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Ennemis des forêts: lutte biologique et intégrée

J. M. FRANZ

J.M. FRANZ est membre de l'Institut für Biologische Schädlingsbekämpfung, Biologische Bundesanstalt für Landund Forstwirtschaft, Darmstadt, République fédérale d'Allemagne.

La circulation et l'échange international des produits ont multiplié les risques d'introduction d'organismes nuisibles en provenance des autres parties du monde. En outre, des forêts uniformes récemment créées en grand nombre et à la hâte courent le risque d'être attaquées massivement par les organismes nuisibles indigènes ou introduits. La protection des forêts n'est donc pas assurée de manière satisfaisante, malgré les mesures préventives (quarantaine) qu'on peut appliquer et malgré les connaissances considérables en matière de techniques modernes de lutte sylvicole ou chimique. Pour parer de manière efficace à la menace croissante qui pèse sur nos forêts, il sera nécessaire d'envisager les possibilités qu'offrent les mesures biologiques pour la lutte contre les nuisibles.

Les mesures de lutte biologique sont-elles applicables aux forêts?

De manière générale, on peut dire que la lutte biologique consiste pour l'homme à utiliser les ennemis naturels des nuisibles pour en réduire (de manière régulatrice) la population. La lutte biologique, comme la lutte sylvicole, relève de l'écologie appliquée. Les forêts, même les plantations artificielles, représentent un milieu relativement durable et tranquille. Un réseau complexe de facteurs régulateurs biotiques peut se constituer. S'il est naturellement insuffisant, des changements tels que la colonisation des espèces utiles auront le temps de faire sentir tous leurs effets. Les forestiers encouragent également la lutte biologique parce que le coût en est moins élevé que celui des traitements chimiques répétés. Le faible taux de l'accroissement annuel des arbres nécessite des méthodes de lutte économiques. Bien que ce taux soit bas, une forêt en bon état est généralement capable de tolérer des dommages assez importants de la part des nuisibles. Ces seuils économiques relativement élevés rendent possible la survie d'un nombre suffisant d'ennemis naturels se nourrissant aux dépens des nuisibles. Les forestiers cherchent essentiellement à utiliser des méthodes économiques, si possible autoreproductrices, plutôt que des moyens de lutte permettant d'obtenir des densités de nuisibles extrêmement faibles ou leur éradication. La dynamique des populations de nuisibles a été étudiée de manière intensive parce que les écosystèmes forestiers sont de longue durée et offrent des conditions idéales pour ces enquêtes. Les résultats obtenus ont une incidence directe sur les problèmes d'application (Waters, 1969).

Le point de vue écologique permet également de comprendre que la lutte chimique contre les nuisibles soit fréquemment considérée comme un expédient à n'employer qu'en cas d'urgence. Malgré des progrès récents en matière de pulvérisations aériennes, il est rare qu'on puisse éviter de bouleverser de manière considérable la composition naturelle de la faune. Cette conséquence des applications à grande échelle de pesticides non spécifiques s'aggrave lorsque la forêt tire une grande partie de sa valeur non plus de la production de bois mais d'avantages d'un caractère plus général et plus social. La conservation des superficies naturelles, des réserves hydrologiques et du couvert, ainsi que la nécessité de créer des zones à usage récréatif prennent de plus en plus d'importance dans les politiques forestières à mesure que s'accroît la population humaine. La qualité du milieu peut être mise en péril par l'utilisation de biocides chimiques. C'est pourquoi on ne saurait mesurer en termes financiers l'intérêt qu'il y a à éviter d'avoir des superficies contaminées et à réserver des superficies épargnées.

