0668-B1

Un site à préserver: La forêt des Babors, Algérie

Par Amar MADOUI


Résumé

La forêt algérienne continue toujours à subir de multiples agressions de la part de l'homme par ces diverses actions destructrices et irréfléchies. La forêt des Babors a connu des délits de coupes inquiétantes sur les Cèdres de l'Atlas (Cedrus atlantica) durant les dernières décennies.

L'auteur essaie, à partir des photographies prises sur les lieux, de sensibiliser les services concernés, essentiellement les forestiers, de la nécessité d'une intervention urgente et efficace afin de mettre fin à ces pratiques et préserver ainsi cette forêt qui abrite une richesse floristique unique de son genre en Algérie. Elle a tous les critères pour être classée comme réserve naturelle.

Mots clés: Végétation, Dégradation, Cèdre de l'Atlas, Algérie.


Abstract

The Algerian forest continue to incur a multiple aggressions by the man with his various destructive actions and not reasoned. The forest of Babors knew troubling cut offenses on Cedars of the Atlas l'Atlas (Cedrus atlantica) during those last decades.

The author tries, from the photographs taken on places, to sensitize the concerned services, essentially foresters of the necessity of an urgent and efficient intervening to put end these practices and to preserve this forest which contains a floristic richness unique in Algeria. It has all the criters to be classified as naturel reserve.

Key words: Vegetation, Degradation, Cedrus atlantica, Algeria.

Introduction

Il est clair que la forêt méditerranéenne a connu la plus importante action humaine au cours de son histoire. D'ailleurs, le maintien et la mise en place de nombreuses espèces végétales a été l’œuvre de ses activités quotidiennes et saisonnières. Parmi ces activités, le feu et le pâturage sont à signaler en priorité, mais les coupes illicites sont à craindre et faut les prendre au sérieux. L'ampleur de ces modifications est parfois difficile à cerner. Tout le système forestier porte des traces, récentes ou anciennes de son action, et presque aucune région du bassin méditerranéen ne lui a échappé. Bien que la superficie forestière des pays du revers septentrional du bassin méditerranéen tende globalement à s'accroître, les pays de la rive sud montre quant à eux une destruction accélérée de leur capital forestier (QUEZEL et BARBERO, 1990).

La forêt algérienne est l'une des contrées qui a subi à travers le temps, l'action de l'homme de manière la plus spectaculaire. Sa superficie forestière qui est passée de sept millions d'hectares, superficie potentielle, à moins de trois millions à l'état actuel ne fait que confirmer cette réalité.

Selon de BEAUCOUDREY (1938), avant l'invasion des arabes, la forêt algérienne pouvait couvrir 5.500.000 hectares. L'historien IBN KHALDOUN cite dans ses écrits que dans les débuts de l'occupation arabe, on pouvait aller de Tripoli au Maroc en cheminant sous une voûte continue d'ombrages. En 1830, selon certaines estimations, il devait rester encore 4.000.000 d'hectares; En 1916, la superficie totale du domaine forestier excède de peu 3.00.000 hectares. En 1955, on en compte que 3.289.000 (BOUDY, 1955); alors qu'actuellement, la superficie totale du domaine forestier algérien ne peut dépasser les 2.500.000 d'hectares dont 1,8 fortement dégradés (Tableau I).

Tab. I: La diminution de la surface forestière des principales essences en Algérie (en milliers d'hectares) (BOUDY, 1955)

Essences

Surface climacique

Surface actuelle (1955)

% de diminution

Pin d'Alep

1.290

852

34

Pin maritime

13

12

08

Chêne vert et Chêne Kermès

1.807

700

61

Chêne liège

1.192

425

64

Chêne zéen et chêne afarès

82

66

19

Cèdre de l'Atlas

128

30

76

Thuya

521

157

70

Genévrier rouge et oxycèdre

502

290

42

Les raisons de cette déforestation sont multiples, mais certaines les plus importantes peuvent être citées:

- Les forêts de chêne zéen et de cèdre, dont leurs bois utilisés notamment pour les traverses de chemin de fer, ont été sérieusement appauvries par les exploitations abusives pratiquées durant la période qui a suivi la conquête (MARC, 1916).

- La colonisation a été une cause directe qui a obligé les paysans de se réfugier de plus en plus à l'intérieur de la forêt en montagnes et par conséquent d'accentuer davantage son exploitation pour leur survie; dans la majorité des cas au dépend de sa pérennité. La réplique des riverains se fait par la mise à feu (VIOLARD, 1926 in AOUADI, 1989).

