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Contribution du bétail trypanotolérant au développement des zones affectées par la trypanosomiase animale africaine


Situation actuelle
Situation potentielle
Actions prioritaires
Conclusion
Références


C.H. Hoste

L'auteur a été Conseiller technique principal du projet FAO
RAF/88/100, PMB 10, Banjul, Gambie.
(Adresse actuelle: ISNA, PO Box 93375, 2509 AJ, La Haye, Pays-Bas.)
Cet article est basé sur les travaux du projet régional PNUD/FAO
RAF/88/100. L'auteur remercie l'équipe du projet ainsi que le docteur
A.P. M. Shaw, consultant, pour leur aide et leurs critiques constructives.

Les zones affectées par la trypanosomiase animale africaine sont principalement situées en Afrique intertropicale humide et subhumide et possèdent, en matière d'élevage, un potentiel très important. En effet, si l'on reprend la classification en grandes régions naturelles de l'Afrique proposée par la FAO (1986) et les dernières statistiques disponibles (FAO, 1991a), la situation de l'élevage en Afrique tropicale peut, malgré de grandes disparités au sein des régions, se résumer ainsi:

Afrique soudano-sahélienne. La région compte 28 pour cent du cheptel bovin sur 37 pour cent des terres. Si l'on exclut les zones désertiques très arides et arides, la densité du cheptel y est très - certains pensent - trop élevée. La contrainte majeure au développement de l'élevage reste le manque de ressources alimentaires.

Afrique orientale subhumide et montagneuse. On compte 36 pour cent du cheptel bovin sur un territoire qui ne représente que 11 pour cent des terres. La densité bovine y est donc très élevée, et les projections à moyen terme de la FAO (1986) pour estimer les besoins en terres pour les cultures, l'élevage et les forêts révèlent que, sous peu, ces besoins dépasseront de plus de 30 pour cent la superficie totale de la région.

Afrique australe subhumide et semi-aride. On compte 20 pour cent du cheptel bovin dans une zone qui représente 25 pour cent des terres. Si l'on déduit les zones désertiques très arides et arides (22 pour cent de la région), la densité animale y devient relativement élevée. De plus, les projections de la FAO indiquent qu'à moyen terme les besoins totaux en terres dépasseront de près de 20 pour cent la superficie totale de la région.

Afrique occidentale et centrale. Ces deux régions possèdent proportionnellement peu d'animaux, avec 16 pour cent des effectifs bovins élevés sur plus de 6 millions de km2, soit 27 pour cent des terres.

Seules ces deux dernières régions ont, grâce à l'espace, aux ressources alimentaires et en eau dont elles disposent, la possibilité d'augmenter à la fois les effectifs et la productivité par tête, seule combinaison permettant de faire face à la demande croissante de l'Afrique tropicale en produits d'origine animale. Evidemment, si un tel potentiel de développement existe encore en Afrique occidentale et centrale, c'est en grande partie dû à un environnement pathologique relativement difficile, lié principalement à la présence de la trypanosomiase. Toutefois, ces régions possèdent un bétail (bovins, ovins et caprins) dit «trypanotolérant» qui contribue déjà, mais peut contribuer beaucoup plus, à leur mise en valeur.

Cet article présente la situation actuelle, puis les productions potentielles du bétail trypanotolérant. Il aborde également les priorités que doivent se fixer la recherche et le développement pour permettre la concrétisation du potentiel d'élevage dans les régions qui possèdent du bétail trypanotolérant et qui sont affectées par la trypanosomiase.

1 Populations trypanotolérantes d'Afrique occidentale et centrale, 1985

Trypanotolerant populations of West and central Africa, 1985

Poblaciones tripanotolerantes de Africa occidental y central, 1985

Pays


Bovins

Ovins

Caprins

Nombre (milliers)

Pourcentage des effectifs totaux

Nombre (milliers)

Pourcentage des effectifs totaux

Nombre (milliers)

