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Chapitre 2 - OBJECTIFS DU TRAVAIL DU SOL


Le climat en relation avec les objectifs du travail du sol
Les sols et leurs contraintes
Le travail du sol en relation avec la phase culturale
Phases et objectifs du travail du sol
Classement hiérarchique des niveaux de travail du sol


Michiel C. Klaij, Chercheur principal, Centre sahélien de l'ICRISAT/ILRI, PO Box 5689, Addis Abéba, Ethiopie

Parmi les activités de cultures, le travail du sol joue un rôle important en assurant des quantités suffisantes de nourriture et de fibres aux diverses populations. La suppression et le contrôle de la végétation naturelle par le travail du sol sont des opérations indispensables pour les terres cultivables. Depuis des siècles, les animaux ont été attelés aux charrues afin de morceler la terre et de préparer le sol en le débarrassant de la végétation naturelle et des plantes indésirables. En effet, la suppression et le contrôle des mauvaises herbes profitent aux cultures et font partie des objectifs du travail du sol.

Toutefois, en morcelant le sol, on change sa structure. Des recherches effectuées au début du vingtième siècle en Europe montrent que les changements structurels du sol et le désherbage sont les conséquences principales du travail du sol. Deux écoles de pensées ont ensuite émergé: l'école anglaise insistant sur le désherbage comme conséquence principale du travail du sol et l'école allemande, pour qui la structure du sol et son maintien sont la conséquence et l'objectif du travail du sol.

Actuellement, "travail du sol" signifie beaucoup plus que labourer, bien que cette opération reste l'une des plus importantes. Mais elle sera en général suivie de préparations de lits de semences puis d'autres opérations telles que le désherbage ou le travail du sol post-récoltes. En d'autres termes, le labour fait souvent partie d'un système de travail du sol beaucoup plus vaste. On peut définir un système de travail du sol comme un ensemble d'opérations de labour périodiques qui sont exécutées pour créer et maintenir des conditions de production de cultures optimales.

Créer et maintenir ces conditions soulève deux questions: comment ces conditions affectent-elles la croissance des cultures, et comment le travail du sol crée t-il ces conditions? Les tentatives de réponses sont assez complexes. En effet, la création de ces conditions optimales en fonction de la phase de la croissance d'une culture peut être considérée comme un objectif à court terme. Alors que maintenir ces conditions optimales pour la production des cultures devient un objectif à long terme en rapport avec la viabilité de l'ensemble du système. On ne peut pas vraiment distinguer les opérations de travail du sol qui poursuivent des objectifs à court ou à long terme, parce que les effets du travail du sol sont liés et se recouvrent souvent.

Le climat, le sol et la topographie sont les facteurs à considérer pour choisir un système particulier de travail du sol. A long terme, ces trois facteurs demeurent constants. Toutefois, la culture ou les systèmes culturaux déterminent également la sélection et l'adoption d'un système de travail du sol. Enfin, les systèmes culturaux dépendent du type et de la taille de l'unité de production économique, donc le système de travail du sol dépendra des options techniques décidées par les facteurs socio-économiques.

Le climat en relation avec les objectifs du travail du sol


Exemple de période végétative dans la zone tropicale semi-aride
La pluviométrie
Le vent
Exemple de période végétative dans la zone tropicale humide


Exemple de période végétative dans la zone tropicale semi-aride

Dans les zones tropicales semi-arides, les chutes de pluies sont irrégulières, surtout au début de la saison des pluies. Il arrive fréquemment que plus de 90% de la totalité des précipitations tombe au cours de la saison des pluies. La caractéristique essentielle du climat des zones tropicales semi-arides concerne son potentiel d'évaporation annuel élevé, représentant deux à quatre fois le taux de précipitation annuel. Un cycle de saisons caractéristique se présente comme suit: au début de l'année (du calendrier), de longues heures d'ensoleillement, un taux d'humidité relative faible et des vents violents qui font monter le potentiel d'évaporation à un taux très élevé, atteignant son maximum vers la fin de la saison sèche en avril et mai. Les sols sont secs et durs avec peu de paillage ou de végétation comme protection. L'érosion éolienne peut poser un problème au cours de cette période.

