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Une culture intensive motorisée: le cas de la SIAEB au Gabon

Jean-Leu MARCHAND
Département des cultures annuelles, CIRAD, Montpellier, France

Résumé. L'exemple de la SIAEB montre qu'il est possible de pratiquer, en milieu équatorial, une culture de maïs fixée, intensive, avec motorisation lourde, avec des rendements corrects et en respectant l'environnement. Ceci suppose, en particulier, de réduire ou de supprimer l'érosion, de maintenir la fertilité et de maîtriser l'enherbement. Les principes qui ont guidé ces recherches, et certaines des techniques proposées, sont transposables dans d'autres situations.

L'objectif

Produire, dans une région forestière quasiment dépourvue de paysans, le maïs et le soja nécessaire à l'élevage de 2,5 millions de poulets de chair par an, pour le marché national.

La situation de départ

La Société industrielle d'agriculture et d'élevage de Boumango (SIAEB), est installée à 120 km de Franceville (2° sud, 600 m d'altitude), en pleine forêt équatoriale, dans une zone de savane vraisemblablement d'origine humaine. Elle a eu à faire face à un milieu physique défavorable et à des contraintes économiques.

Un milieu physique défavorable

• Couverture nuageuse fréquente et jours courts, donc insolation faible (4 à 6 h/j).

• Températures élevées avec une faible amplitude quotidienne aussi bien qu'annuelle, provoquant une respiration nocturne forte des plantes.

• Humidité saturante, donc forte activité biologique des plantes, mais aussi des adventices, des insectes et des maladies.

• Pluviométrie abondante (2 300 mm/an, dont 2 000 entre début octobre et fin avril) avec des pluies violentes provoquant une érosion intense sur sol nu. a Sols acides (pH 5,2) carencés, en particulier en phosphore, avec un problème d'équilibre K/Mg important.

Des contraintes économiques

• Absence de paysans, obligeant à tout produire en régie.

• Calendrier cultural (2 cultures/an) très contraignant, qui impose une mécanisation lourde de toutes les opérations culturales.

• Frais de transport élevés dus à la distance de la capitale (750 km), pour l'approvisionnement en intrants comme pour la commercialisation des poulets.

Tout obligeait à une intensification maximale par unité de surface, dans un milieu difficile. Les rendements des premières années ont été assez faibles. Pour 1982: 2 700 kg/ha de maïs sur 1 800 ha et 550 kg/ha de soja sur 700 ha.

La situation actuelle

L'érosion est totalement maitrisée, l'acidité du sol est corrigée et un plan de fumure et d'amendements a été établi. Les adventices sont assez bien maîtrisées et les rendements ont largement augmenté. En 1990: 3 900 kg/ha de maïs sur 2 300 ha et 1 640 kg/ha de soja sur 1 950 ha.

La SIAEB pense réduire les superficies cultivées car la production pourrait dépasser les besoins.

Comment y est-on parvenu?

Un effort de recherche conséquent a été consenti d'abord par le service agronomique de la Société d'organisation de management et de développement des industries alimentaires et agricoles (SOMDIAA), puis, à partir de 1984, avec l'intervention du CIRAD, sur financement de la Caisse française de développement (CFD) jusqu'en 1990, puis du Fonds d'aide à la coopération (FAC) et du CIRAD (deux chercheurs à plein temps plus des missions d'appui nombreuses).

Cet effort a permis de lutter contre l'érosion, d'adapter les techniques culturales, de raisonner la fertilisation, de lutter contre les adventices et de préconiser des variétés adaptées.

Lutter contre l'érosion

• Réalisation de banquettes cultivables à double courbure et pente faible, formant un dispositif d'absorption totale de l'eau.

• Remplacement progressif des pulvériseurs à disques, nécessaires au début pour tronçonner es racines restées après le défrichement mais créant rapidement une semelle et favorisant l'érosion en pulvérisant trop finement la terre, par des charrues à socs, qui forment des mottes résistant mieux au ruissellement (version à claire-voie).

• Adoption du semis direct du soja dans les cannes de maïs, ce qui évite un labour en pleine saison pluvieuse.

• Epandage d'herbicides et pesticides par avion, ce qui évite les ornières.

Adapter les techniques culturales

• Passage (une fois tous les trois ans) d'un décompacteur pour briser la semelle de labour, encore renforcée par le passage d'engins lourds qui, de plus, tassent l'horizon superficiel.

• Labour à la charrue à socs (quand il n'y a pas décompactage) et affinage aux dents et, au besoin, passage de rouleau cross-kill.

• Possibilité (à confirmer) de ne pas labourer chaque année avant le semis du maïs.

Ces techniques permettent, de plus, de réduire les coûts et de simplifier les calendriers culturaux.

Raisonner la fertilisation

On raisonne la fertilisation en élaborant un plan de fumure adapté à chaque grande situation, à partir d'un suivi par analyses de sol.

Premier écueil: la richesse du sol en Ca + Mg. Il faut maintenir le taux Ca++ + Mg++ supérieur ou égal à 1,6 meq/100 g. Cela correspond, en moyenne, à des apports de chaux magnésienne + dolomie de 500 kg/ha/an, avec des variations importantes selon les situations (plateaux, versants, bas de versants) des parcelles.

