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Blian et perspectives de diffusion de la maïsiculture en zone de savane d'Afrique de l'Ouest

Jean-Louis FUSILLIER
Département des cultures annuelles, CIRAD, Montpellier, France

Résumé. L'expansion du maïs est intervenue à la fois dans son aire de culture traditionnelle, la zone de savane méridionale, et par diffusion vers le nord, en substitution au mil-sorgho qui constituait alors la céréale principale. La diffusion du maïs n'apparaît toutefois pas généralisée à l'ensemble de la zone de savane d'Afrique de l'Ouest; elle accompagne généralement l'expansion du cotonnier. Les caractères de productivité et de précocité du maïs ont motivé l'intérêt des producteurs, bien que le maïs soit davantage risqué que le mil-sorgho du fait de sa sensibilité à la sécheresse. Les sociétés d'encadrement du cotonnier ont encouragé la diffusion du maïs au Mali, Sénégal, Cameroun et Côte-d'Ivoire en le recommandant comme plante de rotation du cotonnier. Les actions d'intensification de la maïsiculture (promotion des semences améliorées et des engrais) ont abouti à des résultats limités, à l'exception notable du Mali. L'appui à l'équipement des exploitations en matériel de culture attelée apparaît comme la contribution la plus importante des sociétés cotonnières au développement du maïs. Le désengagement des sociétés cotonnières de l'appui aux céréales et la baisse de la rémunération du coton pour les producteurs posent problème. La poursuite de la dynamique maïsicole va dépendre d'une part de la capacité de nouveaux opérateurs à prendre en charge les fonctions d'appui assurées jusqu'ici par les sociétés cotonnières, d'autre part de la capacité des producteurs à financer l'intensification du maïs, et de façon partielle l'équipement des exploitations, par des ventes de maïs. Ceci suppose un élargissement du marché du maïs.

L'approvisionnement en céréales est une préoccupation majeure en Afrique de l'Ouest. L'attention est surtout focalisée sur la croissance tendancielle des importations de riz et, en corollaire, sur la défaillance de la production rizicole malgré de coûteux investissements dans des aménagements hydrauliques. Ce problème rizicole tend à masquer une dynamique positive au sein du secteur céréalier: le remarquable développement de la production de maïs. Selon les données de la FAO, la production de maïs se serait élevée durant la période 1974-1991 au rythme de 8,6 % par an dans les pays sahéliens (où le maïs était initialement peu présent) et de 4,7 % par an dans les pays côtiers (où le maïs est traditionnellement cultivé). Ces taux sont nettement supérieurs à la croissance démographique qui avoisine les 3 % par an. Ils contrastent également avec l'accroissement de la production céréalière globale, de 3,3 % seulement dans les pays sahéliens et de 2,1 % dans les pays côtiers.

On tentera en premier lieu de préciser l'importance actuelle de la maïsiculture dans la zone de savane, principale aire de culture des céréales, et les effets de cette expansion sur les systèmes de culture. On examinera ensuite les bases de la dynamique maïsicole: les qualités intrinsèques de la plante, les conditions de l'environnement économique et institutionnel. Enfin, on abordera les contraintes qui pèsent sur le développement futur du maïs.

La production de maïs estimée par la FAO est la suivante (en milliers de tonnes)

  1974-1977 1988-1991
Pays sahéliens (du Sénégal au Tchad) 211 667
Pays côtiers (de la Côte-d'Ivoire au Nigéria) 1 920 3 636

Des dynamiques différenciées

Une approche statistique de l'évolution des productions céréalières et de leurs composantes (surfaces, rendements) bute classiquement sur le manque de fiabilité des données diffusées par les administrations nationales ou la FAO. Le fait que l'on soit en présence d'une production principalement autoconsommée dans les exploitations accroît la difficulté de l'estimation. Ainsi, les données de la FAO sur le maïs ne paraissent significatives qu'à un niveau suffisamment agrégé (région regroupant plusieurs pays) et en dynamique de longue période (10 à 20 ans). En restant à un niveau national, on constate parfois des écarts extrêmes entre les sources, qui ôtent toute crédibilité à une analyse quantitative.