- L'extension de la céréaliculture au dépend des espaces boisés et le surpâturage ont souvent contribué à la disparition de la forêt sur pente en favorisant l'érosion et entravant ainsi toute possibilité de reconstitution forestière.

- Les incendies répétés, pratiqués dans le but d'utilisation agricole et pastorale (MADOUI, 2002), suivis le plus souvent par le pâturage ont anéanti toute la forêt algérienne en empêchant sa régénération et par conséquent la dénudation des superficies considérables qui autrefois étaient verdoyantes.

- La demande accrue en produits ligneux, particulièrement durant la période de 1939 à 1946, par les colons a fait que la forêt s'est trouvée incapable de satisfaire toutes ses exigences qui dépassent beaucoup plus ses capacités. Ceci a provoqué la disparition de plus d'un million d'hectare de forêts (BOUDY, 1955).

Ces facteurs ont provoqué une réduction certaine de la superficie boisée comme ça été montré dans la forêt de Bou-Taleb (MADOUI et GEHU, 1999) et une inquiétude pour celles qui n'arrivent plus à se régénérer et sont voués à la disparition. Selon BOUDY (1955), de 25 à 30% de l'armature forestière algérienne à été régressé au bout de 120 ans, essentiellement dans les montagnes.

Le cas de la forêt des Babors

Le massif des Babors est doué d'une réputation internationale grâce à sa flore et à sa faune. D'une superficie de 2367 hectares, cette forêt, véritable relique, constitue une curiosité botanique remarquable par le rare mélange d'essences forestière que l'on rencontre (Photo 1). La présence d'un sapin endémique de la région, Abies numidica de Lannoy (Photo 2), d'un oiseau endémique aussi, la sittelle kabyle (Sitta ledanti Viellard) et d'une population de singe magot (Photo 3) leur suffit d'être pris comme une région unique de son genre méritant d'être pris en considération. Cette diversité biologique dont il est caractérisé fait que la forêt des Babors a bénéficié des visites des naturalistes depuis la moitié du 18ème siècle. Son altitude élevée qui atteint les 2004 mètres, point le plus culminant de la petite Kabylie, son climat méditerranéen mais avec des précipitations qui peuvent atteindre les 2500 mm par an et l'enneigement qui peut durer jusqu'à 5 mois avec environ 160 jours par an (SELTZER, 1946) dont la hauteur de la couche de neige peut atteindre les 4 mètres par endroit, leur ont permis d'abriter le reste des espèces reliques glaciaires du Maghreb qui y trouvent encore refuge, comme Populus tremula et Orchis nidu.

La forêt des Babors abrite, selon GHARZOULI (1989), 58 espèces endémiques qui se répartissent en 20 espèces endémiques algériennes, 21 espèces endémiques nord-africaines, 06 espèces endémiques ouest nord-africaines et 11 espèces endémiques est nord-africaines. Elles représentent par rapport aux espèces endémiques de l'Algérie du nord (QUEZEL, 1964), 8%, 18%, 5% et 17% respectivement. Comparée avec la forêt de Bou-Taleb, située au sud de Sétif et dont sa superficie dépasse les 28 000 hectares, La forêt des Babors apparaît d'une grande richesse floristique (Tableau II).

Cependant toute cette beauté écologique et richesse floristique n'était et n'est plus à l'abri de l'action encore destructrice de l'homme. Une visite de routine dans la forêt des Babors pendant le mois d'avril de l'année 1991, visite qui entre dans les différentes sorties effectuées annuellement par l'auteur, nous a surpris des massacres que subit encore la cédraie des Babors. En une matinée, et en parcourant une partie seulement de la forêt, à cause de la neige, nous avons pu compter plus d'une quinzaine de pieds de Cèdre, abattues, ébranchés, dissimulés et prêts à être emportés (Photo 4). L'état dont se trouve les troncs de Cèdre abattus montre clairement qu'il s'agit d'un travail des “professionnelles” et que ses troncs de Cèdre ont apparemment leur destination. Le trou pratiqué au bout des troncs (Photo 5) renseigne sur la manière de les faire traîner et les faire sortir de la forêt; ce qu'on appelle débardage en terme sylvicole (BOUDY, 1952). Le choix du cèdre est dû au fait qu'au Maghreb, le bois utilisé pour des charpentes est limité essentiellement au bois de Cèdre et est réputée pour l'imputrescibilité de son bois, mais sa qualité luxueuse en menuiserie est irréprochable et en forte demande de nos jours.

Tableau. II: Comparaison entre les éléments chorologiques pour les forêts des Babors et de Bou- Taleb avec ceux de l'Algérie du Nord.

