0840-B2

La forêt et l’eau

Olivier JAMES


Résumé

La forêt et l'eau constituent un ensemble de relations réciproques complexes.

L’eau est une ressource naturelle dont la gestion devient une nécessité impérieuse.

Par ses fonctions biologiques, la forêt a un rôle important sur la qualité et la disponibilité de cette ressource indispensable à la société et aux écosystèmes.

La forêt diminuant les ruissellements superficiels en améliore le stockage.

Son pouvoir d’évapotranspiration est supérieur à celui des milieux ouverts. Ainsi, la déforestation de grands massifs forestiers a un impact sensible sur le climat et le régime des précipitations.

Elle est un filtre naturel essentiel des éléments polluants.

Pour jouer pleinement son rôle bénéfique sur les eaux, le forestier choisira les essences, privilégiera une régénération naturelle progressive, veillera à l’infrastructure forestière.

La forêt a un rôle conservateur de la biodiversité notamment sur les écosystèmes azonaux liés à l’eau: tourbières, mares ou ripisylves.

Avec l'actualité tragique des inondations, la protection des fonds inférieurs nécessite un boisement et une gestion durable des fonds supérieurs.

Ce document expose la problématique de l’eau en France et les principales connaissances actuelles.

Après une présentation de l’état de l’eau en France, seront abordées les interactions de la présence d’un couvert forestier sur l’eau. Puis seront exposés les effets de la mise en œuvre d’une gestion forestière respectueuse de l’eau.


1. L’eau, un patrimoine collectif

L’état de la ressource en eau en France est la suivante (Institut Français de l’Environnement):

· Prélèvements bruts: environ 40 milliards de m3 dont:

Secteur énergétique:

63%

Alimentation:

15%

Agriculture:

12% dont les ¾ prélevés en eaux superficielles

Industrie:

10%

· Consommation nette (quantités qui ne retournent pas au milieu) estimée à 5,1 milliards de m3:

Agriculture:

68%

Alimentation:

24%

Industrie:

5%

Secteur énergétique:

3%

L'opinion française se préoccupe de la disponibilité et de la qualité de la ressource en eau, reflet d’une prise de conscience plus générale de l’environnement.

Si la consommation annuelle en eau se stabilise aux environs de 6 milliards de m3 (environ 282 l/j/habitant), l’exigence de qualité s'accentue.

L'oubli des risques majeurs d’inondation, l’urbanisation souvent mal contrôlée de secteurs inondables, l’abandon des pratiques traditionnelles d’entretien des cours d’eau ou des ouvrages de protection, aggravent la confrontation de la population face à des crues ou des événements torrentiels.

La forêt intervient dans cette réflexion globale au niveau de:

Le code de l'environnement français stipule: "L'eau fait partie du patrimoine commun de la Nation. Sa protection, sa mise en valeur et le développement de la ressource utilisable, dans le respect des équilibres naturels, sont d'intérêt général".

La directive-cadre européenne du 23 octobre 2000 instaure des obligations fortes sur la connaissance, la surveillance, la préservation de la qualité des eaux superficielles et souterraines (objectif 2009).

Exemples de réglementations:

2. L'influence de la forêt sur le cycle de l’eau

La forêt et l'eau ont des interactions complexes. Les expérimentations et leurs interprétations scientifiques sont par conséquent délicates.

2.1. Forêt et qualité des eaux

La forêt intervient globalement sur les paramètres suivants:

Augmentant la perméabilité et l’aération des différents horizons par l'exploitation racinaire du sol, la forêt permet de stocker l’eau en diminuant les ruissellements superficiels et leur turbidité. Elle joue un effet régulateur des flux, mais sans améliorer la qualité de l’eau de précipitation.

Par contre, envers les pollutions azotées, les ripisylves:

Les ripisylves constituent un véritable piège si le linéaire, interface entre les zones hors forêt et la frange boisée, est significatif. Elles présentent un intérêt essentiel pour les rivières et ruisseaux de premier ordre.

