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Changement climatique et conservation
d’Araucaria angustifolia au Brésil

M. Silveira Wrege, R.C.V. Higa, R. Miranda Britez, M. Cordeiro Garrastazu, V.A. de Sousa, P.H. Caramori, B. Radin et H.J. Braga

Marcos Silveira Wrege, Rosana Clara Victoria Higa, Marilice Cordeiro Garrastazu et Valderês Aparecida de Sousa travaillent avec Embrapa Florestas, la section forestière de la Corporation pour la recherche agricole brésilienne (EMBRAPA), Colombo (Brésil).
Ricardo Miranda Britez
travaille avec la Sociedade de Pesquisa em Vida Selvagem e Educação Ambiental (Société pour la recherche sur la faune sauvage et l’éducation en matière d’environnement), Curitiba (Brésil).
Paulo Henrique Caramori
travaille à l’Instituto Agrônomico do Paraná (Institut agronomique du Paraná, IAPAR), Londrina (Brésil).
Bernadete Radin
travaille à la Fundação Estadual de Pesquisa Agropecuária (Fondation de l’État pour la recherche agronomique, FEPAGRO), Porto Alegre (Brésil).
Hugo José Braga travaille au Centro de Informações de Recursos Ambientais e de Hidrometeorologia (Centre d’information sur les ressources environnementales et l’hydrométéorologie, EPAGRI/CIRAM), Florianópolis (Brésil).

La cartographie de la vulnérabilité au climat est utilisée pour prédire les zones où les changements climatiques auront des effets préjudiciables sur des espèces ou populations d’arbres données, afin d’établir les priorités des activités de conservation.

Les forêts ombrophiles (tolérantes aux fortes pluies) mixtes du sud du Brésil ont un couvert dominé par le pin du Paraná (Araucaria angustifolia), ce qui explique pourquoi elles sont souvent appelées forêts d’Araucaria (Veloso, Rangel Filho et Lima, 1991), bien que la composition de leur végétation puisse varier sensiblement en fonction de la latitude, de l’altitude, du sol et du microclimat (Reitz et Klein, 1966). Ce type de forêt qui ne se rencontre que dans les néotropiques est typique du plateau méridional.

Les forêts d’Araucaria angustifolia sont soumises aujourd’hui à des pressions considérables car elles se situent normalement dans des zones densément peuplées. Les changements climatiques récents et prédits pourraient réduire encore les possibilités de survie de ces populations d’arbres. Le présent article décrit l’origine de ce type de forêt et montre comment elle a été influencée par l’évolution du climat pendant tout le cénozoïque, l’ère géologique la plus récente (et en cours). Il met en évidence certaines limitations des tentatives faites actuellement pour cartographier la vulnérabilité au climat des populations décrites, et souligne l’importance de maintenir leur variabilité génétique pour permettre leur adaptation à un climat changeant, et dès lors leur conservation.

Araucaria angustifolia domine le couvert forestier dans la vallée de l’Itaimbezinho, État du Rio Grande do Sul, Brésil
R. Higa

À PROPOS D’A. ANGUSTIFOLIA ET DE LA FORÊT D’ARAUCARIA

Au Brésil, la forêt d’Araucaria est présente dans le sud du tropique du Capricorne à des altitudes comprises entre 50 et
1 800 m, le plus souvent entre 500 et 1 200 m; elle est entourée par la forêt subtropicale humide. Des populations fragmentées d’A. angustifolia se rencontrent aussi dans le nord-est de l’Argentine et le sud-est du Brésil (Hueck, 1953). La forêt d’Araucaria couvre 177 600 km2 au Brésil (Leite et Klein, 1990) et 2 100 km2 en Argentine (Giraudo et al., 2003).

La présence d’A. angustifolia dans la zone subtropicale du Brésil naît de la dérive continentale qui a causé la dispersion des ancêtres d’Araucaria ainsi que d’autres types de végétation. Les fossiles d’Araucaria sont répartis dans le monde entier, mais les espèces aujourd’hui survivantes ne se rencontrent qu’en Australie (sept espèces) et en Amérique du Sud (deux espèces). La zone d’origine d’A. angustifolia dans le sud du Brésil est donc incertaine. Pendant le pléistocène inférieur (il y a 1,8 million d’années à 10 000 ans), l’élévation de la plate-forme continentale à des altitudes où le climat pluvieux était adapté à l’espèce à cette latitude a permis la formation d’un noyau ombrophile ou population fondatrice. Les phénomènes géologiques qui se sont produits par la suite ont stimulé l’expansion et la contraction de ce noyau au fil du temps; au moment de son extension maximale, son aire de répartition naturelle atteignait le nord-est du Brésil (Veloso, Rangel Filho et Lima, 1991; Leite, 1994).

