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4. INTERNET À L'APPUI D'UN DÉVELOPPEMENT AGRICOLE ET RURAL DURABLE

Les utilisations d'Internet en appui au développement agricole et rural peuvent être classées en cinq grands domaines: développement économique pour les producteurs agricoles, développement communautaire, recherche/enseignement, développement des petites et moyennes entreprises (PME), et réseaux de médias.

Développement économique pour les producteurs agricoles

"L'évolution vers une économie de marché mondiale observée ces dix dernières années a entraîné des changements de grande envergure pour les petits producteurs. Ils ont désormais besoin de comprendre le marché mondial pour prendre les bonnes décisions en termes de calendrier, de vente et de gestion."
Monica Besoain, intervenant de terrain pour l'ONG chilienne INPROA, Rengo, Chili (conversation privée, juillet 1996).

Les communautés rurales et les petits paysans sont profondément touchés par les forces économiques, environnementales et politiques mondiales. L'idée selon laquelle les petits paysans sont isolés et vivent en communautés fermées et auto-suffisantes est un mythe. Les accords mondiaux sur les échanges commerciaux, comme le GATT, l'ALENA et le MERCOSUR, placent les communautés rurales et les petits paysans au cÏur des réalités du marché mondial. Des décisions commerciales prises à Rome ou à Chicago atteignent aujourd'hui en quelques heures les campesinos du Mexique. Les taux d'intérêt, la situation mondiale des biens primaires, l'évolution de la structure des échanges, les progrès des moyens de transport et les systèmes douaniers influent sur la plus minime action paysanne. Sans connaissances et sans la capacité de communication nécessaire pour acquérir, analyser et diffuser l'information à la base de ces connaissances, les petits producteurs restent à la merci des forces du marché mondial.

Avec cette connaissance, les petits producteurs peuvent se créer une niche de compétitivité à côté des grandes exploitations et de l'agro-industrie. Les petits producteurs peuvent le plus souvent changer rapidement leurs choix culturaux, produire pour des créneaux du marché restreints et même vendre directement aux consommateurs ou aux grossistes dans des pays éloignés (cf. Bridgehead - OXFAM Canada ou International Small Business Consortium). La production agricole à petite échelle et à forte intensité de main-d'Ïuvre peut réduire les coûts en intrants et fournir aux consommateurs des produits alimentaires de plus grande qualité, plus sains et de meilleur goût.

Lorsque de puissantes organisations de petits producteurs maîtrisent ce savoir, elles peuvent élaborer des stratégies permettant à leurs membres d'abaisser les coûts en intrants, d'améliorer leurs infrastructures de stockage et les moyens de transport et d'engager des négociations collectives avec les acheteurs. La Fédération internationale des producteurs agricoles, consciente de l'intérêt d'Internet pour ses membres, étudie la possibilité de mettre en place un réseau mondial de communication sur Internet pour relier les organisations paysannes. Si cette initiative est couronnée de succès, elle pourrait leur permettre de mieux se faire entendre dans la définition des politiques agricoles au niveau international (communication verticale) et de renforcer la communication entre les agriculteurs et les organisations paysannes (communication horizontale).

Les organisations de petits producteurs ont besoin d'une information instantanée sur les prix mondiaux, les techniques et stratégies de négociation, les analyses sur les potentiels des produits sur différents marchés, les nouvelles techniques de production et de commercialisation, les nouveaux systèmes de transport, et les règles du commerce mondial. Toute information susceptible de réduire les coûts de transaction et d'améliorer les prix de vente (ou d'ouvrir de nouveaux marchés) présente une grande valeur. Ces organisations peuvent agir, et le font, comme des intermédiaires de communication, facilitant la circulation de l'information entre les populations locales et le reste du monde.

Le réseau mondial est l'un des outils qui peuvent accroître cette circulation de l'information pour les organisations de petits producteurs. Il est un moyen peu coûteux de communiquer et d'accéder à l'information mondiale. En outre, les services locaux sur Internet peuvent être aisément gérés par des groupes d'utilisateurs ou des associations paysannes bien organisés. L'information et les analyses sont ainsi adaptées aux besoins et réalités en matière de communication et de connaissances. Lorsqu'ils sont reliés à des systèmes d'information nationaux et mondiaux sur les marchés, et qu'ils permettent de communiquer rapidement avec les acheteurs et courtiers potentiels, les systèmes locaux d'accès à Internet deviennent des outils de décision et de planification stratégique particulièrement intéressants.

