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CHAPITRE 6
POLITIQUES DE GESTION DE L'EAU EN AGRICULTURE1 (Cont.)

6.6.4 Organisation des AUE193

Bien que les résultats empiriques laissent encore planer un certain doute, le raisonnement exposé plus haut, ainsi que ces nombreux exemples, viennent appuyer la thèse que des AUE bien pensées et organisées peuvent contribuer utilement à l'amélioration des performances des systèmes irrigués. Par exemple, il fait peu de doute que des réseaux dont la gestion leur est confiée répondent mieux aux besoins des agriculteurs, et que ceux-ci seront davantage capables d'adapter leurs systèmes de culture aux signaux du marché que ne le feraient des organismes publics.

La participation effective des usagers de l'eau - décentralisation réelle - ne se produit pas spontanément. Elle nécessite une planification et un suivi. L'amélioration réussie de la gestion de L'irrigation aux Philippines, donnée en exemple plus haut dans le présent chapitre, a reposé en grande partie sur des mesures décisives visant à créer une autonomie institutionnelle et à encourager une véritable participation.

L'Agence nationale de l'irrigation (ANI) des Philippines offre un bon exemple de la manière dont une administration bureaucratique peut, avec le temps, transformer sa stratégie et son mode de fonctionnement. Depuis le milieu des années 70, l'ANI a su évoluer d'organisme essentiellement axé sur la conception et la construction de réseaux d'irrigation, mettant les agriculteurs devant le fait accompli, en une agence donnant priorité à la gestion et à l'entretien des réseaux d'irrigation, et offrant aux agriculteurs, par le truchement de leur affiliation à des associations d'irrigants, la possibilité de participer à la gestion des réseaux et de prendre les décisions importantes en matière d'entretien…. En 1974, l'ANI a été constituée en établissement public et a cessé de dépendre d'un ministère. Elle avait devant elle un délai de cinq ans pour équilibrer son budget d'exploitation…. L'expérience de l'ANI illustre quelques préalables importants à la participation des agriculteurs: monter des équipes d'organisateurs communautaires et d'ingénieurs afin d'intégrer les activités sociales et techniques en un même processus; faire participer des agriculteurs à toutes les activités du projet dès les premiers stades de celui-ci, et renforcer ainsi leur compétence en matière d'organisation; modifier les politiques et procédures qui font obstacle à la participation des agriculteurs; donner aux agriculteurs le temps de se mobiliser et de s'organiser avant d'entreprendre de nouvelles activités de construction ou d'aménagement194.

Pour que les AUE jouent pleinement leur rôle, il faut les organiser dès la phase de conception du projet et leur donner l'occasion d'y participer:

Comme on le voit bien à Dau Tieng [au Viet Nam], le déroulement des opérations tend à être le suivant: dans un premier temps, des experts étrangers conçoivent et construisent des réseaux d'irrigation, dans un deuxième temps, les donateurs et les gouvernements les financent et enfin on tente d'organiser les agriculteurs pour qu'ils participent au développement des tertiaires. D'autres expériences montrent qu'il ne s'agit pas d'une bonne approche pour transférer la responsabilité du système aux agriculteurs. Il faut commencer par les organiser, ou tout au moins par les faire participer aux processus de conception et de mise en œuvre, puis les convaincre de signer des accords de financement partiel, d'approbation des conceptions, de participation à la construction et de gestion une fois la construction terminée.
Le manque de concertation entre le gouvernement et les agriculteurs pour la conception des projets a eu des conséquences désastreuses au Bangladesh, tout comme on le voit maintenant à Dau Tieng. D'abord, les autorités provinciales ont quasiment stoppé le développement des systèmes tertiaires et il n'existe aucun groupe susceptible de prendre la défense des agriculteurs non desservis et de faire pression sur les organismes publics pour qu'ils terminent les travaux, de persuader les autorités villageoises de céder les terres indispensables au passage de l'eau ou de se charger de la construction. Deuxièmement, les agriculteurs situés dans des sites privilégiés accèdent facilement à L'irrigation, ce qui leur donne l'impression que les ressources sont abondantes… Cette situation a donné naissance à des habitudes, des perceptions et des relations avec les représentants de l'État, qui ont bloqué l'extension de la surface irriguée195.

L'un des défis de la bonne marche des AUE est de clarifier les responsabilités financières futures de la remise en état du système, et un autre est de développer un cadre légal et institutionnel approprié. L'expérience des AUE en maintes parties du monde a conduit au consensus ci-après sur les conditions nécessaires pour qu'elles fonctionnent convenablement et durablement196.

6.6.4.1 Participation

6.6.4.2 Cadre légal et de politique

6.6.4.3 Les aspects physiques

La question de la base juridique des AUE est fondamentale. Meinzen-Dick, Raby (voir la référence ci-dessous) et Vermillion et Sagardoy y insistent dans leurs conclusions. Comme les AUE ont une responsabilité “fiscale” (perception des redevances) et financière, leur statut légal doit être précisé avec soin et clairement. Un examen de L'expérience mexicaine en la matière a rejoint ces mêmes conclusions, y compris la nécessité d'un engagement fort du gouvernement, au plus haut niveau, à forger des relations d'un nouveau genre avec les utilisateurs d'eau, la nécessité d'un cadre légal solide, et celle de garantir la viabilité financière à travers le recouvrement des coûts par les AUE197.