Outre ces problèmes de bien-être général, la possibilité de voir apparaître des souches d'organismes résistants aux pesticides constitue une menace réelle en cas de traitement chimique répété. Le fait récemment découvert que Choristoneura fumiferana (tordeuse. des bourgeons d'épicéa d'Amérique du Nord) présente une tolérance croissante au D.D.T. (Randall, 1963) démontre clairement les dangereuses conséquences d'applications chimiques répétées dans la même région. Les forestiers doivent se rappeler que la résistance aux insecticides n'est pas limitée aux ennemis de l'agriculture. Il serait bon de ne pas abuser d'une des armes les plus efficaces dont on dispose contre les nuisibles et d'envisager d'autres méthodes de lutte assez tôt pour éviter d'avoir à chercher des solutions permanentes en utilisant des mesures d'urgence.

Techniques disponibles pour la lutte biologique contre les organismes nuisibles aux forêts

Dans la brève étude qui va suivre, où seront examinées les techniques utiles pour la lutte biologique et intégrée contre les nuisibles, on fera allusion, entre autres, à des possibilités nouvelles qui n'ont pas encore été confirmées par des tests opérationnels d'efficacité. Pour plusieurs raisons, on examinera essentiellement la lutte biologique contre les insectes. Si l'on cherche une étude plus approfondie du sujet, on est prié de se reporter à des ouvrages et à des comptes rendus modernes, par exemple: Balch, 1960; Beirne, 1962; DeBach, 1964; FAO, 1966; Franz, 1961a et 1961b; 1964; McGugan et Coppel, 1962; Sweetman, 1958; Turnbull et Chant, 1961; Voûte, 1964.

IMPORTATION D'ARTHROPODES ET DE VERTÉBRÉS ENTOMOPHAGES

On connaît la technique classique qui consiste à importer du pays d'origine des ennemis naturels de nuisibles précédemment introduits. Elle est fondée sur l'hypothèse que les ennemis naturels jouent un rôle vital dans la, régulation naturelle des organismes nuisibles et que les insectes introduits deviennent souvent des fléaux parce que ces facteurs limitants essentiels n'ont pas été introduits (Balch, 1960). Il n'est pas question d'examiner ici les théories fondamentales concernant les principes de régulation des populations par les ennemis naturels. Si certains de ces agents biotiques présentent une tendance remarquable à agir en fonction de la densité, d'autres ne le font pas, ou pas suffisamment. En conséquence, certains des nombreux efforts visant à établir des parasites ou des prédateurs d'insectes nuisibles dans des régions étrangères ont été couronnés de plein succès et ont abouti à des résultats ayant une portée économique; d'autres tentatives n'ont eu que des résultats partiels, et un plus grand nombre encore n'ont produit aucun résultat pratique quel qu'il soit.

Malheureusement, il y a une grande différence entre l'essai normalisé d'insecticides uniformes et l'introduction, c'est-à-dire l'essai, d'insectes entomophages. Presque tout est variable dans le second cas; les propriétés de l'espèce intéressée (relations de densité talent de capacité de chasse, fécondité, besoins écologiques) ainsi que les conditions mésologiques de la région test ont toutes leur importance. Les répétitions identiques ne sont jamais possibles.

Après avoir examiné les méthodes permettant d'introduire des insectes entomophages, on envisagera les divers aspects de la planification de la lutte contre les ennemis des forêts. Il suffit de souligner ici la différence fondamentale et insurmontable entre «la lutte au LD50» et les efforts pour manipuler les populations. Dans ce dernier cas, on ne peut qu'accumuler des probabilités de succès et choisir des variables. On peut raffiner les techniques et trouver de nouveaux artifices, mais ils sont tous limités par la nature perpétuellement changeante des organismes vivants. En ce qui concerne l'introduction d'insectes entomophages dans de nouvelles régions, on peut raffiner de plusieurs manières la technique fondamentale dont Koebele a démontré qu'elle était économiquement applicable en Californie il y a environ 80 ans. Elle consiste à prélever des ennemis d'un insecte nuisible dans sa région d'origine et à, les transporter dans la région à traiter, où ils sont relâchés.

