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Les enfants et l'alimentation de rue


Les enfants et l'alimentation de rue
Children and street food
Los niños y los alimentos callejeros

M. Chauliac et P. Gerbouin-Rerolle

Michel Chauliac et Pascale Gerbouin-Rerolle sont respectivement médecin nutritionniste et ingénieur agro-alimentaire, chargés de mission, auprès du Centre international de l'enfance au Château de Longchamp, Bois de Boulogne, Paris.

L'alimentation de rue, mode d'approvisionnement alimentaire, lieu de consommation et importante source de revenus pour de nombreux individus et familles des villes des pays en développement, est largement reconnue comme un phénomène incontournable lié à la croissance urbaine.

Le développement de cette activité, témoin du dynamisme des populations, de leur capacité à inventer en permanence des réponses aux contraintes nouvelles auxquelles elles sont soumises, soulève de nombreuses interrogations. Plusieurs types d'acteurs sont concernés: les préparateurs/vendeurs s'approvisionnant en matières premières auprès des grossistes et détaillants, voire directement auprès des producteurs, les consommateurs et les pouvoirs publics. Les implications sociales, économiques, alimentaires, sanitaires, nutritionnelles et urbanistiques de ce système alimentaire revêtent une importance majeure et ont fait l'objet de diverses publications (FAO, 1989; 1990; 1991; Hutabarat, 1994).

De cette problématique générale, seules les relations entre l'enfant et le secteur de l'alimentation de rue seront abordées ici.

FAMILLE ET ALIMENTATION DE RUE

Dans le contexte d'urbanisation rapide, on assiste dans tous les continents à une déstructuration des liens familiaux traditionnels. De nombreuses femmes ayant un faible niveau d'instruction et une très faible capacité d'investissement en capital doivent assurer le rôle de chef de famille. La préparation d'aliments de rue nécessitant une compétence culinaire technique est acquise dès l'enfance au sein de l'unité domestique; cette activité représente pour beaucoup d'entre elles l'unique moyen d'accéder à un revenu, compatible avec leur responsabilité de mère et de pourvoyeur de nourriture à leurs enfants. Mais plus généralement, cette source de revenus apparaît essentielle pour la survie de la plupart des familles défavorisées des villes. Dans une étude menée à Bamako (Mali), 80 pour cent des familles des quartiers pauvres ont au moins un membre engagé dans la préparation ou la vente d'aliments de rue; elles sont encore 58 pour cent dans la catégorie socioéconomique intermédiaire et «seulement» 14 pour cent parmi les familles aisées (Agbendech et Chauliac, Communication personnelle). Cette activité économique est également un moyen de nourrir ou de compléter, sans coût additionnel, la ration alimentaire de la famille, en particulier des enfants.

L'alimentation de rue est aussi un moyen individuel, favorisé par l'anonymat de la ville, d'échapper à ce qui est parfois vécu comme la contrainte familiale (Bricas, 1993). Cela permet d'accéder à l'évasion gustative que le nombre important de convives à domicile interdit: comment offrir à tous la brochette de viande que l'on déguste dans la rue? Les conséquences de cette individualisation de la consommation sur l'alimentation de l'enfant n'ont pas été étudiées.

Sur le plan socioalimentaire, l'alimentation de rue accompagne et joue un rôle actif dans l'évolution des styles alimentaires urbains (Bricas, 1993; Delisle, 1991). Se nourrir n'est pas uniquement une activité de survie obéissant seulement à une régulation physiologique, c'est aussi l'expression identitaire d'un groupe social et culturel. Les coutumes alimentaires, les préférences gustatives qui régissent l'alimentation d'un groupe, mais aussi les facteurs économiques, sociaux et culturels jouant sur les choix et pratiques, se conjuguent pour déterminer les comportements alimentaires qu'adoptent les individus (Cohen, 1988).

Au sein de l'unité familiale l'accès au plat est régi par des règles témoignant de la place de chacun, homme, femme, adulte, enfant, invité. L'apprentissage de ces règles et de ces codes débute dès la petite enfance. Apprendre à manger est un processus de socialisation qui se construit au sein de l'unité familiale et sous l'influence du groupe des pairs dans un environnement physique et socioculturel spécifique. Ces apprentissages resteront ancrés dans les comportements à l'âge adulte (Chiva et Fisher, 1988).

