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1. INTRODUCTION

"... le plus gros avantage de la technologie, c'est qu'elle nous permet d'innover. Et elle s'applique particulièrement bien au développement rural du point de vue de la population. La FAO devra revoir ses priorités et ses objectifs. Comme les agences techniques de l'ONU n'ont pas réussi à intégrer, dans leurs mandats traditionnels, les pré-requis sociaux au développement durable, les nouveaux programmes coopératifs devront s'aligner sur ces besoins et utiliser la technologie, Internet, le WWW..."
Bernard Woods. "Ceres", revue de la FAO1, No. 158, mars-avril 1996.

"L'accès aux technologies de l'information et de la communication revient à utiliser des moyens et des modes de communication qui ne conaissent par les contraintes de la langue, de la culture ou de la distance. De nouvelles formes d'organisation sociale et de production apparaissent qui, si elles sont encouragées, pourraient devenir des facteurs de changements aussi importants que la technologie elle-même."
Centre international de recherche sur le développement 2. juillet 1996.

"J'admets qu'il existe d'énormes lacunes dans les pays en développement en matière de technologie et de systèmes d'information. Mais il est d'une nécessité absolue pour ces pays d'entrer dans la société de l'information d'une manière rigoureuse car il n'y a pas d'autres voies pour que nos pays se développent sans connaître ou participer aux autoroutes de l'information."
Jennifer Sibanda, Bulawayo, Zimbabwe. 17 mai 1996.
Archives de la conférence de l'ISAD, Enquête informelle sur Internet/Débat sur les technologies de l'information et de la communication au service du développement durable, sous l'égide de l'Agence canadienne de développement international 3, 17 mars-30 avril 1996.

La communication pour le développement et le Réseau mondial: une approche théorique

Ce document a pour objectif de promouvoir l'expansion sur Internet des services d'appui au développement agricole et rural. Il propose une approche intégrée capable de favoriser la croissance de réseaux dynamiques de communication agricole et rurale à l'échelle des pays, des régions et de la planète. Selon cette approche, les habitants des campagnes peuvent tirer parti de réseaux de communication qui permettent à l'information de circuler à partir et vers les communautés rurales et les organisations agricoles. Une telle approche renforce également la communication entre les nombreux intermédiaires qui Ïuvrent pour le développement agricole et rural. C'est ainsi que ce document examine tout particulièrement les moyens de favoriser l'accès à Internet en milieu rural et la création de réseaux de communication capables d'aider tous les acteurs impliqués dans le développement agricole et rural à mieux communiquer entre eux.

Internet n'est pas une panacée pour le développement agricole et rural mais, de fait, il est porteur de nouvelles sources d'information et peut offrir de nouveaux modes de communication aux communautés rurales et aux organisations agricoles. Il est un moyen de franchir les distances qui séparent les professionnels du développement, les ruraux et les agriculteurs par le truchement de l'interaction et le dialogue. Il peut générer de nouvelles alliances et des réseaux de personnes, aussi bien que des liens horizontaux et intersectoriels entre organisations. Plus important encore, il peut être le support de mécanismes qui permettent d'articuler et de faire connaître les besoins de manière ascendante, ainsi que les savoirs locaux. Au nombre des avantages majeurs de l'utilisation de l'Internet, figurent: une efficacité accrue dans l'utilisation des ressources disponibles pour le développement, moins de redondances dans les actions entreprises, l'abaissement des coûts de communication et un accès à l'information et aux ressources humaines du monde entier. Aucun de ces avantages ne découle de la technologie-même du réseau mondial, mais ils apparaissent dès lors que les individus travaillent ensemble pour tirer le meilleur parti possible de cet outil de communication décentralisé et accessible.

L'utilisation d'Internet s'est rapidement accrue dans les pays en développement (Richardson, 1996a). Les organisations qui Ïuvrent en faveur d'une amélioration des conditions de vie des populations rurales et du progrès de l'agriculture ont une fonction majeure à assurer en ce qui concerne l'articulation entre le développement agricole et rural et Internet. Par exemple, l'Organisation des Nations Unies pour l'agriculture et l'alimentation (FAO) joue un rôle historique en appuyant la mise en place et l'expansion de services sur Internet destinés aux communautés rurales et au développement de l'agriculture. En partenariat avec des acteurs locaux et d'autres organismes, des institutions comme la FAO peuvent aider les communautés rurales et les organisations agricoles à tirer parti de l'amélioration de la communication et de l'accès à l'information.