Outre de solides fondations juridiques, la réussite des AUE requiert la participation active et soutenue des utilisateurs. Dans son approche «Big Bang» de la création des AUE, l'Andhra Pradesh avait accordé une priorité élevée à une participation précoce et il s'est avéré que cela a permis de tripler les redevances d'eau:

[Le Gouvernement de l'Andhra Pradesh] est parvenu à deux conclusions principales concernant l'orientation du calendrier des réformes:
… de 1977 à aujourd'hui, le processus de réforme s'est caractérisé en permanence par le contact avec les communautés, dont la dynamique s'est accélérée à mesure que des actions étaient conçues et mises en œuvre. Des discussions approfondies ont eu lieu dans tout l'État, depuis de grandes conférences au niveau de l'État jusqu'à des ateliers au niveau des projets (réseau) en passant par des ateliers plus modestes avec participation des ONG au niveau des districts. Le point de vue des agriculteurs a joué un rôle moteur pour cristalliser l'élan de la politique et l'orientation du programme. Depuis la création des AUE, les efforts de concertation se poursuivent: allocution du ministre à des rassemblements villageois dans chaque district (30 à 50 000 personnes chaque fois, en juillet 1977); conférences d'agriculteurs; ateliers au niveau des districts, avec des présidents d'AUE et des représentants des Départements chargés de L'irrigation et du développement des zones desservies, ainsi que des départements de l'Agriculture et des Impôts; conférences des présidents des 10 292 AUE de l'état en avril et décembre 1998. Cette campagne de participation massive du public a joué un rôle clé pour entretenir la concertation et encourager la transparence pendant tout le processus.
Il est donc intéressant de comprendre pourquoi l'Andhra Pradesh a réussi là où D'autres États ont échoué ou ont dû s'accommoder d'augmentations plus modestes que le triplement des redevances. Il semblerait que la raison principale en soit le vaste processus de consultation et de contact avec la population préalable à l'augmentation, combiné au fait que celle-ci a été présentée comme faisant partie d'un ensemble de mesures considérées par les communautés rurales et les partis politiques comme globalement bénéfiques aux agriculteurs198.

La gestion de L'irrigation étant une question complexe et souvent conflictuelle, il est préférable en principe que les AUE ne prennent pas en charge D'autres activités. d'un autre côté, les pays en développement manquent en général d'organisations d'agriculteurs capables de traiter des problèmes tels que la commercialisation, les transferts de technologies et le financement. C'est pourquoi, dans certains cas, il peut être opportun de s'appuyer sur une AUE existante pour mettre en place une capacité collective de traitement de certains autres sujets. Pour que cela fonctionne, il faut que les agriculteurs soient extrêmement motivés et que la gestion de L'irrigation soit clairement séparée des autres activités de développement. On trouve quelques exemples d'AUE aux activités ainsi élargies en Amérique latine et aux Philippines. Namika Raby a souligné quelques uns des avantages et des inconvénients de cette tendance aux Philippines:

Plusieurs associations d'irrigants (AI), en particulier dans les réseaux à réservoirs et à pompes, ont accumulé du capital grâce à leurs contrats d'exploitation et d'entretien, obtenu des prêts de la Philippines Land Bank, acheté des tracteurs, mis en place des moulins à riz et entrepris le commerce du riz. La transformation des AI en un moyen de canaliser l'entreprise privée et publique pour le développement du secteur rural apparaît comme la phase suivante de leur développement. Mais cela a posé un dilemme, dans la mesure où les AI sous leur forme actuelle sont immatriculées comme organisations sans but lucratif, sans parts sociales et non-sectaires, qu'il faut donc transformer en sociétés à but lucratif. De la même manière, pour pouvoir obtenir des prêts de la Land Bank, par exemple, l'AI doit être constituée en coopérative. L'administration nationale de L'irrigation craint que, emportées par leur enthousiasme pour les activités commerciales, les AI oublient leur fonction d'origine, à savoir se charger des activités d'exploitation et d'entretien. Cependant, pour qu'une AI accumule du capital et devienne rentable, il est logique qu'elle se transforme en coopérative… Si l'on considère l'eau comme un intrant de l'agriculture, il faut que les organisations d'agriculteurs se chargent des autres aspects qui font la viabilité d'un programme agricole, à savoir la commercialisation, le crédit, etc…. Autoriser l'évolution organique de micro-organisations comme les AI actuelles, attachées aux canaux secondaires d'un réseau, en réponse aux demandes de leur environnement, tout en se concentrant, pour la distribution d'eau au canal primaire, sur une association viable d'irrigants, pourrait s'avérer une solution alternative199.

Il n'est pas simple d'organiser des AUE et d'assurer qu'elles fonctionnent bien, mais elles peuvent faire beaucoup pour améliorer les performances d'un réseau d'irrigation. L'alternative, une gestion centralisée, a un taux d'échec beaucoup plus élevé. Selon Olstrom et al.:

Lorsque la conception, le fonctionnement et la gestion de l'infrastructure sont organisés de façon prédominante au sein du gouvernement national et financées principalement de l'étranger, on peut prédire avec une certaine confiance les résultats suivants:

6.6.5 Questions de genres en matière d'irrigation

À ce jour, seule une minorité de chercheurs a étudié la gestion des systèmes irrigués sous l'angle du rôle respectif des hommes et des femmes. En général, il s'avère que la gestion repose entièrement ou presque entre les mains des hommes, alors que les femmes représentent souvent une minorité importante des agriculteurs et/ou des utilisateurs de L'irrigation. En outre, les femmes sont souvent plus sensibles aux problèmes de qualité de l'eau à usage domestique, mais elles participent rarement aux décisions relatives à la gestion de l'eau. Les tâches d'irrigation sont aussi fréquemment dévolues plutôt aux hommes, bien que cela ne soit pas systématique.

L'importance d'impliquer les femmes dans la conception des systèmes d'irrigation, et de tenir compte de leurs rôles et responsabilités, a déjà été évoquée dans ce chapitre. Elena Bastidas, par exemple, explique que les femmes de certaines communautés équatoriennes ne sortaient pas irriguer la nuit, en partie par crainte pour leur sécurité et en partie en raison de leurs responsabilités domestiques. Elles ne participaient pas aux discussions du village sur les problèmes d'irrigation pour des raisons sociales et culturelles, parce que, traditionnellement, il s'agissait du domaine réservé des hommes. Cependant, les femmes plus éduquées tendaient à jouer un rôle plus important dans les décisions d'irrigation201.