Au début de la saison des pluies, les sols sont dénudés et l'intensité des précipitations peut excéder le taux d'infiltration. Le travail du sol devrait servir à améliorer l'infiltration, à fournir un lit de semences convenable, à protéger et à conserver la terre. Les températures journalières maximales redescendent considérablement avec le début des pluies qui, elles, font augmenter le taux d'humidité et l'état nuageux, et poussent le potentiel d'évaporation à son minimum absolu. Lorsque les pluies diminuent, l'ensoleillement journalier augmente et fait remonter les taux d'évaporation et la température à un maximum secondaire. La surface du sol sèche très rapidement tandis que les cultures arrivent à maturité grâce au profil hydrique du sol.

La pluviométrie

La pluviométrie saisonnière et sa répartition, de même que les propriétés du profil du sol sont des facteurs importants pour déterminer le potentiel de production des cultures. Connaître l'intensité des précipitations est également important pour la gestion des sols. Hoogmoed et Klaij (1990) rapportent que dans la région de Niamey au Niger, l'intensité de 50% des pluies est supérieure à 30 mm h-1. Ce qui représente presque le double de l'intensité du climat des régions tropicales semi-arides autour de Patancheru, au Centre asiatique de l'ICRISAT en Inde. Des taux d'énergie cinétique élevés favorisent la désintégration des sols et la formation d'une croûte, réduisant par là les taux d'infiltration et augmentant les risques de ruissellement et d'érosion.

Le vent

Les couches supérieures du sol sont en général sèches et meubles au début de la saison des pluies. Sous ces conditions, le vent soulève les particules de la surface du sol, entraînant l'érosion dans les terres cultivées mais endommageant aussi sérieusement les jeunes plants en les recouvrant sous l'effet des tourbillons de sable. Le travail du sol peut rendre la surface du sol plus rugueuse et combiner par là des objectifs de réduction de l'érosion éolienne à court terme (cultures) et à long terme (conservation).

Exemple de période végétative dans la zone tropicale humide

En principe, les considérations des objectifs du travail du sol valables pour les régions semi-arides s'appliquent aux zones humides. On ne vise toutefois pas les mêmes objectifs. Le climat est moins extrême en terme de températures, la pluviométrie est plus élevée et les saisons des pluies plus longues. Là où la culture itinérante est pratiquée, le nombre d'années de culture est limité par les efforts considérables passés à la préparation de la terre et au désherbage. Les champs sont abandonnés à cause de problèmes liés au désherbage et à l'épuisement de la fertilité (Nye et Greenland, 1960). Les plantes qui poussent en abondance sous ce climat peuvent être utilisées pour le paillage. Cette pratique aide à protéger le sol de l'érosion hydrique et de l'encroûtement, et réduit les températures extrêmes du sol.

Les sols et leurs contraintes


Les sols dominants
La maniabilité du sol


Les sols dominants

D'anciennes cuirasses de roches cristallines ou de sédiments très indurés de l'époque pré-cambrienne forment le substrat de la plupart des zones tropicales semi-arides d'Afrique de l'Ouest (Ahn, 1974). En l'absence de roches basiques, les sols dérivés sont généralement faibles en éléments nutritifs. Les carences en phosphore et azote sont notamment très courantes (Jones et Wild, 1975; Ahn, 1977; Pieri, 1989; Bationo et Mokwunye, 1991). Les arénosols et régosols sont dominants dans les zones semi-arides. Les problèmes de fertilité sont aggravés par des propriétés physiques du sol défavorables, surtout pour les sols sablonneux et limoneux. La réserve d'eau utile inhérente est une contrainte sérieuse pour surmonter les périodes de sécheresse. Les conditions des couches supérieures du sol sont importantes parce qu'elles déterminent le taux d'infiltration des précipitations et la capacité du sol à stocker temporairement l'eau excédant le taux d'infiltration. Une dégradation des couches supérieures instables à cause de l'impact des gouttes provoque l'imperméabilisation qui entraîne ruissellement et érosion. Lorsque le sol sèche, on assiste à la formation d'une croûte dure qui peut affecter l'émergence des cultures. Une fois secs, les sols deviennent très durs (prise en masse) et sont difficiles à cultiver.