On rappellera que le flux de nitrates bénéficie d’une régulation naturelle saisonnière.

Le rôle mécanique des enracinements des ripisylves permet d’améliorer la stabilité des berges. Enfin, en contribuant au maintien d’habitats particuliers (ombrage, niches écologiques variées), les ripisylves favorisent la préservation des paysages et de la biodiversité.

2.2. Forêt et évaporation

L’évaporation d’une forêt est sous l’influence de divers facteurs:

2.3. Forêt et précipitations

L'évaporation se transforme en précipitations. Cependant, si l'on admet que la déforestation des grands massifs forestiers intertropicaux modifie sensiblement le climat et le régime des précipitations, l’influence de la forêt tempérée sur ce dernier, au niveau local, serait faible et sous la dépendance de la rugosité du couvert forestier.

La pluviosité sous couvert peut par contre, être significativement augmentée par la capacité des forêts à condenser l’humidité atmosphérique, d’autant plus si l’indice foliaire est élevé.

2.4. Forêt et écoulement des eaux

Les conséquences directes de l’évaporation des forêts sont les suivantes:

2.5. Forêt et inondations

Si la forêt atténue la violence des crues intermédiaires, elle demeure sans influence sur les crues extrêmes, qui imposent de gérer les zones d’expansion, souvent urbanisées sans contrôle suffisant.

En France, une commune sur trois et plus de 2 millions de personnes sont menacées par des crues.

Les forestiers en ont donc déduit des règles particulières de gestion.

3. Analyse des enjeux: une approche indispensable

On peut considérer l'eau:

3.1. Une ressource vitale

La qualité de la ressource naturelle en eau et sa disponibilité commandent des techniques sylvicoles particulières, dans une logique de précaution.

Qualité: la forêt filtre les eaux sur une grande épaisseur, en retenant certains éléments indésirables (nitrates, phosphates, métaux lourds, polluants et pesticides divers).

La plantation d'une forêt autour d'un captage peut assurer cette protection, le boisement existant joue alors le rôle de couverture des eaux souterraines.

Hors forêt, la réalisation sur le périmètre de protection rapproché d’un captage, d’un boisement adapté, permet de limiter efficacement les risques d’intrants dans les eaux superficielles d'alimentation et la turbidité des eaux de ruissellement.

Le forestier respectera les règles suivantes:

Disponibilité:

Le massif forestier constitué doit être géré pour préserver la qualité des eaux et réguler la délivrance de la ressource. La nature des coupes permettra d’obtenir un massif de composition et de structure variées, à partir d’essences à enracinement profond, à croissance initiale rapide, afin d’exploiter tout le profil du sol disponible et d’assurer la permanence du couvert. Les éclaircies seront régulières et homogènes pour éviter les variations brutales de la nappe d’eau, tout en créant des ouvertures contrôlées du couvert forestier pour maintenir la diversité des compositions.

La ville de Munich applique ces principes depuis plus d’un siècle sur 1500 ha de forêt, assurant ainsi 80% de son alimentation avec une eau naturelle. Complétée par quelques mesures agro-environnementales (gestion des lisières, boisement de zones agricoles), son expérience exemplaire démontre qu'une gestion forestière durable contribue à une meilleure gestion de la ressource.

La possibilité offerte par les forêts alluviales, et généralement, les ripisylves, de piéger les éléments sources de pollution avant leur rejet dans les eaux libres, renforce cet intérêt.

Ces principes contribuent:

3.2. Les zones humides, refuges naturels de la biodiversité

Tourbières, mares, ripisylves, forêts alluviales, sont des milieux fragiles qui abritent une biodiversité souvent exceptionnelle dans un cadre paysager remarquable.

Diversifier la structure et la composition des habitats, favoriser l'alternance des zones de lumière et d’ombre, sont des actions que doivent renforcer une gestion spécifique et des mesures de protection réglementaire.