Van Koppen a souligné des résultats similaires, tout en ajoutant: «On voit bien que les services publics d'irrigation ont joué un rôle important. Dans le passé, ils sont systématiquement partis du principe que L'irrigation était l'affaire des hommes. Dans de nombreux cas, leur action a même sapé les activités commerciales existantes des femmes et renforcé la polarisation des relations entre genres»202. Elle souligne (p. 7) que le manque d'accès à l'eau (privation d'eau) est une caractéristique centrale de la pauvreté rurale et que «on ne peut pas dire que la mise en valeur [des ressources en eau] parrainée ou subventionnée par l'État, ou par investissements privés, soit bénéfique aux pauvres».

Il est possible de corriger au moins en partie le penchant préjudiciable aux femmes et aux pauvres, qui se rencontre dans la conception et la gestion de L'irrigation, en combattant la discrimination sexuelle implicite dont témoignent les actions des organismes d'irrigation, mais aussi des équipes de projet internationales:

La participation précoce de femmes et d'hommes démunis dans les forums locaux, qui se situent à l'interface du projet et de la communauté, joue un rôle essentiel pour améliorer leur accès à l'eau et lutter contre la pauvreté. En un sens, pour devenir détenteur de droits, il faut commencer par appartenir à l'instance qui les négocie. C'est de ces lieux de discussion de la première heure que sont issues les organisations d'usagers de l'eau chargées de l'exploitation et de l'entretien. Les services publics exercent une influence déterminante sur la composition de ces forums. L'éventualité qu'y participent des personnes démunies repose donc entre leurs mains203.

Elle recommande en outre: «Les gouvernements et les agences internationales ne devraient donner leur aval aux nouvelles politiques et aux nouveaux programmes de l'eau… que si une évaluation ex ante indique qu'ils auront un impact positif sur l'usage de l'eau par les pauvres, femmes et hommes; il conviendrait également qu'ils en contrôlent et en évaluent l'application»204.

Il est important de souligner que les obstacles culturels à une participation renforcée peuvent être éliminés, surtout avec le soutien des organismes de parrainage. Les comportements évoluent, parfois très rapidement, comme l'a observé Kitty Bentvelsen chez des agricultrices de Macédoine:

Les femmes souhaitent-elles participer aux réunions des AUE et aux autres activités du projet d'irrigation? En général, les femmes interrogées ignoraient ce que les AUE étaient supposées faire. Après explication, elles ont eu différentes réactions. Une femme, qui se plaignait de problèmes de distribution d'eau d'irrigation au cours des années écoulées, s'est exclamée: «Je serai la première à me rendre à une de ces réunions!» La majorité d'entre elles, cependant, a commencé par dire que la participation à des réunions est une affaire d'hommes. Mais au cours du débat qui a suivi, un grand nombre d'entre elles a reconnu qu'il était important de [participer] aux futures réunions des AUE205.

6.7 L'irrigation, OUTIL DE DÉVELOPPEMENT RURAL

Jusqu'ici, le présent chapitre a abordé deux thèmes principaux: a) parvenir à une allocation efficace et équitable de l'eau, entre secteurs et au sein d'un même secteur, compte tenu de la raréfaction croissante de cette ressource et b) améliorer le fonctionnement des réseaux d'irrigation, par le recours à une technologie mieux adaptée, à des améliorations de gestion (dont une plus grande participation des utilisateurs) et à des environnements économiques et législatifs plus adaptés (dont une amélioration des incitations à utiliser l'eau de manière plus efficace). La question du rôle de L'irrigation dans le développement rural n'a pas été abordée directement, sauf sous l'angle des approches visant à rendre l'accès à l'eau plus équitable. Cependant, de toutes les approches visant l'amélioration du sort des petits agriculteurs, L'irrigation est indubitablement L'une de celles dont les bénéfices potentiels sont les plus importants. Comme on l'a dit de L'expérience chilienne: «Les évaluations ex-post ont montré que L'irrigation est l'investissement qui a eu le plus fort impact sur la productivité, l'emploi et les revenus des petits agriculteurs»206. De la même manière, il fait peu de doute que l'agriculture irriguée génère des effets multiplicateurs qui se traduisent par des bénéfices plus larges pour les régions participantes, en particulier lorsque leurs services d'infrastructure ont été faiblement développés. Ces effets multiplicateurs comprennent, entre autres, «l'accélération du développement du transport, du commerce, des services de stockage, de la distribution des intrants, des services de conseil technique, etc., [qui] constituent une autre contribution imputable à la nouvelle irrigation»207.

Un examen plus complet du rôle de L'irrigation dans l'amélioration du bien-être des petits agriculteurs et du développement rural en général soulève directement la question de la capacité des utilisateurs à payer pour des services d'irrigation. Moris et Thom énoncent le problème sans détours:

… les petits agriculteurs ne peuvent pas se permettre d'investissements majeurs dans l'amélioration des équipements… un pays désireux de développer L'irrigation doit passer par des subventions, quelle qu'en soit la forme. La question pratique n'est… pas de savoir s'il faut subventionner, mais où, quand et avec quelles conséquences208.

