Page précédente Table des matières Page suivante


Chapitre 12 - INTERACTIONS ENTRE LE BÉTAIL ET LA PRODUCTIVITÉ DES SOLS AU NIVEAU DE L'EXPLOITATION PAYSANNE


Les formes d'interactions
Accroissement de la production agricole par l'usage de la traction animale
Conclusion


André Bationo, Chercheur principal (Chimie des sols), IFDC/Centre sahélien de l'ICRISAT, BP 12404, Niamey, Niger; et Zana Somda, Post-Doctorat, Centre sahélien de l'ICRISAT/ILRI, BP 12404, Niamey, Niger

L'élevage joue un rôle primordial à la fois dans la dégradation de l'environnement et dans le maintien de la productivité des sols en Afrique tropicale semi-aride. Au niveau de l'exploitation paysanne dans les zones sahélo-soudaniennes, l'animal occupe un statut économique important parmi les facteurs de production. Il représente un capital durable dans les économies traditionnelles et dans le processus de production de viande, de lait, et de cuir. Il joue aussi un rôle essentiel dans la disponibilité en travail et entretient des rapports très étroits avec la terre qui supporte la végétation dont il tire sa subsistance. Cependant, la densification de l'occupation de l'espace rural consécutive à la croissance démographique met en cause les complémentarités techniques entre l'agriculture et l'élevage et se traduit à moyen terme par une diminution des effectifs animaux et de la fertilisation animale. Il serait plus économique pour ces systèmes de production de cultiver des plantes (arbustes et graminées) fourragères en bandes de brise-vent ou d'enherbement pour satisfaire les besoins alimentaires du bétail sans influencer négativement la productivité durable des sols. Il est suggéré, pour les futurs recherches et développements, d'améliorer et de vulgariser l'usage de la traction animale, de la fumure organique et minérale en tenant compte des conditions socio-économiques spécifiques à chaque zone agro-écologique.

La protection de l'environnement et la conservation des ressources naturelles sont cruciales pour maintenir la production agricole et animale en Afrique sub-saharienne où des changements sociaux, économiques et climatiques menacent l'équilibre écologique. Dans les régions semi-arides de l'Afrique de l'Ouest, par exemple, des sécheresses périodiques et la pauvreté inhérente des sols sont les principaux facteurs limitant la production agricole et animale. Avec la croissance démographique, les besoins alimentaires augmentent tandis que les longues périodes de jachère qui régénèrent la productivité des sols diminuent suite à l'extension progressive des aires de culture dans les zones marginales d'élevage. Aussi, avec les sécheresses récurrentes dans les régions sahéliennes, la reproductivité des pâturages naturels diminue graduellement amenant les éleveurs nomades à migrer dans les zones d'agriculture. Ainsi apparaît dans ces zones une nouvelle forme d'exploitation où l'élevage est intégré à l'agriculture (McIntire et al., 1992). Cette exploitation est caractérisée par des méthodes intensives de travail et des systèmes de culture à hauts intrants (engrais chimiques et pesticides).

Traditionnellement, la méthode de conservation et de restauration de la fertilité des sols la plus courante est l'utilisation de la matière organique. L'utilisation des résidus végétaux dans ces nouveaux systèmes d'exploitation pour le maintien de la fertilité des sols doit être balancée avec l'usage compétitif comme aliment de bétail. Le degré d'interaction entre le secteur agricole et le secteur élevage peut varier d'une situation où il y a peu ou pas d'intégration à une autre où il y a une intégration totale de ces deux secteurs de production.

Les objectifs de ce cours sont d'identifier les principales formes d'interactions et les principaux facteurs qui déterminent le degré d'interaction entre l'agriculture et l'élevage au niveau de l'exploitation paysanne dans les zones sahélo-soudaniennes de l'Afrique de l'Ouest.