Pour cerner les évolutions à un niveau sous-régional, une approche comparative de situations locales semble plus pertinente. On a pu rassembler des données diachroniques d'assolement sur 10 terroirs. Ces derniers ne couvrent évidemment pas toute la diversité de la zone de savane où le maïs se trouve adapté au climat (pluviométrie supérieure à 800 mm); toutefois, leur dispersion géographique permet de nuancer le phénomène d'expansion du maïs souvent considéré comme généralisé à l'ensemble de la zone de savane.

On a caractérisé la dynamique maïsicole selon le critère de la place revenant au maïs dans la sole céréalière. Une question importante est en effet celle de la substitution du maïs au mil-sorgho. La surface semée en céréales est généralement dictée par le souci d'assurer l'autosuffisance de l'exploitation en tenant compte d'un aléa climatique très important (les céréales sont, rappelons-le, essentiellement cultivées en pluvial). La sole céréalière étant ainsi fixée selon les besoins vivriers de la famille (une norme de 250 kg de céréales par personne est couramment admise), c'est à propos du choix de la céréale (maïs, mil, sorgho, plus rarement riz pluvial car ce dernier est davantage exigeant en eau) que s'exerce l'arbitrage du producteur. Trois dynamiques se distinguent.

Diffusion du maïs et marginalisation du mil-sorgho

Dans les deux terroirs du nord de la Côte-d'Ivoire, représentatifs de deux situations contrastées en matière de niveau de mécanisation et de diffusion du cotonnier, on constate un même mouvement d'expansion du maïs en culture pure. Le mil-sorgho était

Le terroir du Burkina Faso (Kourouma), plus au nord, est situé dans la zone de culture traditionnelle du sorgho où intervient maintenant une substitution du maïs. Ce terroir présente une particularité: la mécanisation des exploitations y est bien avancée, la motorisation intermédiaire (tracteurs de faible puissance) a notamment été introduite au début des années 1980. Les exploitations équipées en matériel de culture attelée ou motorisée privilégiant le maïs dans leur assolement, on trouve de façon logique une forte présence du maïs dès 1984 (figure 1).

Diffusion limitée du maïs et maintien du mil-sorgho

Les terroirs concernés - sud du Mali, centre-ouest du Burkina Faso, centre du Togo - appartiennent à l'aire de culture traditionnelle du sorgho (pluviométrie comprise entre 800 et 1 200 mm). Le maïs était initialement connu mais sa culture n'occupait qu'une place marginale. Elle était généralement cantonnée aux «champs de case»(voisinage immédiat des exploitations, bénéficiant d'un entretien particulier et cultivé de façon continue). La diffusion du maïs correspond à un déplacement de la culture au sein des terroirs: l'introduction en «plein champ», domaine du mil-sorgho.

L'exemple du terroir de Daboura montre que la diffusion du maïs atteint des zones très septentrionales. On constate aussi que l'expansion du maïs intervient parfois sous forme associée au sorgho et non en culture pure (un cas au sud du Mali et un cas au Togo). Le trait le plus marquant de l'évolution des systèmes de culture est l'expansion du cotonnier; la diffusion du maïs apparaît comme une dynamique connexe (figure 2).

Absence de diffusion du maïs

Les trois terroirs concernés - «Terres neuves» du Sénégal oriental, nord du Togo, sud du Tchad recouvrent des situations contrastées. Au Sénégal oriental, il s'agit d'une zone d'immigration où les disponibilités foncières restent abondantes. En 1974, lors de l'installation des agriculteurs migrants, sous l'égide d'un projet, le cotonnier et le maïs avaient été proposés par l'encadrement. Le rejet du «paquet technique coton-maïs» semble tenir, en première analyse, à l'existence d'une alternative plus rémunératrice: la culture de l'arachide.

Figure 1. Diffusion du maïs et marginalisation du mil-sorgho.

Figure 2. Diffusion limitée du maïs et maintien de la prépondérance du mil-sorgho.

Au nord du Togo, l'introduction du cotonnier n'a pas été non plus couronnée de succès, mais cela tient à de toutes autres raisons. Le terroir examiné supporte une forte pression démographique entraînant une dégradation des sols. Pour couvrir les besoins vivriers, il est nécessaire d'accorder une part croissante à la soie céréalière. La non-apparition du maïs doit être mise en relation avec la faible fertilité des sols et le bas niveau d'équipement des producteurs. Le bassin cotonnier du sud du Tchad se caractérise par les pratiques très extensives des producteurs. L'absence de percée du maïs serait à rapprocher du faible niveau d'intensification des céréales (figure 3).