Avantages de l'accès des ruraux à Internet et d'une amélioration de la communication horizontale

L'amélioration de la communication entre les organisations non gouvernementales, les services publics, le secteur privé et les organismes de formation qui travaillent en faveur du développement agricole et rural peut avoir des retombées extrêmement positives pour les communautés rurales et les organisations agricoles. En effet, en informant sur leurs activités en matière d'agriculture, de développement rural, de foresterie, de pêche, d'exploitation minière, de santé et d'éducation, ces agences sont mieux préparés pour servir les populations rurales et les agriculteurs. Ils peuvent tirer parti de l'expérience des autres, élaborer et mettre en Ïuvre les "meilleures pratiques" et coordonner l'information concernant une région donnée ou des approches réussies du développement. En même temps, les communautés rurales et les organisations agricoles peuvent bénéficier de l'amélioration des voies de communication verticales qui permettent aux acteurs ruraux et aux agriculteurs de communiquer avec les décideurs et le reste du monde.

Une approche intégrée de l'expansion des services offerts sur Internet favorisera la nécessaire (mais souvent négligée) communication horizontale entre les organismes concernés par le développement rural. Une telle approche fournira en outre aux populations rurales et aux agriculteurs les moyens de tisser directement des relations verticales avec ces agences extérieures. Une meilleure communication horizontale peut améliorer la qualité et la pertinence de l'information, ainsi que des sources et modes de communication accessibles aux populations rurales. Une meilleure communication verticale entre les ruraux, les agriculteurs et les décideurs peut améliorer pour sa part la qualité des décisions qui affectent les communautés rurales et les organisations agricoles. Une approche intégrée facilitera la communication horizontale en installant des sites d'accès à Internet en zone rurale et renforcera la communication verticale entre des organismes aussi variés que les écoles d'agronomie, les fournisseurs d'intrants et d'équipements agricoles, les services publics de vulgarisation, les organisations de développement rural, les services de santé et les centres de recherche et de documentation agricole.

L'amélioration de la communication horizontale peut également intégrer les médias qui desservent aujourd'hui les acteurs ruraux. C'est ainsi que, dans l'ensemble du monde en développement, les radios rurales et, de plus en plus, la télévision sont devenus d'importants outils de diffusion de l'information. Or, leurs services s'améliorent sensiblement dès qu'ils peuvent bénéficier de l'échange d'informations et de nouvelles par le biais d'Internet. Les informations concernant l'Afrique circulent déjà largement entre les agences de presse du continent via Internet. Les radios rurales africaines peuvent bénéficier des services disponibles sur Internet pour diffuser et vulgariser une information sur le développement rural provenant directement des milieux qualifiés de la recherche, dans le monde entier (cf. le Réseau de radio rurale des pays en développement).

Les services offerts par Internet, en association avec les médias existants et plus largement répandus - comme les radios rurales - permettront de renforcer en les élargissant les sources d'information et les moyens de communication des populations rurales. Par exemple, les systèmes d'information sur les marchés agricoles nationaux ou régionaux, ou encore les services de vulgarisation installés sur Internet, peuvent constituer d'excellentes sources d'information pour les journalistes des radios rurales d'un pays ou d'une région donnés. A partir des informations sur les prix du marché diffusées par les radios rurales (y compris les variations nationales et les chiffres internationaux), les producteurs seront en mesure de négocier des prix plus intéressants avec les grossistes locaux.

Les progrès de la communication horizontale et l'élargissement des sources d'information sont à même d'améliorer la qualité des décisions et des interventions qui influent sur les populations rurales. Dans le même temps, ces progrès peuvent renforcer la participation directe des ruraux au développement. L'installation de sites et d'équipements permettant d'accéder à Internet dans les campagnes, en conjonction avec un renforcement des réseaux de communication horizontale entre les organismes impliqués dans le développement agricole et rural, est au cÏur de l'approche intégrée préconisée dans ce document.