Sur un plan biologique, l'aliment acheté dans la rue représente une part, variable et rarement quantifiée, des apports quotidiens, participant ainsi à la satisfaction des besoins nutritionnels. A cause des risques toxiques et infectieux engendrés par les modes de préparation, de conservation et de vente des produits, l'aliment vendu dans la rue influence l'état de santé, la morbidité, voire la mortalité des consommateurs, qui se manifestent de façon plus aiguë sur l'enfant que chez l'adulte.

ALIMENTATION DE L'ENFANT

Individu en croissance et en développement, l'enfant acquiert progressivement en grandissant une autonomie qu'il exprimera par des choix alimentaires spécifiques, hors du contrôle parental direct auquel il est soumis dans ses premières années. Ses besoins, les risques qu'il affronte sont différents selon l'étape de son cycle de vie. Par ses choix, il participe activement à l'évolution des styles alimentaires urbains.

Sur un plan nutritionnel, les besoins de l'enfant sont couverts jusqu'à l'âge de quatre à six mois par l'allaitement maternel. Après, des compléments alimentaires, adaptés à ses capacités physiologiques, lui sont nécessaires. Puis, vers l'âge de 12-18 mois, en plus de l'allaitement maternel, il pourra participer au partage du plat familial. La forte prévalence de malnutrition protéino-énergétique et de carences en micronutriments rencontrée chez l'enfant de moins de cinq ans est une conséquence de conduites alimentaires insatisfaisantes survenant dans un contexte d'infections fréquentes, en particulier gastro-intestinales (Masse-Raimbault, 1992).

A des degrés divers, selon les continents, les pays et les classes sociales, l'environnement urbain favorise le déclin de la pratique de l'allaitement maternel tant en termes de prévalence que de durée. L'introduction d'aliments complémentaires est souvent trop précoce de même que le passage au plat familial et le sevrage définitif. C'est durant cette période de sevrage que les états de malnutrition se constituent, entraînant une aggravation de la morbidité et de la mortalité, et à plus long terme, représentant un facteur qui limite le développement des capacités physiques et intellectuelles dont les conséquences néfastes sur le développement des pays ont longuement été débattues (Beaton, 1989).

L'enfant vend aux enfants (Bénin)

Les contraintes de temps qui pèsent sur les mères, parfois chefs de famille, à la recherche de revenus dans un environnement urbain frappé par la crise, ne leur permettent pas de préparer et de nourrir leurs enfants en âge de sevrage aussi fréquemment qu'il le faudrait avec des aliments de qualité satisfaisante, malgré les conseils prodigués par les personnels sociosanitaires.

Toujours dépendant et soumis à la concurrence qui s'exerce avec ses aînés et les adultes autour du plat familial, l'enfant, avant son entrée à l'école, souffre d'une insuffisance d'apports et de diarrhées fréquentes. Durant ces premières années, le développement de l'intelligence, de l'affectivité et des relations sociales est extrêmement rapide. Par delà son importance nutritionnelle, l'alimentation est à cet âge un véhicule essentiel de la socialisation et du développement affectif de l'enfant.

A l'âge scolaire, l'autonomie dont il dispose dans bien des cas lui permet de recourir à l'alimentation de rue pour complémenter ses apports nutritionnels. C'est aussi la période des apprentissages cognitifs pour lesquels l'école joue un rôle important. Cependant les modèles diffusés par le pédagogue peuvent se révéler contradictoires avec ceux vécus en famille au quotidien, générant ainsi des conflits. L'acte alimentaire devient une activité sociale et l'influence des pairs sur les goûts et les façons de manger s'exerce de façon vive.

Ces divers besoins, nutritionnels, hygiéniques, éducatifs et de socialisation doivent être pris en compte dans l'analyse des relations que l'enfant entretient avec l'alimentation de rue. Dans une perspective d'intervention, une telle approche permettra une meilleur adéquation des conduites éducatives et prophylactiques destinées à orienter la demande et de soutenir une offre d'aliments de qualité culturellement adaptée et économiquement viable tant pour les vendeurs que pour leurs jeunes clients.