Les agriculteurs locaux peuvent profiter d'Internet sans disposer d'ordinateurs ni de lignes téléphoniques. Le personnel avisé des centres de communication communautaires peuvent très facilement afficher les prix de marchés dans les endroits où se rassemblent les producteurs, être en liaison avec les radios et journaux locaux, et diffuser l'information via des réseaux de personnes, de simples lettres d'information et des affiches. S'il est utilisé avec pertinence, Internet peut devenir un élément d'un système plus général associant différents médias, tant pour collecter l'information depuis des sources verticales que pour diffuser cette information par les moyens de communication horizontaux existants.

Actions de développement communautaire

"Lorsqu'elles sont utilisées de manière systématique et adaptées au contexte des régions rurales des pays en développement, les technologies modernes de communication peuvent servir à accroître la participation, à diffuser l'information et à partager le savoir et les compétences. La création de nouveaux cadres institutionnels, associant l'ensemble des partenaires, autonomes et créateurs de ressources, pourrait assurer l'efficacité et la pérennité des actions entreprises, ce qui n'est pas toujours le cas avec le seul soutien des pouvoirs publics."
Manuel Calvelo Rios, projet de la FAO de communication pour le développement en Amérique latine. FAO. 1996b.

Les services Internet destinés aux communautés locales présentent également un grand intérêt lorsqu'ils sont adaptés aux organisations de développement agricole et rural qui font fonction d'intermédiaires ou de relais de communication locaux. Outre qu'ils permettent d'améliorer la connaissance des marchés, ils peuvent aussi

Recherche et enseignement

""Toolnet est un réseau destiné aux projets de développement à petite échelle qui encourage l'échange d'informations, d'expériences, d'expertise et de solutions aux problèmes techniques. Il propose un service de courrier électronique multi-fonctionnel qui relie les intervenants de terrain, les organisations locales, les instituts de technologie, les organismes de développement international et les individus... intéressés par les transferts de technologies dans les pays en développement... Des relais fonctionnent ou sont prévus dans près de 25 pays."
Volunteers in Technical Assistance (VITA). 1995. Banque Mondiale, 1995.

Les communautés de recherche nationales, régionales et internationales accordent de plus en plus d'attention aux stratégies de "recherche participative" (Chambers et Gujit, 1996). Ces dernières placent les agriculteurs et les habitants des campagnes au cÏur du processus de recherche; elles leur permettent d'enrichir leurs connaissances et de les partager avec leurs homologues, les intervenants de terrain, les chercheurs et les décideurs aux différents niveaux. L'utilisation d'Internet par les organisations intermédiaires et les responsables impliqués dans un processus de recherche participative peut présenter un bon rapport coût-efficacité pour compléter et partager les leçons de l'expérience et les résultats de recherche.

Internet permet aussi de renforcer les liens entre et parmi les organisations paysannes, les vulgarisateurs, les chercheurs, les décideurs et autres intervenants dans les systèmes agricoles. Ainsi, des organisations internationales comme le Information Centre for Low-External-Input and Sustainable Agriculture (ILEIA) et le Centre technique de coopération agricole et rurale (CTA) travaillent à développer des systèmes de communication et de connaissances qui permettent aux organisations intermédiaires de créer des sources d'information locales et de les diffuser dans le monde, ainsi que d'accéder aux bases de données et aux outils pédagogiques relatifs à l'agriculture durable à faible consommation d'intrants.

Le Groupe consultatif pour la recherche agricole internationale (CGIAR) dispose d'un réseau perfectionné: le Integrated Voice and Data Network (IVDN) relie les institutions de recherche qui en sont membres dans le monde entier et leur propose des communications vocales et de transfert de données à bas prix, grâce aux protocoles Internet. En une année seulement, le CGIAR a ainsi relié au système les trois-quarts des centres internationaux de recherche sur l'agriculture. Au nombre des services offerts par l'IVDN, on trouve:

Ce puissant réseau de centres de recherche n'a pas encore développé de réelles relations électroniques avec les organisations intermédiaires et les Centres nationaux de recherche agronomique (NARs), qui seraient pourtant en mesure de faciliter la diffusion de l'information et l'élaboration de stratégies de recherche participative48. Cependant, une fois que les organisations intermédiaires sont connectées à Internet par des serveurs locaux ou par des réseaux internationaux comme IVDN, il existe d'énormes possibilités pour élargir et renforcer leurs relations. Cela vaut également dans le domaine de l'enseignement dans les pays en développement: les universités et les étudiants pourraient accéder à l'information en matière de recherche et diffuser les résultats de leurs propres travaux auprès du CGIAR, de la FAO, des centres nationaux de recherche agronomique et de tout autre institution intervenant dans la recherche agricole et rurale.

