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Organisation pour une lutte efficace contre les feux de brousse

Chaque responsable peut imaginer une organisation des campagnes de lutte contre les feux sauvages en tenant compte, principalement, des textes légaux, de l'appui qu'il recevra des autorités, de l'attitude et de la discipline des populations. Afin d'illustrer nos dires, nous prendrons comme exemple concret, celui du projet FAO Ben/85/006 de lutte contre les feux de brousse, au Bénin auquel l'auteur a participé en qualité de consultant.

Autorités administratives et techniques

L'autorité administrative directe est le Chef de District. Il applique et adapte à sa circonscription les directives légales et décisions des Ministres compétents, traduites annuellement dans un arrêté interministériel. Selon l'article 14 du décret 82/435, le Chef de District est tenu d'entendre l'avis de l'agent forestier ayant autorité sur la région. Dans le cas présent, il s'agit d'un ingénieur béninois attaché au projet FAO et ayant grade de lieutenant dans les forces militaires et paramilitaires nationales. Son avis est une simple formalité car le Chef de District reste l'autorité compétente pour l'organisation et l'exécution des campagnes de brûlage. Pour des raisons personnelles, il peut donc décider d'interdire les feux même entre les dates arrêtées par les Ministres comme marquant le début et la fin des feux précoces. Cela s'est vu.

Sans vouloir privilégier le domaine forestier au détriment de l'aménagement pastorale, dans les régions d'élevage, et comme la loi le suggère, il semble normal et souhaitable que ce soit le forestier local qui se voit chargé de l'organisation et de l'exécution matérielles des feux précoces de protection et d'aménagement. Par sa formation écologique, il est le mieux préparé à cette tâche. Encore faudrait-il que, dans les régions où se pose un réel problème de lutte contre les feux sauvages, sa formation soit complétée par un enseignement de base portant sur la pratique des feux et leurs conséquences.

A son tour, le forestier à qui s'en remettrait l'autorité administrative et politique pour l'aménagement pastoral, est tenu de prendre l'avis des éleveurs et de décider, avec eux, du programme de brûlages et mises en protection des herbages. Ce sera un premier pas vers la délimitation plus ou moins fixe des trois domaines ruraux de l'agriculture, de l'élevage et de la forêt.

Comités de lutte contre les feux de brousse

Sous ce nom, ce sont constituées des équipes de représentants des villages chargés de seconder le forestier dans sa lutte contre les feux nuisibles. Habitant les différents villages, eux-mêmes agriculteurs et éleveurs, ils sont directement intéressés par le programme d'action et restent en contact permanent avec leurs concitoyens dont ils sont les délégués. Ils sont recrutés parmi les membres actifs et relativement instruits de la communauté.

Au cours des réunions précédant la campagne, le forestier les entretient des divers aspects et objectifs de celle-ci, des aléas de la protection absolue, des dégâts immédiats ou cumulatifs des incendies tardifs, des multiples avantages d'un brûlage précoce bien conduit. Il leur expose les précautions à prendre, les conditions d'un feu léger mais efficace, des possibilités d'axer un véritable aménagement du territoire sur un programme bien conçu de mises à feu successives, etc.

Dans un premier temps, le forestier leur donne toutes les explications voulues, dans un langage simple et approprié ce qui leur permet, à leur tour, de sensibiliser leurs concitoyens souvent moins lettrés et moins ouverts qu'eux. Il insiste bien entendu sur la sécurité, pour les biens, et les avantages d'un aménagement des territoires du village.

Avec eux, il pratique les premiers feux, occasions de leur enseigner la technique et de leur faire saisir l'importance de facteurs tels que l'heure, le vent, la sécheresse des herbes, la pente, le couvert, etc.

Directement intéressés et délégués pour la campagne de brûlage, les comités travaillent sous la direction du forestier qui, au début, conduit personnellement les opérations, village après village. De leur côté, les comités doivent convaincre les habitants et obtenir l'entière collaboration des autorités locales et autres personnes influentes. Il leur faut concilier les objectifs des éleveurs avec ceux du forestier.

Avant la date prévue pour la campagne de brûlage, ils contrôlent les mesures prises par chacun pour protéger ses biens (nettoyage des abords du village et des herbages de saison sèche, préparation des pare-feu, etc.).