Pourcentage des effectifs totaux

Sénégal

1053

48

770

39

385

39

Gambie

299

98

162

100

175

100

Guinée-Bissau

300

100

110

100

230

100

Guinée

2307

100

1026

100

915

100

Sierra Leone

333,2

100

264

100

145

100

Libéria

12,6

100

210

100

200

100

Mali

1092

16

1265

20

1385

20

Burkina Faso

1000

33

1170

56

1830

69

Côte d'ivoire

672

73

1032

100

748

100

Ghana

994

99

1555

100

1283

100

Togo

242

98

621

100

735

100

Bénin

760

82

1243

100

1093

100

Nigéria

200

18

1000

10,5

5320

24

Cameroun

11

0,3

540

23

585

23

République centrafricaine

7,4

0,3

94

100

1017

100

Gabon

17,4

100

96

100

90

100

Congo

65

100

85

100

180

100

Zaïre

451,1

31

770

80

3600

80

Guinée équatoriale

0,1

31

5

100

20

100

Total

9816,8

 

12018

 

19936

 

Source: D'après Hoste et al., 1988.

Répartition géographique des bovins trypanotolérants - Geographical distribution of trypanotolerant cattle - Distribución geográfica de los vacunos tripanotolerantes

Situation actuelle

La première étude générale des espèces et races trypanotolérantes résulte des efforts conjoints du CIPEA (Centre international pour l'élevage en Afrique), de la FAO et du PNUE (Programme des Nations Unies pour l'environnement) à la fin des années 70 (Trail et al., 1980). Une actualisation de cette étude a été publiée par la FAO en 1988 (Hoste et al.).

Effectifs et répartition géographique

Le tableau 1 indique, pour les pays d'Afrique occidentale et centrale possédant du bétail trypanotolérant, les effectifs bovins, ovins et caprins trypanotolérants pour l'année 1985. (Cette référence peut paraître relativement ancienne, mais le manque de statistiques fiables et la difficulté de les recueillir sont des problèmes qu'il faut résoudre de toute urgence.) Les pourcentages des effectifs trypanotolérants par rapport aux effectifs nationaux apparaissent également. En effet, certains des pays mentionnés, notamment ceux dont une partie du territoire est en dehors des zones affectées par la trypanosomiase, possèdent en plus de leur cheptel trypanotolérant, d'importantes populations d'animaux trypanosensibles.

La répartition raciale pour les bovins trypanotolérants est la suivante: 49,5 pour cent appartiennent au groupe des taurins à longues cornes et sont de race N'Dama, 20 pour cent au groupe des taurins de savane à courtes cornes et 1 pour cent au groupe des taurins nains à courtes cornes; enfin, 12,6 pour cent des effectifs sont des métis zébu x N'Dama et 16,9 pour cent des métis zébu x taurin à courtes cornes.

La carte de répartition géographique des races bovines trypanotolérantes est extraite de Trait et al. (1980). La seule différence notable depuis lors est le recul probable vers le sud, de 50 à 100 km, de la limite nord de la répartition des glossines et l'avancée correspondante des races trypanosensibles (Hoste et al., 1988).

Quant aux petits ruminants, aucune distinction de races ne peut être faite, et on considère que dans l'ensemble des deux régions on retrouve des ovins et caprins de race Djallonké.

Productions

En termes de productions, seuls la viande et le lait et, dans une moindre mesure, la traction animale sont analysés. Les autres productions comme le fumier et les cuirs et peaux, bien qu'importantes sur de nombreux plans, sont considérées comme faisant partie des avantages qu'il y a à élever des animaux plutôt que comme faisant l'objet d'une demande propre. Les résultats présentés ci-après sont extraits de Shaw et Hoste (1987).

Viande. Vouloir quantifier la production de viande en Afrique est un exercice périlleux. En effet, beaucoup de petits animaux sont autoconsommés et seuls les grands animaux, notamment les bovins, font l'objet de transactions commerciales. Comme celles-ci ne sont pas toutes officiellement enregistrées, il a semblé préférable d'estimer la production de viande à partir des effectifs des populations animales, des taux d'exploitation et des poids à l'abattage.