Figure 3. Absence de diffusion du maïs.

Les critères d'adoption du maïs

L'avantage du maïs par rapport au mil-sorgho tient en premier lieu à son caractère productif: donnant un rendement nettement supérieur, le maïs permetä généralement une productivité du travail plus élevée, même si sa culture exige une charge de travail sensiblement plus lourde que celle du mil-sorgho (le mil-sorgho pouvant s'accommoder d'un moindre entretien).

Le caractère productif du maïs ne se manifeste toutefois pleinement qu'en conditions d'alimentation hydrique et de fertilisation adaptées, plus contraignantes que pour le mil-sorgho. Les besoins en eau du maïs varient selon la durée du cycle de la variété; en zone soudanaise, il est admis que 600 à 900 mm d'eau bien répartis sont nécessaires. Sensible à la sécheresse, le maïs apparaît donc comme une culture risquée. La seconde moitié des années 1980 est marquée par une amélioration de la pluviosité en zone soudanaise; on peut se demander si ce phénomène climatique n'a pas joué un rôle important dans l'extension du maïs vers le nord. Le maïs est également exigeant en matière de fertilité du sol; il est bien connu que la supériorité du rendement (lu maïs sur celui du sorgho s'affirme avec une fertilisation croissante. On constate ainsi fréquemment une utilisation différenciée de l'espace au sein des terroirs, les meilleurs sols étant affectés au maïs et les plus pauvres au mil-sorgho.

L'emploi de variétés améliorées de maïs contribue à renforcer la supériorité du maïs. Il est vrai que la mise au point de ces variétés a bénéficié du capital scientifique accumulé au cours d'un siècle de recherches dans les pays industriels.

La figure 4 présente les écarts de rendement entre maïs et mil-sorgho obtenus dans les exploitations encadrées par les sociétés cotonnières, pour chacune des années de 1983 à1991. Le rendement du mil-sorgho plafonne entre 1 et 1,2 t/ha (systèmes irrigués exceptés). Par contre, celui du maïs se situe le plus fréquemment entre 1,5 et 2,5 t/ha. Il faut préciser que la culture du mil-sorgho considérée ici ne reçoit pratiquement jamais de fumure, alors que pour le maïs, la proportion de la surface encadrée bénéficiant d'une fertilisation varie fortement selon le pays et l'année (quasi nulle au centre-sud du Togo, de 20 à 50 %, au Sénégal, de 50 à 70 % au Mali). Le graphe nuance aussi le caractère risqué de la maïsiculture, puisque le rendement moyen (en pluvial) n'apparaît jamais inférieur à celui du mil-sorgho, même durant les années sèches. L'espace de référence au Mali et au Burkina Faso (subdivision régionale) est sûrement trop étendu pour bien cerner l'aspect risque.

La précocité de certaines variétés de maïs (cycle de 90 jours) constitue un autre avantage important dans la zone soudanaise où la période de soudure alimentaire et financière est difficile à traverser pour une majorité de ruraux. L'intérêt pour la précocité s'est trouvé renforcé dans une grande partie de la zone confrontée depuis les années 1970 à un raccourcissement ou une plus grande instabilité de la saison pluvieuse. Consommé en épi vert, le maïs est souvent la plante de soudure privilégiée. La commercialisation du maïs dès le mois de septembre peut atténuer la contrainte de trésorerie qui se pose souvent de façon aiguë dans l'attente de la recette du coton. Il existe bien des variétés de sorgho précoces, mais leur diffusion reste limitée pour deux raisons principales. D'une part, elles sont souvent confrontées à des problèmes de moisissure des grains, les panicules étant compactes. D'autre part, elles répondent mal aux exigences qualitatives des consommateurs attachés aux variétés traditionnelles.

Figure 4. Rendements en maïs et mil-sorgho des exploitations cotonnières, 1984-1992.

Le soutien institutionnel

L'appui des sociétés cotonnières à la maïsiculture

On a constaté précédemment que l'expansion du maïs coïncide généralement avec celle du cotonnier. Les sociétés d'encadrement du cotonnier ont en effet joué un rôle essentiel dans la diffusion du maïs au Mali, au Cameroun et dans une moindre mesure en Côte-d'Ivoire et au Sénégal. Dans ces pays, les sociétés cotonnières, sous contrôle public, se sont vues confier une mission de développement des principales cultures de leur zone d'intervention qui couvre la majeure partie de la zone de savane (à pluviométrie supérieure à 800 mm). Cela permettait en effet d'utiliser au coût marginal l'important dispositif d'encadrement mis en place pour la culture cotonnière, hérité de la période coloniale.