Tourbières: zones humides dont les conditions asphyxiantes (eau stagnante ou acidité) ont permis la formation de tourbe. Milieux extrêmement fragiles, à la genèse très lente, elles présentent des intérêts multiples: hydrologique, floristique et faunistique, archéologique, géologique, paysager et éducatif.

Leur préservation nécessite le contrôle des intrants et du bassin amont. Leur entretien impose la maîtrise de l'envahissement ligneux et l'adoption aux alentours de méthodes agro-pastorales traditionnelles (pâturage ou fauchage).

Mares: zones d'eau stagnante de petite taille et de faible profondeur, alimentées par les eaux pluviales, souterraines ou anthropiques, comportant une végétation répartie en mosaïque. Elles constituent des milieux variés d'une grande importance écologique, patrimoniale et d'un intérêt pédagogique exceptionnel.

L'entretien des ces milieux évitera le comblement et le boisement, en gérant l'accès à la lumière et en proscrivant tout intrant.

Forêts alluviales et ripisylves: respecter ces habitats abritant une biodiversité particulière, conserver leur fonctionnement au sein d'un environnement plus global, comme zone naturelle d'expansion périodique des crues. Les boires, noues, îles, berges, seront respectées pour éviter leur destruction.

3.3. Des risques naturels à contrôler: glissement de terrain, avalanches et crues

Limitation des glissements de terrain en zones de montagne: indépendamment des conditions géologiques locales, ils sont favorisés par une instabilité due à une saturation en eau des couches superficielles du sol, provoquée par des événements pluviaux importants ou une rapide fonte des neiges.

La forêt préviendra ces situations en favorisant une forte interception des pluies et améliorant le drainage du sol. A contrario, tout élément favorisant une discontinuité dans le profil hydrique du sol diminuera sa résistance aux conditions climatiques exceptionnelles.

Il est souhaitable de:

Prévention des avalanches: la forêt:

On recherchera des peuplements variés, mélangés, irréguliers, stables, et des structures en compartiments composés de groupes d’arbres très serrés et séparés par des coupures vertes, pour favoriser l’apparition de branches sur toute la hauteur des arbres de périphérie. Cette double irrégularité, horizontale et verticale, augmentera la perméabilité des peuplements aux avalanches.

La limitation des dommages des crues

La gestion des rives boisées des 280.000 km de cours d'eau français, des ripisylves et des forêts alluviales voisines constitue un enjeu que les forestiers doivent assurer:

Outre la sélection d’essences à enracinement profond, leur gestion en peuplement irrégulier apte à se régénérer naturellement, le dosage de la lumière permettra d’influer directement sur la diversité de la vie piscicole. Le couvert forestier à structure proche du taillis fureté, ne dépassera pas une moyenne de 50% pour favoriser une couverture herbacée.

Une contrainte majeure en bordure de cours d’eau est de limiter les débris ligneux au sol qui peuvent constituer des embâcles. Des démantèlements sommaires des résidus d’exploitation, préférables à l'incinération, seront préconisés. L’exploitation forestière respectera les chemins d’accès, les lits mineurs, maintiendra les biefs, gués, boires et noues qui participent de la vie hydraulique du cours d’eau par les variations saisonnières de niveau.

Enfin, on mentionnera la gestion préventive particulière des peuplements du lit majeur des grands fleuves. Si la forêt conserve un rôle minime lors d’événements extrêmes, elle a un rôle essentiel par sa présence (limitation du courant) et par son absence (dégradation de digues, ou maintien de zones d’expansion naturelles et contrôlées).

4. La gestion durable des espaces forestiers

4.1. La maîtrise du territoire

L'eau ne connaît pas les limites administratives: la gestion par unité hydrologique, du captage au bassin versant, s'impose à la collectivité. L'analyse des enjeux et la gestion seront envisagées avec la maîtrise foncière, dans un cadre de développement local et durable. Les chartes de territoire, contrats de rivières, Schémas Directeurs d'Aménagement et de Gestion de l'Eau en sont des exemples.