Le tableau 2 présente les tonnages des viandes bovine, ovine et caprine produits par les races trypanotolérantes dans les pays de la région. Les bovins produisent près de 100 000 tonnes de viande par an. En ce qui concerne les petits ruminants, les 95 000 tonnes de viande ovine et caprine produites annuellement doivent être considérées comme un minimum, compte tenu des difficultés de recensement de ces espèces et des quantités autoconsommées.

Lait. Seule la production laitière des bovins est prise en compte. En effet, à quelques exceptions près, les ovins et caprins Djallonké ne sont pas traits. Estimer la production de lait des bovins est encore plus difficile que d'estimer les productions de viande. Cela tient d'abord aux grandes variations observées dans la pratique de la traite dans les troupeaux traditionnels selon les pays, ensuite aux différences dé production de lait, même au sein d'une race, selon le système de production.

Le tableau 2 présente les productions de lait extraites pour la consommation humaine. Les bovins trvpanotolérants produiraient au minimum 145 000 tonnes de lait par an, mais ces quantités sont vraisemblablement très sous-estimées (Agyemang et al., 1991).

Force de traction. La traction animale est relativement répandue dans la zone d'origine de la race N'Dama, en particulier au Sénégal et en Gambie où plus de 6,5 pour cent du troupeau national serait constitué de bœufs de traction. La traction animale s'est développée très rapidement en Sierra Leone au cours de ces dernières années, et un processus similaire apparaît en Guinée-Bissau. Bien que les races trypanotolérantes puissent parfaitement être utilisées pour la traction (Starkey, 1982), les métis zébu x taurin sont toujours très recherchés pour cet emploi.

Plus récemment, quelques projets de développement de la traction animale ont vu le jour en Afrique centrale où l'élevage bovin est une activité récente.

2 Productions annuelles des populations trypanotolérantes d'Afrique occidentale et centrale, 1985 y central, 1985

Annual production of trypanotolerant populations of West and central Africa, 1985

Producción anual de las poblaciones tripanotolerantes de Africa occidental y central, 1985


Pays

Viande

Lait

Bovins

Ovins

Caprins

Bovins

(tonnes)

Sénégal

11348

2695

962,5

22290

Gambie

2841

389

350

5877

Guinée-Bissau

2160

363

805

5400

Guinée

20763

3694

2745

45969

Sierra Leone

2666

634

435

4927

Libéria

132

462

360

-

Mali

12286

5123

4933,5

17772

Burkina Faso

10007

3410,5

5856

13195

Côte d'lvoire

7916

2580

1870

6048

Ghana

10437

4664

4618

11481

Togo

2408

1863

1838

2795

Bénin

8278

3418

2732,5

7326

Nigéria

1971

3500

15960

2250

Cameroun

59

1863

2018

110

République centrafricaine

80

337

3050

-

Gabon

100

240

225

-

Congo

561

234

450

-

Zaïre

4511

2117,5

8100

-

Guinée équatoriale

0,5

12,5

50

-

Total

98524,5

37599,5

57358,5

145440

Source: D'après Shaw et Hoste, 1987.

Vache Baoulé (Côte d'ivoire) - Baoule cow (Côte d'Ivoire) - Vaca Baoulé (Côte d'Ivoire)

Troupeau de moutons Djallonké (Gambie) - Djallonké sheep (the Gambia) - Rebaño de ovejas Djallonké (Gambia)

Situation potentielle

La FAO (1986) estime que les productions animales vont devoir augmenter, au cours des 20 prochaines années, au rythme de 4,5 pour cent par an dans les pays en développement pour faire face aux effets combinés de la croissance démographique, de l'augmentation du revenu moyen par habitant ainsi que de l'urbanisation.

Les races trypanotolérantes peuvent relever ce défi pour l'Afrique tropicale car tant leurs effectifs que leur productivité par tête peuvent augmenter rapidement. Tous les travaux de recherche entrepris au cours de ces dernières années ont démontré le potentiel de ces races. De plus, l'Afrique occidentale et centrale possède suffisamment de terres et de ressources alimentaires et en eau pour permettre ce développement des races trypanotolérantes sans effet négatif sur l'environnement. Les données présentées ci-après proviennent de l'étude de Shaw et Hoste (1987).

