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Première partie : Les stratégies de lutte antiérosive et le concept de la GCES


Chapitre 1 : Définitions: les mots cachent une philosophie
Chapitre 2: Evolution historique des stratégies de lutte antiérosive
Chapitre 3 : Quelques aspects socio-économiques de l'érosion


Figure

Chapitre 1 : Définitions: les mots cachent une philosophie


L'érosion
La tolérance en perte de sol
La discontinuité de l'érosion dans l'espace: différents acteurs, deux logiques
La variabilité de l'érosion dans le temps
La dégradation des sols [planche photographique 3]
Les termes du bilan hydrique


Figure

Les problèmes de dégradation de l'environnement sont intimement liés au développement des populations et des civilisations: ils concernent autant les agronomes et forestiers, les géographes, les hydrologues, les sédimentologues, que les socio-économistes. Mais chacun dans sa discipline a développé un langage propre, si bien que les mêmes mots n'ont pas la même portée selon les professions.

Il nous faut donc préciser le sens des mots et celui que leur prêtent les divers spécialistes qui interviennent à différentes échelles de temps et d'espace à la poursuite d'objectifs propres. C'est là une condition préalable à l'amélioration de l'efficacité des projets de lutte antiérosive.

L'érosion

Erosion vient de "ERODERE", verbe latin qui signifie "ronger". L'érosion ronge la terre comme un chien s'acharne sur un os. D'où l'interprétation pessimiste de certains auteurs qui décrivent l'érosion comme une lèpre qui ronge la terre jusqu'à ne laisser qu'un squelette blanchi: les montagnes calcaires qui entourent la Méditerranée illustrent bien ce processus de décharnement des montagnes dès lors qu'on les défriche et que l'on brûle leur maigre végétation (ex. Grèce). En réalité, c'est un processus naturel qui certes, abaisse toutes les montagnes (d'où le terme de "denudation rate", vitesse d'abaissement du sol des géographes anglophones) mais en même temps, l'érosion engraisse les vallées, forme les riches plaines qui nourrissent une bonne partie de l'humanité. Il n'est donc pas forcément souhaitable d'arrêter toute érosion, mais de la réduire à un niveau acceptables tolérable.

La tolérance en perte de sol

Dans le domaine de l'érosion, la tolérance a d'abord été définie comme la perte en terre tolérée car elle est équilibrée avec la formation du sol par l'altération des roches. Elle varie de 1 à 12 t/ha/an en fonction du climat, du type de roche et de l'épaisseur des sols. Mais on s'est bien vite rendu compte que la productivité des horizons humifères, riches en éléments biogènes est bien supérieure à celle des altérites, roches pourries, quasiment stériles. De plus, cette approche nie l'importance de l'érosion sélective des nutriments et des colloides qui font la fertilité des sols. On a donc tenté de définir la tolérance comme l'érosion qui ne provoquerait pas de baisse sensible de la productivité des terres. Mais là aussi, on a trouvé des obstacles majeurs. On connaît encore mal la perte de productivité des différents types de sol en fonction de l'érosion et, pour certains sols profonds sur loess des pertes en terre élevées sur les versants n'entraînent que peu de baisse de la productivité du sol, mais par contre, provoquent des dégâts intolérables en aval par la pollution des eaux douces et l'envasement des barrages.

FIGURE 1 : Discontinuité des problèmes d'érosion dans l'espace: diversité des logiques et des acteurs

Figure A

Lieux: Montagnes

Piémont: Erosion +

Plaines

Littoral

Processus dominant: Arrachements

Transports/Rivières

Sédimentation/Pollution

Stratégies

RTM

DRS + CES

CES

¹ différents lieux

¹ stratégies

¹ disciplines

¹ objectifs des acteurs

Figure B

Logique amont des paysans

Logique aval des citadins l

Objectif


productivité de la terre

Objectif


protéger la qualité de l'eau


=

développement agricole


=

équipement rural

Moyens

=

améliorer les systèmes de

Moyens

=

reforestation + lutte mécanique



production



correction ravins



lutte biologique



protection barrages et des

Acteurs

=

Paysans + Pouvoir Villageois



ouvrages d'art



Agronomes - Pédologues -

Acteurs

-

Citadins + COOPERATIVE



Sociologues



D'IRIGATION






Pouvoir Central et Ingénieurs





-

Hydrologues + Sédimentologues





-

Equipement + Forestier
Génie rural + Génie civil

Il faut donc tenir compte à la fois de ces trois aspects: la vitesse de restauration des sols, le maintien de la productivité des terres à un niveau d'intrant égal et enfin, le respect de l'environnement au niveau de la qualité des eaux, en particulier du ruissellement (Stocking, 1978; Mannering, 1981).