C'est dans le pays d'origine du nuisible qu'on a d'abord traditionnellement constitué des collections de parasites ou de prédateurs, où l'on groupait essentiellement les espèces les plus apparentes. Récemment, cette technique a été raffinée et le champ de prospection s'est étendu de telle sorte que les collections comprennent fréquemment aussi:

a) Les espèces peu apparentes et peu abondantes, difficiles à trouver;
b) Les ennemis naturels provenant de toutes les parties de l'aire de distribution des hôtes;
c) Les ennemis d'espèces apparentées;
d) Des ennemis qui ont accepté un hôte nouveau précédemment importé, ou qui s'y sont adaptés, et dont on crée ensuite des colonies dans la zone d'origine du nuisible (importation-adaptation);
e) Des espèces transférées à l'intérieur d'une même aire.

Observations et exemples

a) Le choix des espèces utiles à introduire est un problème compliqué qui ne peut être expose complètement. La méthode usuelle consiste à inclure autant d'espèces de parasites ou de prédateurs que possible dans la mesure où elles n'ont pas d'incidences nuisibles et préfèrent l'hôte que l'on vise. C'est par cette méthode notamment qu'on a introduit d'Europe au Canada les parasites de Diprion hercyniae (tenthrède de l'épicéa d'Europe). Certains se sont multipliés, et ont prouvé leur efficacité à de hautes densités, avant que l'épizootie à virus n'ait influencé la gradation, et d'autres sont apparus plus tard et ont été plus efficaces pour une faible densité de l'hôte (Exenterus vellicatus et Palexorista bohemica). L'issue finale de l'expérience - suppression complète et permanente du nuisible grâce à l'action combinée des parasites et de la maladie à virus (Bird et Elgee, 1957) - ne pouvait être prédite étant donné que les deux groupes de parasites efficaces sont rares en Europe. L'abondance des insectes entomophages dans leur situation naturelle n'est pas un signe très sûr de leur efficacité. Une abondance faible peut résulter de la compétition (Pschorn-Walcher et Zwölfer, 1968). Certaines espèces peuvent paraître rares parce qu'elles ont une période active brève, que leur centre de distribution est ailleurs ou qu'elles vivent seulement dans des habitats bien cachés, par exemple à la cime des arbres. L'activité nocturne a souvent fait croire à la rareté d'une espèce.

Le scarabée Laricobius erichsonii, par exemple, était autrefois considéré comme une espèce si rare que toute capture ou presque donnait lieu à une communication en Europe centrale. Aujourd'hui qu'on a découvert la brièveté de sa période d'activité et son affiliation écologique avec le puceron lanigère de l'épicéa, Adelges piceae (Franz, 1958), on le trouve en grand nombre et il a été expédié en Amérique du Nord, où il s'est établi.

D'une manière générale, la sélection d'ennemis naturels à importer comme agents de lutte biologique perdra une partie de son caractère empirique lorsque le comportement et les besoins écologiques des agents utiles seront mieux connus. La récente colonisation au Canada de deux parasites efficaces de l'arpenteuse d'hiver, Operophtera brumata (Embree, 1965),), tous deux introduits d'Europe comme l'hôte, ainsi que la mise au point de modèles de population pour le nuisible, peuvent constituer un bon départ pour la pleine utilisation des possibilités théoriques des études de simulation. Celles-ci peuvent contribuer à l'avenir à la sélection judicieuse d'agents de lutte biotique prometteurs.

b) Les différences inhérentes parmi les populations d'une espèce donnée, c'est-à-dire l'existence de races biologiquement différentes d'ennemis naturels, ont souvent été utilisées pour choisir les formes les mieux adaptées à la nouvelle niche écologique (Simmonds, 1963). La meilleure façon de rechercher les agents biotiques utiles est de couvrir toute leur aire de distribution. En expédiant des échantillons de parasites ou de prédateurs au laboratoire de la zone menacée et en se livrant ensuite à des tests sur le terrain, on peut trouver la race la plus efficace. Si la rapidité et la portée des moyens de transport modernes ne vont pas sans inconvénients dans la mesure où elles facilitent l'extension des nuisibles, elles présentent l'avantage de faciliter l'échange d'organismes utiles à travers le monde. Des techniques nouvelles ont été découvertes pour expédier avec succès de minuscules guêpes parasites dans les conditions extrêmes du transport moderne par voie aérienne (Bartlett, 1962). Aussi les problèmes techniques du transport ne sont-ils plus aujourd'hui des facteurs limitants pour la lutte biologique. Le problème est ailleurs: il concerne la pénurie d'entomologues qualifiés et formés à l'écologie ainsi que le manque de crédits qui permettraient de les affecter à un projet suffisamment longtemps.

