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Nouveau regard sur la foresterie urbaine

G. Kuchelmeister et S. Braatz

Guido Kuchelmeister est un consultant indépendant, spécialiste de l'agroforesterie et de la foresterie urbaine. Il est basé à Illertissen, Allemagne. Susan Braatz est fonctionnaire (spécialiste de l'utilisation des terres et de l'agroforesterie) au Département des forêts de la FAO à Rome.

Jusqu'à ces dernières années, dans les pays développés, c'est presque toujours pour des raisons esthétiques que la foresterie urbaine était appréciée. Mais on s'intéresse de plus près désormais aux bienfaits écologiques et aux bénéfices économiques quantifiables que procurent les arbres et les espaces verts. Dans la plupart des pays en développement, la foresterie urbaine ne reçoit qu'un appui très limité de la part des gouvernements ou de la communauté internationale. Dans ces pays, où la population urbaine et par conséquent les besoins en aliments, bois de feu et abris croissent de manière exponentielle, la foresterie devrait contribuer davantage, grâce à des stratégies appropriées, à satisfaire ces besoins et à améliorer l'environnement urbain (FAO, 1989; Kuchelmeister, 1991; Olembo et de Rham, 1987). Le présent article décrit l'évolution des mentalités en matière de foresterie urbaine, le rôle des arbres et de la végétation en général dans les zones à forte densité humaine et les problèmes liés à leur plantation, à leur conservation et à leur utilisation. Une attention particulière est accordée aux pays en développement.

Limage de la foresterie, considérée pendant longtemps et dans de nombreux pays comme une activité visant essentiellement à approvisionner l'industrie en produits ligneux, a évolué de façon spectaculaire au cours des 20 ou 30 dernières années. C'est ainsi que de source de produits susceptibles de satisfaire les besoins des ruraux pauvres, elle est passée récemment au rang de solution aux problèmes écologiques de la planète «La crise du bois de feu», «la foresterie sociale» et, plus récemment, la conservation de la diversité biologique et l'amélioration du changement climatique font les gros titres des journaux. Malgré cela, la foresterie demeure aux yeux du public une activité essentiellement rurale.

Beaucoup de rues du centre de Nairobi (Kenya) sont bordées d'arbres

La plantation d'arbres et l'aménagement des espaces verts dans les villes étaient jusqu'à ces dernières années du ressort des services municipaux, des planificateurs urbains et des architectes paysagistes En Europe, par exemple, les forestiers participaient à la gestion des forêts situées à la périphérie des villes, mais pas à celle de la forêt urbaine proprement dite. La littérature spécialisée sur les arbres urbains est beaucoup plus abondante dans les publications des architectes paysagistes que dans celles des forestiers. Ceux-ci n'ont commencé à s'intéresser à la foresterie urbaine qu'à partir des années 60 La foresterie urbaine est une question à laquelle la presse internationale et le public ne sont pas encore sensibilisés. A quelques exceptions près, elle ne bénéficie pas d'une attention suffisante de la part des gouvernements nationaux L'appui qu'elle reçoit est donc loin de correspondre à sa contribution potentielle à la solution des problèmes urbains

On prévoit que d'ici à l'an 2000 la population urbaine augmentera de plus de 750 millions de personnes A cette date, la moitié de la population mondiale vivra dans les villes.

L'expansion de la population urbaine est plus rapide dans les pays à faible revenu. D'ici à l'an 2000, il y aura dans le monde 66 villes de plus de 4 millions d'habitants, dont 50 seront dans les pays en développement Face à de tels taux de croissance, la capacité de planification des autorités municipales devient vite insuffisante La dégradation de l'environnement urbain, périurbain, voire rural dans les zones facilement accessibles, est due au fait que des populations toujours plus nombreuses s'efforcent de satisfaire leurs besoins en aliments, énergie et bois de construction

Bien que le taux de croissance des villes du monde développé soit beaucoup plus lent, les villes et les citadins de ces pays connaissent d'autres problèmes très graves: détérioration de la qualité de l'air, réchauffement de l'air, augmentation des niveaux sonores, stress psychologique et affaiblissement du sens de la communauté.