Les formes d'interactions


Interactions d'ordre économique
Interactions d'ordres biologiques et physiques


Les interactions entre l'agriculture et l'élevage en Afrique sub-saharienne peuvent être d'ordre purement économique, biologique ou physique, mais les facteurs principaux qui déterminent le degré d'interaction entre ces secteurs sont d'abord des facteurs écologiques (certaines régions sont très sèches pour les cultures) et ensuite des facteurs démographiques et économiques. Par exemple, avec une faible pression démographique, la jachère reste une pratique plus courante que l'usage du fumier pour restaurer la fertilité des sols. Mais l'usage de la fumure animale se développe avec la pression démographique et la diminution des surfaces cultivables. Cette interaction se retrouve d'abord entre des entreprises spécialisées indépendantes, où le fumier est compensé par l'accès aux résidus de culture. En réponse aux besoins en main-d'oeuvre supplémentaire et/ou en énergie animale, les cultivateurs commencent à acquérir leurs propres animaux de trait et à intégrer l'élevage aux activités agricoles.

Interactions d'ordre économique

Dans ces nouveaux systèmes d'agriculture mixtes, l'animal occupe un statut économique primordial parmi les facteurs de production et joue un rôle important dans le maintien de la fertilité des sols. Les interactions purement économiques concernent la manière dont un des secteurs finance ou supporte les facteurs de production de l'autre secteur. C'est le cas de la vente des produits agricoles pour acheter des aliments du bétail et des produits vétérinaires, ou de la vente des produits de l'élevage (e.g. viande, lait, fumier) pour payer des engrais chimiques, du matériel aratoire et la main-d'oeuvre.

Des enquêtes menées de 1979 à 1983 par le Centre international pour l'élevage en Afrique (CIPEA) dans les hauts plateaux d'Ethiopie ont montré que le nombre de familles utilisant des engrais chimiques et la quantité d'engrais utilisée par famille augmentent avec le nombre d'animaux par famille. Ailleurs on a trouvé que les capitaux (produits agricoles) accumulés en année de bonnes récoltes étaient convertis en bétail (Fulton et Toulman, 1982). Dans le sud-ouest du Niger, environ un tiers du capital investi dans l'élevage provient de la vente des produits agricoles et 75% de la vente des animaux servent à l'achat de céréales pour la consommation humaine (Dicko et Sayers, 1988).

Interactions d'ordres biologiques et physiques

L'élevage en Afrique tropicale semi-aride joue un rôle primordial à la fois dans la dégradation et dans le maintien de la productivité des sols qui supportent la végétation dont il tire sa subsistance. La Figure 14 représente graphiquement les principales formes d'interactions biologiques et physiques entre le secteur animal et agricole en Afrique intertropicale semi-aride.

FIGURE 14 - Interactions entre le secteur animal et le secteur agricole


Direction de la causalité
< < < < < < < < < < < < < < < < < <
< < < < < < < < <






Production Animale

Expansion des cultures réduit les aires de pâturage naturel





Production Agricole

Conflits entre agriculteurs et éleveurs

Mauvaises herbes et plants démariés servent à nourrir le bétail

Résidus de récoltes utilisés comme aliments de bétail

Direction de la causalité
> > > > > > > > > > > > > > > > > >
> > > > > > > > >

La traction animale change les aires de cultures, itinéraires, et rendements

Le piétinement réduit la porosité du sol et sa capacité de rétention en eau

Les résidus de récoltes utilisés comme aliments de bétails exportent la paille, les nutriments, et la matière organique

Le fumier remplace les nutriments, la matière organique et améliore la structure

La dévégétation par les animaux augmente l'érosion et la perte de l'humidité

Ces interactions s'opèrent surtout à travers la dévégétation de la nature, le piétinement et le compactage des sols, les résidus de récolte et la fumure animale qui apportent des changements dans la composition chimique et physique des sols (Sandford, 1988).

Impact des animaux sur la végétation naturelle

Les zones de pâturages permanents en Afrique occidentale et centrale représentent 19% de la superficie totale de la région qui compte environ 39% du cheptel total en Afrique sub-saharienne, mais avec une proportion de petits ruminants plus élevée par rapport aux bovins qu'en Afrique orientale et australe. Les pâturages permanents des pays sahéliens de l'Afrique de l'Ouest représentent 7 à 28% de la superficie de ces pays alors que le nombre du cheptel dépasse 75% du total de la région. Ce niveau de charge composé principalement de petits ruminants peut affecter la composition floristique et la régénération de la végétation naturelle.