De nombreux insectes nuisibles existent à l'état naturel dans de vastes régions du monde. La tenthrède du mélèze (Pristiphora erichsoni), le bombyx disparate (Lymantria dispar) et la tenthrède du pin d'Europe (Neodiprion sertifer) se trouvent non seulement en Europe, mais également dans la partie orientale de la région paléarctique. Aujourd'hui, la recherche des ennemis naturels à importer en Amérique du Nord continue en Inde septentrionale (parasites du bombyx disparate) et au Japon (contre les deux tenthrèdes). Là, on trouve une faune riche et essentiellement nouvelle d'ennemis naturels, qui offre davantage de possibilités d'additions au complexe de parasites déjà disponible aux Etats-Unis et au Canada (Commonwealth Institute of Biological Control [CIBC], Annual Reports).

Un autre exemple d'élargissement de la prospection des ennemis naturels est le projet relatif au Sirex en Australie et en Nouvelle-Zélande. Bien que des travaux utiles eussent été faits précédemment et que des parasites importés d'Angleterre eussent été établis en Nouvelle-Zélande (Hanson, 1939), le travail exploratoire a été étendu d'une manière considérable depuis que Sirex noctilio s'est établi en Australie. Des recherches sur les parasites des siricides sur conifères sont entreprises dans différentes régions de l'hémisphère nord, à savoir l'Europe, le Pakistan, le Japon et l'Amérique du Nord. Un service australien a été, créé en Angleterre (F. Wilson), qui coopère pour les autres régions avec le Commonwealth Institute of Biological Control. Les travaux ont pour but de découvrir des espèces ou des races de parasites capables de limiter de manière efficace l'effectif de Sirex dans l'hémisphère sud (Taylor, 1967).

c) L'utilisation de parasites et de prédateurs appartenant à des espèces et à des genres d'hôtes apparentés est pratiquée depuis de nombreuses années. L'étude de Pimentel (1963) souligne que cette procédure peut présenter une certaine supériorité sur les méthodes traditionnelles parce qu'il ne s'est pas encore créé d'homéostasie écologique et que l'association entre parasite ou prédateur et hôte est nouvelle. En tout cas, cette source additionnelle d'insectes utiles n'a pas encore été pleinement exploitée. Par exemple, des prospections récemment entreprises en vue de la lutte contre le puceron lanigère du sapin baumier, qui fait actuellement des ravages dans plusieurs secteurs d'Amérique du Nord, s'étendent aux montagnes de l'Himalaya, au Japon ou à l'Argentine, où sévissent seulement d'autres adelges apparentées (CIBC, 1963). Il s'agit de trouver des prédateurs dont la gamme de victimes pourrait comprendre également Adelges piceae. Jusqu'ici, seuls des prédateurs importés de la région d'origine du nuisible ont pu être établis en Amérique du Nord. Leur succès limité est dû probablement à la plus grande vulnérabilité des arbres hôtes (Abies) d'Amérique du Nord par rapport à l'espèce européenne, Abies pectinata (Balch, 1960), et peut-être au fait que le complexe de prédateurs présente, en cas de multiplication des hôtes (Eichhorn, 1969), une réaction à la densité imparfaite. D'autre part, des cas classiques de lutte biologique utilisant cette méthode ont été décrits. Ils ont démontré que la recherche de nouveaux ennemis appartenant à des espèces apparentées n'est pas une question de hasard et peut réussir si l'on connaît les données écologiques nécessaires. On trouve un exemple de ce type d'inclusion délibérée d'un parasite d'un hôte voisin dans le fameux livre de Taylor (1937) sur la lutte contre un coléoptère mineur de la feuille du cocotier, Promecotheca reichei, par transfert de parasites d'un coléoptère appartenant au même genre. Pimentel (1963) énumère 27 autres exemples dans son étude.