Développement périurbain planifié et spontané au Brésil. Notez la différence de densité de population et de végétation pour déterminer comment et dans quelle mesure ils peuvent relever ces défis. (a)

Développement périurbain planifié et spontané au Brésil. Notez la différence de densité de population et de végétation pour déterminer comment et dans quelle mesure ils peuvent relever ces défis. (b)

La foresterie urbaine a fait quelques progrès depuis 10 ans, mais cette discipline en est encore à ses débuts. Nombreuses sont les tâches qui l'attendent pour les années 90 et au-delà: quantifier les bénéfices que les citadins peuvent tirer des arbres, mieux intégrer la foresterie dans la planification urbaine; développer l'écologie forestière urbaine comme domaine d'expertise; accumuler des connaissances spécialisées sur le choix et la gestion des diverses essences; mieux comprendre les rapports dynamiques entre la croissance de la population urbaine et l'aménagement des ressources forestières dans les zones urbaines, périurbaines et rurales; améliorer les structures institutionnelles et les cadres juridiques en matière de foresterie urbaine; mieux comprendre la façon dont le public perçoit la foresterie urbaine et ses préférences dans ce domaine; et encourager les citoyens à prendre en charge les arbres urbains. Les forestiers et les fonctionnaires municipaux doivent s'associer

Définition de la foresterie urbaine

La foresterie urbaine est une branche spécialisée de la foresterie qui a pour objectif la culture et la gestion des arbres leur contribution actuelle et potentielle au bien-être physiologique, sociologique et économique de la société urbaine. Dans son sens le plus large, la foresterie urbaine englobe un système complexe de responsabilités incluant les bassins versants municipaux, les habitats de la faune sauvage, les possibilités de loisirs de plein air, la conception des paysages, le recyclage des déchets municipaux, l'arboriculture en général et la production de fibre de bois comme matière première.

La foresterie urbaine associe l'arboriculture, l'horticulture ornementale et la gestion forestière. Elle est étroitement liée à l'architecture paysagère et à l'aménagement des parcs, et doit être conçue et appliquée de concert avec des professionnels de ces domaines, ainsi qu'avec les planificateurs urbains

La foresterie urbaine couvre des activités réalisées dans le centre des villes, les banlieues et la périphérie Les activités forestières peuvent varier considérablement selon la zone concernée. Dans le centre des villes, les possibilités de nouveaux aménagements forestiers sont relativement limitées. Il s'agit la plupart du temps d'entretenir ou de remplacer des arbres plantés il y a très longtemps.

Les banlieues, en revanche, offrent davantage de possibilités car les terrains disponibles y sont plus nombreux que dans le centre des villes. Ces terrains, en outre, sont plus souvent entre les mains de propriétaires privés que dans les zones périurbaines, et la population y est plus stable et a donc davantage intérêt à protéger et à soigner ces arbres.

Deux exemples de foresterie urbaine à Yokohama (Japon): amélioration esthétique du port commercial et espace vert public très fréquenté. (a)

Deux exemples de foresterie urbaine à Yokohama (Japon): amélioration esthétique du port commercial et espace vert public très fréquenté. (b)

C'est dans les zones dites périurbaines que les ressources naturelles sont les plus sollicitées, là où s'arrête la vieille ville et où commencent les nouveaux quartiers, où la cité planifiée cède le pas aux établissements à croissance spontanée. C'est dans ces zones que la croissance démographique est la plus élevée et que la capacité de planification des autorités municipales est la plus faible Dans les pays en développement, c'est là que s'installent les nouveaux émigrants venus des zones rurales C'est là aussi que la foresterie urbaine a le plus d'avenir et pourrait contribuer à satisfaire les besoins de la population urbaine.

Les activités de foresterie dépendront aussi des conditions géographiques La foresterie urbaine peut signifier planter des arbres là où il n'y en a jamais eu, favoriser la végétation naturelle ou intégrer l'expansion urbaine dans des zones boisées.

