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Le maïs dans les systèmes de production du département de l'Atlantique (Bénin)

Kokou Jean TOTONGNON

Centre d'action régionale pour le développement rural de l'Atlantique, Cotonou, Bénin

Résumé. Le département de l'Atlantique est caracterisé par la préponàrénce des petites exploitations agricoles, qui répresentent plus de 60% de l'ensemble et une spécialisation de ces exploitations en maïs en raison Je la pénurie foncière et de la baisse des rendements du maïs. Pour mieux gérer les contraintes liées à la pluviométrie et à la baisse de fertilité des sols, les paysans ont développé des techniques propres, dont les plus répandues sont le billonnage et le «manioc dense». Ces techniques leur permettent d'allonger la durée sous culture sans pour autant résoudre le problème d'appauvrissement des sols. Toutefois, elles répondent de manière plus «adaptée» aux urgences paysannes que la jachère améliorée avec le pois d'Angole (Cajanus cajan) vulgarisée par le Centre d'action régionale pour le développement rural (CARDER) de l'Atlantique. Les variétés locales de maïs couramment cultivées ont un cycle intermédiaire, mais les paysans apprécient également les variétés de cycle court pour rattraper la saison en cas de semis tardif. A ce titre, les variétés améliorées de cycle court vulgarisées par le CARDER ont intéressé les paysans. Cependant, elles n'ont pas connu une large adoption, notamment pour des raisons liées à la conservation dans les greniers traditionnels et à leurs qualités organoleptiques. Ces résultats expliquent la nécessité pour la recherche agronomique de mieux prendre en compte les avis et les réalités des paysans dans les travaux de recherche.

Mots clés. Pluviométrie, spécialisation en maïs, fertilité des sols, variétés locales, techniques endogènes, billonnage, «manioc dense», jachère améliorée, CARDER Atlantique, recherche agronomique.

Abstract. There is a large number (about 60%) of small-scale farmers in the Atlantic county. In this area, maize is a staple food crop. The major constraints these farmers meet are land shortage, rainfall irregularity, poor soil quality and declining maize yields. In order to deal with these constraints and the need for maize self-sufficiency, approximately 75% of the farm land is cropped with maize. Moreover, farmers have developed id some indigenous techniques like cassava fallow and ridgin in

orde r to crop for longer periods. These techniques are better "suited" to their socio-economic situations than Cajanus cajan (Pigeon pea) recommended by technology transfer. They used to grow local, medium-maturing varieties but are more and more interested in early-maturing varieties because of late sowing in the rainy season Unfortunately, early-maturing varieties developed by agricultural research have some short-comings.

These short-commings are the considerable less of grains when cobs are stored traditionally, the hardness of the kernels and the lower quality of the paste when made into cornflour. These results show the importance of considering farmer's opinions and their real situations when developing new technologies in agriculture.

Key Words. Rainfall irregularity, soil fertility, maize self-sufficiency, local varieties, indigenous techniques, cassava fallow, ridging, shortcomings, traditional devices, agricultural research.

La présente communication décrit quelques caractéristiques physiques et humaines du département de l'Atlantique. Elle dresse ensuite un aperçu des problèmes que rencontre la maïsiculture dans ce département, sur le plan climatique et sur celui de la gestion de la fertilité des sols, pour faire ressortir les performances de quelques adaptations développées par les paysans et de certaines alternatives proposées par le Centre d'action régionale pour le développement rural (CARDER) de l'Atlantique. Elle expose enfin les raisons de la non adoption de la plupart des innovations exogènes par les paysans avant de constater que l'adaptation de celles-ci aux systèmes paysans, et non l'inverse, est la condition indispensable de leur intégration à ces systèmes.

Le département de l'Atlantique

Le département de l'Atlantique couvre une superficie de 3 222 km². Il est limité au nord par le département du Zou, au sud par l'océan Atlantique, à l'est par le département de l'Ouémé et à l'ouest par celui du Mono.

Il jouit d'un climat subéquatorial caractérisé par deux saisons des pluies et deux saisons sèches. La pluviométrie moyenne annuelle est voisine de 1 200 mm dont 700 à 800 mm pour la première saison des pluies et 400 à 500 mm pour la deuxième. Depuis 1973, les moyennes annuelles se situent autour de 1 000 mm (figure 1).