Ce problème a également été soulevé dans le résumé fait par Vermillion des résultats de L'étude de l'IMT, cité plus haut. C'est pourquoi il faut traiter explicitement la question des subventions de L'irrigation aux petits agriculteurs, surtout compte tenu de l'accent que les instances internationales placent actuellement sur le recouvrement des coûts de L'irrigation, résumé succinctement par la FAO en ces termes: «l'ère des subventions massives, directes ou indirectes, est quasiment révolue»209. d'un côté, certains s'inquiètent de la capacité à payer des utilisateurs, surtout s'il s'agit d'agriculteurs pauvres - une crainte exprimée, non seulement par Moris et Thom, mais aussi par Rice lorsqu'il recommande de «renoncer à recouvrer les coûts» lorsque les rendements agricoles sont faibles, ainsi que par van Koppen concernant les irrigants pauvres. d'un autre côté, l'incapacité des budgets gouvernementaux à continuer de financer les coûts de L'irrigation suscite une légitime préoccupation. Comme l'observent Sharma et al. pour l'Afrique, en termes qui s'appliquent également aux autres continents:

… l'usage de l'eau est fortement subventionné… Par conséquent, le recouvrement des coûts demeure faible et contraint le gouvernement central à fournir le capital requis pour entretenir les systèmes existants et développer de nouvelles infrastructures… Les pays africains devraient mettre davantage l'accent sur… le recouvrement des coûts210.

Comment résoudre ces tensions entre deux objectifs contradictoires: encourager L'irrigation des petites exploitations et limiter les dépenses budgétaires? Dans un premier temps, il faut examiner ce que signifie le recouvrement des coûts dans le secteur de L'irrigation. Comme indiqué dans la section consacrée aux politiques de prix, les tentatives de renforcer le recouvrement des coûts vont rarement au delà de la récupération des frais d'exploitation et d'entretien. Il arrive, très rarement, que l'on parvienne à recouvrer une partie des dépenses d'investissement, mais recouvrer la totalité des dépenses d'investissement n'est pas un objectif, même en cas de transfert de la propriété des systèmes irrigués aux utilisateurs. Il faut se rappeler que, dans l'encadré de la section précédente, Meinzen-Dick et al. affirmaient que «La propriété s'appuie sur une participation financière au moins partielle aux investissements». [souligné par nous]

Il est donc important de distinguer entre subventions destinées au développement du système et subventions destinées aux coûts d'exploitation du service d'irrigation. Le principe du paiement obligatoire par l'utilisateur s'appliquant clairement à ces derniers coûts, ces subventions devraient diminuer, si ce n'est disparaître. Les raisons en ont été énoncées tout au long du présent chapitre et se résument en trois points: a) le financement par les utilisateurs des dépenses d'exploitation et d'entretien incite les agriculteurs à exécuter correctement ces tâches et à en réduire les coûts au maximum; b) le recouvrement des coûts allège le fardeau budgétaire qui pèse sur les pouvoirs publics, ce qui libère des fonds pour D'autres projets de développement et c) cela contribue à garantir la durabilité des systèmes irrigués, puisque l'on ne peut pas compter indéfiniment sur un financement par le gouvernement.

Les coûts de développement des réseaux sont autre chose et, dans ce cas, on peut juger les subventions indispensables pour trois raisons fondamentales:

  1. comme on l'a vu, les petits agriculteurs risquent tout simplement de ne pas pouvoir investir dans L'irrigation, tout comme ils ne peuvent pas payer l'intégralité du prix des terres agricoles (chapitre 5); L'objectif d'équité requiert donc de les aider en ce domaine;
  2. lorsque les coûts du développement de L'irrigation s'inscrivent dans le contexte d'une politique sectorielle globale et si l'on accepte les arguments en faveur d'un soutien budgétaire de l'agriculture dans son ensemble (chapitre 3, section 3.2), le financement de la construction de systèmes irrigués, en particulier pour les petits producteurs, peut apparaître comme L'un des moyens les plus efficaces d'apporter ce soutien. Par exemple, si l'on souhaite soutenir le secteur pour compenser les effets délétères des subventions agricoles internationales sur les revenus à la ferme dans un pays donné, financer le développement de L'irrigation permettrait d'atteindre ce but sans distorsions, contrairement à une intervention sur les prix;
  3. les externalités économiques positives dans les zones rurales, notées par Echenique, peuvent justifier de subventionner le développement des réseaux. Cependant, il faut veiller à la conception et à la gestion de ces derniers afin que les externalités environnementales négatives n'excèdent pas les externalités positives (il ne faut pas non plus négliger les externalités positives du type contrôle des crues).

Le Chili et le Nicaragua fournissent des exemples récents du recours aux subventions pour aider le développement de L'irrigation chez les petits agriculteurs. Au Chili, le programme ne concernait à l'origine que les agriculteurs “commerciaux”. Il a ensuite été modifié pour y inclure un guichet distinct pour financer la construction de petits projets. Le programme a été conçu de manière à ce que l'identification des projets puisse être «pilotée par la demande», au sens où les agriculteurs proposent les projets et des cabinets de conseil locaux les aident à formuler leurs propositions. Une commission spéciale étudie ces propositions tous les trimestres, et celles-ci sont jugées en fonction de la contribution des utilisateurs aux coûts du projet, de l'étendue à irriguer et du coût total par hectare irrigué.

Au cours des six premières années de fonctionnement de ce programme destiné aux petits exploitants, 56% des propositions ont été sélectionnés et les projets ont bénéficié à 43 000 producteurs211. Le montant total de la subvention aux coûts de construction a été de 134 millions de dollars pendant cette période, et la contribution des bénéficiaires à ces coûts a été de 120 millions de dollars. Echenique souligne que deux éléments ont contribué à la réussite du projet: «L'État n'a versé la subvention qu'après acceptation finale officielle des travaux et donc [il a été] garanti que l'infrastructure d'irrigation était prête à fonctionner»212 et le projet a financé les études menées pour élaborer les propositions. En ce qui concerne le premier élément, l'émission de certificats bancables du gouvernement, permettant à l'entité chargée de la construction d'obtenir un financement privé à cette fin, a constitué une mesure clé.