Il existe de grandes différences entre l'aménagement des arbres dans un environnement urbain et la foresterie rurale «traditionnelle» Dans de nombreuses villes, les arbres occupent une place minime dans le paysage, notamment dans le centre. Les villes ne sont pas favorables à la croissance des arbres Même dans les villes au couvert forestier important dans le centre et/ou la banlieue, l'aménagement est compliqué par la fragmentation des espaces verts. Les objectifs de la plantation d'arbres, le choix de l'emplacement et la configuration des arbres plantés, ainsi que l'aménagement des arbres, sont différents en milieu urbain et en milieu rural Les conditions socio-économiques et les besoins des citadins et des ruraux peuvent être très différents; ils sont en outre beaucoup plus variés à la ville qu'à la campagne. D'autre part, les informations techniques sur lesquelles appuyer des décisions en matière d'aménagement ou de foresterie urbaine/périurbaine sont encore limitées, notamment dans les pays en développement, Kuchelmeister, 1991)

La foresterie urbaine au cours des siècles

La plantation d'arbres dans les établissements humains et dans le cadre de l'architecture paysagère n'est pas nouvelle; elle a ses racines dans les civilisations anciennes de la Chine, de l'Asie de l'Ouest et de la Grèce (Jellicoe, 1985). Plusieurs villes de l'antiquité possédaient des parcs, des jardins et d'autres espaces verts extrêmement sophistiqués - la plus connue étant Babylone, «la cité des jardins», qui remonte à plus de 3000 ans. La civilisation assyrienne puis, beaucoup plus tard, les civilisations classique, perse et grecque du 5e siècle avant J.-C. possédaient également une tradition analogue fondée sur des croyances esthétiques, culturelles et religieuses. En Europe, aux 17e et 18e siècles, les forêts municipales et royales étaient aménagées pour la chasse de loisirs. Plus tard, l'élite, dans beaucoup de villes européennes, notamment en Italie, France, Autriche et Angleterre, a créé les jardins et les parcs urbains d'agrément. La pratique des plantations urbaines à but purement esthétique s'est répandue dans les colonies d'Afrique et d'Asie. La colonisation espagnole a introduit en Amérique latine les concepts de patios intérieurs dans les maisons particulières et de places publiques dans les centres urbains. Depuis le début de l'histoire, la plantation et l'aménagement des arbres et des forêts répondent bien davantage à des critères esthétiques et spirituels qu'à des objectifs utilitaires.

Evolution des mentalités en matière de foresterie urbaine

La plantation d'arbres dans les établissements urbains n'est pas un phénomène nouveau (voir encadré) Ce qui est nouveau, c'est qu'ici et là les forestiers et les responsables municipaux commencent à comprendre que les arbres et les espaces verts présentent beaucoup plus d'avantages qu'ils ne le pensaient, et ils essaient de les quantifier Un nombre croissant de documents sont présentés aux conférences internationales et nationales (congrès forestiers mondiaux et conférences sur la foresterie urbaine, parrainées en partie par l'Association américaine de foresterie) qui essaient de modifier l'image de la foresterie urbaine, naguère considérée comme une activité destinée aux élites et à leur confort, et présentées désormais comme une source de biens et services divers à la portée d'un large éventail de citadins. La foresterie urbaine est considérée tant comme un moyen de susciter la participation de la communauté que comme une activité dépendant de cette participation Elle est une occasion de sensibiliser les citadins aux principes de l'écologie forestière: plus que de planter des arbres individuels, il s'agit d'aménager la forêt urbaine en tant qu'entité écologique

Cette rue de la ville de Mexico a été réaménagée pour préserver un vieil arbre qui fournit beaucoup d'ombre

Le rôle des forêts urbaines

La liste des biens et services que peut fournir la foresterie urbaine est impressionnante Les arbres et les espaces verts contribuent au refroidissement des villes, agissent comme des filtres naturels et absorbent le bruit; ils améliorent les microclimats, et maintiennent et améliorent la qualité des ressources naturelles sol, eau, végétation, faune sauvage. Les arbres embellissent l'aspect des villes et contribuent de ce fait à la santé psychologique de leurs habitants. Au-delà de leurs avantages écologiques et esthétiques, ils fournissent aux plus démunis des moyens de survivre, notamment dans les pays en développement mais pas exclusivement dans ces pays.

