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Production rurale: tendances, problèmes et enjeux du développement socioéconomique

Au cours des 10 dernières années, les populations agricoles et rurales des pays en développement ont été touchées de manière plus intense et plus directe par toute une série de nouveaux processus apparus dans un contexte mondial en mutation rapide. La mondialisation et la libéralisation du commerce ont donné lieu à une intégration plus importante des économies rurales, aussi bien sur le marché national qu'international. Les populations rurales sont aujourd'hui confrontées à des conditions de production régies par les lois du marché, conditions qui sont plus dynamiques et donc moins prévisibles. La réaction des populations rurales aux incertitudes et aux risques devient quant à elle également moins prévisible, mais de plus en plus décisive en tant que facteur économique. Pour suivre le rythme de la transformation rapide des marchés mondiaux, les marchés du travail agricole ont également subi des modifications et sont devenus plus dynamiques. Du fait des contraintes à la production, de nombreux agriculteurs migrent aujourd'hui vers les villes en quête d'un travail pour essayer d'optimiser leur accès aux ressources rares et d'améliorer la vie de leur famille. Pour ceux qui restent en milieu rural, l'accès à des revenus en espèces et à des salaires devient aussi difficile que l'accès à la terre (ECOSOC, 1999a).

ACCROISSEMENT DE LA DEMANDE ALIMENTAIRE ET INTENSIFICATION DE L'AGRICULTURE

Les projections démographiques des Nations Unies (ONU), étayées par les résultats de l'Institut international de recherche sur les politiques alimentaires (IFPRI), semblent indiquer qu'au cours des 20 prochaines années, la population rurale sera encore supérieure à la population urbaine dans les pays en développement. En outre, les besoins alimentaires pourraient bien doubler dans les trois décennies à venir (Banque mondiale, 1999a). Étant donné que dans ces pays, la croissance économique est en corrélation avec la croissance agricole (FAO, 1998), les pressions exercées pour accroître la production agricole, et donc la productivité, seront énormes dans les années à venir. La production des terres cultivées devra presque doubler pour assurer, de manière durable, les approvisionnements alimentaires nécessaires (Banque mondiale, 1999a).

Parmi les facteurs susceptibles de contribuer à l'intensification et à l'accroissement de la productivité agricole, on trouvera probablement: la recherche et l'établissement de bases de données appuyant la recherche; les nouvelles technologies; la mise en valeur des ressources humaines rurales, y compris la main-d'oeuvre agricole (en ciblant les opérations agricoles sur petite et moyenne échelles); et l'utilisation d'enceintes publiques pour favoriser le débat sur les questions politiques. Tous ces développements déstabiliseront manifestement la division du travail en vigueur dans les zones rurales et auront des conséquences importantes sur les relations hommes-femmes aux niveaux sous-national et national.

Selon des études récentes, les travailleurs ont accès à des emplois plus diversifiés lorsqu'ils abandonnent l'agriculture et la production de subsistance au profit d'un emploi rémunéré dans les secteurs de la transformation et des services (Mehra et Gammage, 1999). Cependant, cette tendance ne se traduit pas nécessairement par une croissance robuste du secteur agricole. Tôt ou tard, les planificateurs seront confrontés à la question de savoir quelle est la meilleure façon d'investir dans la productivité des ressources humaines restantes et comment optimiser cette productivité.

SÉGRÉGATION SPÉCIFIQUEMENT LIÉE AU SEXE ET PRODUCTIVITÉ DE LA MAIN-D'OEUVRE

Il semble y avoir d'importantes déviations spécifiquement liées au sexe dans la tendance générale de l'abandon de l'agriculture par la main-d'oeuvre. Dans la plupart des pays en développement, la féminisation en légère hausse de la main-d'oeuvre agricole pourrait refléter le fait que les femmes ont du retard sur les hommes et abandonnent plus lentement l'agriculture (Mehra et Gammage, 1999). De plus, les femmes ont tendance, plus souvent que les hommes, à travailler dans des postes à basse productivité, en particulier celles qui restent dans le secteur agricole.

Considérer les travailleurs comme une ressource importante pour le développement agricole est avantageux au plan économique. Les pertes d'efficacité liées à la ségrégation sexuelle dans les travaux agricoles pourraient se traduire par une réduction de la production totale à cause de la mauvaise affectation de la main-d'oeuvre et de la sous-utilisation des compétences existantes liées aux spécificités des sexes (par exemple, l'expertise traditionnelle des femmes dans la gestion des ressources phytogénétiques) ou même par une perte totale de ces compétences. Selon les estimations effectuées par des experts sur l'efficacité de la main-d'oeuvre, la réduction de la ségrégation sexuelle n'est pas seulement une question de justice distributive. En effet, elle peut aussi avoir des effets bénéfiques tant sur les hommes que sur les femmes en termes d'amélioration du bien-être (voir Tzannatos, 1999, qui soutient que «la part du gâteau augmente lorsque les femmes exigent une part supérieure»). Dans cette perspective, les interventions au niveau des politiques, pour améliorer la productivité des femmes, pourraient inclure davantage d'investissements au bénéfice des femmes en tant que productrices agricoles et une réorganisation de la division du travail fondée sur le sexe.