Une expérience de même nature a été lancée plus récemment au Nicaragua par le gouvernement, avec le soutien de la Banque interaméricaine de développement, sous forme d'un «Programme de développement rural national» qui finance les petits projets identifiés par les communautés rurales, là encore avec les services intermédiaires de cabinets de conseil locaux (ou d'ONG). Dans ces cas, où la validité des subventions publiques pour le développement des communautés rurales pauvres est largement reconnue, il serait difficile d'arguer que la construction de L'irrigation doit être exclue des subventions, en particulier puisque L'irrigation constitue L'un des outils les plus puissants du développement rural. Comme dans D'autres expériences d'irrigation, le principal défi est posé par la bonne conception des mécanismes opérationnels, qui comprennent dans ce cas les mécanismes d'encouragement à l'identification de projets locaux et à une gestion participative, d'affectation de priorités entre les propositions, et de mise en place d'un processus d'examen et d'approbation des propositions de projets qui soit adapté à leur petite échelle. Ces défis sont d'ordre pratique, mais jamais simples, et les solutions doivent toujours être adaptées au contexte local. Mais ceci est la nature même du défi posé par le développement.

POINTS IMPORTANTS DU CHAPITRE 6

  1. L'irrigation est le premier utilisateur mondial d'eau douce, et C'est dans les pays à faible revenu que la proportion des ressources en eau utilisée pour L'irrigation est la plus forte. La majeure partie des futures augmentations de production de nourriture du monde dépendra de l'irrigation.

  2. Dans de nombreux pays, les ressources en eau renouvelable par habitant baissent de plus de 25% par décennie. Plus de 40 pays se trouvent désormais confrontés à un grave manque d'eau chronique dans au moins certaines de leurs régions.

  3. Même dans les pays où l'eau ne manque pas vraiment, L'irrigation a vu sa viabilité économique décliner, conséquence d'une productivité bien moindre que prévu en termes de revenu agricole, et des coûts élevés de la construction des réseaux d'irrigation.

  4. De plus, la conception et la gestion des systèmes d'irrigation ont souvent laissé à désirer, entraînant ainsi la détérioration et même l'abandon de quelques réseaux. La plupart des réseaux d'irrigation en fonction apporte plus d'eau que nécessaire aux cultures, et beaucoup distribuent l'eau aux usagers d'une façon inégalitaire.

  5. Les problèmes soulevés par L'irrigation sont certes multiples et graves, mais aucune autre technique ou intervention de politique agricole ne permet d'envisager des avantages de même envergure que ceux de L'irrigation, si tout son potentiel peut être exploité. On dispose à travers le monde de nombreux exemples de réussite des réseaux d'irrigation.

  6. Les principaux objectifs de la politique d'irrigation sont l'efficacité, l'équité et la durabilité. l'efficacité a des dimensions techniques et économiques - l'usage physique efficace de cette ressource rare qu'est l'eau, et la viabilité économique. L'équité signifie le traitement égal de tous les irrigateurs du réseau en ce qui concerne leur accès à l'eau et ciblage du développement des nouveaux réseaux en faveur des familles rurales pauvres en terres. La durabilité signifie éviter l'épuisement des ressources d'eau souterraine, la salinisation et D'autres formes de dégradation des sols.

  7. Au vu de la rareté croissante de l'eau dans le monde, la planification de L'irrigation met désormais l'accent sur la gestion de la demande, plutôt que sur la mobilisation de nouvelles sources d'eau douce ou le développement de nouveaux réseaux de distribution.

  8. La gestion de L'irrigation est un élément de la responsabilité de gestion de l'eau en général. La gestion de L'irrigation doit donc être placée dans un contexte holistique dans lequel toutes les utilisations d'un bassin versant sont considérées.

  9. De nombreux types d'instruments de politique sont disponibles pour mettre en œuvre des stratégies de gestion de l'eau, parmi lesquels: administration directe des redevances d'eau et de l'allocation de l'eau au niveau du système d'irrigation; gestion de l'allocation de l'eau, de sa qualité et des redevances par des autorités de bassins versant ou fluvial; développement de la capacité des usagers et des gestionnaires; implication des parties prenantes dans l'élaboration du réseau d'irrigation et son fonctionnement; décentralisation des organes gestionnaires du secteur public; codification des droits d'eau et établissement de cadres réglementaires; développement de marchés de droits d'eau; gestion conjointe des bassins fluviaux transfrontaliers; et investissements publics dans les installations de mobilisation et transport de l'eau.

  10. Adopter une approche plus systémique n'implique pas une plus grande centralisation des décisions ou un contrôle majeur du gouvernement sur les ressources en eau. Cela signifie, au contraire, développer un partenariat large dans lequel tous les intéressés, du secteur public aux agriculteurs, en passant par les collectivités locales et le secteur privé, participent à la gestion des ressources en eau.

  11. L'existence d'un cadre de politique économique nationale, à la fois macro-économique et sectoriel, propice à la croissance agricole constitue une condition préalable à tout programme de développement de L'irrigation.

  12. L'une des exigences élémentaires d'une politique de l'eau nationale, et donc d'une stratégie d'irrigation, est l'évaluation des ressources en eau du pays. Avant de se lancer dans la conception de projets d'irrigation, il convient de décider s'il faut augmenter l'offre en eau d'irrigation et, dans l'affirmative, dans quelle mesure, à la lumière des projections de bilan hydrique par bassin versant et dans l'ensemble du pays.

  13. La plupart des études de stratégies d'investissement pour L'irrigation recommande de donner priorité à la remise en état des périmètres existants, plutôt qu'au développement de nouveaux périmètres irrigués. Il faut cependant nuancer cette priorité à la remise en état. Il peut s'avérer plus important d'améliorer les aspects institutionnels du système ou son environnement de politique, que de remettre en état les structures physiques.

  14. Lorsque la réhabilitation physique semble utile, il est important d'évaluer la conception technique d'origine et de décider si elle fonctionne suffisamment bien pour justifier sa remise en état.