Un jeune arbre lutte pour survivre dans la «jungle de béton» du centre de Bangkok

Les arbres plantés le long d'une rue du centre très fréquentée réduisent la pollution

Rôle esthétique dans les zones urbaines

C'est pour leur valeur esthétique et récréative que les arbres, les forêts et les parcs sont le plus appréciés par la plupart des citadins, des pays développés comme des pays en développement Les arbres répondent à certains besoins psychologiques et socioculturels des citadins (Dwyer, Schroeder et Gobster, 1991) Ils jouent un rôle social très important en apaisant les tensions et en améliorant la santé psychologique; les gens se sentent tout simplement mieux lorsqu'ils vivent au milieu des arbres Une étude a montré que les patients d'un hôpital qui occupaient des chambres avec vue sur des arbres guérissaient plus vite que les autres et restaient par conséquent moins longtemps à l'hôpital (Ulrich, 1990) A condition d'être correctement choisis et disposés, les arbres peuvent servir à cacher certaines parties inesthétiques du paysage et assurer une certaine intimité, tout en laissant le regard apprécier le reste du paysage. Les parcs offrent des possibilités de loisirs d'accès facile

Rôle écologique

Compte tenu de la prédominance des bâtiments en béton, de l'asphalte et du métal, ainsi que de la concentration des systèmes de transport et des activités industrielles dans les zones urbaines et à leur périphérie, la température moyenne est plus élevée, l'air est plus sec et souvent pollué, les précipitations sont moins bien absorbées et l'environnement est généralement plus bruyant dans les villes que dans les campagnes.

Assainir l'air. L'un des principaux problèmes des zones urbaines est l'insalubrité de l'air. Les plantes contribuent à débarrasser l'air des éléments polluants de trois façons: absorption par les feuilles ou la surface du sol: dépôt des particules et aérosols sur la surface des feuilles; et chute des particules du côté sous le vent de la végétation en raison du ralentissement de la circulation de l'air. Les recherches sur la suppression des polluants aéroportés par la végétation indiquent que les plantes absorbent de manière efficace la pollution. Les arbres, par exemple, absorbent très bien le dioxyde de soufre. Keller (1979) a calculé une réduction de 85 pour cent du plomb derrière une ceinture d'arbres. Le sol absorbe les polluants gazeux, y compris le monoxyde de carbone, le dioxyde de soufre et l'oxyde d'azote, l'ozone et les hydrocarbones. Les arbres interceptent la poussière. On a observé, au cours d'une expérience, qu'une ceinture d'arbres de 30 m de large absorbait presque toute la poussière de l'air. Les arbres masquent souvent les émanations et les odeurs désagréables, en les remplaçant par des odeurs plus agréables ou en les absorbant. Les arbres contribuent également à augmenter l'humidité relative de l'air en milieu urbain grâce à l'évapotranspiration.

Modification des températures extrêmes. Les arbres, les buissons et d'autres types de végétation atténuent les températures extrêmes en milieu urbain en modifiant les radiations solaires. L'ombre d'un seul grand arbre peut abaisser la température dans un immeuble donne dans les mêmes proportions que le feraient 15 climatiseurs de 4000 BTU (British thermal units), soit 4220 kJ, dans un immeuble analogue mais pas ombrage. Les économies d'énergie réalisées en plantant des arbres autour des maisons vont de 10 à 50 pour cent pour le refroidissement et de 4 à 22 pour cent pour le réchauffement (NAA/ISA, 1991).

Rue plantée d'arbres à Prague (République tchèque)

Réduction du bruit. On dit souvent que le bruit est une pollution invisible. Dans la plupart des grandes villes, des niveaux excessifs de bruit causent des dégâts tant physiques que psychologiques. Les arbres sont alors utiles pour absorber et réfracter ou dissiper le bruit, comme celui causé par la circulation automobile intense qui caractérise les zones urbaines.

Satisfaction des besoins fondamentaux des personnes sans ressources

Au-delà de leur valeur esthétique et écologique, les arbres peuvent contribuer à satisfaire les besoins énergétiques et alimentaires quotidiens des citadins, notamment des plus démunis.