ENFANTS CONSOMMATEURS D'ALIMENTS DE RUE

Les implications de ce mode d'approvisionnement et de consommation alimentaire que constitue l'alimentation de rue vis-à-vis de l'enfant plongé dans son environnement urbain peuvent être appréhendées à deux niveaux principaux.

L'enfant peut être concerné en tant que travailleur, ce qui nécessite de s'interroger sur le rôle qui lui est dévolu, d'une part, en tant que préparateur souvent au sein de l'unité familiale, d'autre part, en tant que vendeur fixe ou ambulant dans les rues ou encore comme «employé» d'un patron.

L'enfant est impliqué en tant que consommateur, ce qui conduit à s'intéresser en premier lieu au plus jeune, consommateur dépendant des choix maternels et donc sur le recours aux plats vendus dans la rue pour une consommation intradomiciliaire et à leur répartition au sein de l'unité domestique. D'autre part, l'enfant plus agé nous intéresse en tant que consommateur autonome effectuant lui-même ses choix en matière d'achat et de mode de consommation.

La «cantine scolaire» (Nigéria)

La lecture de la littérature internationale disponible sur l'alimentation de rue fait ressortir l'enfant comme un grand oublié des études. Pourtant, les moins de 15 ans représentent de 30 à 40 pour cent de la population des villes. Intervenir pour et avec l'enfant en tenant compte de ses capacités et de son environnement est un investissement à fort retour dans l'immédiat mais aussi dans le futur.

Avant l'âge scolaire

Aucune étude ne mentionne l'utilisation d'aliments vendus dans la rue par les mères pour l'alimentation des enfants en âge de sevrage. La simple observation de la vie quotidienne tant en Amérique latine qu'en Afrique montre cependant que les mères y ont recours. Certaines questions méritent une attention particulière: Sur quelles bases s'effectuent les choix d'aliments destinés aux jeunes enfants? Quelle perception a la mère de la qualité de tels aliments? Quelles sont ses exigences? Quelle est la qualité nutritionnelle et hygiénique des produits achetés dans la rue que la mère destine au très jeune enfant? Quelle est leur part dans la couverture des besoins nutritionnels? Mais aussi: Quelles sont les conséquences du recours à l'alimentation de rue en tant qu'acte autonome individuel sur l'alimentation de la famille, en particulier des enfants complètement dépendants? La dépense en aliments de rue réalisée par les adultes et de façon plus générale par les pourvoyeurs de revenu familial ne se fait-elle pas au détriment de la quantité et de la qualité des aliments partagés à domicile et donc de l'alimentation du jeune enfant?

Quelques éléments issus d'études menées dans le contexte sahélien fournissent matière à réflexion: à Maradi (Niger) et à Bamako (Mali), la consommation d'aliments achetés dans la rue pour les enfants d'âge préscolaire serait un des éléments susceptibles d'expliquer l'absence de différence de prévalene de malnutrition chez les enfants de familles riches et pauvres (Raynaut, 1992; Dettwyler, 1987).

A Bamako, les enfants d'âge préscolaire issus de familles pauvres sont, par rapport aux autres membres de la famille, privilégiés pour la consommation d'aliments achetés hors domicile (Agbendech et Chauliac, Communication personnelle). Ce phénomène n'est pas retrouvé dans les familles riches. Cela pourrait compenser en partie l'insuffisance de couverture de leurs besoins nutritionnels par l'alimentation préparée à domicile. Une telle observation ne doit cependant pas occulter la très forte prévalence de malnutrition protéino-énergétique retrouvée dans toutes les couches socioéconomiques de cette ville. De plus, dans les classes sociales défavorisées, l'alimentation de rue est pratiquement l'unique source d'apport en vitamine A. Durant la saison des mangues, les individus constituent les réserves hépatiques qui leur seront nécessaires et la prévalence de carence en vitamine A est très faible dans ce contexte urbain. Bien sûr, de telles observations ne sont pas généralisables à d'autres contextes.