Une première étape pertinente pour aider les centres de recherche nationaux et les organisations intermédiaires à tirer parti de la puissance d'Internet consisterait à étudier la possibilité pour les centres nationaux d'accéder au réseau CGIAR IVDN. En outre, les vastes ressources en information du système CGIAR (dont des bases de données comme AGRIS) pourraient être rendues complètement accessibles via Internet, donnant ainsi au monde entier, et notamment aux chercheurs privés d'information des pays en développement, un accès aisé à cette énorme réserve internationale d'information et de travaux de recherche sur l'agriculture.

Dans les pays en développement, le coût d'accès aux travaux de recherche imprimés est généralement si élevé que les étudiants et les universitaires ont beaucoup de mal à se procurer des livres et des revues. De plus, les délais pour se procurer ces documents sont parfois si longs que l'information est périmée lorsqu'elle arrive à destination. Sur Internet, toute information publiée en ligne peut être consultée presque instantanément et à un coût bien inférieur à celui de l'imprimé. Il est aussi facile d'accéder à l'information et de parcourir et évaluer des listes récapitulatives de sources d'informations depuis des régions éloignées.

Les services électroniques d'enseignement à distance sont déjà utilisés en Amérique du Nord, en Australie et en Europe (notamment par les habitants des zones rurales). Au fur et à mesure qu'Internet se répand dans les pays en développement, il est très probable que ce type de services feront l'objet d'une demande importante. Plus de 87 pour cent des utilisateurs ruraux d'Internet interrogés lors de l'enquête conduite par l'Université de Guelph indiquent qu'ils sont particulièrement intéressés par les cours diffusés en ligne et par les autres moyens d'apprentissage offerts sur Internet (Mayhew et Richardson, 1996), même s'il en existe encore trop peu qui répondent à leur demande spécifique.

Les partenariats entre universités du Nord et du Sud en matière d'enseignement à distance (mais aussi d'enseignement traditionnel) ont montré qu'ils étaient fructueux pour les institutions concernées. Les collaborations entre l'Université de Guelph et des universités en Inde et au Cameroun qui visent à développer des programmes de formation à distance pour les vulgarisateurs en sont de bons exemples. Internet permet de renforcer ces partenariats et de créer des moyens d'apprentissage en coopération par-delà les océans, au bénéfice des partenaires des pays en développement. Un tel processus fonctionne naturellement dans l'autre sens, donnant ainsi aux étudiants des pays du Nord l'opportunité d'en savoir plus sur l'évolution des connaissances, des contextes, des défis et des potentiels au Sud.

Par-dessus tout, Internet dispose d'un potentiel remarquable pour renforcer les relations d'enseignement et de recherche entre chercheurs, universitaires et étudiants, où qu'ils soient. La liste des applications possibles est infinie et des milliers de relations informelles se nouent chaque jour sur Internet dans les groupes de discussion. Les agences de développement comme la FAO ont un rôle à jouer en normalisant et en délivrant des certificats et des diplômes aux personnes qui participent à des sessions de formation sur Internet.

Au sein du Département du développement durable de la FAO, par exemple, il existe des projets de formation et de cursus en matière de communication pour le développement et de formation des vulgarisateurs. D'autres départements de la FAO et de nombreux organismes mènent des projets similaires. Les documents et processus élaborés dans le cadre de ces projets peuvent être adaptés pour offrir des services d'enseignement à distance sur Internet. De tels projets pourraient s'appuyer sur la puissance d'Internet pour encourager les interactions entre les "étudiants" au niveau local et international et créer un esprit d'équipe au sein de groupes d'apprentissage, en remplacement de la méthode traditionnelle "par correspondance" de l'enseignement à distance.

Développement des petites et moyennes entreprises

"La suppression des obstacles au commerce international a entraîné des changements rapides sur les marchés mondiaux. Les grandes firmes internationales peuvent désormais concurrencer les petites et moyennes entreprises sur leurs marchés, alors que les PME n'ont pas les infrastructures et les ressources nécessaires pour s'y opposer. Notre mission consiste à créer un réseau professionnel sur le World Wide Web pour aider les PME à communiquer sur leurs besoins, partager leurs ressources et étendre leurs marchés. "
Termes de référence de la mission du International Small Business Consortium.