Ayant eux-mêmes pu observer, avec les commentaires du forestier, les effets bénéfiques des feux précoces, ils sont capables de citer des faits concrets et de montrer des exemples dans le voisinage de leur village (repousse de la jeune herbe, sauvegarde des fruits de Vitellaria et de Parkia, récolte de rameaux feuilles pour nourrir le bétail en cas de besoin, arrêt des feux à l'approche des pâturages humides ou la nuit, etc.).

Au besoin, il leur faut convaincre le féticheur qui se refuserait encore à célébrer le début des feux de brousse à une date assez avancée. En effet, cette cérémonie s'accompagne de consommation de bierre de sorgho dont la récolte n'a peut-être pas encore commencé. En cas de prépondérance de l'avis du féticheur, le forestier et le comité ne manqueront pas de comparer la situation du village avec celle de localités voisines où le feu a été allumé plus tôt, dans de meilleures conditions.

Le Bénin n'est pas le seul pays à privilégier l'organisation des populations en vue d'une lutte plus efficace contre les feux de brousse.

La plupart des pays africains au sud du Sahara ont mis sur pied de nombreux comités villageois de lutte. Il en existe 4 400 au Sénégal seulement.

En général, un comité supervisé par un président comporte 20 personnes réparties dans des équipes de 5 à 10 combattants dirigées par des chefs de lutte (conduisant les travaux). Un comité dispose d'un lot d'outils manuels dont la composition est la suivante: 20 casques, 20 paires de gants, 10 râteaux, 10 haches, 2 allume-feu, 20 combinaisons, 20 pompes manuelles, 10 pelles, 5 seaux, 20 paires de bottes, 10 batte-feu, 10 coupe-coupe, 5 jerrycans.

Au Sénégal, les membres des comités sont dotés de tenues (combinaisons, gants imprégnés d'amiante, bottes et casques) et d'un insigne qui les distingue et les motive beaucoup au sein des populations rurales. Les femmes participent activement aux comités.

Au-dessus des comités villageois certains pays ont mis en place un comité national, des comités départementaux, provinciaux et de district.

Au Bénin, le Comité national regroupe des représentants de certains départements ministériels et procède au lancement des campagnes de lutte. Il répercute les instructions du Gouvernement aux comités de district qui s'appuient sur les villageois.

En Côte d'lvoire, le Comité national de défense des forêts et de lutte contre les feux de brousse créé par un décret de 1986 est chargé de faire face au fléau des feux par l'application des mesures préconisées par le Gouvernement. Il propose des solutions utiles et émet des recommandations tendant à empêcher la déforestation inconsidérée et la destruction de la faune. Il propose et aide à mettre en oeuvre les moyens d'éducation et d'information des populations. Il dispose d'un secrétariat, des comités départementaux et villageois pour mener à bien sa mission, etc.

Sensibilisation

La sensibilisation des populations rurales à la nécessité de lutter contre les feux de brousse sauvages et dévastateurs est un point très important de la campagne. Dans les premières années, le forestier doit y consacrer tout le temps dont il dispose car les villageois lui apporteront une aide plus efficace s'ils sont convaincus du bien-fondé des directives reçues au lieu d'obéir à un ordre ou se plier à une corvée supplémentaire.

Dans l'exemple développé ici, le forestier a réalisé un montage de diapositives qu'il présente et commente dans les villages avant que ne débutent les travaux de protection préparatoires aux brûlages hâtifs. Il est accompagné d'un questionnaire destiné principalement aux enfants des écoles. Grâce aux prises de vues successives faites au même endroit, un tel montage peut montrer très clairement:

* l'effet nuisible du feu tardif soit au cours d'une même saison soit après plusieurs années comme le font les figures 15 à 18. Elles illustreront la perte des fruits comestibles, la nécrose et la repousse difficile des branches d'arbres, les récoltes détruites ou léchées par les flammes, la violence des incendies tardifs, l'effet du vent, etc.;

* l'action bénéfique des feux précoces: repousse des herbes, protection des fruits et pâturages ligneux, faible intensité du feu, etc.;

* les techniques et l'effet protecteur du nettoyage des pare-feu: fauchage, incinération, etc.;

* la différence d'intensité entre feu activé par le vent ou progressant contre lui, montant ou descendant une pente, etc.;

* des vues en gros plan d'herbages nettoyés ou non de leur vieux éléments par le feu précoce, base des chaumes avec développement des bourgeons de remplacement ou calcinée jusqu'au sol, etc.