Effectifs et répartition géographique

Les paramètres actuels de reproduction et de production pour les races bovines trypanotolérantes montrent que le taux de croît des troupeaux villageois varie dans des proportions importantes, de -1,5 à + 4,5 pour cent selon les pays. Un scénario plus optimiste, en améliorant quelques paramètres zootechniques de façon réaliste c'est-à-dire en leur donnant des valeurs déjà atteintes dans certains pays -, indique des taux de croît compris entre 0,6 et près de 6 pour cent.

Pour des troupeaux de bovins élevés en ranchs ou en stations, le taux de croît varie entre 3,4 et 11,1 pour cent. Si les paramètres de production sont légèrement améliorés, les taux de croît passent à des valeurs comprises entre 6 et 13 pour cent.

Le raisonnement est similaire en ce qui concerne les petits ruminants, quoique l'on observe en général pour ces espèces un taux de croît relativement faible, de l'ordre de 1,8 pour cent (Hoste et al., 1988), bien en deçà des valeurs généralement admises. Cela peut être dû à des mortalités excessivement élevées ou à une trop forte exploitation. Toutefois, les données sont trop imprécises pour poursuivre valablement cette discussion.

La répartition géographique des races bovines trypanotolérantes reste très inégale, et un certain nombre de pays devront, pour faire face à leurs besoins ou tout au moins pour limiter leurs déficits commerciaux, envisager d'importer des reproducteurs trypanotolérants. Cependant, il faut noter qu'il existe dans la région une disponibilité suffisante de génisses pour répondre à ces demandes (Shaw et Hoste, 1991).

Tous les atouts sont donc réunis pour permettre un développement rapide des effectifs trypanotolérants.

Productions et productivité

Viande. Le marché de la viande est largement dominé par la viande bovine. Dans plus de la moitié des pays étudiés, la viande bovine représente plus de 50 pour cent des viandes consommées. La part des petits ruminants est généralement comprise entre 15 et 30 pour cent, mais cette proportion est certainement sous-estimée, compte tenu des quantités autoconsommées non recensées.

En Afrique occidentale et centrale, la production de viande bovine, actuellement, ne satisfait pas la demande. Shaw et Hoste (1987) ont étudié de façon détaillée les paramètres déterminant la production de viande et proposé une approche originale pour étudier les possibilités de satisfaire les besoins en viande bovine, soit en jouant uniquement sur le taux de croît des troupeaux ou sur la productivité par tête, soit en combinant dans diverses proportions ces deux possibilités.

Les résultats de cette étude, qui porte sur le cheptel national et non plus exclusivement sur le cheptel trypanotolérant, indiquent que les pays étudiés ne devraient pas avoir de difficultés majeures pour maintenir la disponibilité actuelle en viande par habitant à l'horizon 2000. Il semble également possible pour la plupart d'entre eux, d'augmenter de 50 pour cent la production de viande bovine par habitant d'ici à la fin du siècle. Toutefois, cela nécessitera une amélioration, dans des limites raisonnables, des paramètres de production des troupeaux élevés dans le secteur traditionnel. Mais si l'on se fixe comme objectif d'augmenter de plus de 50 pour cent la production de viande bovine par habitant, le système traditionnel ne suffira pas, et de nouveaux systèmes, comprenant des programmes d'amélioration génétique, devront alors être implantés ou développés à grande échelle.

Lait. Les contraintes à la consommation de lait ne relèvent pas uniquement ni directement de la limitation de l'offre due à une production trop faible des races bovines trypanotolérantes. D'autres facteurs sont prépondérants. Le premier tient à la nature périssable du lait frais et aux difficultés de commercialisation qui y sont directement liées. Un deuxième problème est la saisonnalité de la production, avec des maxima au moment des pluies, à une époque où,- souvent, la commercialisation est rendue difficile par l'impraticabilité de la plupart des routes et pistes. Une troisième contrainte tient à la nature de la demande, qui porte souvent sur des produits transformés et non sur le lait frais.

Par conséquent, augmenter les quantités disponibles en lait, à court et à moyen terme, dans les pays de la région est plus une question d'organisation des circuits de commercialisation et de création d'unités de transformation - ou encore de rapprochement entre centres de production et centres de consommation - que d'augmentation de la production totale des races trypanotolérantes.