Une récente enquête menée auprès des usagers d'Internet en Amérique du Nord (Mayhew et Richardson, 1996) souligne l'intérêt de l'accès à Internet tel qu'il est perçu par ses utilisateurs ruraux actuels. Ces derniers indiquent que le réseau mondial constitue pour eux un moyen particulièrement commode d'accéder rapidement à un large volume d'information sans en être empêché par les obstacles géographiques. Ils signalent également qu'ils trouvent sur Internet une information abondante et de valeur sous forme d'idées nouvelles, de groupes de discussion, d'avis d'experts et de formation continue, d'une plus grande culture et connaissance globale, et d'informations qui leur permettent d'être des citoyens plus au courant et mieux informés. De plus, ils font état d'avantages au plan social: opportunités nouvelles de dépasser l'isolement géographique, multiplication des relations sociales, possibilité de s'organiser pour agir en faveur du changement social, réduction des disparités entre milieux urbain et rural, création de nouveau liens entre communautés urbaines et rurales. Les utilisateurs ayant des entreprises en milieu rural ou travaillant dans le secteur agro-alimentaire soulignent qu'Internet leur permet d'étendre leurs marchés à l'échelle de la planète et de créer des réseaux et des alliances nationaux et mondiaux qui, sans cet outil, leur seraient inaccessibles.

Quelques clés pour un succès à long terme

Pour réussir sur la durée, les projets Internet en faveur du développement agricole et rural doivent partir des besoins réels des utilisateurs locaux. Les concepteurs de projets doivent avoir conscience des besoins des usagers ruraux et des producteurs, du type de ceux qui ont été identifiés dans l'enquête mentionnée ci-dessus. Il faut pour ce faire adopter une approche qui stimule la participation locale, appuie l'évaluation des besoins en information et en communication, informe sur les usages possibles d'Internet, favorise l'émergence de communautés d'utilisateurs, et rende possible l'établissement de réseaux locaux de communication et d'information, autonomes et gérés localement. Il est également nécessaire de renforcer le développement des capacités locales et l'appui institutionnel au sein des organismes intermédiaires qui interviennent auprès des populations rurales (ONG, services de vulgarisation, centres de santé, organes gouvernementaux divers, secteur privé), de sorte qu'ils puissent faire de l'outil Internet l'usage le plus adéquat et le plus créatif possible.

Au niveau politique, la réussite des projets Internet pour le développement implique de dialoguer avec les agences nationales de télécommunications afin de les aider à transformer et à libéraliser l'environnement généralement monopolistique qui prévaut dans les pays en développement. Les monopoles ont tendance à freiner l'innovation technologique, l'investissement dans les infrastructures et l'abaissement des prix qui vont souvent de pair avec la concurrence. De nombreux analystes soulignent que, dans les pays qui ont réformé le secteur des télécommunications, ce type de services s'est "développé et amélioré plus rapidement, la productivité s'est accrue, de nouveaux services ont été offerts et, parfois, les marchés financiers internationaux ont été efficacement mis à contribution" (Saunders, Warford et Wellenius, 1994).

Au cÏur de l'approche intégrée proposée ici se trouvent deux exigences: comprendre les communautés d'utilisateurs d'Internet; et renforcer les capacités de gestion locale des actions de diffusion de l'information et d'amélioration de la communication. Par le biais de son groupe de travail sur les systèmes d'information électroniques (Electronic Information Systems Working Group [EIS]), la FAO s'est engagée dans le développement d'une approche intégrée d'Internet en milieu rural, qui part des besoins des communautés agricoles et rurales. Cette approche se nourrit des 25 années d'expérience de la FAO dans la mise en Ïuvre d'une méthodologie de "communication pour le développement".

Une telle méthodologie repose classiquement sur l'établissement de partenariats avec les populations et les organisations locales pour les aider à développer leurs propres modes de communication à l'aide d'outils tels que les radios communautaires et la vidéo. Dans le cadre de petits projets pilotes montés au Chili, au Mexique (FAO) et en Afrique australe (FAO et CRDI) cette méthodologie est actuellement utilisée avec les acteurs ruraux et les organisations de producteurs pour développer des systèmes de communication sur Internet, gérés par l'utilisateur lui-même. Ces actions sont complétées dans le même temps par des projets visant à mettre en place des réseaux de communication et d'information agricoles qui favorisent la communication et la circulation de l'information, tant horizontalement que verticalement. De telles approches intégrées induisent des avantages économiques et sociaux importants pour les utilisateurs ruraux, tout en permettant aux organismes nationaux d'améliorer très sensiblement leur efficacité.