La séance-type, pour les écoles, modèle à adapter aux mentalités régionales, se déroule selon le schéma suivant qui a fait ses preuves.

* Tout d'abord, I'attention des élèves est éveillée par un concours de dessin: l'instituteur et ses élèves essaient d'éteindre un feu menaçant la plantation de l'école ou un père et ses enfants protègent leur récolte à l'approche d'un feu de brousse.

* Sur le terrain, les questions sont posées tandis que les réponses des élèves sont enregistrées. Au total, 25 questions se rapportent à la saison et aux facteurs favorables au feu de brousse, aux avantages du feu précoce, à leur réglementation, à la nécessité d'ouvrir des pare-feu et de protéger les biens, à l'action fertilisante des cendres, à l'organisation de la campagne de lutte contre les feux sauvages, etc.

* Le tout est entrecoupé d'intermèdes musicaux et, en fin de journée, les points sont attribués pour les dessins et réponses.

Au début de cette étude, il fut question d'une tradition du feu tardif née d'une législation inadaptée parce qu'utopique dans les régions à longue saison sèche.

En associant étroitement les enfants aux campagnes de protection et de brûlages précoces, on table sur une possibilité réelle d'une rapide et profonde mutation des mentalités devant reconduire à une tradition du feu précoce. Les enfants sont un public sans idées préconçues et arrêtées, dont l'esprit est en plein éveil et prépare les mentalités de demain. La collaboration des instituteurs introduit les notions de sauvegarde de l'environnement, d'économie, de protection des biens, de vue à long terme, etc., découlant de la pratique des brûlages hâtifs faute de pouvoir réussir la protection absolue contre le feu.

Il est surtout important que la leçon sur les feux de brousse se poursuive par une visite sur le terrain du maître et de ses élèves pour contrôler l'effet réel des feux précoces et trop violents.

La collaboration des enfants des écoles a un impact certain sur leurs parents. Enfin, du point de vue pratique, ils sont libres et réunis pour les séances de sensibilisation et, après la classe, pour aider aux feux préventifs et d'aménagement contrairement à leurs camarades qui ne fréquentent pas l'école et sont souvent chargés de la garde des troupeaux.

L'éducation et l'information pour sensibiliser les populations rurales et urbaines sur la nécessité d'éviter les feux de brousse figurent en bonne place dans la stratégie de lutte contre les incendies de forêts mise en oeuvre dans la plupart des pays africains.

Les jeunes, les responsables de demain, sont particulièrement impliqués dans des campagnes de sensibilisation organisées chaque année avant et au cours de la saison des feux. Tous les moyens médiatiques sont mobilisés pour mener à bien les actions d'éducation et d'information des populations rurales et urbaines.

Les comités nationaux, les services ou projets chargés de la protection de la nature ont conçu dans de nombreux pays des documents intéressants (affiches, auto-collants, tee-shirts).

Organisation des brûlages

Une première participation active des écoliers avec leur instituteur consiste à exécuter les travaux de protection des abords de l'école ou d'une partie du périmètre de village. Plus tard, ils seront répartis au sein des diverses équipes de brûlage, encadrées par le forestier, ses travailleurs éventuels, les membres des comités de lutte, les responsables du développement rural, etc. Ces équipes doivent être assez nombreuses et bien fournies si l'on veut traiter tout le territoire d'un village en une ou deux après-midi. La campagne doit être l'oeuvre de tous et revêtir un caractère d'événement exceptionnel. Nous avons vu que, dans certaines régions, elle était décidée par le féticheur et précédée d'une cérémonie.

Durant les premières années, la préparation psychologique et technique des campagnes occupe tout le temps du forestier pendant plusieurs semaines du début de la saison sèche. Des contacts sont également pris avec le Chef de District qui assume la responsabilité administrative des opérations, les responsables de l'élevage, de l'agriculture, de la vulgarisation agricole, afin d'arrêter les modalités d'aménagement, par le feu, des divers domaines intéressés et le calendrier des opérations par circonscription. Il désigne les responsables des campagnes auxquelles il ne peut participer personnellement, se réservant d'encadrer les équipes les moins entraînées Il lui faut peut-être aussi procéder aux travaux de protection et du brûlage dans les plantations et champs d'expériences qu'il gère.

