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Télédétection et modélisation hydrologique : quelle vision, quelle échelle, quels processus ?


Christian Puech, Laboratoire commun de télédétection CEMAGREF/ENGREF (LCT),

Maison de la Télédétection, Montpellier, France

Resumé

La modélisation hydrologique peut se faire selon divers niveaux d'agrégation, depuis une approche globale jusqu'à un schéma très finement distribué. L'utilisation de données issues de télédétection pose le problème de l'adéquation entre besoins de l'hydrologie (liés aux processus de ruissellement) et disponibilités en vision (description de surface). Plusieurs échelles de travail peuvent être utilisées, depuis la globalité du bassin versant en passant par le versant hydrologique et, bien sûr, le pixel issu des images de télédétection. L'approche spatiale incite à utiliser les tailles les plus fines, mais l'augmentation de complexité des modèles qui en résulte est souvent sans lien avec la qualité des résultats numériques.

Dans une première partie, ce document traite de considérations générales sur l'adéquation entre besoins de la modélisation hydrologique et disponibilités offertes par les images de télédétection, notamment sur l'importance de préserver une cohérence entre vision, processus et échelle, dont le changement peut perturber la validité des modélisations, concepts ou paramètres.

En deuxième partie est présentée une illustration de liaison à travers la cartographie des états de surface du Sahel effectuée dans le cadre du projet FAO pour la connaissance de débits. Sont décrits le choix des processus et de l'échelle de travail, le type de résultats et leur qualité ainsi que les problèmes rencontrés pour passer du pixel au bassin versant. Les écoulements de surface étant prépondérants, nous avons testé une modélisation de la fonction de production locale à l'échelle du pixel SPOT.

Abstract

Hydrological modelling can be done at various scale levels, from global to finely distributed models. Using remotely sensed data we have to link needs in hydrology (due to runoff processes) with possible viewing (surface description). Various scales are possible from the global basin itself, through sub-basins down to pixel. When using a spatial data approach, we are interested in small sizes, but narrower sizes give more complexity without better accuracy.

The first section gives general considerations about the links between hydrological needs and remote sensing possibilities, especially on scale dependence for runoff processes and equations.

The second section gives an illustration of the mapping of surface features in Sahelian countries carried out under an FAO project. We describe the choice of processes (surface runoff as a major process in Sahelian countries), hydrologic scale (pixel), results, quality and some problems due to scale effects from pixel to the whole catchment.


Introduction

L'utilisation de données issues de la télédétection pour la modélisation hydrologique conduit à réfléchir sur l'association de deux logiques de représentation du réel : la conception hydrologique d'une part et la description d'une surface d'autre part.

Ce rapprochement conduit à rechercher une base commune de représentation. Le choix des paramètres communs est délicat puisque la télédétection est limitée à la vision de la strate supérieure du sol et donc aux seuls paramètres de surface, tandis que les processus de ruissellement dépendent aussi des couches inférieures à la surface du sol. Il faut également prendre une échelle commune de travail soit le bassin versant dans sa globalité, soit le versant hydrologique ou encore le pixel issu des images de télédétection. Ces choix sont dépendants les uns des autres.

Chaque utilisation conjointe entre télédétection et hydrologie devra bien les préciser car ils ont des répercussions sur tout le schéma de modélisation. En particulier on devra définir les objets de recherche communs (versants, sous-bassins) dont le choix est fondamental pour les deux problématiques puisque d'une part ils définissent le type de processus hydrologique associé et d'autre part ils imposent un mode de description du terrain.

De grandes difficultés résident donc dans cette association. Pour tenter de mieux les cerner et pour proposer des méthodologies cohérentes, nous exposons tout d'abord quelques éléments de réflexion générale. Un exemple d'application au Sahel permet ensuite de les illustrer dans un cas concret.

Modélisation hydrologique et télédétection

Schéma général de liaison

Le rapprochement entre les données de télédétection et les modèles hydrologiques passent par des questions telles que : que voir ? pour quoi faire ?