Quand la saison sèche progresse et que le fourrage herbacé diminue, les animaux dépendent de plus en plus des feuilles des arbustes qui peuvent constituer 50% à 80% du régime alimentaire des ruminants (Le Houérou, 1980; Otsyina et McKell, 1984), réduisant de facto la phytomasse naturelle. La défoliation des arbres et la mise à nu des sols par les ruminants peuvent entraîner une dégradation physique et chimique du sol. D'autre part, une défoliation sélective des bourgeons et un pâturage discontinu peuvent stimuler la formation de nouvelles feuilles et branches et, de ce fait, augmenter l'évapotranspiration et l'absorption des nutriments du sol.

Les animaux peuvent aussi jouer un rôle important dans la dispersion des semences et la régénération des essences végétales. Les fruits et graines ingérés mais non digérés par les animaux sont excrétés à travers les fèces dans d'autres endroits. Le passage des semences à travers l'estomac des ruminants peut modifier leur pouvoir germinatif et accélérer leur germination. D'autre part, les animaux en ingérant les tissus végétaux exportent aussi des éléments nutritifs contenus dans ces tissus. Le sol s'appauvrit par la suite permettant la repousse des espèces floristiques moins appetées par les animaux mais plus adaptées à ce nouvel état du sol (Valenza, 1981; Breman et al., 1982; Breman et Cissé, 1977; Le Houérou et Gillet, 1985).

A cause de la nature sélective des animaux dans leur diète, leur pression sur la détérioration de l'environnement paraît plus localisée par rapport aux feux de brousse durant la saison sèche, qui réduisent les activités biologiques du sol et laissent le sol dénudé susceptible à l'érosion éolienne et hydrique et au dessèchement. L'action des termites (Menaut et al., 1984) et microorganismes sur la disparition de la couverture végétale des sols sahéliens paraît plus importante que l'action des animaux. Les zones de pâturage réduites aux savanes éloignées des villages pendant la saison des pluies, s'élargissent aux terres communales, jachères et champs adjacents aux villages pendant la saison sèche.

Dans les régions semi-arides d'Afrique de l'Ouest, les animaux dépendent des résidus de récoltes et des mauvaises herbes dans les champs après les récoltes. Dans la zone de culture à base de mil au Mali, les bovins consomment annuellement 16% des résidus de récolte qui représentent 56% de leur diète durant le pic de la saison sèche, mais les ovins et caprins consomment seulement 2 et 7% toute l'année (Sandford, 1988). Au Nigeria, les résidus culturaux représentent 50 à 80% du régime des animaux en saison sèche, mais entre 33% et 57% des résidus dont environ 45% des tiges et 60% à 100% des feuilles disparaissent après les récoltes.

L'utilisation des résidus de récoltes comme aliment de bétail, combustible et matériau de construction laisse la plupart des champs dénudés et appauvris en éléments minéraux et en matière organique au moment des semis. Pieri (1985) a trouvé que les exportations des résidus hors des champs augmentent les pertes de N et P d'environ 60 à 100% en plus que les exportations par les graines. En général, les résidus de récolte produits ne sont pas suffisants pour améliorer de façon significative la fertilité du sol, réduire l'évaporation et l'érosion même s'ils sont laissés dans les champs. Par exemple au Sénégal, 4 t/ha de paille de mil ne permettent pas une protection efficace du sol contre l'érosion et le ruissellement, et au Burkina Faso, il faut au moins 10 t/ha de paille pour avoir un effet significatif.

Bien que le paillage encourage l'activité des termites et augmente la matière organique et la fertilité physique du sol, la plupart des paysans pratiquent le brûlis au champ car le mulch pailleux ne facilite pas les travaux de labour, de semis et de sarclage, mais favorise plutôt le développement des insectes et maladies des cultures. Cette pratique du brûlis cause des pertes considérables de N et de soufre par volatilisation et un recyclage plus rapide des éléments minéraux cationiques contenus dans les cendres.