Les sols importants situés en altitude comprennent les ferralsols, les acrisols et les nitosols sur lesquels sont cultivés des cultures forestières, du manioc et du maïs (Sant' Anna, 1993). La fertilité de ces sols est rapidement épuisée s'ils sont cultivés de façon permanente et des risques d'érosion modérée à élevée sont présents. Les principaux sols des plaines comprennent des sols à gley et des fluvisols, des sols généralement profonds, de texture limoneuse à argileuse sujets à l'engorgement. On cultive le riz et la canne à sucre sur ces sols où le drainage peut devenir un problème.

La maniabilité du sol

Les propriétés mécaniques des couches supérieures du sol changent rapidement en fonction du taux d'humidité du sol et de la densité apparente. On utilise l'expression "maniabilité du sol" pour exprimer les variations d'humidité entre lesquelles le sol peut être labouré efficacement, en terme de conditions consécutives du sol et d'utilisation des équipements. Par exemple, des opérations de travail du sol sous conditions sèches ameubliront un sol, détruiront sa structure et endommageront probablement les engins. Sous un climat saisonnier au taux d'évaporation élevé, les activités de travail du sol possibles sont assez limitées. De plus, une majorité d'agriculteurs utilisent des équipements simples et ont peu d'énergie disponible pour le labour et le désherbage.

FIGURE 1 - Diagramme des phases du travail du sol

Le travail du sol en relation avec la phase culturale

En général, les objectifs à court terme du travail du sol concernant les besoins des cultures sont difficiles à déterminer et à évaluer. En effet, le travail du sol change la structure du sol et des aspects tels que la densité du sol, la répartition des agrégats et leur taille, et la force du sol peuvent être évalués objectivement. Toutefois, déterminer l'influence bénéfique que le travail du sol exerce sur la croissance des cultures à travers des processus comme des flux de l'eau, de la chaleur, et des flux gaseux est plus difficile, sans compter les conditions optimales à déterminer. De plus, les structures du sol sont transitoires, c'est à dire qu'un sol meuble sera soumis aux forces de compaction exercées par le temps, les hommes et les animaux. Les conditions optimales du sol pour une plante peuvent également changer drastiquement au cours de son cycle de vie, à travers les phases de graine en germination, puis jeune plant, culture établie et finalement plante arrivant à maturité. Dès lors, plutôt que décrire et viser les conditions optimales du sol, il vaudrait mieux, en pratique, se cantonner à établir les limites critiques des conditions du sol pour les différentes phases de la culture.

Par exemple, bien que la formation d'agrégats améliore l'infiltration et empêche l'érosion, une culture à peine semée ne s'y établirait pas. Une fois les jeunes plants établis, les conditions d'enracinement deviennent plus importantes. Des dispositifs d'écoulement peuvent être importants à certains stades alors qu'une infiltration améliorée peut être cruciale à d'autres. Enfin, ne négligeons pas le rôle joué par le labour dans le désherbage. La destruction des mauvaises herbes dans une culture est un objectif spécifique qui offre des résultats visibles. Le désherbage ne peut être envisagé en dehors des opérations de travail du sol. Même si, en général, les objectifs programmés du travail du sol en fonction des besoins des cultures, la gestion des sols et le désherbage ne peuvent être réalisés tous en une seule intervention.

Phases et objectifs du travail du sol

Le travail du sol a normalement lieu là, où et quand il n'y a pas de culture dans un champ. Ce qui signifie que les phases de croissance d'une culture: établissement, croissance, récolte, gestion des résidus culturaux et période sans culture sont plus ou moins synchronisées avec les phases de travail de sol (Fig. 1.).