La végétation est actuellement caractérisée sur le plateau par un bush arbustif associé à des peuplements plus ou moins denses de palmiers à huile. Le paysage est marqué par une succession de jachères naturelles et de parcelles cultivées. Les champs sont en général de petite taille et de forme irrégulière.

La population du département est estimée à 1 145 982 habitants, dont 641 750 pour la population urbaine et 504 322 pour la population rurale. La population des exploitations agricoles est de 229 570 habitants selon les enquêtes statistiques de 1992.

La production végétale est dominée par les cultures vivrières, surtout le maïs et le manioc. D'après les résultats d'enquêtes du projet «Sécurité alimentaire» en 1992, tout le département connaît un déficit global en légumineuses estimé à 1 000 tonnes par an, un déficit de 50 000 tonnes de maïs dans la moitié sud et un excédent de 10 500 tonnes dans la moitié nord. Le maïs est une culture qui, selon les statistiques des années 1984 à 1992, a occupé en moyenne plus de 80 % des superficies des vivriers (figure 2). C'est une denrée stratégique dans la plupart des exploitations agricoles du département.

Figure 1 Pluviométrie moyenne annuelle dans l'Atlantique de 1984 à 1992.

Figure 2. Superficies moyennes de quelques cultures de 1984 à 1992

La culture du maïs

Le maïs fait partie intégrante de la vie sociale et économique des populations. Il est essentiellement destiné à l'autoconsommation et constitue la base des repas quotidiens. Il est très vendu dans les marchés et procure des revenus monétaires variables selon les exploitations. Il est même commercialisé par les exploitations déficitaires en maïs. Sa culture est, depuis un certain temps, confrontée à des problèmes de pluviométrie et de dégradation des sols. Ces problèmes ont, en liaison avec la pénurie foncière, contribué dans une certaine mesure à la modification des systèmes de culture dans la plupart des exploitations.

Les adaptations paysannes liées à la pluviométrie

En général, l'installation et la durée de la saison des pluies, la quantité et la répartition des précipitations sont extrêmement aléatoires. Cela oblige les paysans à faire des semis échelonnés et des ressemis, et à modifier leurs prévisions de production. En petite saison pluvieuse, les précipitations sont rarement suffisantes pour une formation et un remplissage corrects des grains et l'on constate que les superficies emblavées en maïs en petite saison sont inférieures à celles de la grande saison.

Lorsque les dates de semis deviennent tardives, il se pose le problème du choix des variétés. Il existe plusieurs variétés de cycle long, moyen et court qui sont cultivées, mais les paysans sèment essentiellement les variétés de cycle intermédiaire (100 à 110 jours) au cours des deux saisons. lis disposent rarement de plusieurs cultivars qui leur permettraient d'adapter le choix aux périodes de semis; lorsqu'ils en ont, il s'agit souvent de petites quantités qui ne permettent pas de rattraper la saison. Toutefois, on note un intérêt croissant des paysans pour les variétés de cycle court. Ils pensent d'une part que ces variétés diminueraient le risque de mauvaise récolte car elles conviendraient aux semis tardifs, et d'autre part que leur semis précoce en grande saison pluvieuse permettrait d'avoir des récoltes précoces pour mieux surmonter la période de soudure.

Face à cet intérêt manifeste, le CARDER de l'Atlantique a testé et ensuite vulgarisé des variétés de cycle court: la Pool 16, la DMR et la Pirsabak. Les paysans ont particulièrement apprécié la Pool 16 et la DMR pour leur rendement, leur précocité et leur tolérance à la sécheresse. Cependant, ils reprochent à ces variétés la fermeture imparfaite des épis, les dégâts importants qu'elles subissent dans les greniers traditionnels, la dureté des grains et la qualité de leur pâte. Pour ces raisons, les paysans cultivent certaines de ces variétés améliorées sur des superficies relativement petites par rapport à celles cultivées avec les variétés locales (figure 2).

Les adaptations paysannes liées à la baisse de fertilité des sols

Il s'agit de caractériser dans un premier temps le problème de baisse de fertilité des sols et d'examiner dans un deuxième temps les innovations mises à l'épreuve.