Deuxième écueil: le taux de phosphore doit être maintenu au-dessus de 40 ppm.

Troisième écueil: le rapport K+/Mg++. La valeur optimale de ce rapport dépend du taux de Ca++ + Mg++. Si ce taux est supérieur à 1,6 meq/100 g, le rapport K+/Mg++ doit être supérieur à 0,2.

La fertilisation organique: les résidus de récolte sont enfouis, mais cela, plus la fertilisation minérale, ne suffit pas à éviter la «fatigue» de certaines parcelles. Un apport de 20-30 t/ha de fiente de poulets fraîche sur maïs est nécessaire pour ces parcelles. Cette pratique augmente, en particulier, très nettement la teneur en phosphore assimilable. Les parcelles ayant reçu des fientes (les plus anciennes depuis 1985) n'accusent plus de baisse de rendement. Mais la production de fiente ne permet de fumer que 50 ha/an.

La fertilisation azotée est, sur maïs, de deux fois 110 kg d'urée par hectare, trois semaines après semis et à floraison. Tout décalage de la date d'application se solde par une chute de rendement.

Lutter contre les adventices

Les traitements herbicides proposés permettent de maîtriser la plupart des adventices, en particulier dans le soja. Restent les problèmes de Rottboelia exaltata et de Cyperus esculatus, pour lesquels il n'existe aucun herbicide réellement efficace dans le maïs. C'est, actuellement, le plus grave danger.

Préconiser des variétés adaptées

Pour le maïs, on recherche un cycle court (inférieur à 110 jours), une bonne réponse à l'intensification et l'aptitude à une récolte mécanique. La meilleure réponse actuelle est trouvée parmi les hybrides tempérés, et LG 60 couvre au moins 50 % des surfaces. Les semences sont faciles à se procurer, mais coûteuses. La cellule de recherche poursuit les introductions et tests d'hybrides tempérés mais aussi tropicaux.

Pour le soja, le cycle est moins contraignant pour le choix variétal (110 à 140 jours), la résistance à la cercosporiose est indispensable et, là encore, l'adaptation à une culture entièrement mécanisée est nécessaire. Les premières variétés, d'origine sahélienne, étaient mal adaptées. Des variétés brésiliennes ont ensuite été introduites et cultivées avec succès. La production semencière (200 t/an) est assurée sur place.

Les problèmes qui persistent

Le problème le plus sérieux est celui des adventices, qui impose, outre l'essai de nouvelles molécules, d'envisager des modifications importantes des itinéraires techniques (couvertures mortes ou vives, assolement, travaux du sol).

Le statut de la matière organique peut devenir préoccupant. Le taux de matière organique est encore de 3 %, pour 5 % à la mise en culture il y a 16 ans. Il faut le maintenir, le problème étant de déterminer comment y parvenir.

Le système de double culture annuelle est très contraignant. L'augmentation des rendements, si elle se poursuit, permet d'envisager de passer, sur une partie des soles, à une seule culture, avec des variétés plus tardives qu'il faut trouver. On peut également penser à une intégration de l'élevage et/ou à un développement d'autres cultures.

Les enseignements

Même si l'option intensification-mécanisation lourde n'est pas transposable partout, les résultats obtenus à Boumango sont riches d'enseignement. Trois points méritent d'être soulignés.

• On peut obtenir, en culture intensive motorisée à double culture annuelle, sous l'équateur, des rendements élevés et qui augmentent avec le temps. Ce résultat n'était pas évident à priori.

• La maîtrise de l'érosion est indispensable et possible, et les techniques sont transposables ailleurs.

• Un effort de recherche important et soutenu a permis la mise au point de systèmes de culture fixés, agronomiquement viables et respectueux de l'environnement. Les principes qui ont guidé ces recherches sont valables dans de nombreuses situations.

 

Conclusion

La diffusion du maïs en zone de savane intervient avec un début d'intensification soutenu jusqu'ici par les sociétés d'encadrement du cotonnier. La supériorité du maïs par rapport au mil-sorgho en terme de productivité ne s'exprime qu'avec un recours minimal à la fertilisation. Compte tenu de la crise cotonnière et du désengagement des sociétés d'encadrement du cotonnier, la maïsiculture devra dégager des recettes suffisantes pour couvrir ses propres charges d'intensification. Cela suppose que les possibilités de valorisation marchande du maïs soient considérablement élargies.

En zone forestière, dans les situations d'abondance de terres, le développement de la production de maïs a pu se produire par simple extension des surfaces. Avec l'accroissement rapide de la pression démographique, une telle dynamique paraît condamnée à court ou moyen terme; les pratiques culturales extensives actuelles font courir un grave risque de dégradation des sois. Des techniques intensives permettant une culture fixée et respectueuse de l'environnement existent, mais sont coûteuses. Peut-on développer et intensifier la culture du maïs autrement? Les cas du Togo et du Bénin apporteront peut-être une réponse.


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