Impacts des animaux sur la productivité des sols

Les animaux occupent une place importante dans le maintien de la fertilité des sols dans la zone semi-aride du Sahel. L'entassement et la compaction du sol, surtout par le gros bétail, peuvent modifier les propriétés physico-chimiques du sol. Sous l'action du piétinement, les débris végétaux se fragmentent en plus petits morceaux qui se mélangent à la terre et se décomposent rapidement laissant le sol dénudé et susceptible à la dégradation physique. La rugosité du sol augmente et l'encroûtement diminue. D'autre part, la compaction accroît la densité apparente, réduit la porosité du sol et l'infiltration de l'eau favorisant ainsi le ruissellement et l'érosion hydrique.

Ces phénomènes se rencontrent surtout quand on maintient des bovins sur des sols à texture fine, limono-sableux ou argileux pendant la saison des pluies. Dans les régions sableuses du Sahel, l'impact des animaux sur les propriétés physiques du sol se localise autour des points d'eau et de campement et parfois le long des chemins de parcours.

Les animaux jouent un rôle important dans le transfert de la matière fertilisante sous forme de fèces et d'urine d'un endroit à un autre et des pâturages vers les champs. La proportion du paysage affecté par ce phénomène dépend de l'espèce animale, du taux et de la durée de charge. D'autre part, ce phénomène va affecter plus le stock de P que de N disponible dans le sol à cause du plus grand nombre de mécanismes d'importations (e.g. précipitations, N2-fixation) et d'exportations de N (e.g. feu, érosion, volatilisation, lessivage, dénitrification) par rapport à P dans le système.

Le transfert de la matière fertilisante des pâturages permanents vers les terres cultivées, bien que reconnu comme un élément important de la fertilité des sols, est très limité car il faut 4 à 40 ha de pâturage naturel pour 1 ha de champ cultivé. Aussi une totale capture des nutriments excrétés par les animaux est difficile. Quand les déjections des animaux sont déposées sur le sol, les pertes potentielles des nutriments dépendront de la route d'excrétion (fèces ou urine) et leur nature chimique, la quantité excrétée, la qualité et digestibilité du fourrage, et de l'espèce animale. Par exemple, le taux de la matière azotée dans les fèces des petits ruminants est plus élevé que celles des bovins (Quilfen et Milleville, 1983). D'autre part, une alimentation à base de feuilles d'arbustes réduit l'excrétion de N urinaire mais augmente davantage le taux de N fécal qu'une diète composée de résidus de récolte (Somda et al., 1993; Powell et al., 1994). Ce changement dans la forme d'excrétion des nutriments augmente la possibilité de recyclage des éléments nutritifs car N excrété dans l'urine est beaucoup plus susceptible que N fécal à des pertes par volatilisation et par lessivage (Russelle, 1992; Ryden et al., 1987).

Quand les animaux sont nourris à l'étable, le fumier doit être collecté, stocké, transporté et peut perdre une quantité importante des nutriments totaux déposés avant son épandage au champ. Dans les zones semi-arides du Sahel on distingue trois systèmes traditionnels de la gestion de la fumure animale: le parcage de nuit au piquet avec translation du dispositif sur les parcelles, les parcs de nuit mobiles, et les parcs de nuit fixes (Landais et Lhoste, 1993). L'avantage primordial du parcage vient du fait que les transferts sont assurés par les animaux eux-mêmes (avec peu d'investissement) et que l'ensemble des excrétions (fèces et urine) est déposé sur le champ durant le temps du parcage.

