outil commun à l'Administration et à l'ensemble de tous les pêcheurs à la ligne ou aux engins: le CSP. C'est un établissement public doté de l'autonomie financière et géré par un C.A. paritaire entre représentants de l'Etat et représentants des pêcheurs. Chaque pêcheur, qui exerce son sport ou son activité, doit payer une taxe piscicole, collectée par les associations et les fédérations, qui alimente entièrement le budget du CSP et sert notamment à payer près de 600 gardes-pêche.

Toute cette organisation, qui date en pratique de plus de 30 ans, a fait ses preuves. Mais si les structures fonctionnent bien, il n'en reste pas moins qu'il faut en permanence lui fixer des objectifs compatibles avec le maintien de nos richesses piscicoles. Je vous ai dit tout à l'heure que la France était un pays de vieille tradition juridique et c'est particulièrement vrai dans le domaine de la pêche, qui est caractérisé par une règlementation foisonnante et variée, traitant abondamment du classement des cours d'eau, de la police de la pêche, de la taille du poisson et de ses conditions de commercialisation, de sa protection, des modes de pêches, etc. Mon souci actuel est de simplifier ces textes mais c'est une oeuvre de longue haleine. Tous les pêcheurs ici-présents savent qu'un projet de loi apportant certaines simplifications et permettant le renforcement des mesures de protection du poisson, a été déposé par le Gouvernement et j'espère qu'il pourra venir bientôt en discussion. J'en reviens par là à l'objet de votre colloque. Il est absolument indispensable de protéger le potentiel piscicole et halieutique des rivières et lacs de nos pays respectifs et cela nous concerne tous; nous devons mettre en commun nos expériences pour conserver le patrimoine génétique de certaines espèces migratrices particulièrement menacées. Je pense notamment au saumon pour lequel la France a fait depuis plusieurs années, des efforts très importants. Le grand nombre de saumons, qui remontent cette année, est pour nous un encouragement tout à fait précieux, et je crois que nous pouvons en remercier tous ceux qui ont participé à la réalisation du “plan saumon” financé par l'Etat.

La France a mené aussi, depuis plusieurs années, une politique globale de lutte contre les pollutions et l'on en mesure maintenant, de plus en plus, les effets. Je faisais, il y a quelques semaines, un bilan de l'action des agences de bassin dont il ressortait que la pollution de nos rivières a baissé d'environ 5 pour cent par an ces dernières années, alors que la croissance du développement industriel aurait dû la faire augmenter. De grands ensembles comme le lac d'Annecy ou l'Etang de Berre ont retrouvé, en quelques années, une qualité des eaux qui avait été perdue.

Je suis persuadé que parmi les nombreux pêcheurs qui se trouvent dans cette salle, beaucoup pourraient citer telle ou telle rivière, où une espèce de poisson, que l'on ne voyait plus, est revenue. Je ne veux pas dire, bien entendu, que tout est parfait dans le meilleur des mondes, mais, au contraire, que ces résultats, de plus en plus visibles, ne peuvent qu'inciter le gouvernement, les collectivités locales, les industriels, et bien entendu les pêcheurs, à poursuivre l'action maintenant bien engagée, pour la reconquête de la qualité de nos eaux. Il ne suffit pas non plus de lutter contre la pollution. Il faut aussi arbitrer entre les différents usages possibles de l'eau. Je pense que ce sera l'un des thèmes essentiels de votre colloque. Pour ma part, je suis assez optimiste, et je pense que l'on peut concilier une utilisation plus intensive des eaux avec les impératifs de protection du milieu aquatique. Il faut prendre des précautions et c'est le rôle des études d'impact, qui sont obligatoires en France depuis 1978, d'amener les maîtres d'ouvrages à réfléchir aux conséquences des aménagements projetés et à prendre des mesures de compensation nécessaires. Enfin, il faut répartir les ressources piscicoles au mieux de l'intérêt de tous les pêcheurs, amateurs et professionnels, en utilisant uniquement le revenu annuel et sans entamer le capital. Il faut arriver de la cueillette de jadis à la gestion rationnelle des ressources piscicoles. Il s'agit d'un thème qui est traité pour la première fois au niveau intergouvernemental. Je demanderai à M. le Directeur de la Protection de la Nature de me faire un rapport détaillé sur les suggestions précises que vous ferez aux Gouvernements.

Cela nous sera particulièrement utile, car je ne doute pas que de la rencontre de tant de spécialistes éminents de tous les pays, sortiront des recommandations très intéressantes.


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