Figure 30.1 - L'importance de l'image suggestive dans l'éducation et la sensibilisation sur le feu de brousse et ses effets

Figure 30.2 - L'importance de l'image suggestive dans l'éducation et la sensibilisation sur le feu de brousse et ses effets

Figure 30.3 - L'importance de l'image suggestive dans l'éducation et la sensibilisation sur le feu de brousse et ses effets

De leur côté, les autorités villageoises assurent la collaboration du plus grand nombre malgré les réticences qui ne manquent pas. Les raisons évoquées seront par exemple: surveillance des troupeaux, récoltes en cours, préparations des champs d'igname, fatigue et bien d'autres prétextes pour échapper à ce que certains considèrent une corvée supplémentaire.

Quelques jours avant la date prévue pour les mises à feu, les membres du comité local et les autorités du village contrôlent la bonne réalisation des nettoyages et pare-feu de protection, les faisant éventuellement compléter sans plus attendre, avant la campagne.

Enfin, les équipes procèdent aux brûlages de protection et d'aménagement selon les modalités décrites plus haut. Quelque temps après et contrairement à ce qui se fait parfois, il ne faut pas négliger la seconde phase, qui peut être la plus efficace, de la sensibilisation c'est-à-dire l'évaluation des résultats. Accompagné des membres du comité de lutte et, si possible, de l'instituteur et des autorités du village, le forestier établira le bilan de la campagne. Sur le terrain, il jugera de l'efficacité des mesures de protection, évaluera les dégâts éventuels, attirera l'attention sur la sauvegarde des fruits et feuillages des arbres, la repousse d'herbes, l'état des herbages débarrassés de la vieille litière. Il profitera de l'occasion pour compléter sa collection de diapositives didactiques. Si les enfants de l'école ne sont pas présents, l'instituteur sélectionnera quelques points forts à leur montrer par la suite.

Détermination des dates

Annuellement, l'assemblée des Ministres compétents décrète la date limite des feux précoces autorisés. De même, 1e Chef de District décide de celle du début des campagnes officielles de brûlage. Ces décisions doivent être prises et transmises rapidement pour permettre d'établir le calendrier des opérations tandis qu'elles ne peuvent être précisées qu'une fois terminée la saison des pluies. La communication des dates suit généralement la voie hiérarchique mais il est bon qu'elle se fasse également par la presse, la radio et la télévision afin d'atteindre, au plus vite, les intéressés.

Actuellement, tous les pays africains ont organisé, souvent en annexe des Services de la météorologie nationale, un Service de l'agrométéorologie chargé d'aider l'agriculture grâce à l'exploitation des données météorologiques et climatiques et à l'extension du réseau d'observations. C'est à lui que devrait revenir le soin d'établir ces dates. Nous avons vu que l'indice de sécheresse du sol semble être un facteur intéressant à utiliser et l'agrométéorologiste pourrait donc le mesurer avec précision, contrôler, avec le forestier, ses valeurs les plus adéquates et répondant au mieux aux conditions optimales de brûlage précoce. D'année en année, il améliorera le programme de calcul prévisionnel des valeurs choisies, au fur et à mesure de l'introduction des données climatiques journalières. Toute autre méthode de détermination de ces dates peut être préférée à l'indice de sécheresse du sol pourvu qu'elle permettre une prévision valable et suffisamment rapide.

Conclusions

De ce chapitre consacré aux campagnes de brûlage hâtif de prévention et d'aménagement, on retiendra quelques points importants, à savoir:

* Si la législation ne le prévoit pas encore, il y a lieu, dans les pays ou régions connaissant un danger de feux de brousses sauvages, de prévoir une interdiction des feux tardifs et, surtout, une possibilité de recourir au brûlage hâtif dans un but de protection et aussi d'aménagement agrosylvopastoral du territoire ainsi qu'une organisation de celui-ci par un service compétent, en l'occurrence le Service des Eaux et Forêts agissant en délégation des pouvoirs de l'autorité administrative.