La première interrogation porte sur la vision des objets telle que peut la donner la télédétection, ce qui peut se traduire par le choix des paramètres à déterminer et celui de leur échelle d'appréhension.

La deuxième interrogation concerne la modélisation qui cherche à décrire des comportements élémentaires, ou processus hydrologiques. Ceux-ci se basent sur des équations et des paramètres hydrologiques qui dépendent énormément de l'échelle de travail.

Ainsi, d'une part l'échelle de travail apparaît comme un troisième terme, d'autre part les trois termes vision, processus et échelle apparaissent en grande interdépendance (figure 1). En effet vision et processus sont directement liés à l'échelle, mais sont aussi liés entre eux dans la mesure où le regard que l'on porte sur un bassin versant dépend du type de processus que l'on veut modéliser. Ces trois termes ne peuvent être définis séparément quand on veut préciser une application raisonnable.

Il faut par ailleurs noter l'écart entre les jeux de paramètres que peut fournir la télédétection et ceux requis par les modélisations hydrologiques. On souhaiterait, bien sûr, que cette nouvelle source de données soit directement utilisable par les modèles. Or, la télédétection procure des cartographies de paramètres de surface (occupation du sol, indice de végétation, température de surface (Ts) ou un signal radar), que l'on peut appeler "primaires" dans la mesure où ils ne peuvent être intégrés directement dans les modèles hydrologiques.

Si l'on veut vraiment les introduire dans une modélisation, ils doivent être transformés en paramètres plus pertinents pour la thématique. Une loi de transformation, délicate et pas toujours réalisable, doit leur être associée. On peut citer les transformations de Ts (température de surface) en ETR (évapotranspiration) selon des modèles radiatifs simplifiés (Seguin et al., 1994) ou encore l'estimation du coefficient de ruissellement en zone sahélienne (Puech, 1993) par liaison statistique avec les données de terrain.

FIGURE 1

Schéma de liaison télédétection / thématique

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Bien gérer la liaison entre télédétection et modélisation hydrologique se présente comme une adaptation des possibilités de vision spatialisée (éléments disponibles par télédétection) aux besoins de la modélisation hydrologique (informations requises par l'hydrologie). Pour une bonne liaison, au-delà de la vision et des processus, l'échelle de travail paraît à la fois l'élément de choix le plus immédiat et le terme central de la problématique. Ce sera donc le point d'entrée de notre présentation. Les choix possibles sont représentés à la figure 2.

FIGURE 2

Les échelles possibles pour chaque approche

Echelles et informations requises par la modélisation hydrologique

Côté hydrologie, les échelles possibles sont :

Les modèles globaux qui sont empiriques, statistiques ou conceptuels : la détermination des types d'écoulement est souvent obtenue par des schémas éloignés de la physique, de type semi-physique (exemple : réservoirs) ou boîte noire.

Les modèles distribués ou maillés qui correspondent à un découpage de l'espace en cases élémentaires entre lesquelles on va modéliser les échanges hydrauliques. Le niveau de résolution le plus grossier, dit "semi-distribué", correspond sensiblement aux sous-bassins. On décompose souvent l'approche hydrologique en une fonction de transfert signifiant "délais, temps de parcours de l'eau jusqu'à l'exutoire", basée essentiellement sur des schémas de propagation hydraulique, et une fonction de production associée au "volume écoulé".

Les modèles finement distribués qui se rapprochent de ce que l'on appelle la modélisation physique. Chaque transformation ou mouvement élémentaire de l'eau est décrit : infiltration, évaporation, ruissellement de surface, écoulement de sub-surface, etc. Plus la modélisation s'affine, plus les processus élémentaires deviennent nombreux impliquant une multiplication des équations et des paramètres associés.

La dernière échelle hydrologique qui est locale ; elle correspond aux mesures élémentaires et aux essais de laboratoire où sont bien définis phénomènes, équations et processus élémentaires. Cette échelle est rarement utilisable en modélisation quand on s'intéresse à un bassin versant.

Les informations requises par l'hydrologie dépendent de la modélisation choisie, du type de débit recherché (crue, apport annuel ou étiage) et du pas de temps de mesure. Les choix du type de modélisation et des processus sont donc fortement fonction de l'échelle (tableau 1).