Les céréales étant la base des systèmes de culture, leur intensification constituait un volet essentiel, généralement lancé à la fin des années 1970. L'accroissement de la productivité sur les céréales répondait évidemment au souci des pouvoirs publics d'améliorer l'approvisionnement des marchés urbains, voire d'intégrer les paysans dans une économie marchande nationale. Pour les sociétés cotonnières dont l'objet central restait la promotion du cotonnier, une plus grande efficacité de la production céréalière présentait l'intérêt d'autoriser une mobilisation de ressources supplémentaires en terre et en travail sur le coton sans compromettre la sécurité alimentaire des exploitations. Les actions d'intensification des céréales ont été dans une très large mesure focalisées sur le maïs, compte tenu de ses potentialités productives. Ainsi, le maïs a été recommandé comme plante de rotation du cotonnier, voire parfois imposé, l'accès à la culture cotonnière étant alors conditionné par l'introduction d'une sole maïs.

L'appui à la maïsiculture a recouvert de nombreux domaines, de façon différenciée selon les périodes et les pays:

Pour les quatre pays susmentionnés, les sociétés cotonnières avaient pratiquement l'exclusive de l'encadrement des céréales et de la distribution des intrants en zone de savane, au moins jusqu'en 1992. Les réalisations de ces sociétés constituent donc de bons indicateurs du niveau d'intensification de la maïsicuIture.

La distribution des intrants et le niveau d'intensification

Les semences constituent un intrant de première importance, le facteur variétal étant décisif pour le rendement. Paradoxalement, les sociétés cotonnières ont assuré une diffusion limitée de semences, à l'exception de la CIDT de Côte-d'Ivoire jusqu'en 1988 (figure 5). L'explication avancée est la faiblesse de la demande exprimée par les producteurs. Il s'agit en effet de variétés à pollinisation ouverte et les producteurs ont préféré en assurer eux-même le renouvellement. Cependant, les quantités diffusées sont loin d'être suffisantes pour éviter une dérive variétale, un retour à la pureté variétale étant généralement considéré comme nécessaire après 4 à 5 années. Le coût des semences ne paraît pas être en cause, leur prix unitaire représentant 2 à 4 fois celui du maïs. Au cours des années 1989-1991, les sociétés cotonnières semblent avoir abandonné la livraison de semences de maïs, leur rapport d'activité n'en faisant plus mention. Or, il n'est pas certain qu'une relève ait été assurée par des opérateurs privés.

Figure 5. Semences de maïs améliorées livrées par les sociétés cotonnières.

La distribution d'engrais est également un volet fondamental, sachant que l'expression de la potentialité productive du maïs suppose une bonne fertilité. Les réalisations sont très inégales selon les pays. L'indicateur disponible est la surface en «maïs encadré» recevant des engrais, la dose épandue pouvantä certes être variable (figures 6, 7, 8 et 9).

Au Sénégal et au Cameroun, l'utilisation des engrais apparaît limitée (moins de 10 000 ha en 1991) du fait d'abord de la faible extension de la surface en maïs encadré. On constate une progression rapide de la surface avec engrais au Sénégal, contrairement au cas du Cameroun où les engrais ont pourtant été subventionnés et fournis à crédit jusqu'en 1991.

Le sud du Mali et le nord de la Côte-d'Ivoire constituent de grandes zones maïsicoles, avec respectivement près de 100 000 ha en maïs encadré actuellement (dont un tiers cultivé en association avec le sorgho au Mali). Leur niveau d'intensification est contrasté.

En Côte-d'Ivoire, l'utilisation des engrais sur le maïs n'apparaît pas attrayante pour les producteurs; seulement 15 % de la surface encadrée reçoit des engrais (hormis les détournements peut être non négligeables de l'engrais pour cotonnier sur le maïs) et cette proportion est en stagnation. Parmi les facteurs explicatifs, on trouve la relative abondance de terres qui permet encore un recours à la jachère pour renouveler la fertilité. De façon plus décisive intervient la rentabilité incertaine des engrais en raison des difficultés de commercialisation du maïs, les débouchés que représentent les villes du Sud ayant été captés par une production située en zone forestière. Enfin intervient aussi la contrainte de trésorerie des producteurs lorsque les engrais du maïs sont cédés au comptant.