* La date limite des feux hâtifs autorisés sera fixée annuellement par le service agrométéorologique et son mode d'établissement adapté selon les réalités observées en cours de saison sèche ou suivant les observations communiquées par le service forestier organisateur des campagnes. La date de début des campagnes n'est importante que par l'obligation qu'elle implique, regardant la préservation de tous les biens combustibles avant le début des campagnes officielles de mises à feu.

* Vu l'importance pratique de ces campagnes dans les régions d'élevage, elles seront confiées à une autorité techniquement compétente, le service forestier, par exemple, tenu de travailler en étroite collaboration avec les éleveurs ou leurs délégués. Autant que possible, une répartition des priorités sera établie entre un domaine pastoral et un domaine forestier. Au sein de ce dernier, la production de bois et la reforestation, en général, ne peuvent s'opposer à toute agriculture itinérante indispensable et à un recours à la jachère forestière qui l'accompagne nécessairement.

* Les campagnes seront soigneusement préparées par une sensibilisation des populations concernées en privilégiant les jeunes générations et en associant les instituteurs des écoles rurales. Des comités de lutte contre les feux de brousse sauvages seront constitués. Ils participeront activement à cette préparation psychologique de la campagne qui tend, avant tout, à une transformation des mentalités et à une généralisation traditionnelle du feu hâtif.

* Les campagnes de brûlage seront progressivement confiées aux comités de lutte, le forestier et son personnel technique éventuel se consacrant prioritairement à l'encadrement des équipes les moins entraînées et aux travaux de protection et d'aménagement de sites particuliers ou dont ils ont la responsabilité directe: boisements, expérimentations, etc.

* Peu après les campagnes, le forestier, les comités, instituteurs, autorités locales feront l'évaluation de la campagne et commenteront les résultats et, ainsi, rassembleront les éléments permettant de compléter la sensibilisation de la population et des élèves. Il ne faut nullement négliger cette phase de la publicité pour les feux précoces car elle est la plus convaincante puisque s'appuyant sur des réalités, des cas tangibles et non sur de simples photographies et des développements théoriques.

* A cette occasion, le forestier et, si possible, I'agrométéorologiste feront le point au sujet de l'efficacité des dates établies et de leur mode de calcul.

Chleq et Dupriez (1986) concluent, pour leur part, au sujet du feu au Sahel:

... mettre en place une autorité du feu dans chaque village et dans chaque communauté est donc une question de survie... Le feu a une telle importance pour le devenir des populations sahéliennes qu'il ne devrait exister aucun territoire. .. qui ne soit soumis à des règles précises édictées par une autorité du feu...


Aménagement des parcs et réserves


Origine et vocation des parcs et réserves
Conception de la gestion
Aménagement préconisé


Longtemps, la politique de protection absolue contre le feu a prévalu dans les réserves et parcs naturels. La raison en était que ces zones devaient être soumises aux seules lois naturelles et donc soustraites toute action de l'homme, dont le feu de brousse. Il a fallu pourtant revoir cette conception suite à quelques accidents spectaculaires et à une recrudescence du braconnage.

Origine et vocation des parcs et réserves

Dans les régions savanicoles à longue saison sèche, la plupart des parcs et réserves naturels ont été créés dans le but de sauvegarder et maintenir dans leur état initial des biotopes jugés intéressants. Ce sont souvent des forêts claires et savanes riches en grands ongulés. Parfois, la présence de quelques massifs de forêt dense et de galeries forestières fermées ajoute à la diversité des paysages et renforce la valeur écologique du domaine. Mais ces sites à flore et faune particulières sont souvent de faible étendue et en voie de disparition si l'on ne prend pas des mesures efficaces pour les sauver. C'est un des buts du classement.

Conception de la gestion

Deux conceptions s'opposent quant à la gestion des zones ainsi mises en réserve, indépendamment de la tolérance d'une certaine occupation humaine et du respect de droits coutumiers de chasse, pêche, etc. On peut les schématiser comme suit.