TABLEAU 1

Echelle de modélisation hydrologique et processus associés

ECHELLE PROCESSUS PARAMETRES MODELISATION
Globale · Réservoirs · Paramètres moyens (pluie, ruissellement, ETR)

· Surface, indices de pente, de forme

· Epaisseur de sol

· Conceptuelle

· Statistique

· Empirique

Semi-distribuée Séparation entre :

· Parcours de versant

· Réseau de drainage

· Occupation du sol

· Surface, pente, longueur du versant

· Semi- déterministe
Finement distribuée · Pluie spatialisée

· Interception

· Evapotranspiration

· Ruissellement de surface

· Ruissellement de sub-surface

· Infiltration

· Epaisseur des sols

· Végétation

· Type de sols

· Coefficients d'infiltration de perméabilité

· Pente azimut de la case élémentaire

· Déterministe

· Physique

Il faut en outre remarquer que les données facilement disponibles du point de vue hydrologie sont soit globales soit ponctuelles; celles concernant les versants sont rares et peu régionalisables.

Echelles et paramètres disponibles par télédétection

La vision impose tout d'abord une résolution minimale, le pixel. Il peut être important de noter que l'agrégation des données est relativement facile au niveau radiométrique : on peut passer aisément du pixel à des groupes de pixels sur l'ensemble du bassin versant. Plus délicate est l'agrégation d'objets ou de paramètres de détection, car en dépendance d'échelle.

Cette vision impose en outre une limitation à la couche supérieure de la terre qui restreint le champ des paramètres disponibles aux termes de surface. Seules les strates supérieures sont discernables et les éléments de sol (épaisseur, texture) sont exclus.

Prenons quelques exemples :

· On peut s'intéresser à des écoulements de surface selon le schéma dit de Horton, qui explique les ruissellements par refus à l'infiltration au-delà d'une certaine intensité de pluie. Dans ce cas les "états de surface " deviennent pertinents et intéressants à décrire. La surface peut être décrite, à partir de données de télédétection, et découpée en classes plus ou moins propices au ruissellement.

· Si l'on suppose que les écoulements sont gérés par l'approche dite des "aires contributives", le repérage des zones saturées devient alors prépondérant. Ceci peut entraîner des recherches d'index topographiques définissant les potentialités de saturation : l'espace est alors découpé selon le relief en utilisant les modèles numériques de terrain.

· On peut aussi chercher des indices plus physiques à intégrer dans les modèles : évapotranspiration (à partir de données thermiques) ou humidité des sols (à partir de données radar).

Quelle échelle commune ?

Le choix des paramètres utiles et des éventuels découpages de l'espace dépend donc fortement du type de représentation que l'on cherche à décrire. En pratique, trois cas de tailles de calcul peuvent s'envisager : pixel, global ou intermédiaire

Solution pixel

La résolution de calcul permettant une bonne modélisation hydrologique est, a priori, différente du pixel pour deux types de raisons : des raisons pratiques pour limiter le nombre de cases élémentaires et donc les temps de calcul informatique ; des raisons plus conceptuelles car les objets pertinents au point de vue modélisation hydrologique sont rarement compatibles avec les pixels : forme non carrée et taille a priori différente. Ainsi la taille du calcul élémentaire sera généralement supérieure au pixel, après regroupements, pouvant aller jusqu'au bassin dans sa globalité.

Toutefois, dans des cas particuliers, le pixel satellite peut être une base de calcul : c'est le cas des zones où les ruissellements de surface sont prépondérants (processus de Horton). L'état de la surface du sol est alors un élément fondamental du ruissellement à caractériser finement. Ce processus est reconnu comme prépondérant dans les zones sahéliennes du fait de la présence de croûtes de battance qui imperméabilisent la surface (voir au paragraphe application).