A l'âge scolaire

Même dans les pays où le taux de scolarisation dans le cycle primaire est faible ou très faible, dans les villes ce taux est très nettement supérieur. Ainsi, plus de 90 pour cent des enfants urbains ont un contact plus ou moins prolongé avec l'école. L'amélioration de ces taux de scolarisation fait partie des politiques nationales.

Deux études réalisées sur la relation de l'enfant scolarisé à l'alimentation de rue dans deux contextes urbains africains différents (Bamako, Mali et Cotonou, Bénin) font ressortir les similitudes mais aussi les différences dans les pratiques et comportements et illustrent la variété des situations (Chauliac, Monnier, Agbendech, 1994; Centre international de l'enfance, en préparation).

Dans ces deux capitales africaines, la réglementation relative aux aliments vendus aux enfants scolarisés est différente. A Bamako, la vendeuse ne dispose d'aucun droit. Il existe une tolérance d'installation hors du périmètre scolaire; les vendeuses peuvent s'installer à leur gré, en général après négociation avec les autres vendeuses, sans obligation de contrôle de la part de l'administration scolaire. Il arrive cependant que cette dernière, sur des critères non écrits, puisse refuser l'installation de certaines vendeuses. A Cotonou, les vendeuses peuvent s'installer en nombre limité dans l'enceinte de l'école après présentation chaque année au directeur d'école d'un certificat médical. Cette offre d'aliments est appelée «cantine scolaire» terme qui, à lui seul, prouve l'importance accordée à cette pratique. Les directeurs d'école ont la charge de vérifier la qualité des produits vendus. Cependant, ils n'ont jamais bénéficié d'une formation spécifique les préparant à une telle tâche. Dans ces cours d'école, aucune infrastructure n'est prévue pour favoriser des pratiques saines de préparation/vente. Au Nigéria, selon les Etats de cet immense pays mais aussi selon les écoles, toutes les situations semblent se retrouver depuis le laisser-faire jusqu'au contrôle strict de vendeuses accréditées et formées, et les menus sont décidés en accord avec les autorités scolaires.

A Bamako ou à Cotonou, plus de 90 pour cent des enfants disposent quotidiennement d'argent de poche donné généralement par l'un des deux parents. L'enfant est totalement libre de ses choix de dépense qui s'effectuent toujours au profit d'aliments vendus dans la rue.

La variété d'aliments achetés est très grande et constitue une diversification importante du régime alimentaire (voir tableau). Ces produits sont principalement des plats cuisinés, nécessitant une préparation/cuisson réalisée par les vendeuses à domicile, et sont transportés chaque jour vers l'école, honnis les beignets qui sont frits sur place. Les céréales traditionnellement consommées à domicile tiennent une large place à Cotonou (riz et maïs), tandis qu'à Bamako le riz est pratiquement absent et le mil rarement préparé. Par contre, le fonio, céréale locale peu consommée à domicile, est fréquemment préparé, de même que le haricot ou les tubercules.

Dans ces deux contextes les fruits et le pain rarement consommés à domicile sont achetés par les enfants, le pain sous forme de sandwich garni d'ingrédients très divers: salade, avocat, haricot, fonio, sauce au poisson, etc. Ces plats représentent ainsi un fort potentiel de stimulation des filières locales: agriculture, pêche et élevage.

Il semble que l'achat effectué par l'enfant entre dans le cadre de stratégies alimentaires différentes dans les deux contextes: à Bamako, 90 pour cent des enfants prennent un petit-déjeuner à domicile avant de partir à l'école. Ils ne sont que 19 pour cent à Cotonou. Dans ce dernier cas, la consommation à l'école constituerait une stratégie de substitution, les aliments achetés hors domicile représentant un repas à part entière. A Bamako, l'argent est plus souvent fourni sous la pression de l'enfant et une sorte de norme s'établit, imposée par le groupe des pairs, qui conduit à une homogénéïté intraquartier de la somme obtenue. L'aliment acheté représente un complément aux traditionnels trois repas quotidiens pris à domicile. Cela pourrait expliquer la différence observée du montant moyen quotidien de l'argent de poche dont dispose l'enfant (le coût d'un plat complet pour un adulte étant similaire dans les deux capitales): 27 FCFA (5,4 cents EU) à Bamako et 42 FCFA (8,4 cents EU) à Cotonou.