Conception du botaniste et de l'écologiste

Cette conception fut longtemps la seule admise car elle exclu toute intervention humaine et condamne le recours au feu même dans une perspective de sauvegarde et de protection. Lors d'échanges de vues sur la gestion des parcs zaïrois, en 1963, des personnalités très écoutées estimaient que le feu devait être absolument prohibé. A titre d'argumentation ils avançaient ce qui suit:

* Les fluctuations du nombre d'antilopes au Parc National Albert sont un phénomène qui ne semble pas être, à longue échéance, lié à des feux de brousse réguliers et artificiels. Dès lors, on peut peut-être considérer le problème sans une arrière-pensée aux antilopes. Dans ce cas-là je crois qu'on a le droit de condamner les feux de brousse comme étant un instrument dangereux et désastreux pour les milieux naturels, les microorganismes du sol y compris. S'il faut préserver les habitats dans une réserve intégrale, les feux de brousse artificiels ne peuvent pas. à mon avis, être acceptés comme une méthode d'aménagement.

D'autres personnalités sont plus nuancées et acceptent, souvent à contrecoeur, d'incendier périodiquement quelques stations pour éviter que le gibier ne sorte des limites et soit abattu hors de la réserve. C'est à cette époque que l'on a commencé au Parc Albert (Nord-Est du Zaïre) à brûler une zone périphérique de la réserve pour empêcher la fuite du gibier vers le Parc Reine Elisabeth ougandais, contigu et où se pratiquait le feu précoce.

Il ne faut pas oublier que la protection intégrale contre l'incendie est pratiquement impossible dans les régions à longue saison sèche. Toutefois les modifications de la flore dues à une telle protection peuvent être totalement annihilées par un seul feu tardif accidentel. Vers les années 40, un terrrible incendie a dévasté la partie nord du Parc Krüger, en Afrique du Sud. Une douzaine d'années plus tard, de vastes étendues boisées n'avaient pas encore retrouvé leur ancien aspect. Partout les arbres morts attendaient encore les jeunes brins devant les remplacer. Le gibier retrouvait, peu à peu, la nourriture et les abris qui abondaient avant l'incendie. Et le cheptel n'atteignait pas encore 10 pour cent de ses effectifs antérieurs.

L'objectif poursuivi par les écologistes est la reprise de l'évolution progressive du milieu arrêtée par la généralisation des feux. Les végétations ouvertes se referment progressivement, s'embuissonnent tandis que, s'il en subsiste des éléments, la forêt climacique s'étend au détriment des formations secondaires, forêt claire et savane. Simultanément, la faune évolue, la faune forestière remplaçant la faune savanicole.

Conception du zoologiste et du touriste

Très souvent c'est la richesse ou, tout au moins, la potentialité du cheptel sauvage qui fut l'élément prédominant lors de la mise en réserve du domaine, dans la plupart des pays soumis à une longue saison sèche. Or cette situation est l'aboutissement d'une très longue pratique du feu de brousse. Les gouvernements tiennent à sauvegarder et accroître la diversité et l'importance des populations animales qui constituent l'attrait principal des parcs nationaux. Il s'y développe un tourisme spécifique dont les retombées ne sont nullement à dédaigner pour les économies nationales. De plus, diverses études assez récentes ont montré que, dans les zones très sèches et à végétation plus ou moins steppique, les grands ongulés parfaitement adaptés produisent davantage de viande par hectare que les troupeaux de bovins domestiques (Hardouin, 1977).

La protection absolue, avons-nous vu, conduit à une reforestation des savanes et à un renforcement de la strate supérieure de la forêt claire. Cette évolution du couvert est préjudiciable aux herbivores savanicoles et peut leur causer de grands dommages en cas d'incendie tardif accidentel. D'autre part, elle facilite le braconnage. Celui-ci s'opère de deux façons principales. La méthode la plus légale consiste à brûler les abords de la réserve pour attirer le gibier dans les jeunes pâturages régénérés. L'autre est plus brutale puisqu'il s'agit d'incendies tardifs, souvent encerclants, allumés illégalement par des braconniers nombreux, armés et décidés à se défendre si on tente de les interpeller.

Aménagement préconisé

Les deux conceptions se défendent et, comme souvent, l'idéal est tenu de faire des concessions au pratique. D'autre part, le grand ennemi actuel des réserves et parcs naturels, en Afrique, est le braconnage bien plus que le feu réellement accidentel, les autres incendies étant le fait des chasses illicites. Or la lutte contre ces pratiques frauduleuses autant que la surveillance étroite des troupeaux séjournant, légalement ou non, dans les limites de la réserve, coûtent très cher. Les frais ne peuvent souvent être supportés que dans le fait d'une autogestion, donc par des rentrées au moins équivalentes. Dans les premiers temps, lorsque le cheptel sauvage doit encore être reconstitué, ce n'est que le tourisme qui peut apporter les fonds nécessaires. Plus tard, quand la population animale est telle qu'elle met les équilibres biologiques naturels en danger, il est nécessaire d'éliminer les animaux en surnombre, ce qui rapporte des capitaux (vente de la viande et des trophées, chasses organisées, etc.).