d) «Importation-adaptation» est une expression nouvelle qui désigne un cas particulier d'utilisation d'insectes entomophages possédant une vaste gamme d'hôtes. Si un parasite ou un prédateur indigène attaque avec succès un nuisible nouvellement importé, il y a des chances pour qu'il agisse de même après avoir été importé dans la région d'origine du nuisible. Evidemment, l'hôte attaqué ne doit pas être déjà «occupé», au stade considéré, par un ennemi indigène efficace. Je ne connais encore aucun exemple d'utilisation efficace de l'importation-adaptation contre des insectes forestiers. Un projet relatif à la tordeuse européenne des pousses du pin, Rhyacionia buoliana (Franz, 1968a), est en cours. Ce nuisible paléarctique a été introduit par inadvertance dans d'autres continents. Plusieurs parasites indigènes acceptent facilement l'espèce en Amérique du Nord. Trois laboratoires en Allemagne et un laboratoire en Pologne s'occupent actuellement d'établir une descendance permanente et plus tard de coloniser deux parasites hyménoptères prometteurs (Itoplectis conquisitor et Elachertus thymus) en Europe centrale, région d'origine de ce nuisible. D'autres possibilités et différentes réactions des parasites sont étudiées par Zwölfer et Pschorn-Walcher, 1968.

e) Le transfert, à l'intérieur d'une même région continentale, d'ennemis naturels indigènes peut contribuer à accélérer leur extension naturelle. S'ils peuvent se disperser tout seuls, il arrive souvent que le processus soit long ou qu'il soit entravé par des barrières géographiques. Certains projets de ce type sont à l'étude dans la région méditerranéenne. L'un consiste à rechercher les ennemis naturels des chenilles processionnaires du genre Thaumetopoea dans cette région; l'objectif final sera la colonisation générale des agents qui manquent dans certaines régions. Plus avancées sont les études concernant le transfert de parasites de Coleophora laricella de l'est vers l'ouest des Etats-Unis. Agathis pumila, un braconide importé originellement d'Europe comme le nuisible lui-même, a été établi dans l'Idaho. Sachant que le parasite a plus d'effet lorsqu'il coexiste avec l'eulophide Chrysocharis laricinellae, le résultat de cette expérience de transfert présentera un. grand intérêt.

Il existe un autre projet, qui consiste à transporter et à coloniser des fourmis prédatrices forestières du groupe Formica rufa, notamment en Allemagne, en Italie et en Espagne. Ces fourmis se sont montrées des prédatrices agressives (du moins par moment) de plusieurs chenilles et tenthrèdes forestières en Europe. De nouvelles colonies ont été établies dans des forêts très prédisposées à des attaques répétées de ces nuisibles. Le transfert de colonies de fourmis (Formica lugubris) des Alpes aux Apennins d'Italie centrale et méridionale montre les possibilités techniques de ces expéditions intérieures à la région (Pavan, 1961). On verra avec le temps si ces nouvelles colonies réussissent, d'une part, à créer des colonies d'aphidiens comme sources d'alimentation de base et, en second lieu, à supprimer de nouvelles attaques des nuisibles. Il faut prendre soin de ne pas protéger du même coup des aphidiens nuisibles. Ces transferts assurent déjà un avantage secondaire intéressant: Formica stimule la production de miel d'aphidiens relativement inoffensifs (Lachnidae) qui vivent sur les conifères. Elle permet ainsi aux apiculteurs de récolter, en moyenne, une quantité au moins double de ce miel apprécié (Wellenstein, 1960). C'est l'un des rares cas d'effets économiques secondaires des mesures de lutte biologique.