Approvisionnement en bois de feu. Bien que les sources d'énergie domestique et industrielle de haute technicité soient disponibles dans la plupart des villes (électricité et produits du pétrole tels que diesel, kérosène, gaz), leur prix relativement élevé les place hors de portée de la plupart des citadins du monde en développement. Par conséquent, les gens continuent à dépendre du bois de feu et du charbon de bois pour leurs besoins énergétiques. Ces besoins sont donc satisfaits par une collecte incontrôlée, qui provoque la dégradation de larges superficies autour des villes des pays en développement. Lorsque les sources d'énergie gratuites sont épuisées ou sont trop difficiles à exploiter, on assiste au développement de marches du bois de feu. Même cette source d'énergie est relativement chère; des études signalent que les groupes à faible revenu dépensent jusqu'à 30 ou 40 pour cent de leur revenu total pour satisfaire leurs besoins énergétiques domestiques. Les matériaux de construction à base de bois - par exemple, poteaux, planches et feuilles pour la fabrication des toits - sont également très demandés dans beaucoup de grandes villes (Kuchelmeister, 1991; Ducchart, 1989).

Plusieurs types d'aménagement des ressources forestières urbaines et périurbaines en vue de la production de bois de feu et de bois de construction devraient être mis au point (Munslow et al., 1988). Les tentatives faites pour aménager dans les zones périurbaines des plantations destinées exclusivement à la production de bois de feu sont rarement couronnées de succès. Les superficies ne sont pas suffisantes pour répondre à la demande de bois de feu, ou bien le coût d'exploitation est trop élevé. La production à petite échelle de bois de feu pour le marché n'est pas assez rentable pour concurrencer d'autres modes d'utilisation des terres, comme l'agriculture. Les autres options expérimentées dans divers pays incluent l'aménagement des forêts et des terres boisées existantes, les plantations d'enrichissement dans ces forêts et la promotion des systèmes agroforestiers sur les petites exploitations. Des études supplémentaires sont nécessaires pour analyser l'impact de l'urbanisation sur les terres boisées naturelles situées à la périphérie des villes et le long des principales voies d'accès à la ville.

Production alimentaire. L'agriculture urbaine est un phénomène commun à de nombreuses villes d'Asie, d'Amérique latine et d'Afrique (Yeung, 1987; Sanyal, 1985; Streiffeler, 1987; Ninez, 1985; Skinner, 1981). Le nombre et le type de personnes qui la pratiquent, ainsi que les formes qu'elle revêt, diffèrent largement d'un endroit à l'autre. La plupart du temps, elle est pratiquée à la périphérie des villes par des familles à faible revenu, tandis que dans des régions comme l'Afrique et les îles du Pacifique, l'agriculture urbaine est très répandue dans les villes. Bien que la plupart du temps l'accent ne soit pas mis sur la production d'aliments de base, ces jardins, grâce à la production de légumes, de fruits et de condiments, contribuent à améliorer la valeur nutritionnelle et la variété des régimes alimentaires des citadins.

Les arbres fruitiers occupent souvent une place importante dans les jardins particuliers urbains. Il arrive que les arbres soient plantés pour compléter l'approvisionnement en bois de feu et en fourrage et même pour fournir des matières premières pour l'artisanat. Il conviendrait d'examiner comment l'agroforesterie peut améliorer la productivité et diversifier la production. Ce rôle pourrait devenir beaucoup plus important à l'avenir. Dans beaucoup de pays en développement, notamment en Afrique et en Amérique latine, près de la moitié des ménages à revenu faible ou modéré émigrant vers les villes seront bientôt dirigés par des femmes. L'agroforesterie urbaine, outre son rôle dans la nutrition des ménages, pourrait devenir pour les femmes une source de revenus leur permettant de rester au foyer.

Planification

Compte tenu des nombreuses possibilités qu'offrent les arbres et les forêts urbaines, il convient de déterminer à quels bénéfices accorder la priorité dans des circonstances données et comment les obtenir de manière durable et économiquement viable.