La discontinuité de l'érosion dans l'espace: différents acteurs, deux logiques

L'érosion résulte de nombreux processus qui jouent au niveau de trois phases: le détachement des particules, le transport solide et la sédimentation. Quelle que soit l'échelle d'étude, du mètre carré au bassin versant de centaines de milliers de km2 , on retrouve partout ces trois phases de l'érosion mais avec des intensités différentes. D'où la diversité des acteurs de l'érosion en fonction des phases dominantes.

En montagne, lorsque la couverture végétale est détruite, le ravinement, les torrents et les glissements de terrain entraînent beaucoup de transferts solides qui causent d'énormes dégâts aux réseaux de communication: les ingénieurs des Ponts et Chaussées ainsi que les forestiers interviennent alors pour entretenir les voies de communication, revégétaliser les parcours, les pistes de skis, reforester les versants dénudés et corriger les torrents. Les populations rurales cherchent avant tout à gérer l'eau et les éléments fertilisants sur les prairies ou les terrasses irriguées plutôt qu'à lutter contre l'érosion (voir les Cévennes et les hauts pâturages irrigués des Alpes, en France).

Dans les piémonts, où les pentes sont encore fortes, les dégâts d'érosion proviennent du ravinement des torrents qui charrient une énorme charge solide et pour une moindre part, de la dégradation de la végétation par le surpâturage ou les feux et les cultures de "rapine". Là encore, les forestiers tenteront de résoudre les problèmes d'envasement des barrages par la RTM et la DRS.

Enfin, dans les plaines, les problèmes concernent le plus souvent l'alluvionnement dans les canaux, les rivières et les ports, l'inondation des lits majeurs des rivières, le colluvionnement boueux de quartiers résidentiels (mal placés sous des versants cultivés mécaniquement sans précaution) et enfin la pollution des eaux, (charge solide en suspension fine ou produits toxiques rejetés par l'agriculture ou l'industrie).

Comme l'indique la figure 1, les acteurs de la dégradation des sols et les services concernés par la lutte antiérosive diffèrent, ainsi que leurs objectifs et les stratégies qu'ils développent. Il y a non seulement une grande variabilité dans l'espace des types d'érosion, mais aussi des acteurs de la lutte antiérosive et des intérêts en jeu.

Sur les parcelles paysannes et sur les versants, les gestionnaires des terres, c'est-à-dire les paysans, les agronomes, les pédologues ou les géomorphologues, parlent d'érosion ou de pertes en terre (sediment yield). Dans la rivière, les hydrologues ou sédimentologues parlent de transport solide (sediment delivery), transport solide en suspension (argiles, limons et matières organiques, MES), et transport de fond (sables grossiers et galets en charriage). Entre l'érosion des versants et les transports solides dans la rivière, il peut y avoir de grandes différences provenant de ce que l'on appelle l'efficacité de l'érosion, "sediment ratio". En effet, au bas des pentes et dans la vallée, certains sédiments trop lourds se déposent, au moins temporairement: ils vont nourrir les sols colluviaux et alluviaux et n'atteindront la mer, ou un lac de barrage, que beaucoup plus tard. Le rapport d'efficacité de l'érosion est inférieur à 1. Les transports solides spécifiques (t/km2/an) diminuent à mesure que le bassin versant grandit. Par exemple, Bolline (1981) a observé sur les loess du Brabant belge un détachement de particules par la battance des gouttes de pluie de l'ordre de 130 t/ha/an sous une rotation de betterave et de blé. Les pertes en terre au bas de parcelles de 25 m de long n'atteignent que 30 t/ha/an et les transports solides dans la rivière voisine, à peine 0,13 t/ha/an. En France, Ouvry, Boiffin, Papy et Peyre (1990) ont montré que l'érosion sur les limons battants du Bassin parisien ne devient inquiétante que lorsque sont réunies les conditions favorables à la concentration du ruissellement: sol fermé par les croûtes de battance, faible couvert végétal, période humide prolongée, grandes parcelles où le remembrement a effacé les structures de gestion du ruissellement.