Araucaria angustifolia
est présente de façon naturelle sur une variété de sols, allant des sols superficiels à profonds et des sols humides à bien drainés. L’une des principales caractéristiques environnementales qui détermine sa répartition, et donc sa susceptibilité aux changements climatiques, est la présence de gelées, qui permettent à l’espèce de surclasser d’autres espèces arborescentes concurrentes aux altitudes élevées où elle prospère.

L’espèce a été intensivement exploitée pour le bois, et la superficie forestière d’Araucaria a aussi été réduite par l’expansion de l’agriculture. Bien que, de nos jours, A. angustifolia soit légalement protégée et son exploitation pour le bois interdite par la loi au Brésil, les zones restantes où l’espèce croît dans son aire de répartition naturelle sont fragmentées et clairsemées, avec seules de rares grandes populations restantes. L’état de conservation de ce type de forêt est considéré à risque. En outre, la répartition par classe d’âge des populations résiduelles est asymétrique, en faveur des classes d’âge plus élevées.

UNE HISTOIRE LIÉE AUX CHANGEMENTS CLIMATIQUES

Les études paléontologiques ont tenté de relier le climat passé à la végétation actuelle sur le plateau méridional du Brésil. On suppose que trois ou quatre grandes fluctuations climatiques pendant le cénozoïque ont influencé la répartition et la composition de la végétation actuelle. Deux périodes sèches ont eu lieu, un épisode de sécheresse extrême pendant le pléistocène et une sécheresse moins forte pendant l’holocène qui a succédé (commençant il y a 10 000 ans) (Klein, 1984).

Pendant la période sèche et froide qui a précédé le dernier maximum glaciaire, il y a 50 000 ans, la végétation était dominée par des prairies et des arbustes, les forêts étant reléguées dans des refuges au fond de vallées profondes (Ledru et al., 1996). Il y a 45 000 à 33 000 ans, l’humidité s’est accrue, et on a des preuves de la présence d’A. angustifolia, de Drimys brasiliensis et de Cyathea sp. La forêt ombrophile n’est pas apparue sur le plateau, mais seulement – sous forme de populations limitées – dans les zones de refuge sur les pentes côtières plus humides et dans les vallées des fleuves (Ledru et al., 1994). Il y a 17 000 à 8 500 ans, la région a peut-être connu une série de fluctuations climatiques dominées par des conditions de sécheresse froide, interrompues par une brève période de forte humidité il y a 13 000 à 11 000 ans. À partir de 8 500 ans environ, les températures ont continué de se maintenir basses, mais l’humidité est réapparue, stimulant la présence d’Araucaria associée à d’autres espèces des genres Symplocos, Drimys, Lithraea, Podocarpus, Myrsine et Alchornea (Ledru, 1993).

Les conditions d’humidité actuelles sont revenues il y a environ 4 300 ans (Behling, 2005). À mesure que l’humidité se stabilisait, la forêt d’Araucaria s’est étendue aux prairies subtropicales précédentes à des altitudes plus élevées. La forêt ombrophile s’est considérablement développée au cours des 1 000 dernières années dans l’État du Paraná et au cours des 1 500 dernières années dans l’État de Santa Catarina.

CARTOGRAPHIE DE LA VULNÉRABILITÉ AU CLIMAT

Dans la présente étude, deux modèles ont été utilisés pour prédire l’impact de différents scénarios de changements climatiques sur la répartition d’A. angustifolia.

D’abord, un modèle d’enveloppe climatique a été utilisé pour déterminer la gamme de conditions climatiques favorables à A. angustifolia, sur la base d’une série climatique de 30 ans concernant la région méridionale du Brésil. On s’est servi de la cartographie de la vulnérabilité au climat pour prédire l’effet d’augmentations de 1°, 2° et 3 °C de la température sur la répartition naturelle actuelle d’A. angustifolia. Les cartes ont été dressées sur la base d’une régression linéaire avec la latitude, la longitude et l’altitude pour identifier des zones potentiellement adaptées à l’espèce dans le cadre de ces scénarios. Les cartes prévoient une réduction sensible de la zone adaptée, indiquant qu’avec une hausse de 3 °C de la température seule une partie limitée de la zone la plus élevée du plateau méridional brésilien serait favorable (figure 1).