De plus, les travaux récents entrepris sur la race N'Dama en Gambie indiquent un potentiel laitier encore peu exploité avec, en élevage traditionnel, une production de l'ordre de 400 kg de lait trait par lactation pendant 14 mois en moyenne, sans compter la part du veau pesant environ 88 kg au sevrage (Agyemang et al., 1991).

Force de traction. Les races trypanotolérantes souffrent d'un préjugé défavorable pour la traction animale en raison de leur taille jugée insuffisante. Dans une analyse de la traction animale en Afrique, Starkey (1986) a toutefois montré que le facteur primordial pour réussir un programme de traction animale était beaucoup plus l'adaptation des animaux à leur milieu que leur taille.

L'expansion de la traction animale bovine, comme celle de la production laitière, n'est pas tant limitée par l'offre que par la demande. L'adoption de la traction animale comme facteur de production dépend plus de conditions économiques favorables et de la présence de services de santé animale et d'encadrement efficaces que du nombre d'animaux disponibles. Le succès de la culture attelée en zone cotonnière dans les pays d'Afrique francophone est là pour le démontrer (Lhoste, 1990). On ne peut donc pas considérer l'offre en animaux de trait comme un facteur limitant du développement de la traction animale.

Ressource génétique

Un troisième aspect du potentiel des races trypanotolérantes, qui n'est pas suffisamment pris en compte et qui n'a pas encore été directement ou systématiquement valorisé, est leur valeur en tant que ressource génétique.

Les recherches en cours montrent que la qualité première des races trypanotolérantes, à savoir leur résistance génétique à la trypanosomiase, ne serait pas spécifique à cette maladie mais s'appliquerait également à d'autres maladies (Kaufmann et Pfister, 1989; Claxton et Leperre, 1991).

Il est évident que la mise à la disposition des éleveurs d'animaux génétiquement résistants aux principales maladies auxquelles ils sont confrontés est la réponse la plus pratique et économique pour développer les productions animales dans ces régions, sous réserve que leur productivité soit satisfaisante.

Lorsque les critères d'évaluation du degré de résistance à la trypanosomiase et aux autres maladies auront été déterminés et seront faciles à utiliser sur le terrain, les races trypanotolérantes pourront avoir un impact bien plus grand sur l'élevage. En effet, elles pourront alors, et alors seulement, être employées rationnellement et sans risque majeur dans des opérations de croisement avec les autres races autochtones trypanosensibles. Comme les effectifs de ces races sont très importants et que leur accès aux zones à fort potentiel alimentaire sera devenu envisageable, on pourrait alors assister à une véritable explosion des productions animales en Afrique tropicale.

Actions prioritaires

Pour que le potentiel de production des races trypanotolérantes puisse se réaliser assez rapidement pour faire face à l'augmentation de la demande, un certain nombre d'actions prioritaires doivent être entreprises tant dans le domaine de la recherche que dans celui du développement. Un premier bilan de la situation a déjà été présenté dans cette même revue (Hoste, 1987). Dans ce qui suit, une distinction est faite entre les actions prioritaires au niveau des structures et au niveau des thèmes à aborder.

Recherche

Structures. De nombreuses structures de recherche, qu'elles soient nationales, régionales ou internationales, étudient le problème de la trypanosomiase, de la trypanotolérance et du bétail trypanotolérant. La toute première priorité est la coopération entre ces organismes et la coordination de leurs programmes et de leurs moyens. Il n'est pas nécessaire d'épiloguer sur la nécessité et le bien-fondé d'une telle démarche: économies de temps, d'argent, de personnel et surtout effet multiplicatif, et non seulement additionnel, des efforts individuels en jouant sur la complémentarité et les avantages comparatifs de chacune des structures existantes.

C'est donc avec beaucoup de satisfaction qu'il faut noter les efforts entrepris par le Comité consultatif technique (CCT) du Groupe consultatif pour la recherche agricole internationale (GCRAI) qui, depuis juin 1991, a constitué un forum composé des cinq principaux centres internationaux et régionaux travaillant dans ce secteur.