Dans les deux contextes, plus de 60 pour cent des enfants expriment des opinions tranchées vis-à-vis des vendeuses. Le critère essentiel de préférence ou rejet est basé sur le produit proposé: ses qualités organoleptiques, la quantité fournie. La perception de l'hygiène de l'alimentation est un critère pour environ 1 enfant sur 6. La relation directe, affective à la vendeuse, est moins importante et joue plus sur le rejet. On remarque également une nette tendance des enfants à partager entre eux l'alimentation achetée: 45 pour cent des enfants de Cotonou sont impliqués dans ce système d'échange et 74 pour cent à Bamako. A Cotonou, cela conduit à une redistribution des aliments achetés au profit de ceux qui disposent de moins d'argent.

TABLEAU
Type d'aliments achetés par les enfants à l'école


Cotonou

Bamako

n = 227

n = 361

Nourriture

Aliments de base

% d'enfants acheteurs

Aliments de base

% d'enfants acheteurs

Plat préparé

Pain

60

Pain

26

Maïs

52

Tubercule

21

Beignet

39

Haricot

20

Riz

29

Blé

18

Tubercule

11

Fonio

11

Haricot

6

Légumes

4



Mil

2

Fruit

Mangue

18

Goyave

7

Agrumes

15

Agrumes

6

Autres

2

Autres

9

Arachide


22


15

Boissons

Maïs

14

Eau

9

Eau

4

Lait

2

Glaces


22


37

Sucreries


9


18

L'intervention que nous avons menée à Cotonou (en collaboration avec la Faculté de sciences agronomiques, l'hôpital de Cotonou et le CIRAD-SAR de Montpellier) avec les enfants, les enseignants et les vendeuses a permis d'introduire de nouveaux ingrédients ainsi que de nouvelles recettes plus favorables aux apports nutritionnels et pour lesquels la demande s'est révélée très forte.

Les enfants des rues

A côté des enfants bénéficiant d'un cadre familial, les enfants des rues, en rupture, vivant de façon totale ou partielle dans et de la rue, constituent un groupe particulièrement à risque et vulnérable dont l'importance numérique ne cesse de croître dans tous les continents. Travaillant, mendiant, chappardant, organisés en bandes, vivant une violence quotidienne et survivant au jour le jour, leur stratégie de recours alimentaires n'a pas été un sujet de préoccupation. Il y a là un vaste sujet d'étude et d'interventions possibles où l'alimentation et en particulier certaines formes d'alimentation de rue à inventer permettraient, non seulement une satisfaction du besoin biologique, mais aussi contribueraient à leur socialisation et à créer un pont pour favoriser leur intégration à la vie économique et sociale de leur ville.

ENFANTS PRÉPARATEURS-VENDEURS D'ALIMENTS DE RUE

De très nombreux travaux ont été consacrés à l'enfant au travail dans le monde (Myers, 1992), en particulier sur les situations graves où l'enfant, même très jeune, est exploité par des employeurs du secteur informel en opposition à des textes législatifs dont l'application s'avère très difficile à contrôler. Le maigre complément de revenu que cette activité de l'enfant offre aux familles entre dans leur stratégie de survie. Tenter d'abolir réellement le travail des enfants, sans avoir auparavant amélioré et sécurisé le revenu familial, soulève de nombreuses difficultés. Les activités visent alors, dans le court terme, à protéger ces enfants des abus et des violences auxquels ils sont confrontés et qui compromettent leur état de santé et leur développement.