Type chorologique

Algérie du Nord (Quezel, 1964)

Massif des Babors (Gharzouli, 1989)

Massif du Bou-Taleb (Madoui, 1995)

Nombre

%

Nombre

%

Nombre

%

Endémiques

247

8,5

20

4,37

12

2,84

End. Nord-africaines

126

4,3

21

4,6

24

5,67

End. Est nord-africaines

59

2,1

11

2,4

1

0,24

End. West nord-africaines

117

4,1

06

1,3

3

0,71

West Méditerranéenne

216

7,5

44

9,62

28

6,62

Ibéro-Mauretanéennes

162

5,6

19

4,15

27

6,64

Ibéro-Marocaines

47

1,6

00

00

00

0

Bético-Rifaines

15

1,6

00

00

00

0

Médit.-Macaronésiennes

30

1,0

04

0,88

4

0,90

Tyrrhéniennes

59

2,0

00

00

00

00

Est Méditerranéennes

74

2,6

05

1,09

10

2,36

Méditerranéennes

778

26,9

128

28,0

170

40,19

Oro-Méditerranéennes

29

1,0

14

3,06

18

4,25

Paléo-Tempérées

122

4,2

21

4,6

21

4,96

Atlantiques

8

0,3

00

00

0

00

Médit.-Atlantiques

81

2,8

13

2,8

1

0,24

Tropicales

6

0,2

00

00

00

00

Médit.-Tropicales

81

2,8

03

0,65

00

00

Médit-Irano-Tourran.

34

1,2

04

0,88

5

1,18

Sahariennes-Saharo.-Sind.

43

1,5

00

00

5

1,15

Médit.-Sahariennes

38

1,3

01

0,2

3

0,71

Euras., Europ. et Eu.r-Méd.

336

11,8

122

26,7

77

18,20

Circumboréales

70

2,4

07

1,5

3

0,71

Américaines

32

1,1

00

00

00

00

Cosmopolites-Eparses

122

4,2

14

3,06

11

2,60

Total

2932


457


423


Ce qui vient être cité, a été observé bien avant par les plus éminents écologistes du bassin méditerranéen, QUEZEL et BARBERO lors de leur dernière visite dans la région en 1988. Ceci, montre clairement que ces coupes illicites persistent toujours et leurs conséquences sont spectaculaires. Selon QUEZEL et BARBERO (1990), au cours des 30 dernières années, toute la partie occidentale de la sapinière de Sapin de Numidie (Abies numidica) avaient été gravement compromise par essentiellement des coupes incontrôlées. Ces coupes ont, non seulement des effets négatifs sur le boisement en place, mais aussi, et ce qui est plus dramatique, sur la flore de la forêt. Selon toujours les mêmes auteurs, le débardage de tous les cèdres coupés, dans la majorité des cas par traînage (BOUDY, 1952) sur un sol forestier en pente, avait entraîné et entraîne encore sans doute, la dégradation poussée des horizons superficiels, notamment dans la forêt de chêne zéen située sur le versant nord au-dessous de la sapinière. Cette pratique avait comme conséquence la disparition quasi complète des espèces végétales les plus remarquables de la région, caractéristiques des associations spécifiques au massif des Babors, à savoir l'association à Quercus canariensis et Epimedium perralderianum (QUEZEL, 1956). Cette constatation a été mise en évidence, il faut bien le préciser en 1988; Alors que de nos jours, la situation dans la forêt des Babors risque d'être plus dramatique et que les travaux futurs vont, probablement éclaircir cet état.

Selon BOUDY (1955), il y avait dans la forêt des Babors 1300 hectares de cèdre associé avec le sapin de Numidie qui couvre 250 hectares. Cette superficie a certainement dû subir une diminution depuis ce temps là.