Deuxièmement, un modèle de circulation régional établi par l’Institut national brésilien pour la recherche spatiale a été utilisé pour créer des scénarios relatifs à 2010, 2030 et 2050, fondés sur des changements de la circulation atmosphérique prédits par le GIEC (2007). Les données sur les températures ont été employées pour cartographier les zones adaptées à
A. angustifolia. Les cartes ont été dressées à l’aide du programme de traitement des données géographiques ArcGIS9. Comme dans le premier modèle, la régression linéaire a été utilisée pour relier les températures à la latitude, la longitude et l’altitude. Cette deuxième simulation a prévu une réduction plus limitée de l’aire de répartition de l’espèce (figure 2).

Répartition géographique d’Araucaria angustifolia dans le sud du Brésil, selon différents scénarios de la température

Répartition géographique d’Araucaria angustifolia dans le sud du Brésil, selon différents scénarios fondés sur des modèles de climat mondiaux

VARIATION GÉNÉTIQUE ET ADAPTATION

La compréhension des facteurs qui influencent la répartition passée et actuelle d’une espèce est importante pour les programmes de conservation. Les réactions des espèces arborescentes aux changements environnementaux sont complexes. Leur survie dépendra, en dernière analyse, de la dissémination des graines et de leur capacité à se reproduire avec succès. La vulnérabilité peut se manifester par des changements dans la floraison et la germination des graines, des résultats moins favorables de la régénération et des taux inférieurs de croissance; elle est souvent aggravée par des perturbations accrues causées par les incendies et les insectes, ainsi que par la compétition plus vive avec la végétation concurrente ou exotique (introduite). L’interaction des différents facteurs de stress est difficile à prédire. Pour A. angustifolia, les principaux facteurs de stress sont le manque d’eau et les températures élevées.

La variabilité génétique dans les caractéristiques adaptatives est nécessaire pour qu’une espèce ou une population d’arbres puisse supporter des conditions environnementales défavorables. Le maintien de la diversité génétique est donc important aux fins de l’adaptation à de nouveaux environnements. Les études de variabilité de la population utilisant des outils génétiques moléculaires améliorent désormais la compréhension de l’état de diversité génétique d’espèces et de populations clés. Dans A. angustifolia, la variation génétique est présente tant entre les populations (Kageyama et Jacob, 1980; Shimizu et Higa, 1980; de Sousa, 2000) qu’en leur sein (de Sousa, 2000; de Sousa et al., 2005;Stefenon,Gailing et Finkeldey, 2008). La dispersion des graines est limitée, mais le pollen est disséminé sur des distances relativement grandes (Bittencourt et Sebbenn, 2007). Bien qu’on estime que la régénération naturelle des espèces d’Araucaria est limitée dans la plupart des lieux examinés, les niveaux de diversité dans les zones de régénération étaient encore considérés comme suffisants pour assurer la survie future de l’espèce (de Sousa et al., 2005;Stefenon,Gailing et Finkeldey, 2008).

Comme les arbres ont un long cycle de vie, le processus d’adaptation à de nouvelles conditions est probablement plus lent que le taux prédit du changement climatique mondial (Hamrick, 2004). La plupart des effets génétiques négatifs causés par le déclin et la fragmentation des populations d’A. angustifolia ne devraient être évidents qu’après plusieurs générations d’arbres (de Sousa, 2000).

CONCLUSIONS

La variation génétique est nécessaire pour l’adaptation d’espèces et populations d’arbres aux changements environnementaux et elle est essentielle à leur conservation. Des stratégies plus efficaces de conservation, in situ ou ex situ, ne peuvent être établies que sur la base des connaissances relatives aux besoins écologiques et aux modèles de variation des espèces et des types de forêts ciblés, associées à des scénarios de changements climatiques futurs.

La cartographie de la vulnérabilité peut servir à prédire les zones où les changements climatiques auront des effets particulièrement graves sur des espèces ou populations d’arbres données, afin d’établir des priorités pour la collecte de matériel génétique et les activités de conservation génétique ex situ. Cependant, davantage de variables climatiques et de modèles climatiques différents devraient être utilisés pour améliorer les cartes à l’avenir.

Corréler les informations sur la variabilité génétique d’espèces et populations d’arbres avec des cartes climatiques contribuerait à soutenir les programmes de conservation d’Araucaria. Des programmes spéciaux de monitorage et une attention accrue portée à la recherche physiologique fondamentale sont nécessaires pour améliorer la prédiction des réactions de l’espèce aux changements climatiques.

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