Le rôle des enfants dans la préparation-vente d'aliments de rue n'a, à notre connaissance, pas fait l'objet d'études spécifiques. Bien que les études montrent que les vendeurs appartiennent en grande majorité à la tranche d'âge 20-40 à 50 ans, la simple observation de la vie urbaine prouve dans divers contextes que l'enfant est très présent sur ces lieux de vente. Très jeune, il accompagne la mère mais dès l'âge scolaire il peut être responsable de la vente en général de produits ne nécessitant pas de manipulations spécifiques tels que fruits, arachides, bonbons, etc. A Bamako, 55 pour cent des vendeuses des écoles avaient moins de 18 ans. A Cotonou, par contre, aucune n'avait moins de 20 ans. Les enfants vendeurs ne représentent cependant que la face visible de l'implication des enfants dans ce commerce. Un nombre très important d'entre eux participe à domicile à la préparation des plats qui seront vendus par d'autres sur la voie publique.

En ce qui concerne l'Inde, Parveen Nanjia rapporte: «les conditions dans lesquelles travaillent les enfants employés dans les échoppes de thé et les restaurants situés sur le bord des routes sont lamentables. La plupart de ces locaux sont de petites structures improvisées, faites de pierres non cimentées, de briques ou de boue, de tôle ondulée, de sacs de toile, encombrées de tout un attirail qui ne permet presque pas de bouger. Commençant leur journée tôt le matin, les enfants y travaillent jusque tard dans la nuit, avec ou sans pauses intermittentes, le tout pour un maigre salaire. Qu'ils travaillent ou se reposent, ils passent le plus clair de leur temps à ciel ouvert, exposés aux caprices du climat. L'air sale, mal vêtus et marchant les pieds nus, ils sont un triste exemple de l'exploitation la plus sordide» (Nangia, 1992).

Les enjeux actuels ou potentiels de la participation des enfants a cette activité doivent être analysés. Les risques encourus dépendent des conditions de travail et du statut de l'enfant: est-il employé dans le cadre de l'activité familiale ou offre-t-il sa force de travail à un employeur et sur quelles bases? A quel âge lui confie-t-on tel ou tel type de tâche? A quels types d'accidents «domestiques» ou «professionnels» (brûlures, intoxications) est-il exposé? A quelles violences est-il soumis de la part des employeurs, des responsables de l'ordre public, des autres vendeurs, du milieu familial? La question se pose enfin des incidences qu'une telle activité a sur la fréquentation de l'école par l'enfant et sur ses performances.

1. Stratégie d'intervention en milieu scolaire

On a déjà mentionné l'importance de ce travail pour le revenu familial. Au-delà, il est nécessaire de s'interroger sur l'amélioration éventuelle de la sécurité alimentaire de l'enfant lui-même.

CONCLUSION

L'enfant urbain est, dans les pays en développement, un acteur à part entière de l'alimentation de rue. Directement, par ses choix propres, ou indirectement lorsqu'il est très jeune, il dépend du choix des adultes, il pèse de façon significative sur la demande. Les conséquences d'une telle relation entre l'enfant et l'alimentation de rue se traduisent tant dans son alimentation actuelle et son état nutritionnel que sur ses goûts, ses choix et ses modes de consommation à l'âge adulte. Les ressources de nombreuses familles pauvres ou socialement fragiles dépendent de cette activité qui, en outre, offre des débouchés pour des produits agricoles. En participant à l'évolution des styles alimentaires urbains, elle peut contribuer, à plus long terme, à faire émerger et à stimuler des filières.

Il existe un extraordinaire potentiel d'interventions dans ce domaine au carrefour des préoccupations de diverses disciplines. Un investissement ciblé et contrôlé peut produire des résultats favorables directs en matière de nutrition de l'enfant, de réduction des toxi-infections alimentaires, d'amélioration de l'hygiène publique, de développement d'un secteur de transformation alimentaire, de valorisation de ressources locales, d'éducation concrète et pratique du consommateur, et de revenus, en particulier pour des familles vulnérables, pauvres, ayant une femme à leur tête.

L'amélioration qualitative de l'offre sans diminution quantitative et orientation de la demande des enfants, prenant en compte leur maigre pouvoir d'achat (ou celui de leurs parents), nécessite un travail interdisciplinaire où spécialistes de l'éducation, de l'hygiène alimentaire, de la transformation alimentaire, de la nutrition de l'enfant et de l'économie mettent en commun leur savoir pour développer des stratégies novatrices. En milieu scolaire, une telle stratégie est présentée dans le schéma. Des expériences ont été menées en milieu scolaire dans divers pays, avec le soutien de la FAO ou d'autres organismes, et confirment ce potentiel.