LES FEMMES DANS LA MAIN-D'OEUVRE AGRICOLE

En 1997, dans l'ensemble des pays en développement, l'agriculture représentait quelque 63 pour cent de l'emploi féminin total (voir tableau 4, p. 14); il s'agit encore du secteur le plus important pour l'emploi des femmes en Afrique subsaharienne et en Asie. En même temps, la part du travail effectuée par les femmes dans le secteur informel reste élevée, que ce soit en milieu rural ou urbain. Les activités informelles fournissent de quoi subsister (en espèces ou en nature) à plus de 80 pour cent des femmes des pays à faible revenu et à 40 pour cent de celles des pays à revenu moyen. L'ensemble de ces pays représente 85 pour cent de la population mondiale (Chen, 1999; Mehra et Gammage, 1999). Néanmoins, ce type de travail n'est généralement pas reconnu car le secteur informel (dans et en dehors de l'agriculture) est souvent considéré comme une catégorie «résiduelle» qui serait de courte durée et qui, en plus, ne contribuerait pas de façon significative à l'économie nationale en termes de production. Les recherches des dernières années indiquent que la main-d'oeuvre agricole féminine est souvent fort sous-estimée. Par exemple, en 1994, l'Organisation internationale du travail (OIT) a mis en évidence l'écart entre les taux d'emploi enregistrés en Inde lorsque l'on se fonde sur une définition du travail dans le sens le plus étroit du terme et non pas sur une définition au sens large. Cet écart était de 75 pour cent pour la main-d'oeuvre féminine. En République dominicaine, le recensement de 1981 a estimé à 21 pour cent le taux de travail des femmes rurales. Trois ans plus tard, une enquête spéciale incluant les activités telles que le maraîchage et les soins aux animaux dans la définition du terme «travail» a porté ce chiffre à 84 pour cent (Tzannatos, 1999).

DIMENSION SOCIALE

Avec la mondialisation, les planificateurs ruraux se trouvent confrontés à la difficulté de rendre compte (et de tenir compte) des effets indirects des facteurs sociaux sur les processus économiques. Par exemple, comment les pays à faible revenu peuvent-ils se permettre de considérer comme une priorité de développement la croissance de l'agriculture commerciale (qui demande des infrastructures onéreuses) alors qu'une grande partie de la population rurale reste soumise à une productivité peu élevée de la main-d'oeuvre dans l'agriculture de subsistance, population qui est donc candidate à l'emploi (ou au chômage) urbain dans un avenir proche? En effet, les agriculteurs (surtout les femmes) pratiquent des cultures vivrières pour garantir leur sécurité alimentaire mais, s'ils ne disposent pas d'un revenu complémentaire, ils ne peuvent pas participer directement au développement et en tirer profit.

Comment les deux processus de développement - l'expansion industrielle des cultures commerciales et l'agriculture de subsistance - peuvent-ils être combinés sans se gêner mutuellement? Pour cela, il pourrait être nécessaire de cibler certaines populations pratiquant l'agriculture de subsistance par des programmes spécifiques au service de la durabilité et de la croissance (tels que la mise en place de microentreprises). Ou encore, serait-il bon d'apprendre à évaluer le travail invisible des stratégies d'affrontement et les bénéfices utilisés de façon informelle par les agriculteurs?

En ce qui concerne les femmes, les programmes d'ajustement structurel ont engendré des forces «de recul» supplémentaires. Un rapport récent du Secrétaire général des Nations Unies sur la promotion des femmes rurales souligne que la mondialisation et la libéralisation du commerce pourraient apporter plus de difficultés que d'avantages aux femmes rurales et cela, du fait de la réduction de l'aide internationale et donc de la diminution des budgets sociaux nationaux dans les pays les plus pauvres du monde (ECOSOC, 1999a). Le désinvestissement des capitaux de la sphère sociale pourrait avoir eu des conséquences sur les conditions de travail des femmes en ajoutant des contraintes supplémentaires liées à leurs rôles dans le ménage. Par exemple, il est probable qu'un budget inférieur pour la santé se traduise par une augmentation des fonctions des femmes en matière de soins à donner. Quant au désinvestissement de l'infrastructure communautaire, notamment les systèmes d'approvisionnement en eau, il mènera probablement à une augmentation des travaux ménagers des femmes. Dans la planification du développement, il est d'une importance cruciale de définir la population cible (selon le sexe, l'âge, le secteur de production agricole et le type d'occupation/de travail) par rapport aux objectifs de développement. Néanmoins, cela ne pourra se faire si les planificateurs ruraux continuent à fonder leurs décisions sur des données relatives aux apports et aux produits physiques, tout en faisant fi de la perspective des ressources humaines: la contribution du travail humain et les dimensions sociales de l'agriculture.

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