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Conclusion

Codiversité culturelle et biologique: l'écologie foncière, une perspective d'avenir pour un développement durable

Localement, les populations se trouvent confrontées au souci de tirer profit des ressources naturelles renouvelables, tout en maintenant leur régénération. En effet, des raisons d'ordre économique, écologique ou culturel contraignent l'homme à s'organiser pour aboutir à une gestion rationnelle des ressources naturelles renouvelables et à une conservation des milieux naturels dont celles-ci dépendent. A ce titre, les rapports des hommes entre eux et envers l'environnement se traduisent par des nonnes et des règles qui se fondent dans des pratiques et des représentations.

A un niveau global, la société internationale s'interroge sur les politiques et les solutions à trouver pour maintenir la diversité biologique, lutter contre la désertification et protéger les forets tropicales, conserver les biotopes des migrateurs ou maintenir les systèmes écologiques, etc.

L'étude d'une zone précise particulièrement riche et complexe en raison de sa diversité culturelle et écologique, de la multifonctionnalité très prononcée de ses espaces, nous a conduits à considérer que l'approche de la gestion de l'environnement nécessitait un droit ayant pour objet d'assurer une coviabilité des systèmes sociaux et écologiques. Cette construction repose sur la préoccupation constante de "coller" aux realités locales afin de ne pas dévier de son objectif.

Si le contexte socio-économique, juridique et écologique spécifique du delta intérieur du Niger ne peut prétendre à l'universalité, en revanche, le concept de foncier-environnement devrait permettre d'admettre l'idée d'un nouveau régime juridique, susceptible d'intégrer les dynamiques locales, nationale et internationale.

En prenant simultanément en considération la ressource et l'espace, nous avons été amenés à redéfinir les rapports fonciers et à développer une construction juridique répondant à une gestion environnementale de type patrimonial, grâce à la définition de maîtrises foncière-environnementales. Celles-ci offrent des perspectives certaines de recherche dans le domaine de l'organisation de la multifonctionnalité de l'espace.

La propriété n'existe que par la loi et en rapport à un système économique qui hypertrophie l'ego de chacun. Le caractère absolu de la propriété disparaît devant les impératifs sociaux, qui sont d'ordres variables selon les sociétés. Au Sahel, survivre reste l'impératif. La transmission d'un patrimoine naturel (ressources renouvelables et biodiversité) s'impose donc dans le cadre d'une gestion viable à long terme. Là où la propriété existe, il convient de lui ôter l'abusus en tant que capacité de détruire, de ne pas conserver, et de l'inféoder à une obligation de gestion conservatrice, ce qui ne peut souvent se réaliser sans cadre contractuel.

La gestion patrimoniale s'inscrit davantage dans une relation d'affectation de droits et d'obligations que dans une relation d'appartenance où le droit se confond avec la chose. En effet, le régime du droit des biens transforme les choses en biens en en faisant la propriété de quelqu'un. Par contre, le devoir de transmission aux générations à venir fait appel à un autre régime juridique de l'espace et des milieux, qui ne lie pas le droit au fonds mais à une fonction conduisant à une gestion du futur. Si les maîtrises foncières-environnementales se proposent comme modèle juridique de gestion patrimoniale, leur intérêt dépasse l'apport d'une simple sécurisation foncière pour répondre au besoin d'une orientation des comportements en tenant compte de l'environnement et ses éléments.

La gestion viable à long terme en vue d'un développement durable doit se réaliser dans l'intérêt des générations futures. Outre l'aspect moral de l'enjeu, la gestion patrimoniale se conçoit à deux niveaux, celui de la communauté lignagère, ou de résidents, et celui de la communauté de l'ensemble des sociétés humaines, l'humanité. A ce niveau le foncier-environnement tente d'apporter des éléments de réponse aux interrogations fondamentales que se posent les gestionnaires et la communauté internationale: faut-il adopter une gestion globale-locale ou locale-globale, reposant sur des techniques modernes des pays industrialisés ou sur des techniques endogènes en dégageant des niveaux institutionnels locaux, et enfin comment prendre en compte à la fois les systèmes traditionnel et moderne?

Mais pour aller encore plus loin, il faut reprendre le chemin de l'interdisciplinarité afin de faire apparaître et structurer les interconnexions profondes existant entre les sciences de la nature et les sciences sociales. Le discours du directeur général de l'UNESCO, le 5 septembre 1994, à l'ouverture du Forum international sur la biodiversité le souligne bien: «dans les domaines qui relèvent de l'étude scientifique de l'environnement, il faut mettre en contact les spécialistes des sciences fondamentales, les ingénieurs, les sociologues, les économistes avec les philosophes, les littéraires, les linguistes, les juristes. Nous vivons un moment épistémologique essentiel par le besoin extrême d'interconnexions entre les sciences de l'homme et de la société et les sciences de la nature et de la vie. La biodiversité est peut-être l'un des meilleurs exemples de notre obligation contemporaine de pluridisciplinarité. La mission suprême des scientifiques est de reconnaître les différentes dimensions qui convergent dans leur champs d'étude. Toutes les dimensions: simplifier la complexité, c'est faire preuve d'inconscience, c'est manquer de jugement, car on ne peut maîtriser la réalité sans la concevoir dans sa globalité, sans la connaître tout entière».

Par essence, le foncier-environnement est un produit systémique interdisciplinaire, car les rapports de l'homme à la nature sont trop chargés culturellement et trop diversifiés pour être embrassés par un seul regard disciplinaire. La poursuite de la recherche sur le foncier-environnement impliquerait de concrétiser les résultats et d'en tester les applications, mais aussi de prolonger la démarche en travaillant selon une méthode comparatiste sur plusieurs sites, ce qui permettrait, en associant au mieux les compétences du droit, de l'économie, de la géographie, de l'anthropologie et de l'écologie, d'approfondir l'idée d'écologie foncière.

La vocation de l'écologie foncière serait la mise sur pied d'un droit garant du maintien de la biodiversité et de la reproduction sociale dans toute sa diversité. Ce droit modélisé par le biais d'une approche juridico-institutionnelle implique au préalable de savoir comment ajuster les préoccupations écologiques au contenu culturel. Il suppose la connaissance des mécanismes

d'acceptation et de légitimation des règles par les différents groupes sociaux auxquels l'écologie foncière va s'appliquer. Ainsi, gérer au mieux la multifonctionnalité de l'espace oblige à ne pas se limiter à une instrumentation réglementaire mais à trouver, grâce au droit des éléments et processus naturels et au droit relatif au sol, les bases d'une harmonie pour le maintien d'une diversité culturelle et biologique, constitutive d'un droit africain de l'environnement effectif.


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