Niveau global

Le niveau global correspond à la plus classique et la plus opérationnelle des approches utilisant modèles et télédétection. Le schéma est simple : les paramètres globaux sont obtenus par simple moyenne des informations recueillies en surface. Des essais intéressants ont été effectués sur la température de surface et l'évapotranspiration, et débutent sur l'humidité moyenne du bassin. L'intérêt de l'approche globale concerne surtout la variation temporelle de coefficients qui sont recherchés à travers des images météorologiques, à basse résolution spatiale (images NOAA), pour définir des chroniques des paramètres rapidement variables.

Modèles distribués ou maillés

L'utilisation d'images à haute résolution spatiale, en raison de sa présentation finement maillée, pousse à des couplages avec des modèles distribués, c'est-à-dire au choix d'une taille de calcul intermédiaire entre le pixel et le bassin : par découpage en cases régulières ou irrégulières. Quelques exemples de découpages de l'espace sont basés sur des considérations hydrologiques (lignes topographiques de Moore et al., 1988 ; toposéquences et parcelles de Rissons, 1995). Ces solutions font appel à des considérations de zones homogènes qui doivent être cohérentes à la fois du point de vue hydrologique (versants ou entités hydrologiquement intéressantes) et du point de vue description (même occupation du sol, même morphologie).

L'approche maillée essaie de caractériser et de tenir compte des différences internes au bassin versant, renseignements localisés qui peuvent servir pour des scénarios d'aménagement ou des régionalisations. On pourrait penser a priori que la description fine de ce qui se passe dans le bassin va augmenter la précision des calculs. Or de nombreux écueils tempèrent cette vision : multiplication des équations, des paramètres (modèle déterministe européen - SHE model - sur le bassin de la Wye qui utilise 2 400 paramètres), impossibilité de validation des écoulements élémentaires par manque d'observations locales, risque d'obtenir des schémas conformes numériquement mais faux du point de vue conceptuel ("il ne suffit pas qu'un modèle donne de bons résultats pour être bon ; il faut aussi que ce soit pour les bonnes raisons" (Klemes, 1986)), utilisation à une échelle quelconque de schémas numériques élaborés à d'autres échelles. La liste est longue ...

Ainsi, complexité ne signifie pas qualité. Au point de vue des résultats numériques à l'exutoire, les modèles distribués ne donnent pas de résultats significativement meilleurs que les modèles globaux, parfois même ils sont moins précis. L'intérêt de ces modèles maillés n'est pas dans une amélioration de la qualité mais dans une meilleure compréhension des cheminements de l'eau (à condition de pouvoir valider) et, surtout, dans les études en scénarios.

L'utilisation de données venant de la télédétection ne vient que rajouter des incertitudes sur la qualité des paramètres décrits et sur leur adaptation au problème. Nous avons déjà mentionné que les paramètres obtenus, primaires, doivent d'abord être transformés en paramètres plus hydrologiques. L'hydrologie voudrait des informations sur les coefficients d'infiltration ou d'interception locale, alors que la télédétection ne fournit que l'occupation du sol ou la morphologie. Pour préciser ces transformations, des recherches fondamentales restent à mener concernant par exemple l'effet numérique de l'occupation du sol et de la morphologie sur les écoulements.

Le changement d'échelle en modélisation : changement de processus et de paramètres

La modélisation maillée implique aussi de s'intéresser à deux problèmes liés au changement d'échelle : un problème d'agrégation et un problème de dépendance d'échelle.

Agrégation

Si nous nous rappelons que le but de l'hydrologie opérationnelle est de définir des débits à l'exutoire de bassins, alors, dans toute approche maillée, il y a nécessairement une phase d'agrégation de l'information, qui repose sur l'additivité des comportements, soit implicitement soit de façon plus complexe à travers la modélisation.

Cette additivité pose le problème essentiel au niveau de la pertinence du découpage et des paramètres descripteurs associés. Dans le cas de ruissellements de surface, l'additivité des écoulements élémentaires est, a priori, possible depuis des tailles de calcul très fines : la somme de chaque case donne un bon index de l'écoulement global à l'exutoire. Dans le cas de ruissellements par infiltration, l'additivité est plus problématique. La somme des écoulements élémentaires définis sur des zones trop exiguës peut ne pas être explicative de l'écoulement global. Il en découle que l'agrégation des cases et donc des écoulements dépend de la taille de calcul (résolution de calcul) : elle est impossible en deçà d'une seuil dont la valeur dépend des processus élémentaires observés sur le terrain.