Fixation de priorités - buts politiques

Les priorités ou les buts politiques des efforts de foresterie urbaine seront fixés en fonction des conditions régnant dans la ville considérée. Cela peut sembler un truisme, mais l'expérience montre que la viabilité à long terme des efforts de foresterie urbaine (de même que ceux entrepris dans les zones rurales) dépend de la viabilité technique et économique de l'entreprise par rapport à l'environnement humain et géographique. Jusqu'à très récemment, la quasi-totalité des efforts entrepris dans les pays industrialisés en matière de foresterie urbaine poursuivaient un but esthétique. Il faut noter que la plupart de ces efforts ont été entrepris lorsque les coûts liés à la plantation et à l'entretien d'arbres dans un environnement urbain étaient bien inférieurs à ce qu'ils sont aujourd'hui. En fait, la charge économique est à elle seule un argument de poids contre une focalisation étroite sur l'esthétique.

Les exemples les plus connus de foresterie urbaine dans les pays en développement avaient également un but esthétique. Bien que le coût de la main-d'œuvre dans ces pays soit encore relativement faible, on peut affirmer que les ressources utilisées n'ont profité qu'à une petite fraction de la population urbaine et que, bien souvent, elles auraient été mieux employées à des activités profitant à toute la population.

Par conséquent, les responsables de la foresterie urbaine devraient, en règle générale, chercher à engendrer l'éventail le plus large possible de bénéfices potentiels (parmi ceux examinés ci-dessus) adaptés à une ville donnée. Une approche purement ornementale ou décorative devra être rejetée en faveur d'une approche visant à procurer des bénéfices à la fois fonctionnels et esthétiques. Comme le suggère Bartenstein (1982), la foresterie urbaine ne devrait pas être considérée comme un «service d'agrément», mais faire partie des «services essentiels» aux côtés d'autres services sanitaires et sociaux.

Le dosage spécifique des objectifs dépendra des circonstances locales. Par exemple, dans une ville d'Afrique subsaharienne aride, la production de bois de feu dans les ceintures vertes périurbaines peut être une priorité absolue, tandis que dans une île du Pacifique Sud la promotion d'arbres fruitiers dans les jardins particuliers sera sans doute plus appropriée. Dans une ville industrielle d'Amérique du Nord ou d'Europe, on cherchera en priorité à réduire la pollution de l'air et les nuisances sonores.

Le processus de planification

Le processus de planification doit être global et comprendre tous les arbres, toutes les forêts et toutes les terres potentiellement disponibles, publics ou privés. Même si les autorités municipales ne contrôlent pas directement tous les arbres et les forêts du territoire qu'elles administrent, ceux-ci doivent tous faire partie d'un plan d'aménagement. Les éléments techniques du processus de planification incluront généralement l'inventaire, la sélection des espèces et la plantation, l'entretien et l'exploitation et/ou la suppression.

Le processus de planification dépendra en grande partie de la structure de la zone urbaine considérée. Comme on l'a déjà indiqué, dans les zones urbaines les plus anciennes (qui sont souvent le centre historique des villes), les possibilités en matière de foresterie seront relativement limitées; la planification sera alors centrée sur l'entretien de la végétation existante. De même, dans les zones urbanisées du fait d'une expansion planifiée, le processus de planification devra s'insérer dans le contexte des contraintes existantes. Dans les zones qu'il est prévu d'aménager ou de développer, la foresterie urbaine a de belles perspectives. La planification dans ces zones devrait faire partie intégrante de la prise de décisions au niveau le plus élevé en matière d'utilisation du sol.

La participation communautaire ou populaire est un élément clé du processus de planification en matière de foresterie urbaine (de même que pour la foresterie dans les zones rurales). Que ce soit directement (par le biais de leur travail) ou indirectement (grâce aux impôts), les citadins contribuent de manière essentielle au succès de tout effort de foresterie urbaine. Par conséquent, les forestiers et les planificateurs doivent obtenir l'appui de ces citoyens. Le processus de planification doit à la fois encourager la participation communautaire et sensibiliser les citoyens aux valeurs que détend la foresterie urbaine et aux bénéfices qu'elle engendre. Le champ de la participation populaire se situe à trois niveaux fondamentaux: la participation aux organes officiels de planification; les contacts avec des groupes d'action communautaire; les négociations avec le secteur privé.

Les considérations financières sont un autre élément essentiel du processus de planification. Pour aboutir à des résultats valables, les efforts de foresterie urbaine doivent produire des avantages quantifiables. Par conséquent, le processus de planification doit déterminer et quantifier les coûts et les bénéfices attendus des efforts proposés.