Conclusion

Ce que nous avons pu constater sur terrain, est loin d'être sans effet négatif sur la flore de la forêt et par conséquent sur l'écologie de tout le massif. Ce qui est sûre, c'est que cette action destructrice et non raisonnée du tapis forestier aura certainement, au cours terme, des conséquences “douloureuses” sur les habitants de la région. Le premier paramètre climatique qui semble être le plus affecté est de coup sûr les précipitations. Le résultat d'observation durant une période de vingt ans (1915-1934) (de BEAUCOUDREY, 1938) a montré que la présence d'un massif important tend à accroître jusqu'à 8 % de la pluviosité moyenne. Toutes les conclusions émises lors des travaux écologiques, en comparant les anciennes données climatiques enregistrées par SELTZER (1946) et celles récentes fournies par l'Office National de Météorologie (ONM) (Tableau III), montrent une nette diminution dans les moyennes des valeurs récentes (GHARZOULI, 1989 et MADOUI, 1995). Ceci, s'il vient d'être confirmé, nous permet de craindre, dans l'avenir, des répercussions sur la régénération des essences forestières en place ce qui va entraîner la disparition de certaines essences qui se trouvent dans leur situation naturelle proche de l'extinction (QUEZEL et BARBERO, 1990) et par conséquent sur le régime hydrique de la région de Sétif (GHARZOULI, 1989). Et l'eau de cette région, réputée pour sa qualité supérieure au niveau nationale, ne sera qu'un souvenir. Donc une prise en charge du problème est devenue d'une urgente priorité.

Tab. III: Différence de précipitations moyennes annuelles entre les données anciennes et récentes (en mm.) dans la région de Sétif.

Stations

Seltzer (1946)

O. N. M.

% de diminution

Nord

Ain el Kebira

734

464

37

Tizi n'Bechar

720

620

14

SETIF

469

386

18

Sud

Ain Azel

427

326

24

Bou-Taleb

427

/

28

Ouled Tebben

/

307

28

Bibliographie

AOUADI, H., 1989. La végétation de l'Algérie nord-orientale: Histoire des influences anthropiques et cartographie au 1/200.000. Thèse de Docteur. Univ. Joseph Fournier, Grenoble1, 108 p.

BEAUCOUDREY, P. de., 1938. - Les forêts. Extrait du volume Algérie et Sahara. Paris, 24p.

BOUDY, P., 1952. - Guide forestier en Afrique du Nord. Ed. La maison rustique., 505 p. Paris.

BOUDY, P., 1955. - Economie forestière nord-africaine. Tome IV,. Description forestière de l'Algérie et de la Tunisie. 483 P., Ed. Larose, Paris.

GHARZOULI, R., 1989. Contribution à l'étude de la végétation de la chaîne des Babors. Thèse Magister, Inst. Bio. Univ. Sétif, 164 p. + annexe.

MADOUI, A., 1995. Contribution à l’étude de l’impact écologique des feux de forêts sur la végétation du massif forestier de Bou-Taleb (Sétif). Thèse de Magister, Inst. Bio. Univ. Sétif, 281 p. + annexes.

MADOUI, A. et GEHU, J.-M., 1999. Etat de la végétation dans la forêt du Bou-Taleb. Mont du Hodna, Algérie. Forêt méditerranéenne, t. XX (4): 162-168

MADOUI, A., 2000. Forest fires in Algeria and case of domanial forest of Bou-Taleb. Inter. Forets Fires News, April, n° 22.

MADOUI, A. 2002. Les incendie de forêt en Algérie. Historique, bilan et analyse. Forêt méditerranéenne, tome XXIII (1): 23-30.

MARC, M., 1916. Notes sur les forêts de l'Algérie. Typographie Adolphe Jourdan, Imprimeur - Libraire - Editeur, Alger, 331 p.

QUEZEL, P., 1956. L'endémisme dans la flore de l'Algérie. C. R. de la Soc. de Biogéogr. 361 p.

QUEZEL, P., 1964. Contribution à l'étude des forêts de chênes à feuilles caduques d'Algérie. Mem. de la Soc. D'Hist. Nat. D'Afr. du Nord.Nouv. Série, n°1, 57 p., Alger.

QUEZEL, P et BARBERO, M., 1990. Les forêts méditerranéennes problèmes posés par leur signification historique, écologiques et leur conservation. Acta Botànica Malacitana, 15: 145-178, Màlaga.

SELTZER, P., 1946. Le climat de l'Algérie. Trav. Inst. Météo. et Phys. Globe. Univ. d'Alger, 219 p., 54 Tab., 53 Fig., Typo. Litho. Alger.

Photo 1: Zone de contact entre le Cèdre, le Sapin et le Chêne (Cèdraie mixte), versant nord, forêt des Babors (1990)

Photo 2: Le prestigieux sapin de Numidie (Abies numidica de Lannoy), forêt des Babors (1989).

Photo 3: Le singe magot (Macaca sylvanica)

Photo 4: Vue décevante pour ce genre de situation. Délit de coupe sur les jeunes Cèdres, forêt des Babors (1991).

Photo 5: La manière de dissimuler le délit. Le trou à l'extrémité sert au débardage (1991).

Photo 6: Le reste d'un site qui a probablement commencé par subir les mêmes actions (Mont du Chelia, 1991).