Les méthodologies de communication pour le développement méritent d'être mieux comprises. Elles sont indissociables de méthodes de développement participatif et présentent des similitudes avec les méthodes d'analyse des systèmes informatiques de base qui partent ou devraient partir des besoins des utilisateurs. Les méthodologies de communication pour le développement fournissent en outre aux planificateurs du développement une approche théorique qui met les populations rurales, les organisations rurales, les agriculteurs et les organisations paysannes en position d'aider directement au développement de réseaux d'information et de communication (FAO, 1990a). Les méthodologies de communication pour le développement peuvent contribuer d'une manière décisive au développement durable:

"Le développement axé sur les populations ne peut donner toute sa mesure qu'à la condition d'intégrer et de motiver les populations rurales, et de partager l'information et la connaissance. La dimension humaine du développement se nourrit de communication: c'est elle qui crée le dialogue avec les populations rurales; elle les associe à l'orientation de leur propre développement; elle apporte l'information qui est à la base du changement social ainsi que le savoir et les compétences nécessaires pour améliorer leur qualité de vie. Les méthodologies et les outils de communication font reculer les obstacles que sont l'analphabétisme, les différences de langues et de culture et l'isolement géographique."
(FAO, 1996a)

Ce document met en évidence les éléments constitutifs d'une approche intégrée de communication pour le développement appliquée à Internet et au développement agricole et rural. Il propose également des recommandations de stratégie et d'action ainsi qu'un aperçu des actions impliquant Internet dans les pays en développement. La principale recommandation est la suivante: les agences de développement doivent adopter une stratégie liant Internet et le développement, qui privilégie la communication et la diffusion de l'information, au plan tant vertical qu'horizontal. Plus précisément, la communication peut progresser entre et au sein des communautés rurales et des organisations paysannes, de même qu'avec les organismes intermédiaires qui sont à leur service, par le biais de conseils, d'appui aux projets, de recherche, de vulgarisation et de formation. La pierre angulaire de cette stratégie consiste à renforcer les capacités des organisations agricoles et rurales de manière à rendre possible et à développer l'utilisation autonome d'Internet, de ses outils et de ses ressources.

La collaboration entre les organismes d'appui aux actions de développement et à Internet peut entraîner des effets multiplicateurs importants, notamment en permettant d'harmoniser les efforts tout en répondant aux besoins spécifiques de leur "public". Dans l'idéal, les agences de développement, en partenariat avec les autres acteurs, peuvent utiliser à pleine capacité les outils offerts par Internet, comme le World Wide Web ou les systèmes de conversation interactifs, afin de contribuer à l'harmonisation des actions associant Internet et le développement (voir par exemple le récent forum de discussion sur Internet et le développement proposé par l'Agence canadienne de développement international ou encore l'initiative Bellanet.)

Tous les partenaires doivent encourager les agences de développement à collaborer pour monter des projets et des actions en faveur du développement agricole et rural. Les initiatives conjointes qui contribuent à une meilleure compréhension du rôle d'Internet pour le développement sont fondamentales pour l'ensemble des acteurs, y compris pour les planificateurs du développement. Contribuer au financement d'ateliers, publier des études de cas, produire des documents audiovisuels, encourager le dialogue sur les politiques et proposer des forums pour débattre de manière fructueuse d'une stratégie "Internet" pour le développement sont autant de moyens pour les agences d'aide de garantir que le réseau mondial demeure un outil pertinent au service du développement.

Vision d'avenir, mises en garde et appel à champions

"L'attrait quasi-obsessionnel qu'exerce le cyber-espace ne tient pas à la technologie, ni même à l'information, mais aux personnes. Il s'agit réellement d'un moyen de communication interpersonnel qui repose sur l'information... Les cyber-citoyens ne sont pas des introvertis lancés dans une exploration solitaire des arcanes de la connaissance. Ce sont des hommes et des femmes bien réels qui interagissent avec d'autres hommes et femmes autour de préoccupations et d'intérêts communs. Une demande de conseil, un appel à l'aide, une invitation à jouer: ce type de désirs et leur satisfaction sont au cÏur même de la révolution informatique d'aujourd'hui."
Rick Smolan. 1996. 24 Hours in Cyberspace: Painting on the Walls of the Digital Cave.

Ce document propose une vision optimiste, fondée sur deux hypothèses clés. La première est que la collaboration d'une grande diversité d'agences, d'organisations et de services gouvernementaux est une condition nécessaire pour mettre en Ïuvre une approche intégrée du développement d'Internet en milieu rural dans un pays ou une région donnés. Or, dans les meilleurs des cas et quels que soient les efforts consentis, une telle collaboration est difficile à obtenir.