Vue de Dacca (Bangladesh). Dans cette zone de peuplement sauvage en bordure de la ville, les arbres sont pratiquement absents

Contraintes et besoins en matière d'amélioration

Les sections précédentes du présent article ont mis en lumière les avantages de la foresterie urbaine. Un certain nombre d'obstacles importants s'opposent toutefois à la réalisation de ce potentiel. Tous les problèmes doivent être envisagés, même s'ils ne peuvent pas tous être résolus à court terme.

Financement insuffisant

Le manque de fonds est un obstacle important à l'aménagement systématique des arbres et à la promotion de programmes de foresterie urbaine plus efficaces. Qui plus est, cette situation a peu de chances de s'améliorer, car les budgets municipaux et nationaux continuent à pâtir des contraintes économiques, de l'inflation galopante et de la pénurie de ressources. Par conséquent, il faudra constamment, et de plus en plus, démontrer que les avantages de la foresterie urbaine dépassent ses coûts. Il est donc particulièrement important de mener des recherches quantitatives sur les résultats positifs des efforts de foresterie urbaine. Il ne suffira pas de proclamer que «les arbres réduisent les rayonnements solaires» ou qu'«ils peuvent absorber les polluants atmosphériques» ou qu'«ils peuvent contribuer à réduire les pénuries de bois de feu»: il faudra absolument disposer de données spécifiques sur les coûts et bénéfices (NDLR: voir l'article de Nowak et McPherson).

Faible rang de priorité

Les responsables politiques (aux niveaux national et international) ont tendance à considérer la foresterie urbaine comme une activité secondaire, qu'il est plus facile de reléguer au second plan que d'autres programmes. Cela est dû en partie à un manque d'information, d'éducation et de sensibilisation aux avantages économiques et biologiques des arbres dans un environnement urbain. Encore aujourd'hui, la foresterie urbaine a tendance à être considérée comme une question d'esthétique ou un luxe qui ne méritent pas d'être appuyés. Sans volonté politique, la foresterie urbaine ne peut bénéficier de l'attention qu'elle mérite, ni réaliser son potentiel. La participation des organisations populaires locales est un autre facteur qui permettrait de faire passer à la foresterie urbaine le seuil critique de priorité.

Dispersion des responsabilités en matière d'aménagement

La responsabilité de l'aménagement des arbres et des forêts urbaines est souvent répartie entre diverses structures administratives, avec les chevauchements voire les conflits de compétences que cela entraîne. L'accent ayant été mis au départ sur les valeurs esthétiques, ce sont souvent les départements des parcs et loisirs qui se voient déléguer les principales responsabilités dans ce domaine. Toutefois, les agences de travaux publics, les organismes fournissant les services publics essentiels, les agences de protection de l'environnement et les ministères des forêts et de l'agriculture peuvent aussi exercer certaines responsabilités. Les gouvernements devront donc désigner des agences coordinatrices et assurer des liens intersectoriels, afin de faire le meilleur usage possible de ressources financières et humaines insuffisantes.

Pénurie de terrains

Le manque d'espace est l'un des principaux obstacles à la réussite de la foresterie urbaine. Les sites urbains sont des milieux complexes, tant en ce qui concerne la disponibilité de terres appropriées pour la plantation d'arbres que les régimes de propriété et d'occupation. Dans certains cas, comme dans les zones urbaines périphériques extrêmement peuplées et non planifiées, l'absence de terres peut être un obstacle absolu. Dans d'autres cas, la participation populaire peut faciliter l'utilisation efficace de ressources insuffisantes.

Contraintes dues à l'environnement

L'environnement urbain est en général très dur pour les arbres. Le stress qui en résulte réduit la vigueur de beaucoup d'espèces d'arbres et accroît leur vulnérabilité aux maladies et aux ravageurs. Les arbres souffrent de la mauvaise qualité des sols (sols tassés à faible teneur en matières organiques, en nutriments et en humidité), de la pollution de l'air et de l'eau et du vandalisme (Beatty et Heckman, 1981). La sélection des espèces est indispensable pour surmonter ces contraintes.

Absence de formation, de vulgarisation et de communication

Il existe relativement peu de possibilités de formation et d'éducation en matière de foresterie urbaine, notamment dans les pays en développement. L'absence de matériel pédagogique approprié constitue un obstacle supplémentaire.