  15. Il existe de nombreux types de systèmes irrigués, mais les distinctions les plus fréquemment pratiquées sont les suivantes: réseaux complets/d'appoint, réseaux modernes/traditionnels (informels) et grands/petits réseaux. Plusieurs d'entre eux peuvent avoir leur place au sein d'une stratégie nationale de l'eau: l'évaluation des ressources en eau d'un pays doit donc les étudier tous.

  16. L'irrigation d'appoint compense les périodes de sécheresse à l'époque des pluies, ou prolonge la saison de disponibilité de l'eau pour les cultures. En général, elle fait appel au pompage d'eau de surface ou d'eau souterraine. Son utilisation est dictée par les conditions climatiques; dans les régions où la saison des pluies est souvent irrégulière, elle peut jouer un rôle essentiel en évitant de graves dommages aux cultures. L'irrigation d'appoint peut être importante non seulement pour augmenter les volumes de production, mais aussi pour assurer la qualité de produits comme les fruits et les légumes, car elle permet aux agriculteurs de contrôler le moment de l'approvisionnement en eau des plantes.

  17. Les petits projets d'irrigation réussissent généralement mieux que les grands, mais il a été démontré que la participation et le contrôle par les agriculteurs contribuent davantage à la réussite des projets, que leur dimension.

  18. La conception même des systèmes d'irrigation tend parfois à générer des conflits entre usagers, plus particulièrement dans les grands systèmes ayant des éléments discrétionnaires de contrôle de l'eau; elle encourage quelquefois des applications d'eau exagérées. Améliorer la conception des réseaux, généralement par des simplifications techniques, peut rendre le fonctionnement du système à la fois plus efficace dans l'usage de l'eau et plus équitable entre les irrigants.

  19. La conception d'un système d'irrigation est aussi importante pour les questions de parité hommes-femmes. Pour s'assurer que ces questions soient prises en compte, il faut en premier lieu conduire une analyse de genres dans les communautés concernées, avec une attention spéciale à l'identification des tâches des femmes relatives à l'agriculture et à l'eau. Le processus de la conception devrait être participatif, et les groupes de femmes devraient être consultées hors de la présence des hommes.

  20. Il est important d'être conscient des risques que présentent les systèmes basés sur le pompage, dans des environnements incapables de prendre véritablement en charge cette technique. Dans certains pays, il y a plus de pompes en panneque de pompes en service, faute d'un approvisionnement sur place en pièces de rechange, et d'une formation à la maintenance.

  21. Parmi les systèmes actuels de gestion des demandes en eau, on rencontre: l'allocation administrative (système de loin le plus utilisé dans les pays en développement aujourd'hui), l'allocation gérée par les utilisateurs sous leur contrôle, l'allocation par le marché des droits d'eau négociables, l'allocation conjointe par des utilisateurs et des services publics (comme dans le cas des «parlements» de bassin versant), et les décisions individuelles d'allocation prises par les propriétaires de l'infrastructure.

  22. Les règles de tarification de l'eau d'irrigation varient considérablement d'un pays à l'autre et au sein d'un même pays. Les règles de définition des prix ne sont ni systématiques ni uniformes. La seule constante en la matière est que les prix d'irrigation sont en général très inférieurs au coût de fourniture de l'eau. Le recouvrement des coûts d'exploitation et d'entretien par les prix d'irrigation va de quelques 20% à un maximum d'environ 75%.

  23. L'expérience a montré que les agriculteurs sont prêts à payer davantage pour l'eau, à condition que sa fourniture soit fiable, condition rarement satisfaite par les périmètres irrigués gravitaires.

  24. En matière d'eau d'irrigation, le prix ne joue pas son rôle normal d'équilibrage de l'offre et de la demande, sauf dans le cas des marchés de droits d'eau, qui sont encore rares. Par conséquent, dans la plupart des cas, ce prix doit être justifié par autre chose que l'équilibrage de l'offre et de la demande.

  25. Il existe cinq raisons fondamentales pour établir le prix de l'eau d'irrigation à un niveau adéquat (ce qui, en général, signifie plus élevé). Les trois premières sont liées aux préoccupations sociétales concernant l'usage d'une ressource rare et les deux autres à des préoccupations budgétaires. Il s'agit de:

    1. stimuler la conservation de l'eau;
    2. encourager l'allocation d'eau aux cultures l'utilisant le plus efficacement, ou à des usages non agricoles si la productivité nette de l'eau y est plus importante (après prise en compte des coûts du transport intersectoriel, pourvu qu'il existe une infrastructure d'approvisionnement en eau des nouveaux utilisateurs);
    3. limiter les problèmes environnementaux liés à L'irrigation, en particulier ceux qui découlent d'un usage excessif de l'eau;
    4. générer suffisamment de revenus pour couvrir les coûts d'exploitation et d'entretien des systèmes irrigués, afin que, entre autres, il ne soit pas nécessaire d'investir dans de coûteux projets de remise en état; et
    5. recouvrer les dépenses d'investissements originelles de chaque système, en plus de la couverture des coûts d'exploitation et d'entretien.
  26. Il a été suggéré que le niveau optimal de tarification de L'irrigation serait celui que les irrigateurs eux-mêmes jugent adéquat pour l'exploitation et l'entretien des systèmes, chacun payant ce qu'il/elle voudrait que les autres paient.

  27. Il peut s'avérer difficile d'augmenter le prix de L'irrigation lorsque les agriculteurs sont très pauvres (et les familles dont les chefs sont des femmes sont parmi les plus pauvres). Cependant, puisque les systèmes irrigués ne sont pas durables sans recouvrement des coûts, on doit se convaincre que le prix de L'irrigation ne constitue pas un instrument de politique approprié pour répondre aux besoins des paysans pauvres, et, de toutes façons, les exploitations irriguées génèrent presque toujours des revenus supérieurs à ceux de la couche rurale la plus pauvre.