Ainsi donc c'est la richesæ faunistique qui est à la base de toute l'économie du domaine, l'aménagement des voies d'accès et des infrastructures d'accueil devant suivre, bien entendu. C'est pourquoi, nous préconisons les mesures favorables au gibier et susceptibles d'entraver le braconnage. Ces mesures s'inscrivent dans un aménagement général de la région, en fonction des droits coutumiers et des relations avec les pays voisins. En effet, beaucoup de parcs nationaux africains sont situés le long des frontières et se prolongent dans les pays limitrophes par d'autres parcs.

Heureusement, les réserves et parcs, surtout s'ils débordent au-delà des frontières, sont généralement assez étendus pour permettre à chacun d'opter pour une gestion qui réponde à ses aspirations, sans affecter la sécurité des parcs et réserves en question. Quelques réflexions peuvent aider à la mise au point d'un aménagement adéquat, en vue de la protection contre les feux de brousse. Elles s'inspirent de l'aménagement sylvopastoral développé plus haut.

* Les feux précoces sont pratiqués sur tout le pourtour de la réserve et vers l'intérieur de celle-ci ainsi que de chaque côté des pistes et autres voies de circulation ouvertes au public. Cette première mesure réduit considérablement les risques de propagation des incendies allumés par

imprudence, ainsi que la pénétration des feux venant de l'extérieur et concentre le gibier à l'intérieur des limites et le long des parcours touristiques.

* Ce premier cloisonnement est complété par l'incinération de pare-feu supplémentaires. En terrain peu boisé, il est assez facile de tracer des bandes de protection en traînant un gros madrier ou un large traîneau tirés par un véhicule. Les herbes écrasées sèchent plus vite et peuvent brûler avant que le feu n'embrase toute la savane voisine. Les pare-feu sont préparés par un seul ou plusieurs passages contigus. L'objectif poursuivi est de découper le territoire en un certain nombre de secteurs homogènes (parcelles) et de dimension convenable.

* Le plan général d'aménagement est alors conçu. Certains secteurs bordant des galeries forestières ou contenant des massifs de forêt dense sont désignés pour être protégés intégralement contre les incendies. Le nettoyage des pare-feu qui les limitent est particulièrement soigné. Les zones ainsi mises en réserve intégrale contre toute action humaine sont tenues écartées de toute piste accessible au public et seuls les scientifiques désireux d'étudier l'évolution de la végétation, de la faune, du sol, du climat y sont admis. Comme lors d'un aménagement sylvopastoral normal, il est parfois indispensable d'accroître la sécurité en les quadrillant eux-mêmes par un réseau plus serré de coupe-feu. Durant toute une période de l'année, ces secteurs vont servir de refuge aux animaux les plus craintifs et c'est là qu'il convient de lâcher éventuellement les individus introduits pour enrichir le cheptel. Plusieurs espèces recherchent également les zones plus touffues ou riches en fourrés pour mettre bas.

* Dans les autres secteurs réservés au pâturage des grands ongulés savanicoles, les brûlages précoces successifs sont pratiqués en suivant les mêmes règles que pour les zones d'élevage, avec les parcelles mises en réserve et servant de pâturage de saison sèche alternant avec des herbages régénérés selon une rotation annuelle.

Un type de gestion appliqué aux parcs et réserves de l'Afrique de l'Ouest mérite aussi d'être mentionné.

D'après M. Condamin et R. Roy (1969) il est coutumier d'allumer très tôt en saison sèche à partir du mois de décembre, des feux précoces au parc national du Niokolo Koba au Sénégal. Ce feu hâtif apporte les avantages suivants:

Ces feux précoces n'ont pas que des avantages; ils ont également des inconvénients dont la destruction des nids d'oiseaux, I'élimination de beaucoup d'insectes qui sont à la base de l'alimentation de nombreuses espèces d'oiseaux, etc. Les cobes des roseaux (Redunca redunca) sont certainement rares au parc du

Niokolo-Koba, les grandes herbes dans lesquelles ils préfèrent étant détruites par les feux.