Une approche intégrée du développement d'Internet en milieu rural requiert également la désignation d'un leader parmi les individus qui soit capable de dépasser les considérations purement institutionnelles. De tels meneurs doivent démontrer, par l'action, leur conviction que la diffusion de l'information vaut mieux que son accumulation, ainsi que leur engagement en faveur du développement agricole et rural. Pour adhérer à la vision présentée dans ce document, il est nécessaire de supposer que la collaboration entre les organisations est possible et que les meneurs d'initiatives Internet en matière agricole et rurale sont convaincus de l'intérêt de la communication participative et de la diffusion de l'information. Ce n'est pas toujours le cas.

Les actions de développement d'Internet en milieu rural menées en Amérique du Nord montrent que les projets efficaces démarrent sous l'impulsion d'individus - des "champions" - prédisposés à des démarches participatives et à la collaboration. Leur enthousiasme incite souvent d'autres meneurs moins convaincus à s'engager dans des actions Internet. Identifier et appuyer de tels champions est ainsi la clé de projets efficaces et durables. Sans eux, la plupart des projets Internet seront condamnés à l'échec. Il ne suffit pas que les planificateurs du développement créent de superbes réseaux et équipent les populations en ordinateurs et en modems. Les utilisateurs potentiels doivent être convaincus qu'ils peuvent en tirer parti, et cela sera d'autant plus le cas qu'ils auront face à eux l'enthousiasme de leurs homologues et de leurs collègues.

C'est ainsi que le projet canadien "Open Government" a été lancé en 1993 dans le but de diffuser sur Internet des informations relatives au gouvernement. Le projet s'est reposé sur une approche intégrée encourageant la mise en réseau horizontale des divers ministères. Parallèlement, il a mis l'accent sur l'accès à Internet des populations, du secteur privé et du milieu éducatif afin de créer une demande verticale de services depuis la base.

Ce projet ambitieux a été mené au départ par seulement trois jeunes fonctionnaires disposant d'un budget réduit et de l'appui d'une poignée de "champions" occupant des postes de haut niveau au sein de la fonction publique. A ses débuts, le projet s'est heurté à une forte résistance dans nombre de ministères. Néanmoins, les responsables du projet ont rapidement identifié et responsabilisé quelques champions au sein des institutions, la plupart d'entre eux travaillant à des niveaux relativement bas de l'administration. En deux ans, pratiquement tous les ministères disposaient d'au moins un champion s'occupant de charger sur Internet toute information utile et de renforcer les liens avec les autres ministères et avec le grand public.

En 1995, environ 12 pour cent des adultes canadiens avaient déjà utilisé Internet (Leitch, 1996). A mesure que le public devenait plus en mesure d'accéder à l'information disponible sur le gouvernement, il a commencé à demander plus tout en faisant l'éloge des actions en cours. En peu de temps, une telle dynamique s'était créé à tel point que les fonctionnaires réticents ne pouvaient plus s'y opposer, et l'offre d'information concernant le gouvernement sur Internet est devenue d'interêt public. Parallèllement, les efforts du gouvernement au niveau fédéral et provincial pour renforcer l'accès à Internet des populations, du secteur privé et du milieu éducatif ont contribué à accroître la demande, tout comme les mécanismes visant à pousser le gouvernement vers de nouvelles formes de dialogue électronique. En juillet 1996, près de 30 pour cent des adultes canadiens avaient utilisé Internet, soit l'un des plus forts taux de connexion au monde. Cette augmentation tout à fait remarquable est à mettre au compte des progrès dans l'accès, que ce soit sur les lieux de travail, à travers les services collectifs d'Internet et que le biais des centres communautaires et des bibliothèques (id.). L'information fournie par le gouvernement constitue l'un des sites Internet les plus fréquemment consultés par les Canadiens.

La leçon à tirer de cette expérience est que des systèmes d'information électronique ouverts et reposant sur la collaboration ne peuvent exister sans le soutien de champions. "Ni des projets complexes, ni de gros budgets ne peuvent garantir que les gens se mettront à communiquer et à partager leurs informations. Pour identifier ces champions", il faut rechercher les organismes et les employés qui ont déjà montré leur prédisposition à la diffusion de l'information, au dialogue et à la participation. Une fois repérés, ils doivent être encouragés, reconnus et bénéficier d'un appui technique et de programmes de développement des ressources humaines.