Des expériences plus anciennes montrent que les transferts, à l'intérieur d'une région, de parasites ou de prédateurs indigènes peuvent aboutir à des succès remarquables, par exemple au Canada (McLeod, 1962), aux Etats-Unis (Clausen, 1956) et en U.R.S.S. (Rudnew et Telenga, 1958). Il est évident qu'une vaste superficie continentale offre de telles possibilités. Celles-ci peuvent être explorées et utilisées au mieux si une étroite collaboration existe entre tous les experts du même continent. L'exemple le plus récent et le mieux étudié de transfert intrazonal d'un vertébré insectivore est l'introduction de la musaraigne (Sorex cinereus cinereus), que l'on a entreprise avec succès à Terre-Neuve (Canada) depuis 1958 pour augmenter les ennemis naturels de la tenthrède du mélèze (Pristiphora erichsoni) dans cette région. Bien que la prédation des cocons de la tenthrède ait été moindre qu'on n'espérait, le bénéfice net de la limitation naturelle du nuisible est considérable (Buckner, 1966).

Si l'on résume ce chapitre sur les nouvelles tendances de l'importation des arthropodes et des vertébrés entomophages, on peut dire que ce domaine s'est remarquablement étendu depuis que Koebele, en 1888, a expédié les premières coccinelles (Rodolia cardinalis) d'Australie en Californie. En dépit de certaines controverses sur la possibilité d'exclure l'élément empirique de la lutte biologique et le danger des importations multiples, tous les experts sont d'accord pour dire qu'il est nécessaire d'obtenir le plus de détails possible sur les propriétés des auxiliaires susceptibles d'importation (Zwölfer, 1967). Finalement, il n'y Et pas d'autre moyen que d'essayer, et l'ordre des introductions de prédateurs ou de parasites ne semble pas avoir la grande influence qu'on lui prête quelquefois (Hulfaker et Kennet, 1969).

LUTTE MICROBIENNE

L'utilisation de micro-organismes pathogènes est devenue un domaine important de la lutte biologique. Bien que les efforts en ce sens datent d'environ 80 ans, le développement de cette méthode a été dû essentiellement à une meilleure connaissance des organismes pathogènes tels que les virus, les bactéries, les protozoaires et les champignons. On a obtenu des résultats économiquement importants essentiellement avec des virus et des bactéries au cours des vingt dernières années. Les larves de tenthrèdes et de lépidoptères étaient les objectifs de ces opérations. Il n'est pas question de les énumérer ici. Comme dans le chapitre précédent sur l'importation, je me propose d'examiner seulement certains points nouveaux (techniques et concepts) en matière de lutte microbienne. La ressemblance d'application entre les organismes pathogènes et les insecticides a conduit à lancer l'expression d'«insecticide microbien». On a eu ainsi l'impression que les organismes pathogènes sont essentiellement des insecticides plus sélectifs. Certaines des différences fondamentales entre ces deux instruments de protection forestière ont été dissimulées par cette terminologie. Ainsi, en plus des techniques, les différences fondamentales entre les agents chimiques et les agents biotiques seront examinées sous les rubriques suivantes: a) diffusion et persistance; b) vecteurs; c) sélectivité et sécurité; d) résistance des hôtes; e) évaluation des taux de mortalité.

La pathologie des insectes et la lutte microbienne sont des secteurs en développement rapide; il existe des études et ouvrages nouveaux et exhaustifs qu'on doit consulter (Burges et Hussey, 1970; Cameron, 1963; Franz, 1961a; Krieg, 1961; van der Laan, 1967; Maramorosch, 1968; Müller-Kögler, 1965; Steinhaus, 1963; Tanada, 1967).