Au Mali, la progression du maïs fertilisé est remarquable; on serait passé, selon la CMDT, de 10 000 ha avec engrais en 1980 à 70 000 ha en 1992. La fumure organique est également répandue; 45 000 ha en auraient bénéficié en 1992. L'adoption de l'engrais a été initialement facilitée par l'action de collecte du maïs engagée par la CMDT, pour le compte de l'office céréalier, et épisodiquement par une légère subvention aux engrais. Le niveau de prix auquel était garanti l'écoulement de la production de maïs rendait l'utilisation des engrais très rentable. Comme le montre la figure 10, 400 kg/ha de maïs suffisaient pour couvrir la charge des engrais (avec une dose sensiblement moindre que celle recommandée).

La liaison entre l'utilisation des engrais et les rapports de prix maïs/engrais n'est toutefois pas évidente. Le tassement de la surface en maïs totale et avec engrais, constaté en 1986-1987, tient sans aucun doute à la rupture du contexte économique. En 1986 intervient en effet la libéralisation du marché céréalier qui conduit la CMDT à abandonner la collecte du maïs, entraînant une grande incertitude sur le prix du maïs. Par ailleurs, le prix de l'engrais connaît une forte hausse. La reprise de l'utilisation des engrais sur maïs en 1988 est vraisemblablement stimulée par le retournement à la baisse du prix de l'engrais. Cette baisse, dont le caractère inédit amplifie surement les effets, est rendue possible par une réduction de la marge prélevée par la CMDT. De 1990 à 1992, on constate paradoxalement une évolution du prix relatif maïs/engrais défavorable aux maïsiculteurs et une forte expansion du recours aux engrais. il est pourtant bien hasardeux d'attendre de l'épandage d'engrais un gain de rendement en maïs de plus de 500 kg/ha. Une réaction probable des producteurs est la réduction des doses d'engrais; une enquête réalisée en 1993 enregistre en effet un niveau de fertilisation très inférieur aux recommandations de la CMDT. Il s'avère aussi que l'affectation de l'engrais du cotonnier sur le maïs, non pris en compte dans les statistiques courantes de la CMDT est une pratique fréquente. Cette dernière tient au fait que seul l'engrais du cotonnier bénéficie d'un règlement à crédit. Cela souligne l'importance de la contrainte de trésorerie; l'engrais du cotonnier est souvent préféré alors qu'il coûte 15 % plus cher que l'engrais pour céréales.

Figure 6. Superficie en maïs encadrée par la CMDT (Mali) selon le mode de fumure.

Figure 7. Superficie en maïs encadrée par la CIDT (Côte-d'Ivoire) selon le mode de fumure.

Figure 8. Superficie en maïs encadrée par la SODEFITEX (Sénégal) selon le mode de fumure.

Figure 9, Superficie en maïs encadrée par la SODECOTON (Cameroun) selon le mode de fumure.

Figure 10 Utilisation des engrais et rapport de prix maïs/engrains au sud du Mali.

Le niveau d'utilisation des engrais se différencie essentiellement selon les critères de dimension et d'équipement des exploitations; l'emploi des engrais augmentant avec la dimension. Les plus grandes exploitations sont justement celles qui réservent la plus grande part au cotonnier, on peut donc penser que les engrais pour le maïs sont encore largement financés par les recettes du coton.

La diffusion des herbicides, lancée plus récemment que celle des engrais, est encore limitée. Son développement est très rapide au Mali et en Côte-d'Ivoire où l'on est passé en moins de dix ans de quelques milliers d'hectares de maïs désherbé à, respectivement, 35 000 et 20 000 ha (figure 11).

Figure 11. Superficie encadrée en maïs avec herbicide.