Par contre, en montagne et là où la pente des émissaires est forte (ex. en région méditerranéenne), l'énergie érosive du ruissellement est supérieure à celle des pluies. Les pertes en terre sur les champs cultivés peuvent être faibles (0,1 à 15 t/ha/an: Heusch, 1970; Arabi et Roose, 1989) tandis que les transports solides dépassent 100 à 200 t/ha/an dans les ravines et les oueds (Olivry, 1989; Buffalo, 1990). Dans ce cas, plus le bassin versant est grand, plus le ruissellement concentré est abondant et rapide, plus les débits de pointe sont importants et plus le ruissellement agresse le fond et les berges des oueds en provoquant des ravinements et des glissements de terrain dans les basses terrasses. Dans ce dernier cas, le rapport d'efficacité de l'érosion peut être supérieur à 1, l'érosion spécifique peut augmenter avec la taille du bassin versant (Heusch 1973).

La variabilité de l'érosion dans le temps

- On distingue généralement l'érosion normale ou géologique (morphogenèse) qui façonne lentement les versants (0,1 à 1 t/ha/an) tout en permettant le développement d'une couverture pédologique issue de l'altération des roches en place et des apports alluviaux et colluviaux (pédogenèse). On dit que les paysages sont stables quand il y a équilibre entre la pédogenèse (vitesse d'altération des roches) et la morphogenèse (érosion, dénudation) (Kilian et Bertrand, 1974).

- Cependant, l'érosion géologique n'est pas toujours lente ! Dans les zones à soulèvement orogénique paroxysmique, les débits solides des rivières peuvent atteindre 50 t/ha/an (Indonésie, Népal, Andes Boliviennes) et jusqu'à 100 t/ha/an dans l'Himalaya qui se soulève à la vitesse de 1 cm par an. De même dans les zones tropicales soumises aux cyclones, la morphogenèse actuelle est très active, surtout si la couverture végétale a été dégradée (communication de Heusch, 1991) L'érosion géologique peut aussi agir de façon soudaine et catastrophique à l'occasion d'événements rares, d'une succession d'averses qui détrempent le terrain ou encore lors d'activités sismiques ou volcaniques. On se souviendra des coulées boueuses en Colombie qui, en 1988, en une seule nuit, ont rayé de la carte une ville de 25.000 habitants (Nevado del RUIZ). Dans le sud tunisien, Bourges, Pontanier et leurs collègues ont mesuré à la citerne Telman, en moyenne, des ruissellements annuels équivalents à 14 à 25 % des précipitations, et des pertes en terre de 8,2 t/ha/an. Mais, le 12 décembre 1978, il est tombé une pluie de fréquence centennale de 250 mm en 26 heures qui a provoqué plus de 80 % de ruissellement et 39 t/ha d'érosion en un seul jour. Ces phénomènes catastrophiques ne sont pas rares à l'échelle géologique. Flotte (1984) a décrit la lave torrentielle de Mechtras en Grande Kabylie (Algérie), d'environ 150 millions de m3, qui s'étend sur 18 km2 , 7 km de long, sur une pente de 6,8 %. Ces mouvements catastrophiques où les volumes de matériaux non triés sont importants, qui s'étendent sur plusieurs kilomètres et se sont mis en place à grande vitesse, demandent souvent des conditions climatiques différentes de celles que nous connaissons aujourd'hui. Cependant, ces masses sont toujours susceptibles de se remettre en mouvement en cas de conjonction de conditions climatiques favorables (pluies exceptionnelles après gelées du sol ou émission de vapeur des volcans, ou secousses sismiques), ou suite à des aménagements maladroits, déséquilibrant les versants.