Dépendance d'échelle : une limitation des approches distribuées

La dernière précaution à prendre pour une bonne cohérence concerne la dépendance d'échelle qui touche les variables, les processus ainsi que les équations qui les définissent.

Pour ce qui est des variables, on observe une forte dépendance d'échelle touchant la précision et la signification des paramètres. Par exemple, la pente change non seulement de valeur mais aussi de signification quand change la résolution de calcul (Puech, 1993). Une forte dérive s'observe, mais on utilise toujours le même terme pente pour ce qui est mesuré, en résolution 20 m ou 1 km. Le danger est d'utiliser ensuite sans précaution ces variables dans des modèles uniques, établis à une échelle particulière. Or, ces mêmes dérives s'observent pour toutes les variables : quel est, par exemple, le lien entre une température de surface ponctuelle et la température de surface estimée sur 1 km² ?

On observe le même phénomène de dépendance d'échelle pour les processus et les modélisations potentielles. Développées au laboratoire elles ne sont souvent plus valables à une échelle plus globale. Beven (1989) introduit la notion de saut conceptuel : on passe d'une loi étudiée et validée à une échelle stationnelle (laboratoire) à l'échelle d'une maille sans préalable théorique. Les modélisations dites déterministes les utilisent toutefois sans état d'âme, sans se poser le délicat problème de leur validité. Ce qui conduit à des schémas critiquables.

On peut en donner des exemples triviaux, avec des abus manifestes. Ainsi de nombreuses modélisations maillées proposent l'application brutale, à l'échelle d'une maille de plusieurs dizaines de mètres, de l'équation de Manning Strickler pour déterminer l'écoulement de surface. Or cette équation exprime les écoulements en rivière à partir de la section mouillée et de la pente de la ligne d'eau. Un coefficient de freinage exprime la rugosité des parois. Dans les modèles maillés, cette équation est souvent utilisée pour caractériser les écoulements de surface supposés en nappe sur une surface d'un pixel ou plus. Cette utilisation est abusive par suite de nombreuses déviations par rapport aux hypothèses d'application dont les plus importantes sont :

· la non-signification des paramètres d'une section mouillée de quelques millimètres d'épaisseur,

· l'impossibilité d'observer le schéma en nappe régulière sur le terrain ; même sur des distances moyennes, les nappes se regroupent rapidement en filets préférentiels multiples au bout de quelques mètres (Planchon, 1991).

Enfin, le coefficient de rugosité est même parfois estimé à partir du NDVI, indice de végétation satellitaire (Gros, 1995). Or celui-ci caractérise davantage la strate arborée ou la végétation haute que des paramètres expliquant le freinage à l'écoulement.

Ainsi les équations physiques développées en laboratoire sont dépendantes d'échelle ("scale dependant") et leur intégration dans ces modèles est à la limite de l'acceptable. Les équations utilisées deviennent, à la rigueur, utilisables si elles ont été calées localement, mais l'approche n'a plus rien de physique. Le minimum serait d'utiliser un langage prudent : ne plus parler d'écoulement "selon Manning", mais parler d'équations équivalentes tout juste bonnes à représenter numériquement les écoulements, en attendant mieux.

Conclusion

Le choix d'une modélisation hydrologique repose donc sur le trio : échelle, vision, processus.

Toutes les échelles sont bonnes et pertinentes a priori, mais il faut arriver à un équilibre correct entre échelle, données et concepts, vu leur interaction. La précision et l'intérêt de l'utilisation sont à ce prix.

La modélisation maillée repose sur la notion de zone homogène hydrologique, en référence avec la description d'un processus. On en vient à proposer une taille minimale (ou optimale) pour la représentation et la caractérisation de l'espace pour un processus donné. Un des critères de possibilité d'utilisation de la télédétection pour la modélisation hydrologique concerne alors la taille des objets visuels qu'elle permet de décrire, objets qui doivent être de taille semblable à celle des objets hydrologiques expliquant le phénomène.