On distingue en général cinq phases de travail du sol. L'ordre chronologique habituel est le suivant:

1. Le labour primaire, le plus profond, effectué afin de préparer le sol pour la culture suivante.

2. La préparation du lit de semences crée les conditions du sol qui faciliteront le semis et favoriseront l'établissement de la culture.

3. Le suivi des cultures, le travail du sol post-semis favorise la croissance de la culture par des opérations telles que le désherbage ou le buttage qui facilitera le développement des racines et améliorera les récoltes.

4. Le labour de déchaumage recrée les conditions de surface du sol adéquates après la récolte.

5. La jachère contrôlée garde la terre en bon état pour bénéficier de la période sans cultures.

Ces opérations de travail du sol permettent donc de "construire" un système. En général toutes les opérations ne sont pas effectuées en une saison culturale; certaines sont passées ou combinées.

Un diagramme (Fig. 2) réalisé par Kuipers (1974) montre la progression des groupes de travail du sol, également appelée phases de travail du sol puisqu'elles sont synchronisées avec les phases de croissance des cultures sous le climat des zones tropicales semi-arides. Cochemé et Franquin (1967) ont utilisé les moyennes de l'évaporation mensuelle et les données pluviométriques pour délimiter les périodes de disponibilité en eau significatives pour la production des cultures. Ils ont repéré des périodes cruciales en se basant sur l'intersection de la courbe de répartition des précipitations et de l'évaporation potentielle d'une culture de référence (ET, ET/2, ET/10). Les périodes suivantes et leur signification agronomique sont distinguées:

1. Une période préparatoire avec une pluviométrie située entre ET/10 et ET/2; au cours de cette période, la pluviométrie suffit pour la préparation d'un lit de semences.

2. La première période intermédiaire avec des précipitations situées entre ET/2 et ET peut être utilisée pour les semis et l'établissement de la culture.

3. Une période humide avec une pluviométrie excédant ET.

4. La seconde période intermédiaire avec une pluviométrie située entre ET et ET/2.

5. L'extension de la période 4, dépendant de la quantité d'eau disponible stockée dans le profil.

FIGURE 2 - Différents groupes d'opérations de travail du sol, leurs objectifs (d'après Kuipers, 1974) en relation avec le bilan hydrique tropical (Cochemé et Franquin, 1967)

Le recouvrement des phases de travail du sol de Kuipers et des objectifs avec les périodes de disponibilité en eau dépendant du climat permet de comprendre les contraintes de croissance des cultures liées au travail du sol.

Classement hiérarchique des niveaux de travail du sol

Les sections précédentes ont traité des objectifs du travail du sol de façon qualitative, générale et de leur relation avec le sol, les cultures, le climat, etc. Le professeur H. Kuipers du Laboratoire du travail du sol à Wageningen propose le classement hiérarchique des niveaux de travail du sol suivant (Tableau 1):

TABLEAU 1 - Classement hiérarchique des niveaux de travail du sol

Niveau de travail du sol

Déterminant

Description

Système

Gestion des ressources

Le choix d'un système particulier de travail du sol avec les conditions techniques et socio-économiques, dépendant des objectifs généraux du labour

Traitement

Besoins des cultures

Le choix d'un certain enchaînement d'opérations de travail du sol en fonction d'un but spécifique dans le système cultural

Opération

Disponibilité des instruments

La combinaison de plusieurs actions de travail du sol d'un instrument (p.ex. une charrue, une dent)

Action

Comportement du sol

L'effet direct d'un outil sur le sol, p.ex. couper, retourner, morceler, ameublir

Comme le climat, le sol et l'environnement socio-économique sont des données constantes pour l'agriculteur isolé, il est évident que les agriculteurs prendront des décisions de gestion principalement en fonction des niveaux de traitement et d'opération. Des recommandations et des changements à ce niveau affecteront directement la croissance des cultures saisonnières et les récoltes. Toutefois, la recherche et le développement devraient également aborder le niveau "système" à plus long terme. Les aspects de viabilité jouent un rôle important à ce niveau.


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