4.2. Le plan d'aménagement du territoire

La gestion d'un territoire dans un objectif commun nécessite une démarche globale d'aménagement par l'analyse des contraintes et des opportunités, se traduisant par un plan d'actions.

Autour du projet associant techniciens et politiques représentants de l'intérêt public, l'aménagiste adjoindra les compétences d'un gestionnaire, d'opérateurs et de bailleurs de fonds.

4.3. Les coûts de la gestion forestière respectueuse de l'eau

L'exemple de Munich montre que les mesures strictes entraînent un surcoût de gestion forestière d'environ 50€/ha, pour un revenu net d'environ 10€/ha. Ce bilan sensible à l'échelle de la forêt, demeure raisonnable pour la production d'une eau de qualité.

Une expertise complète de deux bassins versants de Lorraine (France) a montré que les mesures préventives préconisées représentaient un surcoût de gestion de 10 à 40€/ha géré, soit un coût de 1 à 5 centimes/m3, à comparer aux surcoûts de traitement habituel des eaux de surface par rapport aux eaux profondes, plus pures, qui sont de l'ordre de 20 centimes d'euro/m3.

5. Conclusion

La qualité et la disponibilité de l'eau constituent un enjeu environnemental majeur en ce début du XXIème siècle. La mise en œuvre effective de cette gestion dépend de multiples facteurs naturels, sociaux et économiques, justifiant une prise de conscience collective des enjeux.

La forêt possède des capacités réelles à intervenir significativement dans les fonctions traditionnelles qui lui sont assignées:

La prise en compte de ces fonctions constitue le fondement de la multifonctionnalité des espaces forestiers, dans le respect des principes de précaution qui doivent guider les décisions de tout gestionnaire d’espace naturel.

La forêt peut ainsi regrouper des acteurs et des synergies autour d’objectifs communs et de règles de gestion durable des espaces et des ressources naturelles.

Bibliographie:

BREDA, N., ROMAN-AMAT, B., 2001. Impact de la conduite des peuplements forestiers sur les ressources en eau. Colloque «Forêts et eau» de la Société Hydrotechnique de France, Nancy, 26-28 septembre 2001.

Carrefour des gestions locales de l’eau, janvier 2000. Actes du colloque de Rennes.

CEMAGREF, 2000. La forêt, un outil de gestion des eaux? Collection Ecosystèmes forestiers, CEMAGREF éditions. N°1, 120 p.

CONSEIL NATIONAL DE L'EVALUATION - COMMISSARIAT GENERAL DU PLAN, septembre 2001. "La politique de préservation de la ressource en eau destinée à la consommation humaine". Rapport de l'instance d'évaluation présidée par Villey-Desmeserets, F. La documentation française.

COSANDEY, C., 1999. Forêt et régime des eaux - Conséquences de la forêt sur les écoulements naturels. Actes du colloque AICEF " La forêt: sources d’équilibres? ", Dijon, 25 et 26 Novembre 1999, 93-106.

FORESTRY COMMISSION, 1988. Forests and waters guidelines, first edition. HMSO, London, UK, 24 p.

MINISTERE DE l’AGRICULTURE ET DE LA PECHE, DERF, 2000. Les indicateurs de gestion durable des forêts françaises. 129 p.

NORMAND, I., 2002. Evaluation du surcoût occasionné par la mise en œuvre de mesures forestières particulières pour la protection de la qualité de l’eau dans deux bassins versants des Vosges lorraines. Mémoire de stage ENGREF (promotion 2000-2002), Nancy.

OFFICE NATIONAL DES FORETS, 1999. Bulletin technique N°37. L’eau et la forêt. Synthèse bibliographique réalisée par FORT, C. 240 p.

ROMAN-AMAT, B., LECLERC, D., NORMAND, I., CAUDWELL, R., Office National des Forêts. "Faut-il faire évoluer la gestion des forêts pour garantir les ressources d’eau potable?" Journée thématique 2002 de l’Institut fédéral de recherches WSL, Antenne romande: Forêt et eau. 26 novembre 2002.