En dépit du succès de l'expérience canadienne précédemment décrite, le pourcentage des adultes canadiens ruraux ayant utilisé Internet est inférieur à 15 pour cent, soit moins de la moitié de la moyenne nationale. Les communautés rurales représentent le "dernier kilomètre de la connectivité" dans les pays en développement comme dans les pays développés. Dans le monde entier, elles sont sous-équipées pour avoir accès aux diverses technologies, aux services offerts par Internet et aux connexions nécessaires à la transmission de ces services. Au Canada, la faiblesse des accès à Internet est directement liée au sous-équipement des zones rurales en infrastructures de télécommunication. Cette situation résulte de la vétusté des lignes téléphoniques dans la plupart des zones rurales et d'une myopie politique générale concernant les besoins et les souhaits des habitants des campagnes. Dans plusieurs pays en développement, les campagnes sont mieux équipées en systèmes de télécommunication que bien des régions du Canada.

Cette situation évolue néanmoins rapidement, grâce à Internet. Le souhait des ruraux_d'accéder à Internet a provoqué une demande vigoureuse et sans précédent d'amélioration des télécommunications dans les campagnes (Richardson, 1997). Apparaissent aujourd'hui au Canada de puissants "champions" d'Internet en milieu rural issus des organisations de producteurs agricoles, d'agences de développement économique des campagnes, d'organismes de santé ou d'institutions de formation. Leur mobilisation entraîne des changements rapides et a obtenu l'appui du gouvernement et du secteur privé pour renforcer les télécommunications en milieu rural et les services de soutien sur Internet. C'est ainsi qu'une douzaine de défenseurs d'Internet en milieu rural, soutenus par des organisations paysannes, ont obtenu d'une grande compagnie de télécommunication du secteur privé qu'elle investisse plus de 200 millions de dollars pour réhabiliter le réseau téléphonique rural de deux grandes provinces. De même, au cours des dix-huit derniers mois, plus de 50 organisations de producteurs agricoles et ruraux de la seule Province de l'Ontario ont pu rejoindre la communauté des utilisateurs d'Internet en installant des moyens d'information électronique.

Des scénarios semblables se déroulent dans les pays en développement à mesure que l'envie d'accéder à Internet ouvre les yeux des gens sur la qualité de leurs systèmes de télécommunication. Internet a fait naître un intérêt sans précédent pour les infrastructures de télécommunication chez des individus qui, auparavant, se préoccupaient fort peu de cables téléphoniques. Il y a dix ans, le téléphone pouvait seulement transmettre des conversations orales entre deux personnes. Il est aujourd'hui capable de faire voyager de vastes bibliothèques, des photos, de la musique et même de la vidéo, tout en permettant à des douzaines de personnes de communiquer en même temps les unes avec les autres. Alors que l'on tolérait auparavant parasites et interférences au cours d'une conversation téléphonique en zone rurale, les mêmes lignes deviennent rapidement sources de frustration lorsqu'elles limitent l'accès à l'information et à de multiples voies de communication.

Les demandes d'amélioration des télécommunications tendent à être plus vives chez les plus marginalisés par rapport aux moyens d'information et aux services de communication, à savoir les habitants des campagnes, les organisations rurales et les agriculteurs. Des personnes qui s'étaient jusqu'à présent peu intéressées aux infrastructures de télécommunication apprennent désormais ce qu'il leur est nécessaire de savoir pour réclamer les outils d'information et de communication qu'ils souhaitent. Dans certains cas, les ruraux et les paysans prennent sur eux de créer leurs propres "services maison" lorsque les organismes officiels chargés des télécommunications ne répondent pas à leur demande. Le monde en développement en offre plusieurs exemples. En Zambie notamment, des agriculteurs entreprenants mettent actuellement en place une infrastructure de télécommunication rurale à l'aide des technologies numériques sans fil et des fibres optiques. Au nord du Mexique, des paysans ont créé pour leur part un service sur Internet qui permet aux associations de producteurs de mieux communiquer et d'avoir accès aux informations concernant les marchés.

Ce document invite les agences de développement à coordonner leurs actions pour aider les acteurs ruraux à achever le "dernier kilomètre de la connectivité". Il est clair que les défis soulevés par l'expansion d'Internet dans les campagnes des pays en développement sont bien supérieurs à ceux que rencontrent les régions rurales d'Amérique du Nord. Mais les avantages de l'accès au reseau mondial et de son utilisation sont les mêmes, sinon supérieurs.

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