A mesure que la foresterie urbaine verra ses perspectives s'élargir en tant qu'instrument de développement, l'aménagement de la végétation urbaine nécessitera de nouvelles compétences. Les forestiers doivent apprendre à combiner une bonne connaissance des arbres avec une compréhension de l'administration des villes, de la société et de ses besoins. Outre la formation visant à améliorer les connaissances biologiques, les forestiers devront acquérir des compétences en matière de planification écologique des paysages, de vulgarisation, de communication et de sciences sociales, et dans des domaines connexes.

En règle générale, la vulgarisation en matière de foresterie urbaine est très limitée. Il faudrait mettre au point des méthodes pratiques pour toucher et sensibiliser les citoyens, en particulier les plus pauvres (NDLR: voir l'article de Burch, Jr et Grove).

L'établissement de réseaux s'est avéré un instrument efficace de recherche-développement dans beaucoup de secteurs, mais en matière de foresterie urbaine, à l'échelon mondial ou régional, les activités sont encore extrêmement limitées. Le groupe de projet de l'Union internationale des instituts de recherches forestières (IUFRO) sur l'arboriculture et la foresterie urbaine est un exemple de structure de réseaux fonctionnant à l'échelon mondial. En outre, un petit réseau informel créé par le Forestry Support Program USA pour faire le lien entre les gens du monde entier qui ont des questions à poser sur la foresterie et ceux qui ont des réponses à ces questions aux Etats-Unis, reçoit un nombre croissant de demandes. Global Relief, programme de foresterie urbaine de l'American Forestry Association, contribue au partage de l'information grâce à l'établissement de réseaux aux Etats-Unis et plus récemment dans le monde entier. Des organisations analogues existent dans d'autres pays développés, mais ces initiatives sont rarissimes dans les pays en développement.

L'échange d'information peut aussi se faire par le biais d'accords de «jumelage» entre l'administration responsable de la foresterie urbaine d'une ville d'un pays industrialisé et son homologue dans une ville de pays en développement, ainsi que par le biais de programmes mis sur pied par les organisations professionnelles, grâce auxquels les autorités responsables de la planification urbaine - les sociétés et des particuliers - pourraient contribuer à un fonds qui subventionnerait le coût de la collecte et de la diffusion d'information (O'Rourke, 1990).

Conclusion

Dans la plupart des pays (tant développés qu'en développement), ainsi qu'au sein des agences de coopération pour le développement, la foresterie urbaine est encore largement perçue comme une activité à but esthétique, souhaitable certes, mais pas forcément essentielle. Il est temps que le rôle multiple de la foresterie urbaine, en tant que moyen potentiellement efficace et économiquement rentable de soulager la pauvreté et d'améliorer l'environnement et l'aspect des villes, soit reconnu.

En particulier mais pas exclusivement dans les villes des pays industrialisés, les bénéfices potentiels des arbres et des forêts dans la lutte directe et indirecte contre la pollution (grâce à une amélioration du rendement énergétique des moyens de chauffage et de refroidissement) mériteraient de bénéficier d'une attention et de ressources accrues. Dans les pays en développement qui connaissent une urbanisation rapide, la foresterie urbaine devrait mettre l'accent sur sa capacité à fournir des biens et services dont bénéficient les plus pauvres.

De nombreuses études supplémentaires seront nécessaires pour quantifier les bénéfices de la foresterie urbaine et périurbaine, comprendre la dynamique de la demande et des flux de ressources en forêts et en arbres entre les zones rurales et urbaines, et développer la base de connaissances scientifiques de la foresterie urbaine. Des changements institutionnels et juridiques s'imposent, de même que le recours aux méthodes participatives, de plus en plus employées en matière de développement rural. Il reste encore beaucoup à faire, de toute évidence, pour développer la foresterie urbaine/périurbaine en tant que discipline et activité. Globalement, les arbres et les forêts urbaines peuvent et doivent faire partie intégrante de nos efforts pour améliorer la qualité de la vie dans nos villes, de façon que les gens puissent y vivre, y travailler et y prospérer dans un environnement plus sain et plus sûr.

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