L'aménagement des réserves de chasse peut s'inspirer de ces règles en apportant une préférence plus grande encore aux mesures susceptibles d'accroître le développement et la prolifération du gibier.


Alternatives au feu de brousse


Valorisation par l'élevage
Valorisation par l'agriculture
Résultats escomptés


Si toute cette étude semble faire l'apologie du feu précoce c'est parce que, dans l'état actuel des comportements des populations rurales, la protection absolue contre les feux de brousse est encore utopique et que la tradition des brûlages tardifs ne peut être combattue que par une généralisation des incendies hâtifs. Il ne faut cependant pas ignorer que l'incinération d'une biomasse végétale importante est un gaspillage écologique regrettable. En effet, la forêt climax dont le feu, même léger, ralentit ou entrave la reconstitution, joue un rôle sur le sol, le climat, le bilan hydrique, etc., que n'égale nullement celui de la forêt claire et encore moins celui de la savane.

La simple bilan énergétique néglige souvent la qualité de la matière organique. Son pouvoir calorifique ne peut être assimilé à celui du combustible minéral du fait du faible rendement de la photosynthèse indispensable à son élaboration. Il s'agit d'une énergie plus noble dont la réelle valeur dépasse largement celle de la seule chaleur que dégage sa combustion vive.

Il y a donc lieu de chercher une meilleure utilisation des herbes que leur incinération au cours des campagnes de brûlage. Si le forestier trouve difficilement une telle valorisation, par contre, elle rentre parfaitement dans les programmes de développement rural et d'amélioration de l'agriculture et de l'élevage. Voici simplement citées quelques suggestions offertes à la réflexion des spécialistes.

Valorisation par l'élevage

La diversification et l'intensification des méthodes d'élevage sont souvent souhaitables, principalement lorsque le propriétaire des troupeaux s'adonne également à la culture. Ces bienfaits se doublent d'une valorisation des herbes et de certains sites souvent considérés comme sans grand intérêt. Deux voies principales se présentent.

Traction animale

Lorsqu'on parcourt les régions soudano-sahéliennes, on est souvent frappé de constater que le boeuf est utilisé comme bête de trait et de selle dans quelques villages voisins alors que partout ailleurs, il n'est élevé que pour sa viande. Or il s'agit des mêmes races bovines.

L'endroit n'est pas indiqué pour développer tous les avantages d'un tel élevage ni ses implications sur l'organisation du dressage, de la fabrication et de l'entretien d'un matériel agricole et de transport adapté. Elle soulage le cultivateur dans les lourds travaux de labour et de portage. En ce qui nous conœrne, la traction animale, généralement bovine ou asine, implique un élevage, au moins partiel, en enclos avec apport d'une partie de la nourriture.

Ce sera l'occasion, par exemple, de transformer en culture fourragère à haut rendement, certains fonds de vallées humides et ne portant qu'un herbage grossier, de peu de qualité. En début de saison sèche sinon tout au long de celle-ci, le paysan peut y couper de grandes quantités de fourrage vert.

En début de saison sèche, lors des travaux préliminaires de protection des habitations et des récoltes, il peut couper également une herbe haute abondante qu'il peut donner en nourriture à ses bêtes de somme qui seront utilisées pour son transport.

A la même époque, d'autres graminées enrichies de produits secondaires de l'agriculture (fanes de légumineuses, balles de céréales, etc.) conviennent parfaitement pour la préparation d'ensilage.

Elevage d'embouche

L'enclos destiné aux animaux de trait peut aussi accueillir quelques bêtes réclamant des soins particuliers et principalement une alimentation améliorée: femelles en fin de gestation ou en lactation, jeunes mâles en surnombre et animaux réformés à remettre en forme avant la vente pour la boucherie, etc.

Ici encore, l'embouche tirer profit de bien des herbes autant que des résidus de produits agricoles. Dans une seconde phase, il faudra envisager l'amélioration de pâturages par l'introduction d'espèces enrichissantes. On pourra alors, peut-être, les soustraire à la pratique du brûlage même précoce de régénération.


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