Le problème de baisse de fertilité des sols

Dans les systèmes de culture du département, le maïs vient en tête de rotation après le défrichement de la jachère naturelle (la jachère naturelle est une forme traditionnelle de régénération des sols épuisés). Le maïs succède à lui-même jusqu'à ce que son rendement soit jugé faible par le paysan; à partir de ce moment, le paysan met en place d'autres cultures comme le niébé, l'arachide, la patate douce ou l'association maïs-manioc et, pour terminer, laisse le sol en jachère lorsqu'il dispose encore de beaucoup de terres cultivables.

De nos jours, la durée de la jachère naturelle diminue en raison de la baisse de la disponibilité foncière engendrée par l'augmentation de la population et les achats de terre par les non agriculteurs. Déjà, certaines exploitations ne peuvent plus faire de jachères naturelles et se livrent à une utilisation intensive du soi. La réduction du temps et l'absence de jachère ont entraîné les conséquences suivantes:

Il s'en est suivi une baisse importante du rendement du maïs, qui s'accentue lorsque le sol est cultivé de façon permanente sans une bonne rotation des cultures. Cette situation est perceptible dans la plupart des exploitations du département. Le besoin d'assurer l'autosuffisance en maïs et la baisse des rendements ont entraîné une spécialisation des exploitations en maïs. Cette spécialisation s'est accompagnée de modifications des techniques culturales.

Les nouvelles techniques culturales en maïsiculture dans le département

Les nouvelles techniques concernent la préparation du lit de semence et la jachère cultivée. En effet, on note un abandon du brûlis sur toute la surface dans les champs cultivés de façon continue. Les paysans qui appliquent la technique expliquent que le brûlage favorise le développement des mauvaises herbes au détriment des plantes de jachère.

Sur les sols pauvres à végétation de savane du sud-ouest, le billonnage est, selon les paysans, la technique de préparation du sol qui permet d'avoir des rendements en maïs encore acceptables, la culture à plat ne donnant que des rendements en maïs médiocres.

Dans le sud-est et le centre, le billonnage est pratiqué pour cultiver la patate douce. Lorsque celle-ci est suivie de la culture de maïs, le rendement de ce dernier s'en trouve amélioré.

De plus, les paysans considèrent le billonnage comme une technique d'allongement de la durée sous culture des sols. L'effet du billon est attribué au travail profond du sol et au fait que les résidus végétaux soient rassemblés dans la zone des racines.

Une autre technique d'allongement de la durée sous culture des sols et d'amélioration des rendements du maïs est la jachère de manioc semé à haute densité, encore appelée «manioc dense». Cette technique consiste à associer au maïs en grande saison pluvieuse du manioc semé à la densité d'environ 17 000 plants à l'hectare. A la fin de cette saison, le maïs est récolté et le manioc reste seul sur la parcelle en petite saison pluvieuse. Juste au début de la grande saison suivante, le manioc est récolté et le sol est préparé pour la culture de maïs. Sur cette parcelle, le maïs peut être cultivé pendant une à trois saisons (FLOQUET et al. 1985).

L'effet précédent du manioc est attribué au travail profond du sol au moment de la récolte des tubercules, à la profondeur des horizons explorés par les racines et parfois à l'ombrage qui permet de réduire le développement des mauvaises herbes au profit des repousses arbustives. Cet effet n'est positif que sur des sols où repoussent encore des espèces arbustives et non appauvris chimiquement.

La technique de jachère améliorée avec le pois d'Angole (Cajanus cajan), proposée par le CARDER de l'Atlantique dans le cadre du raccourcissement des jachères et de l'amélioration de la fertilité des sols, n'a pas été adoptée par les paysans. Les raisons sont à la fois d'ordre agronomique et socio-économique. En effet, cette légumineuse arbustive pousse mal sur les sols très pauvres où le rendement du maïs est inférieur à 500 kg à l'hectare. Au plan alimentaire, les paysans ne sont pas habitués à consommer les graines de pois d'Angole. Ils reprochent aux graines leur longue durée de cuisson et les attaques dont elles font l'objet au champ, surtout lorsque le temps est humide en période de récolte. De plus, l'effet précédent de sa jachère ne dure qu'une à deux saisons.