Les entreprises du secteur privé, grandes ou petites, utilisent Internet pour pénétrer de nouveaux marchés, promouvoir leurs produits ou leurs services à l'échelle mondiale et accéder à l'information commerciale et financière dont ils ont besoin.

Semex Canada et Gencor (auparavant United Breeders of Canada), grands producteurs et exportateurs internationaux de semence de taureaux pour l'insémination artificielle, font désormais la publicité de leurs ressources génétiques sur Internet, avec des catalogues en couleur montrant les photos des reproducteurs. Ces firmes reçoivent désormais des demandes de producteurs de viande ou de lait depuis des pays comme le Brésil, l'Argentine ou le Japon, qui ont pris connaissance de leurs produits sur Internet. En Amérique du Nord, des agriculteurs utilisent maintenant Internet pour vendre de nombreux produits (homards vivants, pommes, oranges, raisin, fromages, viande fumée, biscuits et tartes, etc.). Les artisans ruraux vendent de tout sur Internet, des vêtements aux meubles, et utilisent le réseau pour organiser des structures de soutien (par exemple, Women in Rural Economic Development). Internet est comme une vitrine mondiale pour ces producteurs ruraux éloignés et leur permet d'atteindre des consommateurs comme jamais auparavant.

Le secteur du tourisme s'est rapidement rendu compte des avantages d'Internet pour faire la publicité des destinations, circuits et prestations de vacances. Dans tous les pays visités au cours de ma mission d'observation pour la FAO, j'ai pu utiliser le World Wide Web pour organiser mon voyage. Avec des photos en couleur, des informations sur les hôtels, le temps, les attractions, les manifestations, les taux de conversion de la monnaie, les visas et beaucoup plus encore, les voyageurs peuvent obtenir une information immédiate et précise, et choisir leur destination en toute connaissance de cause.

Sont particulièrement intéressants les sites du World Wide Web consacrés au "tourisme écologique", aux parcs de loisirs et aux raids "aventure" dans les zones rurales d'Afrique australe, où le tourisme est une activité en plein essor (cf. a href="http://wn.apc.org/mediatech/tourism/index.htm">Africa Tour Net). Les agences touristiques dans les zones rurales reculées ont du mal à faire la promotion de leurs destinations par les médias traditionnels du fait des coûts de production et de distribution. Internet est désormais un moyen bon marché de montrer les sites dans le monde entier et de communiquer directement avec les touristes potentiels.

Réseaux de médias

Les médias d'information dans les pays en développement comptent également parmi les pionniers de l'utilisation d'Internet. En Zambie, par exemple, les deux quotidiens nationaux diffusent leur édition du jour aux utilisateurs locaux d'Internet, ainsi qu'aux Zambiens expatriés dans le monde entier. Des groupes de discussion utilisant le courrier électronique permettent à ces lecteurs de discuter des nouvelles quotidiennes, quel que soit leur lieu de résidence. Dans le cadre de ma recherche d'informations pour ce document, j'ai joint l'un de ces groupes de discussion qui produisait au minimum une trentaine de messages électroniques par jour. De tels groupes rassemblant des expatriés et des nationaux existent dans pratiquement tous les pays en développement et représentent une source encore assez peu exploitée d'accès aux informations, aux idées et à la créativité de la société civile, en ce qui concerne la politique et les initiatives de développement.

Outre ce type d'utilisation, des organisations comme Inter Press Service Third World News Agency (IPS) utilisent Internet pour récolter des faits nouveaux auprès de correspondants locaux dans les pays en développement et les diffuser aux agences internationales telles que Associated Press. IPS diffuse également sur Internet des informations sur l'Afrique provenant de l'ensemble de ce continent, permettant ainsi aux médias africains d'y accéder. Cela est d'une importance toute particulière pour les radios rurales, les journaux locaux et les lettres d'information diffusées par les producteurs qui ne pourraient pas obtenir les mêmes informations à partir d'autres sources. IPS permet également aux correspondants locaux de diffuser leurs sujets au niveau régional, national et mondial. Une utilisation comparable d'Internet par les réseaux de radios rurales, qui pourrait inclure des transmissions audionumériques, pourrait bien se faire jour prochainement.

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