  28. Le coût d'opportunité de l'eau pour les usages non agricoles est généralement bien supérieur même au prix requis pour couvrir les coûts d'exploitation et d'entretien. Pour cette raison, lorsque le prix de l'eau d'irrigation est fixé par les marchés de l'eau, il s'avère en général plus élevé que lorsqu'il est déterminé par les pouvoirs publics ou par les associations d'utilisateurs.

  29. Il existe une différence fondamentale entre le prix de l'eau fixé par le marché et un prix imposé: lorsque la demande du marché fait augmenter le prix des droits d'eau, les agriculteurs peuvent en tirer profit en vendant leurs droits. De toute évidence, ils ne vendront que s'ils peuvent compter ainsi sur des gains supérieurs à ce que leur rapporterait L'irrigation avec la même quantité d'eau. En revanche, une augmentation du prix administré représente pour eux une perte économique.

  30. La tarification basée sur la superficie irriguée est le système le plus utilisé, mais la tarification au volume est plus efficace et gagne du terrain. Une conception améliorée des réseaux peut aider à mettre en œuvre une tarification au volume.

  31. Des marchés des droits d'eau ont été mis en place dans certains pays. Ils ne sont pas très répandus mais ont montré des avantages significatifs dans la promotion d'un usage plus efficace de l'eau sans pénaliser économiquement les cultivateurs. Leur mise en place requiert un cadre juridique et institutionnel afin de préserver les écoulements restitués et les autres aspects des droits des tiers.

  32. Des marchés informels de droits d'eau tendent à apparaître lorsque l'eau devient rare. Ils existent dans des pays aussi divers que le Brésil, le Mexique, le Bangladesh, l'Inde, le Pakistan ou le Yémen. La reconnaissance légale et la formalisation de ces marchés peuvent en améliorer le fonctionnement et assurer la protection nécessaire à l'environnement et aux tiers.

  33. Les marchés des droits d'eau fonctionnent différemment de la plupart des autres marchés. Les conditions de concurrence - nombreux acheteurs et vendeurs - ne sont, en général, pas remplies et les transactions nécessitent l'approbation de groupes divers, depuis les associations d'usagers de l'eau au Chili et au Mexique jusqu'aux gouvernements des états de l'ouest des Etats-Unis d'Amérique.

  34. Si les marchés des droits d'eau sont intéressants, ils ne sont pas une panacée et leur mise en place nécessite que plusieurs conditions soient satisfaites, entre autres: la stipulation du mode d'allocation de l'eau en période de pénurie; l'assurance que l'allocation de départ des droits de l'eau est équitable; le recours à une technologie de gestion de l'eau permettant les réallocations; la présence d'associations fortes d'usagers de l'eau; la définition de rôles appropriés pour les autorités régulatrices et une règlementation à l'égard des droits des tiers; la diffusion des informations sur le mode de fonctionnement des marchés des droits d'eau; et un engagement politique clair et fort pour conduire la mise en place du nouveau système.

  35. L'établissement d'une structure institutionnelle de répartition de l'eau incombe, de façon fondamentale, aux politiques sociales de toute nation et joue un rôle important dans le fonctionnement des systèmes d'irrigation. L'amélioration des résultats de L'irrigation requiert une bonne gouvernance. Quatre facteurs principaux de bonne gouvernance doivent être assurés aux niveaux tant national que local: la légitimité du gouvernement; sa responsabilité envers les ayants droit; sa compétence; et son respect des droits de l'homme et de l'application des lois. Il est reconnu que le renforcement des capacités institutionnelles demande une forte participation à tous les niveaux de décision et dans toutes les étapes du processus, y compris dans la formulation de politiques et dans la conception de projets.

  36. L'autonomie financière des organismes publics d'irrigation est importante, ainsi qu'une meilleure formation de leur personnel et une amélioration de la communication avec les irrigants. Les décisions d'allocation de l'eau devraient être dévolues aux niveaux les plus bas possibles, et cela signifie généralement qu'au moins certaines décisions d'allocation soient laissées aux mains des associations d'usagers de l'eau.

  37. Dans plusieurs pays, le problème avec la gestion de l'eau par les services publics est la fragmentation des responsabilités. Une approche institutionnelle intégrée fonctionne mieux, mise à part la nécessité de séparer clairement les rôles de définition de la politique de l'eau et ceux de fourniture (ou coordination de la fourniture) de l'eau.

  38. Remettre au niveau local la gestion de l'eau aux mains des associations d'usagers de l'eau (AUE) se révèle généralement un système efficace (de moindre coût) et génère une plus grande mobilisation pour l'entretien du système - bien que quelquefois une remise en état nécessaire soit retardée à cause de son coût. Les AUE servent aussi à résoudre les conflits. Cependant, la dévolution des responsabilités d'exploitation et d'entretien aux AUE signifie presque toujours que les agriculteurs payeront plus pour irriguer.

  39. Il existe dans le monde plusieurs milliers d'associations d'usagers de l'eau. Elles sont devenues des composantes incontournables du bon fonctionnement des systèmes d'irrigation. Une grande expérience a été accumulée sur la façon de les constituer, d'en former les personnels, et sur le mode de définition de leurs relations avec les organismes publics. Décider de la répartition des responsabilités entre l'État et les AUE en matière de réhabilitation est une question critique dans le transfert de la gestion d'un réseau aux usagers. En outre, il s'est révélé plus efficace de constituer les AUE avant de construire les systèmes, et de faire participer les associations à leur conception.

  40. Une question pratique importante est celle du partage des responsabilités entre AUE et organismes publics. Cela va de la propriété complète et du contrôle total par les AUE à la propriété complète et au contrôle total par les organismes publics. Les principales options ont été résumées comme suit: contrôle total de l'organisme public; exploitation et entretien à la charge de l'organisme public, participation des utilisateurs; gestion partagée; exploitation et entretien à la charge des AUE; propriété des AUE, réglementation par l'organisme public; contrôle total des AUE.