Ces méthodes de parcage dans les champs sont couramment utilisées pour fertiliser les champs de céréales pendant la saison sèche. En saison des pluies, le parcage peut avoir lieu sur les jachères assolées ou des parcours boisés. Sur le plan agronomique, les épandages des fèces accumulés dans les parcs de nuit fixes se limitent généralement à de petites parcelles proches du parc à cause du problème de transport. Dans le cas des parcs de nuit mobiles où les animaux sont gardés libres dans des enclos sur des parcelles de culture, l'effet du piétinement et l'incorporation au sol des déjections peuvent augmenter fortement, les transferts de la matière fertilisante peuvent être importants et concentrés sur de petites parcelles.

Des études conduites dans les stations de recherche en Afrique ont permis de dégager les effets bénéfiques du fumier et du compost sur les rendements des cultures et les propriétés physiques et chimiques du sol, et de conclure que l'utilisation du fumier est légèrement supérieure à l'application des résidus de culture. L'application d'une tonne de fumier frais, par exemple, donne 10 à 30 kg ha-1 de rendement supplémentaire par rapport à l'incorporation d'une tonne de résidus de récolte. Outre les apports fertilisants, le fumier joue, par sa matière organique, un rôle important sur la structure du sol et sa capacité de rétention de l'eau. Le rôle anti-érosif, pourtant, mériterait des études complémentaires, surtout en milieu réel.

Dans les pratiques actuelles des paysans, le fumier seul ne peut pas maintenir la fertilité des sols en culture continue (Sanford, 1987; McIntire et al., 1992). Dans ce contexte, et face à la persistance de la sécheresse et aux multiples risques associés à l'application des engrais chimiques en conditions de sécheresse, il convient de déterminer des doses, méthodes et périodes d'application de la fumure organique et minérale de manière à synchroniser les besoins des cultures en nutriments et leur disponibilité dans le sol.

Sur le plan agronomique, donner le matériel végétal aux animaux d'abord et collecter le fumier ensuite pour l'appliquer au sol peut accélérer le processus d'humification. Cependant, dans la zone semi-aride tropicale de l'Afrique de l'Ouest, il existe une forte compétition pour les résidus de récolte entre les besoins domestiques, leur usage pour l'amendement de sol et l'alimentation du bétail. De plus, les contraintes de transport circonscrivent l'emploi du fumier dans les champs de céréales les plus proches des villages, et les engrais chimiques, quand ils sont disponibles, dans les champs les plus éloignés (Prudencio, 1986). La charrette à traction animale est indispensable pour améliorer l'utilisation de la fumure organique dans cette zone (Schleich, 1986), mais pour que la traction animale joue un rôle effectif dans le transport du fumier aux champs, il est impératif d'accroître d'abord la production fourragère afin d'améliorer la performance des animaux, et ensuite de développer des techniques de gestion plus efficaces des animaux et du fumier.

Accroissement de la production agricole par l'usage de la traction animale

Une option essentielle pour maintenir la production agricole dans les régions tropicales semi-arides est l'usage de la fumure organique et la traction animale. Matlon (1985) a estimé à 15% le nombre des agriculteurs dans la région tropicale semi-aride de l'Afrique de l'Ouest qui utilisent la traction animale pour le transport, le sarclage et le labour du sol. Les travaux de préparation du sol avec instruments à dents (e.g. le scarifiage) réalisés avec la traction bovine sont limités en largeur et en profondeur par la force de traction.

En général, les paysans sèment avec les premières pluies. A ce moment le sol est très dur et les animaux trop faibles pour effectuer des labours profonds. On a observé, par exemple au Burkina Faso, que le labour avant la saison de pluie n'est pas possible à cause de la mauvaise condition des animaux de trait à la fin de la saison sèche (Dugue, 1985; Ohm et al., 1985).

Une autre contrainte à l'utilisation accrue de la traction animale pour les travaux de préparation de sol est le manque d'outils aratoires adéquats et peu coûteux pour les paysans. Les facteurs économiques qui peuvent mener à l'usage de la traction animale sont la croissance démographique et le rapport entre les coûts de production et les prix de revient. Par exemple, quand la densité de la population augmente, les périodes de jachères diminuent, le désouchage devient moins nécessaire libérant ainsi la main d'oeuvre pour la culture attelée si les conditions climatiques, édaphiques et topographiques le permettent. Dans les régions à pentes abruptes ou à couverture végétale très dense, l'usage de la traction animale est difficile. Il est également difficile d'enfouir de grandes quantités de végétation ou de résidus culturaux avec une simple charrue tirée par des animaux de trait. Les longues tiges de maïs ou de mil doivent être coupées en plus petits morceaux ou disposés à la surface du sol le long de la trajectoire à suivre, avant le travail du sol.