Des points importants en résultent, notamment lors de la rupture de cet équilibre : quand les processus changent ou que l'échelle d'appréhension change, il faut redéfinir la modélisation. Le chapitre suivant constitue un exemple de rupture de cet équilibre : si les processus changent de nature, la modélisation peut devenir inopérante ou fausse.

Exemple d'application au sahel, cartographie des potentialités de ruissellement

La cartographie des états de surface du Sahel effectuée dans le cadre du projet FAO sur la connaissance de débits de crue illustre ces propos. Le but est d'estimer le débit du bassin versant à partir de cartographies des états de surface.

Particularités des processus de ruissellement dans les régions sahéliennes : choix préalables

Dans les régions sahéliennes et soudano-sahéliennes, on peut partir de l'hypothèse que le ruissellement est globalement déterminé par la présence à la surface du sol d'une fine couche imperméable dite "croûte de battance" qui apparaît au début de la saison des pluies du fait de l'agressivité du climat. La pluie tombant à la surface du sol ne s'infiltre pas en totalité mais ruisselle, car la capacité d'infiltration est rapidement atteinte. C'est le schéma de Horton.

Ainsi, la couche de surface explique à elle seule une grande part de la transformation de la pluie en ruissellement : les "états de surface" apparaissent comme l'élément moteur et déterminant des écoulements [1], [2]. Comme, par ailleurs, le sol est visible pendant la saison sèche, ces deux "qualités" des couches de surface rendent a priori particulièrement intéressantes les images de télédétection pour la définition des écoulements.

De plus, les essais de simulation de pluie ont permis de définir des "états de surface type" à partir d'éléments de 1 m² et de leur contexte immédiat et de leur associer une équation hydrodynamique. La cellule de base pour caractériser les ruissellements est donc a priori correcte à 1 m². La résolution satellitaire haute résolution propose une vision de taille supérieure (20*20 m ou 30*30 m). A cette échelle (pixel), les écoulements de base sont déjà différents de ce qui est observé au m² : il n'y a plus d'écoulement en nappe car, dans la plupart de cas, des rigoles préférentielles se sont formées. Ce rassemblement en rigoles rend très vite indépendantes les zones élémentaires de production ; étant indépendantes les productions peuvent être alors supposées quasi additives. Dès lors, la production totale d'un pixel est pratiquement égale aux productions définies à l'échelle du m², au prorata de sa surface. Ainsi, le pixel apparaît souvent une bonne échelle de caractérisation de ces états de surface.

Notre choix s'est donc porté sur une modélisation de la fonction de production locale à l'échelle du pixel. La transformation des plans primaires issus de la télédétection en plans utiles quantifiés est effectuée sur la base des expérimentations de simulation de pluie.

Méthode

Simulation de pluie et équations hydrodynamiques

Ces présentations ont déjà été faites, notamment dans [1], [2]. Nous n'en donnerons que les éléments principaux. Chaque état de surface élémentaire est susceptible de présenter une lame ruisselée Lr définie par l'équation hydrodynamique suivante :

Lr = a.P + b.P.Ik + c.Ik + d (1)

où a, b, c, d sont des coefficients dépendant de l'état de surface. P est la pluie. Ik est l'indice d'humidité de Kohler, calculé à chaque jour de pluie en fonction de l'indice précédent (Ik-1), de la dernière pluie observée (P) et du nombre de jours écoulés (dt) depuis cette dernière pluie. Ik est calculé comme suit :

Ik = (Ik-1 + P).e-x.dt (2)

où x est un facteur d'atténuation généralement estimé proche de 0.5.

Cartographie des états de surface

La première étape concerne la transformation des images de télédétection en différentes couches expliquant le paysage ; les caractères décrits sont un compromis entre ce qui peut être vu dans les images et ce qui est nécessaire pour les explications du ruissellement. Cette description exige :

· la cartographie totale du bassin (non seulement les zones cultivées mais aussi les zones naturelles, telles que forêts dégradées, savanes, etc.),

· la cartographie des caractères liés aux potentialités de ruissellement.