  41. Le degré de contrôle par les AUE est généralement meilleur dans les petits réseaux et dans les sous-réseaux des grands systèmes, alors que les organismes d'État ou les fédérations d'AUE exercent leur contrôle plutôt sur les canaux principaux des grands réseaux.

  42. Une règle opérationnelle utile est que le contrôle devrait passer aux irrigants, dans les AUE et éventuellement les fédérations d'AUE, au niveau en aval duquel le seul usage de l'eau est L'irrigation.

  43. Quelques pré-conditions importantes pour la participation des agriculteurs à la gestion de L'irrigation: réunir les organisateurs communautaires et les ingénieurs en équipes afin d'intégrer les activités sociales et techniques; faire participer les agriculteurs à toutes les activités du projet dès le tout début, favorisant ainsi le renforcement de leurs capacités organisationnelles; modifier les politiques et les procédures des organismes d'irrigation qui entravent la participation des agriculteurs; et laisser assez de temps à ceux-ci pour leur permettre de s'organiser avant la construction de nouvelles infrastructures.

  44. Autres conseils importants pour développer et soutenir les AUE: reconnaître que les AUE peuvent être plus fortes si elles peuvent se bâtir à partir de formes de coopération déjà existantes; définir la participation de façon à y inclure toutes les parties concernées, y compris les tenanciers et les femmes; s'assurer que les bénéfices de la participation des agriculteurs dépassent les coûts de cette participation; instaurer le support d'un environnement politique et légal propice; garantir que les organismes d'irrigation publics effectuent bien les activités qui leur incombent; et comme mentionné précédemment, définir clairement le rôle du gouvernement dans sa participation aux coûts de remise en état des systèmes. Les assurances du gouvernement sur ce dernier point sont décisives pour la création et le bon fonctionnement des AUE.

  45. La discrimination entre les genres est répandue dans la conception comme dans le fonctionnement des réseaux d'irrigation. Résoudre ce problème nécessite non seulement de sensibiliser les irrigants mais aussi le personnel de l'organisme d'irrigation. Les femmes doivent être impliquées dès le début de la planification des systèmes d'irrigation, dont la conception doit tenir compte des tâches typiquement différentes qu'assument les hommes et les femmes. Les analyses de genres doivent être effectuées avant la conception des projets, et les groupements de femmes doivent être impliqués dans les processus de conception et de gestion des réseaux.

  46. L'irrigation peut jouer un rôle important pour augmenter le revenu des ruraux pauvres et des petits exploitants en général, à condition qu'elle prenne ces groupes pour cible. Normalement, une subvention sera nécessaire pour couvrir le coût de construction des réseaux pour petits exploitants, mais pas pour subvenir aux frais annuels d'exploitation et de manutention. Le Chili a mis en œuvre un programme d'investissements d'irrigation pour petits exploitants, au travers d'appels d'offres en concurrence, dans lequel les coûts de construction ne sont payés qu'après démonstration d'un fonctionnement conforme aux plans. Avec des programmes innovants de ce type, L'irrigation peut jouer un rôle important pour le développement rural et la réduction de la pauvreté.

193 On trouvera des études de cas intéressantes sur des expériences d'AUE sur le site Web de l'Institut international de gestion des ressources en eau à www.iwmi.org.

194 FAO, 1993, pages 294–295 [souligné par nous].

195 E. B. Rice, 1997, p. 55.

196 Le résumé qui suit est tiré en grande partie de: (a) E. Ostrom, L. Schroeder et S. Wynne, 1993, pages 224–225; (b) E. Ostrom, Crafting Institutions for Self-Governing Irrigation Systems, Institute for Contemporary Studies, San Francisco, CA, États-Unis d'Amérique, 1992, Chapitre 4; (c) R. Meinzen-Dick et al., 1997, pages 65–66; (d) E. B. Rice, 1997, pages 58–59; et D. Vermillion et J. A. Sagardoy, 1999, pages 12, 13 et 21.

197 D. Groenfeldt et C. Gorriz, Participatory Irrigation Management in Mexico, dans: D. Groenfeldt, compilateur, 1998, p. 60.

198 Oblitas et Peter, 1999, pages 11, 13–14 [souligné dans l'original].

199 Namika Raby, Irrigation Management Transfer in the Philippines, dans: David Groenfeldt, compilateur, 1998, pages 67, 68 et 70.

200 E. Ostrom, L. Schroeder et S. Wynne, 1993, pages 218–219.

201 Elena P. Bastidas, Gender Issues and Women's Participation in Irrigated Agriculture: The Case of Two Private Irrigation Canals in Carchi, Ecuador, rapport d'étude de l'IWMI № 31, Institut international de gestion des ressources en eau, Colombo, Sri Lanka, 1999.

202 Van Koppen, IWMI, 2000, p. 2.

203 B. van Koppen, Gendered Water and Land Rights in Rice Valley Improvement, Burkina Faso, dans: Bryan Randolph Bruns et Ruth S. Meinzen-Dick, Negotiating Water Rights, Institut international de recherche sur les politiques alimentaires, Intermediate Technology Publications, 2000, p. 105.

204 Van Koppen, IWMI, 2000, p. 23.

205 Kitty Bentvelsen, PIM and Gender: Examples from Macedonia, INPIM Newsletter, International Network on Participatory Irrigation Management, № 7, avril 1998, p. 9.

206 Jorge Echenique L., Utilización de Subsidios para et Fomento de la Irrigación, rapport préparé pour le bureau pour l'Amérique latine et les Caraïbes de la FAO, novembre 1996, p. 49.

207 Op. cit., p. 9.

208 J. R. Moris et D. J. Thom, 1991, p. 560.

209 FAO, 1993, p. 295.

210 N. P. Sharma et al., 1996, pages xv, xix.

211 J. Echenique L., 1996, pages 25 et 27.

212 Op. cit., p. 48.


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