Ces efforts de collaboration au niveau des structures doivent déboucher sur une meilleure intégration au niveau des programmes, et il paraît essentiel de dépasser le clivage existant encore entre recherche en santé animale et recherche en production animale: elles ne peuvent être dissociées. Il faut donc raisonner en termes de programmes qui doivent transcender les structures et permettre aux chercheurs nationaux d'être associés à l'ensemble du processus, de la conception à la réalisation des recherches.

L'approche par réseau, notamment ceux dits de «recherche concertée» va certainement dans la bonne direction. Toutefois, un bilan des résultats de la multitude des réseaux qui ont vu le jour au cours de ces dernières années ferait vraisemblablement apparaître la faiblesse de la participation effective et de la contribution significative des Systèmes nationaux de recherche agricole (SNRA). La réflexion sur cette approche par réseau doit donc se poursuivre, et l'accent devrait être mis beaucoup plus sur les relations entre chercheurs qu'entre structures, de façon à donner à chaque chercheur les moyens de participer «réellement» aux recherches plutôt que d'y être simplement associé.

Les réflexions en cours, notamment au CCT (avec la création de centres écorégionaux), au SIRAN (Service international de la recherche agronomique nationale) et au SPAAR (Programme spécial pour la recherche agronomique africaine), devraient déboucher rapidement sur des propositions de solutions appropriées et permettre d'augmenter ainsi l'efficience et l'efficacité de la recherche sur la trypanosomiase, la trypanotolérance et le bétail trypanotolérant.

Thèmes. De grands progrès ont été faits au cours des 10 dernières années dans la connaissance des races trypanotolérantes, notamment de leur productivité en fonction du risque trypanosomien et du mode de gestion, grâce au réseau africain sur le bétail trypanotolérant du CIPEA/LIRMA (Laboratoire international de recherche sur les maladies des animaux) (D'ieteren, 1990). Toutefois, la caractérisation génétique de ces races reste encore à faire et constitue une priorité de recherche. En effet, elle permettrait non seulement de mieux connaître les animaux sur lesquels des études de trypanotolérance sont effectuées (et donc d'affiner les résultats), mais également de simplifier éventuellement la classification des races bovines d'Afrique. Cela permettrait, entre autres, d'éviter de mettre en place des programmes de conservation, onéreux et inutiles, de populations portant des noms différents mais ayant les mêmes caractéristiques génétiques.

Un deuxième thème de recherche prioritaire est la mise en évidence de la résistance génétique des races trypanotolérantes (bovines, ovines et caprines) non seulement à la trypanosomiase mais aussi à d'autres maladies qui sévissent dans leur biotope.

L'étude des facteurs limitant les paramètres de reproduction et, de façon plus générale, la productivité des races trypanotolérantes doit être poursuivie et développée afin de proposer un «paquet technologique» économiquement viable aux éleveurs pour augmenter leurs productions. Les possibilités qu'offrent les méthodes directes de lutte contre les vecteurs ou les parasites de la trypanosomiase doivent également être explorées.

Enfin, parallèlement aux actions précédentes, les recherches sur l'identification de paramètres mesurant le degré de trypanotolérance et pouvant être utilisés comme critères de sélection, ainsi que sur les mécanismes impliqués dans cette résistance à la trypanosomiase et aux autres maladies, doivent se poursuivre et se développer.

Paire de boeufs N'Dama utilisés pour la traction (Gambie) - Pair of draught N'Dama oxen (the Gambia) - Pareja de bueyes N'Dama utilizados como animales de tiro (Gambia)

Traite d'une vache N'Dama en milieu traditionnel (Guinée) - A N'Dama cow being milked in traditional setting (Guinea) - Ordeño de una vaca N'Dama en un medio tradicional (Guinea)

Développement

Structures. Pour augmenter les productions des races trypanotolérantes, il faut, bien évidemment, en plus des connaissances techniques, un environnement socio-économique favorable. La priorité dans ce domaine est d'aider les structures nationales des pays concernés à bâtir une stratégie et un plan d'action réaliste, à moyen et à long terme, pour développer leurs élevages. L'étape ultérieure est de participer, avec les organisations sous-régionales, à l'intégration de ces politiques nationales dans une véritable politique régionale.