Nous avons déjà indiqué que la surface du sol est prédominante pour l'explication du ruissellement. C'est pourquoi nous avons choisi une image de saison sèche (période avec une végétation pauvre) pour observer la surface du sol et la végétation permanente. Les critères descriptifs suivants ont été choisis:

· V pourcentage de végétation

· C pourcentage de terre cultivée

· S type de sol

Ces critères sont quantitatifs (V and C) et qualitatifs (S). Nous avons utilisé une classification supervisée basée sur des observations de terrain, relevées selon des transects de 2 000 m en utilisant des carrés élémentaires de 100m*100m. Un repérage précis de position a été facilité par l'emploi de GPS, appareil très utile dans ces zones sans relief et sans repères au sol. Pour un bassin de 30 km², cinq à dix transects le long de petites pistes ont été décrits.

Une bonne détermination des critères a été obtenue en utilisant une seule image, ceci grâce aux nombreux canaux (7) de LANDSAT TM. L'indice de végétation NDVI (pour le plan végétation) et l'indice de brillance IB (pour les plans des sols et des zones cultivées) ont été les canaux les plus utiles.

Obtention des cartes de ruissellement local

La seconde étape concerne la transformation de ces plans élémentaires en classes d'états de surface et donc en classes de comportement hydrologique.

Les informations de ruissellement sont tirées du Catalogue des états de surface élémentaires du Sahel (Casenave et Valentin, 1989). Ce catalogue permet de classer chaque état de surface dans un groupe appelé ESE (état de surface élémentaire) à partir de quelques éléments descriptifs de la surface. A chaque ESE est associée une équation hydrodynamique spécifique (Eq. 1).

On ne peut déterminer directement les ESE sur image, car la grille de décodage contient des descripteurs non surfaciques, par exemple le nombre de micro-horizons de la couche supérieure du sol. Aussi avons-nous utilisé une approche statistique : sur les transects, chaque carré de description (100m*100m) ayant également fait l'objet d'un classement en ESE, on a tiré un lien statistique avec les données primaires de végétation (V), sol (S), pourcentage de cultures (C). Cette correspondance permet de transformer les trois plans de base (V,S,C) en un plan unique donnant les numéros de classes ESE pour chaque pixel. Enfin à chaque numéro de ESE correspond une équation hydrodynamique (1) qui associe à toute pluie P la valeur de la lame ruisselée Lr.

La carte résultante représente le "ruissellement local (ou potentiel)".

Résultats et discussion

Cette méthodologie a été appliquée sur plusieurs bassins versants du Sahel (Sénégal et Burkina Faso). A partir des productions locales est calculée la production globale sur le bassin, valeur qui peut être comparée aux observations in situ.

Agrégation pour tout le bassin

Le passage du local au global nous ramène à des problèmes d'échelle. Les clefs de l'interprétation dépendent des processus physiques. Si le ruissellement de surface est généralisé, on a vu que le rassemblement en rigoles impliquait une additivité des productions. La lame ruisselée globale Lr est alors calculée au prorata des surfaces. Ainsi chaque partie du bassin contribue proportionnellement au ruissellement sans tenir compte de sa position dans le bassin. La lame calculée Lr peut être comparée aux observations in situ (Lrobservée) en utilisant le ratio :

r = Lrobservée / Lr (4)

où r représente un facteur d'échelle et est proche de 1 si l'additivité est acceptable. En zone sahélienne, r varie en général entre 0,5 and 1, avec une moyenne proche de 0,80.