Pour l'enfant préscolaire, et en âge de sevrage, il est encore nécessaire de développer des recherches afin de mieux comprendre dans divers contextes les stratégies familiales et d'analyser les potentiels de ce secteur économique pour l'amélioration de l'alimentation et de l'état nutritionnel des enfants.

RÉFÉRENCES

Agbendech, M. et Chauliac, M. Communication personnelle.

Beaton, G.H. 1989. Small but healthy? Are we asking the right question? Hum. Organiz., 48: 30-39.

Bricas, N. 1993. Les caractéristiques et l'évolution de la consommation alimentaire dans les villes africaines. Conséquences pour la valorisation des produits vivriers. In Muchnik (éd.), Alimentation, techniques et innovations dans les régions tropicales, p. 127-160. L'Harmattan, Paris.

Centre international de l'enfance. Faculté des sciences agronomiques (Cotonou), CIRAD-SAR (Montpellier). (données non publiées, article en préparation)

Chauliac, M., Monnier, T. et Agbendech, M. 1994. Les écoliers de Bamako et l'alimentation de rue. Cah. Santé, 4: 413-423.

Chiva, M. et Fisher, C. 1988. Comment apprend-on à manger? Lieux d'enfance 6/7: 89-103.

Cohen, P. 1988. Essai d'interprétation de l'alimentation et des concepts alimentaires à la Réunion. In D. Baggioni et J.C. Carpanin Marimoutou (éds), Cuisines/Identités p. 51-81. UA 1041 CNRS. Université de la Réunion.

Delisle, H. 1991. Les styles alimentaires urbains. Alimentation, nutrition et agriculture, 1: 7-10. FAO. Rome.

Dettwyler, K.A. 1987. Breastfeeding and weaning in Mali: cultural context and hard data. Soc. Sci. Med., 24: 633-44.

FAO. 1989. La venta de alimentos en las calles: resumen de los estudios y otras actividades de la FAO en relación con la venta de alimentos en las calles. Rome.

FAO. 1990. Les aliments vendus sur la voie publique. Rapport d'une consultation FAO d'experts, 5-9 décembre 1988, Jogyakarta. Etude FAO: Alimentation et nutrition n° 46. Rome.

FAO/Food Basket Foundation International. 1991. Study on street foods in Nigeria: comparative study of the socio-economic characteristics of food vendors and consumers in Ibadan, Lagos and Kaduna. Ibadan.

Hutabarat, L.S.R. 1994. Street foods in Bangkok: the nutritional contribution and the contaminants content of street foods. A Andre Mayer research fellowship study. FAO, Rome.

Masse-Raimbault, A.-M. 1992. Du lait maternel au plat familial. Enfant Milieu Trop., 202-203.

Myers, N.E. Ed. 1992. Protéger les enfants au travail. UNICEF, New York.

Nangia, P. 1992. La situation des enfants au travail en Inde. In N.E. Myers (éd.), Protéger les enfants au travail. UNICEF, New York.

Raynaut, C. 1992. Approches sociales de l'alimentation infantile. Enfant Milieu Trop., 201.

Les enfants et l'alimentation de rue

Résumé

Dans le contexte d'urbanisation rapide, on assiste dans tous les continents à une déstructuration des liens familiaux traditionnels. L'alimentation de rue, mode d'approvisionnement alimentaire, lieu de consommation et importante source de revenus pour de nombreux individus et familles des villes des pays en développement, est largement reconnue comme un phénomène incontournable lié à la croissance urbaine. L'aliment acheté dans la rue représente une part, variable et rarement quantifiée, des apports quotidiens, participant ainsi à la satisfaction des besoins nutritionnels. A cause des risques toxiques et infectieux engendrés par les modes de préparation, de conservation et de vente des produits, l'aliment vendu dans la rue influence l'état de santé, la morbidité, voire la mortalité des consommateurs. Cela se manifeste de façon plus aiguë sur l'enfant que chez l'adulte.