La CMDT recommande 100 kg de complexe 15-15-15 et 150 kg d'urée. Or, une enquête auprès d'un échantillon représentatif de parcelles de maïs de la zone CMDT enregistre les pratiques suivantes (GIRAUDY, 1993):

  Dose moyenne(kg/ha) Fréquence(% du total des parcelles)
Complexe céréales 15.15.15 46 38
Urée 72 60
Complexe coton 12.22.14.7.1 21 17

Utilisation des engrais selon le niveau d'équipement des exploitations en pourcentage du total des parcelles de maïs de chaque type d'exploitation (GIRAUDY, 1993):

  Exploitations Exploitations sans attelage avec attelage(s)
Complexe céréales ou coton 23 % 60%
Urée 40 % 70 %

Au Mali, l'emploi des herbicides apparaît surtout lié, selon la CMDT, aux trois critères suivants: l'emploi des engrais, l'équipement de l'exploitation, la dimension de la parcelle de maïs 6. On constate en effet que les parcelles recevant moins de 100 kg/ha d'engrais ne sont pratiquement jamais désherbées chimiquement. Les exploitations concernées sont, de façon privilégiée, celles qui disposent d'équipement de culture attelée. Enfin, les plus grandes parcelles bénéficient beaucoup plus fréquemment d'herbicide. Cela confirme l'opinion selon laquelle le recours à l'herbicide, permettant de desserrer la contrainte de main d'oeuvre importante qui se pose au niveau du sarclage, entre dans une stratégie d'extension de la surface cultivée et non d'intensification.

Le rendement obtenu en maïs constitue un indicateur synthétique du niveau d'intensification. On trouve un niveau de rendement supérieur au Sénégal et au Cameroun (figure 12), ce qui s'explique par la faiblesse des surfaces concernées.

Figure 12. Rendement en maïs des exploitations encadrées par les sociétés cotonnières.

Facteurs de l'utilisation de l'herbicide sur les parcelles de maïs (GIRAUDY, 1993)

  Dose d'engrais épandue en kg/ha
  0 <50 50 à 100 >100
Fréquence des parcelles avec herbicide 1 % 4% 10% 30%
Nombre d'attelages de l'exploitation
0 1 2 >3
Fréquence des parcelles avec herbicide 8% 15% 20% 17%
Dimension de la parcelle en ha
<1 1 à 2,5 >2,5  
Fréquence des parcelles avec herbicide 8% 28% 34%  

Au Cameroun, la définition du maïs «encadré» est restrictive; il s'agit du seul maïs cultivé avec des semences améliorées et des engrais.

Au Mali et dans une moindre mesure, au Sénégal, l'objectif d'intensification de la maïsiculture a bien été atteint; on note une élévation des rendements en maïs encadré, parallèlement à une expansion de la surface encadrée. En Côte-d'Ivoire en revanche, on enregistre une baisse significative du rendement; cette dernière est sûrement à rapprocher de la faible utilisation des engrais. On peut toutefois considérer que les rendements en maïs dans les exploitations non encadrées sontä inférieurs, donc que la diffusion de l'encadrement des sociétés cotonnières a bien permis une augmentation du rendement moyen pour l'ensemble de la zone de savane.

L'appui à la mécanisation des exploitations

Il s'agit certainement de la contribution la plus importante des sociétés cotonnières pour la diffusion du maïs. Les sociétes cotonnières ont apporté formation et crédit aux équipements, et la culture du coton a généralement couvert seule, le remboursement de l'investissement. La culture attelée a emporté un grand succès car elle permettait d'améliorer la productivité du travail tout en confortant la stratégie paysanne la plus commune d'extension des cultures. Le maïs en tant que plante de rotation privilégiée du cotonnier a pleinement bénéficié de l'équipement des exploitations, comme le montrent les figures 13, 14, 15 et 16. On note que la CMDT du Mali considère comme surfaces de maïs «encadrées», celles qui sont labourées mécaniquement. En Côte-d'Ivoire, la définition est la plus large (maïs des exploitations cotonnières) et la culture manuelle tient encore autant d'importance que la culture attelée.

La motorisation intermédiaire - avec tracteurs de faible puissance - introduite à la fin des années 70, n'a connu qu'une diffusion très limitée. Son expansion est stoppée dès les années 1986-1989 du fait d'une rentabilité incertaine, l'investissement étant ici trop lourd pour être récupéré sur la seule recette du coton. De ce fait, la culture motorisée du maïs reste marginale, même si le maïs constitue la céréale privilégiée dans l'assolement des exploitations motorisées.

La commercialisation et la transformation du maïs

Les sociétés cotonnières se sont intéressées à la commercialisation du maïs dans une double perspective.