L'utilisation de la culture attelée dans le Sahel est recommandée pour réduire les besoins en main-d'oeuvre et augmenter la production. Par exemple, le sarclage avec la traction animale est 6 à 7 fois plus rapide que le sarclage manuel (Jaeger et Sanders, 1985). O'Neill et al., (1988) ont trouvé que la culture attelée avec un seul ou deux boeufs réduisait le temps de sarclage d'un champ de mil de 56 à 68% par rapport au sarclage manuel, que le labour à plat avec un boeuf était 33% plus rapide que le labour en billons, mais qu'il n'y avait pas de différence entre les types de labour avec une paire de boeufs dans la région de N'Dounga au Niger. Dans la région de Kolo au Niger, on a remarqué que le labour en billons cloisonnés augmentait les rendements de 82% par rapport au labour à plat. D'autres études au Burkina Faso et au Sénégal montrent d'importantes augmentations de rendements grâce au labour profond du sol (Nicou et Charreau, 1985; Dugue, 1985).

Le riz et le maïs qui sont généralement cultivés sur des terres relativement argileuses, ont des rendements 3 à 4 fois plus élevés que les autres cultures sur des terres plus sableuses. Il apparaît clairement que ces hauts rendements résultent de l'amélioration des propriétés physiques et chimiques du sol grâce au labour qui peut être aussi efficace que les engrais chimiques même en milieu réel.

Toutefois, l'effet du labour sans engrais est généralement de courte durée; la structure du sol améliorée entraînera une augmentation rapide des nutriments du sol mais les rendements se stabiliseront (ou seront plus faibles) après une ou deux saisons. Le labour comme mesure d'accroissement des rendements ne doit donc être considérée qu'avec des applications d'engrais et de fumier.

Conclusion

La densification de l'occupation de l'espace rural consécutive à la croissance démographique met en cause les complémentarités techniques entre l'agriculture et l'élevage et se traduit à moyen terme par une diminution des effectifs animaux, qui entraîne à son tour une baisse de la fertilisation animale et une dégradation des sols. L'élevage dans la zone soudano-sahélienne dépend très largement de la reproductivité des systèmes agro-pastoraux. D'autre part, la dégradation des parcs arborés consécutive à la remise en cause des modes traditionnels de gestion de l'espace agricole, et à la surexploitation des ligneux pour les besoins de plus en plus importants des populations humaines (bois de feu, bois d'oeuvre) et animales (pâturage aérien, clôtures) pourrait compromettre l'association souhaitée entre l'agriculture et l'élevage. En particulier, l'utilisation des résidus de récolte et même des excréments d'animaux comme combustible viennent en concurrence directe avec la valorisation des sous-produits de récolte en tant qu'aliments du bétail et fertilisation organique des terres cultivées.

Dans la zone soudanienne où on a obtenu des effets dépressifs des résidus organiques sur le rendement des cultures probablement dus à l'immobilisation de N dans le sol (Bationo et al., 1993), la stratégie serait donc transformer les résidus de récolte en compost ou en fumier. Dans la zone sahélienne, l'effort doit porter sur la méthode de gestion des résidus de cultures et du fumier afin de définir des périodes d'application permettant de synchroniser la minéralisation des éléments nutritifs avec les besoins des cultures. Dans la région la plus sèche du Sahel où les résidus de récolte laissés au champ peuvent augmenter les rendements, les options de gestion pourraient viser à accroître la production de la biomasse afin de satisfaire les besoins à la fois des animaux et du sol en résidus de culture.


Page précédente Début de page Page suivante