Des efforts importants sont actuellement faits dans ce sens avec la participation active de différents bailleurs de fonds. C'est ainsi que le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) apporte son soutien aux Secrétariats de la CEDEAO (Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest) et de la CEEAC (Communauté économique des Etats d'Afrique centrale) pour renforcer la coopération et l'intégration économiques dans ces deux régions. La composante élevage de ces deux projets est élaborée et traitée en étroite collaboration avec un autre projet régional également financé par le PNUD, et exécuté par la FAO, pour la promotion du bétail trypanotolérant en Afrique occidentale et centrale.

Ce dernier projet participe également très activement à l'élaboration des politiques nationales de développement de l'élevage, à la formation des cadres nationaux, à la mise en place de programmes de sélection et de multiplication des races trypanotolérantes et à la création et à la circulation de documents de vulgarisation pouvant servir aux services nationaux d'encadrement des éleveurs.

Le renforcement des structures nationales et régionales, tel qu'il est conçu et présenté ci-dessus, est une des actions prioritaires dans le domaine du développement.

Thèmes. Force est de constater que les connaissances statistiques de l'élevage sont tout à fait insuffisantes et se sont même généralement détériorées au cours des 20 dernières années. Si l'on veut développer l'élevage dans ces régions, la première des priorités est de mieux le connaître. Il faut donc analyser pourquoi les systèmes actuels de recueil des statistiques d'élevage ont fait faillite et mettre en place un nouveau système simple d'enregistrement, d'analyse et de contrôle des données.

Parallèlement à ce travail de base, il est indispensable de mettre en place dans les différents pays des programmes de sélection et de multiplication des races trypanotolérantes. Cette implantation doit se faire dès maintenant, sans attendre les résultats des recherches sur l'identification d'un «bon» critère de sélection sur la trypanotolérance. Les programmes devront toutefois être conçus pour pouvoir être modifiés progressivement, au fur et à mesure que les résultats de la recherche seront disponibles. Le bien-fondé de cette démarche vient d'être confirmé par le Groupe d'experts sur la génétique de la trypanotolérance réuni par la FAO en septembre 1991 (FAO, 1991b).

Enfin, il faut que les structures de développement se penchent sur le problème des méthodes les plus économiques et les plus facilement applicables de diffusion des «paquets technologiques» élaborés par la recherche et des progrès génétiques réalisés par les programmes de sélection.

Ces dernières actions peuvent également être considérées comme des actions de recherche adaptative, illustrant bien le fait qu'il ne doit pas y avoir séparation stricte mais symbiose entre recherche et développement.

Conclusion

Les races trypanotolérantes contribuent de façon significative et possèdent le potentiel pour contribuer encore plus au développement des productions animales dans les zones d'Afrique occidentale et centrale affectées par la trypanosomiase.

Un survol des différentes actions à mener tant dans le domaine de la recherche que dans celui du développement montre qu'un certain nombre d'entre elles sont déjà en bonne voie de réalisation. Si les efforts ne se relâchent pas, le bétail trypanotolérant participera de plus en plus au développement des productions animales dans ces deux régions et contribuera ainsi au mieux-être des populations qui y vivent.

Références

Agyemang, K., Dwinger, R.H., Grieve, A.S. & Bah, M.L. 1991. Milk production characteristics and productivity of N'Dama cattle kept under village management in the Gambia. J. Dairy Sci., 74: 1599-1608.

Claxton, J.R. & Leperre, P. 1991. Parasite burdens and host susceptibility of Zebu and N'Dama cattle in village herds in the Gambia. Vet. Parasitol. (Sous presse)

D'ieteren, G. 1990. Le réseau africain sur le bétail trypanotolérant coordonné par le CIPEA. Bull. liaison sur le bétail trypanotolérant, n°2, décembre 1990. FAO, Banjul, Gambie. p. 2-4.

FAO. 1986. L'agriculture africaine: les 25 prochaines années. FAO, Rome.

FAO. 1991a. Annuaire FAO de la production 1990. Vol. 44. Rome.

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