Les implications de ce mode d'approvisionnement et de consommation alimentaires que constitue l'alimentation de rue vis-à-vis de l'enfant plongé dans son environnement urbain peuvent être appréhendées à deux niveaux principaux. L'enfant peut être concerné en tant que travailleur, ce qui nécessite de s'interroger sur le rôle qui lui est dévolu, d'une part, en tant que préparateur souvent au sein de l'unité familiale, d'autre part, en tant que vendeur fixe ou ambulant dans les rues ou encore comme «employé» d'un patron. L'enfant est impliqué en tant que consommateur, ce qui conduit à s'intéresser en premier lieu au plus jeune, consommateur dépendant des choix maternels et donc sur le recours aux plats vendus dans la rue pour une consommation intradomiciliaire et à leur répartition au sein de l'unité domestique. D'autre part, l'enfant plus agé nous intéresse en tant que consommateur autonome effectuant lui-même ses choix en matière d'achat et de mode de consommation.

Quelques éléments issus d'études menées au Mali, au Niger et au Bénin à Cotonou, fournissent matière à réflexion sur la place de l'enfant dans le secteur de l'alimentation de rue.

Children and street food

Summary

Rapid urbanization is breaking down traditional family ties everywhere. The street food sector, as a source of nutrition, place of consumption and important provider of income for many urban-dwelling individuals and families in developing countries, is widely recognized as an inevitable phenomenon tied to urban growth. Street food accounts for a part of the daily diet and so contributes towards meeting nutritional requirements, although the contribution varies and is rarely quantified. The risks of contamination and infection arising from practices of food preparation, storage and sale also have a bearing on consumer health, morbidity and even mortality, particularly among children.

The implications of the street food trade for urban children can be considered on two key levels. Children can be involved as workers, preparing food (often in the home), selling food at fixed stalls, peddling in the streets or working for an employer. Children are also involved as consumers. The street foods consumed by younger children are determined by their mothers and tend to be foods sold to be consumed at home and distributed within the family. Older children are of interest as autonomous consumers who choose for themselves what and where to eat.

Studies conducted in Mali, the Niger and Benin (Cotonou) provide material for reflection on the place of children in the street food sector.

Los niños y los alimentos callejeros

Resumen

En el contexto de una rápida urbanización, se asiste en todos los continentes a una relajación de los vínculos familiares tradicionales. El sector de los alimentos callejeros, en cuanto modo de abastecimiento alimentario, lugar de consumo y fuente importante de ingresos para numerosas personas y familias de las ciudades de los países en desarrollo, es generalmente reconocido como un fenómeno inevitable, asociado con el crecimiento urbano. Los alimentos que se compran en la calle representa un parte variable y rara vez cuantificada de la ingesta diaria, por lo que contribuyen a satisfacer las necesidades nutricionales. Dados los riesgos tóxicos e infecciosos que entrañan los modos de preparación, conservación y venta de los productos, los alimentos de venta callejera influyen en el estado de salud, la morbilidad e incluso la mortalidad de los consumidores. Estos riesgos son más graves para el niño que para el adulto.

Este modo de abastecimiento y consumo de alimentos puede tener repercusiones para el niño que vive en un medio urbano a dos niveles principales: como trabajador y consumidor. El niño puede verse afectado en calidad de trabajador, lo cual obliga a interrogarse respecto al papel que le corresponde, por una parte como preparador en el seno de la unidad familiar, y por otra como vendedor fijo o ambulante en las calles, o también como «empleado» por cuenta de un patrón. El niño participa también en calidad de consumidor, en primer lugar los más pequeños, como consumidores que dependen de la elección materna y por consiguiente del recurso a las comidas que se venden en la calle para ser consumidas dentro del hogar y del reparto de estas comidas en el seno de la unidad familiar. Por otra parte, el niño de más edad interesa en calidad de consumidor autónomo, que realiza personalmente su elección en materia de compra y de modo de consumo.

Algunos elementos procedentes de estudios efectuados en Malí, Níger y Benín (Cotonou), proporciona materia de reflexión sobre el lugar que ocupa el niño en el sector de los alimentos callejeros.


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