Résultats comparés

Les résultats obtenus sur le bassin versant de Thyssé Kaymor au Sénégal sont représentatifs d'un premier ensemble de comportements. Dans ce groupe, où la zone cultivée représente près de 75% du bassin, les résultats obtenus sont très cohérents et indiquent une bonne adéquation de la méthode. On donne à la figure 3 les plans obtenus sur les bassins de Ndiba

(16 km²), et de Keur Samba Diama (76 km²). Les images de base sont des LANDSAT TM de novembre 1990, les données de terrain ont été relevées à la même saison en 1992. Les rapports observé/calculé sont respectivement de r=0,47 and r=0,90. Ceci est en accord avec une légère baisse à attendre entre le chiffre de production locale et la valeur globale. Les hypothèses semblent confirmées, tant sur le choix hydrologique que sur la représentativité de la taille de travail, le pixel.

Un deuxième ensemble de bassin est plus problématique. Il s'agit des bassins soudaniens de Ndorola au Burkina Faso. Là, certaines des valeurs de r tombent en dessous de 0,05, ce qui indique que l'agrégation n'est plus acceptable [5]. La méthode atteint ses limites.

Dans cette zone les cultures n'occupent que de 15% à 20% du bassin, sur une zone centrale de type bas-fond. Les zones extérieures sont des plateaux cuirassés et de longs glacis en pente régulière rejoignant les bas-fonds. L'analyse que nous avons pu faire de cette zone remet en cause la pertinence de la simulation de pluie pour toute la zone plateau, et en moindre mesure pour les glacis. Pour ces plateaux en particulier, l'eau ruisselée est généralement perdue avant d'arriver à la plaine : le ruissellement global est quasiment nul.

Ainsi, dans cette zone, les hypothèses initiales sont remises en question et toute la chaîne de détermination s'écroule :

1. les processus élémentaires choisis ne sont plus acceptables;

2. l'échelle pertinente de détermination hydrologique ne peut plus être ni le m² ni le pixel, mais le plateau tout entier (Q=0) : la maille correcte vis-à-vis du phénomène étudié a changé de taille;

3. la vision ou détermination à partir d'image de télédétection n'a plus d'intérêt au niveau du pixel mais doit définir plateaux, glacis et bas-fond. C'est uniquement dans la zone de bas-fond que l'approche pixel retrouve son intérêt.

Les calculs repris en imposant une production nulle sur plateaux et glacis et en ne gardant que la zone de bas-fond dans les équations fournissent des résultats globaux cohérents.

En conclusion, dans une même région, voire dans un même bassin, les processus peuvent être différents selon les zones. L'approche, valable dans une partie, peut être mise en défaut dans l'autre. Ce sont toujours les processus qui dirigeront notre choix final de couplage et d'hydrologie, et la généralisation est difficile. Pour peu que les processus changent de physionomie, les autres termes du couplage sont mis en défaut.

Conclusion

L'un des écueils de l'utilisation de la télédétection par satellite est de se laisser guider par la résolution de l'image. Il faut en effet opposer la taille de la vision (résolution de l'image) et la taille du calcul qui doit être guidée par des considérations physiques sur le phénomène à étudier.

Nous avons développé l'idée que le choix initial de la modélisation doit se fonder sur des considérations hydrologiques. Une échelle de travail doit être choisie en fonction de processus cohérents avec cette échelle et avec le contexte. Les données de télédétection doivent s'associer à ce schéma, sur la base d'une vision pixellaire ou agglomérée.

Un exemple d'application au Sahel montre que d'un bassin à l'autre les choix des processus peuvent être remis en question et conduire à des erreurs de modélisation. Il en ressort alors des idées de résolution optimale de modélisation en fonction des processus réels et de l'approche modélisatrice, à rapprocher de notions similaires en télédétection. Cette résolution peut être variable d'une zone à l'autre du même bassin versant et conduit, en théorie, à des approches modélisatrices non homogènes.

Bibliographie

Beven, K. 1989. Changing ideas in hydrology. The case of physically based models. Journal of hydrology, 105(1989), pp 157-172.

Casenave et Valentin. 1989. Les états de surface de la zone sahélienne. Influence sur l'infiltration. Editions de l'ORSTOM, collection didactiques. Paris, 226 p.

DM2E. 1995. Projet européen sur érosion et désertification en zone méditerranéenne. CEMAGREF. Aix-en-Provence.

FAO. Calcul des débits de crue en zone sahélienne. (Manuel à paraître).

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