Une étude des performances des techniques d'allongement de la durée sous culture des sols, «manioc dense» et billons, réalisée par le programme étude des systèmes de culture traditionnels (ESYCTRA) a montré qu'en termes de marge brute, ces techniques endogènes sont globalement supérieures au pois d'Angole (figures 3 et 4). Cela explique l'attachement des paysans à ces pratiques au détriment des alternatives proposées par la vulgarisation agricole (HINVI et al. 1990). En effet, outre le pois d'Angole dont les raisons de la non-adoption sont expliquées ci-dessus, la plupart des paysans ne pratiquent pas les rotations culturales conseillées et l'utilisation des engrais chimiques. En ce qui concerne les engrais chimiques, dont les prix sont d'ailleurs relativement élevés, leur rentabilisation sur les sols très pauvres n'est pas évidente à cause de la pauvreté marquée de ces sols en matière organique. D'autre part, la spécialisation des exploitations en maïs pour «assurer»l'autosuffisance pour cette denrée ne permet pas de pratiquer une bonne rotation culturale pour stabiliser le rendement du maïs. Il n'y a donc pas de «compromis» équilibré entre la satisfaction des besoins pressants d'aujourd'hui et la nécessité d'adopter des pratiques culturales qui assurent de manière durable de bons rendements en maïs. Il y a là un défi pour la recherche agronomique.

Figure 3. Marge brute cumulée des systèmes «maïs»,«manioc», et «pois d'Angole».

Figure 4. Marge brute cumulée des systèmes «maïs», «billon», «pois d'Angole».

Au total, la recherche agronomique devra proposer des innovations qui s'intègrent assez bien dans les systèmes paysans existants; sans cela, il pourrait y avoir une aggravation du déficit en maïs déjà constatée dans la moitié sud du département par l'Office national des céréales en 1991.

Conclusion

La pression foncière et le raccourcissement de la période ou l'absence dg jachère ont aggravé le problème de baisse de fertilité des sols dans le département de l'Atlantique et ont entraîné une spécialisation des exploitations en maïs.

Les techniques développées par les paysans pour améliorer le rendement du maïs n'ont pas une efficacité durable. Les variétés de maïs qu'ils cultivent sont certes adaptées aux contraintes agronomiques climatiques et socio-économiques, mais les paysans ne disposent pas toujours de quantités suffisantes de semences de variétés de cycle court pour rattraper la saison en cas de semis tardif.

Les alternatives proposées par le CARDER Atlantique, tant en matière de variétés que de techniques culturales, se sont heurtées à des réalités agronomiques et socio-économiques du milieu paysan. Les paysans sont intéressés par des variétés de cycle moyen et court, résistantes aux attaques au champ et dans les structures de stockage traditionnelles, tolérantes à la sécheresse et-possédant de bonnes qualités organoleptiques. Ils préfèrent les techniques qui leur permettent de cultiver sans abandonner la terre et qui satisfont au même moment à leurs besoins en maïs. De ce point de vue, l'agriculture en couloirs a quelques chances par rapport au pois d'Angole chez les agriculteurs propriétaires de leurs terres.

Références bibliographiques

CARDER ATLANTIQUE. Plans de campagne 1984, 1985, 1986, 1987, 1988, 1989, 1990, 1991, 1992.
Abomey-Clavi

DIETRICH B., ALPHA D., HAUKE F., MEYER C., WILLI C., KARL-HEINZ S., 1986. Les possibilités de promotion des petites exploitations agricoles dans la province de l'Atlantique. Berlin, Allemagne, 185 p.

FLOQUET A., HINVI C.J., DAHIN C., MIGUEL V., OMONTECHO A., MOUFTAOu L., 1988. Les systèmes de culture traditionnels de la province de l'Atlantique. Contribution à l'identification des problèmes des paysans de la province de l'Atlantique et à l'identification de solutions répondant aux problèmes de baisse de fertilité des terres. Abomey-Calavi, Bénin, 122 p.

GTZ/ONC 1992. Projet Sécurité alimentaire. Cotonou, Bénin, GTZ/ONC, 28 p.

HINVI C.J., TOTONGNON K.J., VISSOH V. P., DAHIN C., 1990. Les systèmes de culture traditionnels face à la dégradation de l'environnement. Cas du département de l'Atlantique. Résultats d'enquêtes et d'expérimentations de 1986 à 1990. Abomey-Calavi, Bénin, 98 p.

PROGRAMME DES NATIONS-UNIES POUR LE DÉVELOPPEMENT,

1993. Rapport de l'enquête statistique agricole 1992-1993. Cotonou, Bénin, PNUD, Direction de l'ana lyse, prévision et synthèse du ministère du Développement rural.


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