Il s'agissait d'abord de faire en sorte que la maïsiculture procure une rémunération suffisante pour financer les intrants recommandés. Par ailleurs, assurer la collecte du maïs devait faciliter le recouvrement du crédit aux intrants. On trouvait généralement comme partenaire des sociétés cotonnières, à l'aval, un organisme public du type office céréalier. Seule la CMDT a en fait collecté des quantités conséquentes: jusqu'à 8 000 t en 1982 et 1985. Les autres collectaient annuellement moins de 1 000 t. La mise en œuvre des politiques de libéralisation du commerce céréalier suite à la crise des finances publiques dans la seconde moitié des années 1980, a amené les sociétés cotonnières à abandonner la collecte du maïs. La fonction de collecte a parfois été transférée avec succès à un niveau local à des groupements de producteurs initialement constitués autour du coton.

Au Sénégal, au Mali et au Cameroun, les sociétés cotonnières sont intervenues dans le domaine de la transformation du maïs. La mouture manuelle du maïs présente une plus grande pénibilité que celle du mil et sorgho. Cette contrainte s'avérant un obstacle majeur à la diffusion du maïs, les sociétés cotonnières ont participé à l'équipement des villages en moulins artisanaux. Au Sénégal et au Mali, elles ont également apporté une assistance à des associations villageoises gérant des unités de transformation semi-industrielles (les «mini-minoteries»).

Une dynamique confrontée à deux défis

Les sociétés cotonnières sont confrontées depuis la fin des années 1980 à une sévère baisse des cours du coton sur le marché international. Pour enrayer leurs déficits financiers, elles sont amenées à recentrer leurs activités sur la seule production cotonnière. Ainsi, les cultures vivrières doivent supporter une réduction considérable de l'appui en matière de vulgarisation de techniques, de crédit aux intrants, voire de logistique de distribution des intrants. Or, la relève de ces fonctions essentielles est encore problématique. Le secteur privé est peu développé et son intervention risque d'être limitée aux seules zones les plus accessibles et les plus rentables, délaissant une grande partie du milieu rural. Un secteur associatif de type groupements de producteur est en voie d'émergence, mais se trouve confronté à un manque de représentants formés.

La crise cotonnière se traduit au niveau des producteurs par une réduction de la marge cotonnière. En procurant une rémunération décroissante, la culture cotonnière peut de moins en moins couvrir les charges d'intensification des autres cultures. La diffusion du maïs à l'avenir devrait certainement s'inscrire dans une dynamique d'intensification; on a vu que l'avantage du maïs par rapport aux autres céréales réside surtout dans sa réponse productive élevée à l'intensification. Il est nécessaire que le maïs bénéficie de débouchés commerciaux élargis pour que sa culture finance ses propres charges d'intensification. L'étroitesse du marché du maïs est soulignée par la faiblesse de la part de la production de maïs qui est commercialisée: une enquête de la CMIDT du Mali l'évalue à 20 % en 1992 dans la région de Koutiala, qui figure pourtant parmi les plus avancées économiquement. Les expériences de transformation semi-industrielle du maïs visant à accroître les débouchés en proposant aux ménagères une farine toute prête n'ont pas été couronnées de succès. Au Mali, un marché de 400 t seulement a pu être capté, ce qui ne représente que 10 % de la capacité de production installée.

Figure 13. Superficie encadrée en maïs par la CMDT (Mali) selon le mode de préparation du sol.

Figure 14. Superficie encadrée en maïs par la CIDT (Côte-d'Ivoire) selon le mode de préparation du sol.

Figure 15. Superficie encadrée en maïs par la SOFITEX (Burkina Faso) selon le mode de préparation du sol.

Figure 16. Superficie encadrée en maïs par la SODECOTON (Cameroun) selon le mode de préparation du sol.

Il résulte de cette étroitesse du marché une grande instabilité des prix, la demande solvable étant relativement rigide alors que l'offre se trouve soumise à des fluctuations considérables liées aux aléas climatiques. L'élargissement des débouchés devrait également contribuer à réduire l'instabilité des prix.

Au delà du problème de débouché et d'obtention d'un prix rémunérateur pour le maïs, les producteurs subissent dans leur majorité une très forte contrainte de trésorerie, renforcée depuis la baisse de la marge du coton. L'accès à un crédit pour les intrants est une condition indispensable à la poursuite du mouvement d'intensification.

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