DISCONTINUITE DES PROBLEMES D'EROSION DANS LE TEMPS

L'érosion trouve son origine dans deux types de problèmes:

• DES PROBLEMES GEOLOGIQUES

• DES PROBLEMES SOCIO-ECONOMIQUES

Lutte entre:

croissance de la population et des besoins

- Altération des couches superficielles des roches

EXTENSION des surfaces défrichées,

par l'eau et la biosphère

pâturées,

PEDOGENESE

cultivées

- Erosion qui cisèle la surface de la terre

DIMINUTION de la durée des jachères

MORPHOGENESE


EROSION GEOLOGIQUE NORMALE = 0. 1 t/ha/an

EROSION ACCELEREE = 10 à 700 t/ha/an

Ruissellement = + 1 %

Ruissellement = 20 à 80 %

DECAPER 1 mètre de terre prend 100.000 ans 100 ans

- EROSION CATASTROPHIQUE: 1 mètre en quelques heures !

- RAVINEMENT: 100 à 300 t/ha/JOUR
- GLISSEMENT EN MASSE: 1000 à 10.000 t/ha/HEURE

Exemple: Nîmes, l'orage du 3/10/1988

a donné

420 mm de pluie en 6 heures


a causé

4 milliards de dégâts la mort de 11 personnes

CONCLUSIONS:

Les manifestations de l'érosion sont très discontinues dans le temps. La Presse et le Pouvoir ne s'intéressent qu'aux catastrophes. La GCES est d'avantage concernée par l'érosion accélérée, durant la phase initiale:

l'érosion en nappe et rigoles, qui dégrade les bonnes terres des paysans
la restauration de la productivité des sols profonds
la gestion de la fertilité des terres d'avenir
la valorisation des ravines aménagées et des eaux de surface.

FIGURE 2 :

Nature des problèmes: le déséquilibre du milieu "aménagé" entraîne la dégradation des sols, puis l'érosion l'accélère

Au point de vue

Végétal

- Simplification de l'écosystème

® la biomasse diminue ¯


- La protection du milieu > < contre l'énergie de soleil + de la pluie est moins efficace ¯

Climatique ...

Réchauffement de la température

® puis assèchement du milieu

Pédologique ...

¯ réduction de l'épaisseur de sol exploité

® Réduction des remontées biologiques


¯ réduction des apports de litière

¯ taux de matières organiques du sol



¯ l'activités biologiques du sol


dégradation de la structure

croûtes battance




¯ macroporosité

réduction de l'infiltration



¯ semelle de labour



des risques de Ruissellement + EROSION + Lessivage


3 conséquences

­­ pertes de nutriments



¯ capacité de stockage (eau + nutriments)

® fatigue du sol



¯ eau utile pour la production biomasse


Contre ces deux types d'érosion géologique, il est très difficile de lutter: les moyens nécessaires sont coûteux et pas toujours efficaces. En France, la Délégation aux Risques Majeurs du Ministère des Finances, déclare l'état de catastrophe naturelle et contraint les assurances à rembourser les dégâts des sinistres. Le coût de ces dégâts est donc pris en charge par la communauté des assurés.

- L'érosion accélérée par l'homme, suite à une exploitation imprudente du milieu, est 10 à 1.000 fois plus rapide que l'érosion normale. Il suffit d'une perte en terre de 12 à 15 t/ha/an, soit 1 mm/an ou 1m/1.000 ans pour dépasser la vitesse de l'altération des roches (20 à100.000 ans pour altérer 1 m de granit en conditions tropicales humides, selon Leneuf, 1965). La couche arable s'appauvrit en particules par érosion sélective (squelettisation du sol) et s'amincit (décapage), tandis que le ruissellement s'accélère (20 à 50 fois plus de ruissellement sous culture que sous forêt) provoquant à l'aval des débits de pointe très dommageables pour le réseau hydrographique (Roose, 1973).

Il reste encore à définir la charge solide (c'est le poids de particules en suspension dans les eaux), la capacité d'un fluide (c'est la masse de particules que le fluide est capable de transporter), et la compétence d'un fluide (c'est le diamètre maximal des particules transportées en fonction de sa vitesse).


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