Diffusion et persistance. La diffusion artificielle des organismes pathogènes par le poudrage et la pulvérisation est très analogue à l'application des insecticides. Selon la situation, on a constaté l'utilité du matériel au sol et du matériel aéroporté pour la pulvérisation, la nébulisation et le poudrage. Des études approfondies ont révélé qu'il était possible d'utiliser de l'huile à la place de l'eau comme entraîneur de bactéries et de virus (Smirnoff et Juneau, 1963) ou de mélanger certains insecticides avec des préparations pathogènes sans réduire l'effet ni des uns ni des autres (McEwen et al., 1960; Jaques, 1963). Il faut néanmoins prendre soin de choisir des agents compatibles. Récemment, on a utilisé avec succès l'équipement de pulvérisation de volume ultra-réduit pour appliquer, par exemple, les polyèdres du virus du ravageur du pin Douglas (Hemerocampa pseudotsugata), dans l'Oregon (Anonyme, 1969).

La diffusion artificielle d'organismes pathogènes est recommandée lorsque la diffusion naturelle est insuffisante soit par suite du manque de temps ou parce que la densité de la population hôte est trop basse. Des progrès remarquables ont été enregistrés en ce qui concerne la disponibilité en organismes pathogènes d'insectes se prêtant à la production de masse pour être utilisés à une échelle commerciale. Bacillus popilliae et B. lentimorbus ainsi que le champignon Beauveria bassiana sont des exemples de l'intérêt que manifeste l'industrie pour la préparation de matériel utile aux forestiers. Les virus polyédriques et granuleux, protégés dans les corps d'inclusion, sont utilisés depuis 30 ans dans la foresterie. La production est relativement facile et peut être recommandée également pour les pays en développement. La culture et l'infection des larves en vue de la production de virus ne demandent pas de matériel coûteux. Les suspensions non purifiées ont fait preuve d'une efficacité particulièrement élevée sur le terrain contre le bombyx disparate Lymantria dispar (Magnoler, 1968). Si l'on dispose d'une suspension mère, des hôtes de remplacement peuvent parfois être utilisés pour la production d'organismes pathogènes. Exemples: virus polyédrique cytoplasmique de la processionnaire du pin (Thaumetopoea pityocampa) produit sur l'écaille martre Arctia caja (Sidor, 1965), microsporidie Telohania pristiphorae de Pristiphora erichsonii produite sur larves de chenilles Malacosoma (Smirnoff, 1968). La possibilité de traiter un hectare de forêt avec les polyèdres d'une ou deux douzaines de larves adultes rend cette méthode très économique. Cependant des opérations plus importantes nécessiteraient des préparations, qui se trouvent dans le commerce. L'industrie prépare aussi des virus contre plusieurs ennemis des forêts comme Neodiprion sertifer, L. dispar et Hemerocampa pseudotsugata aux Etats-Unis. Des spécifications ont été mises au point en ce qui concerne l'innocuité, la virulence à l'égard de l'insecte attaqué, la spécificité, les procédures de traitement et de purification (W. E. Waters, comm. pers.). Les techniques de production se sont améliorées à tel point que les coûts sont compétitifs par rapport aux insecticides chimiques (Ignoffo, 1968).

Outre les méthodes mécaniques traditionnelles d'application des agents pathogènes, on a essayé avec succès de nouvelles méthodes utilisant les processus biologiques. Les femelles du papillon Colias eurytheme ont été relâchées dans une cage après contamination de leur appareil génital avec une pâte contenant des polyèdres de virus nucléaire. Chaque fois que la femelle pondait un œuf, elle contaminait la coquille de l'œuf ou la surface de la feuille avec l'agent pathogène. Plus de 60 pour cent des larves ont été infectées (Martignoni et Milstead, 1962). Les résultats d'expériences analogues sur la dissémination naturelle des virus par Trichoplusia ni dans des cages sur le terrain ont été moins encourageants (Elmore et Howland, 1964). Une dissémination plus naturelle a été essayée sur Neodiprion swainei (Smirnoff, 1962). On a répandu sous les pins des cocons contenant des larves qui avaient reçu une infection sublétale au cours d'un stade précédent. Les femelles sorties du cocon ont pondu des œufs infectés et l'épizootie s'est étendue à toute la population naturelle en bonne santé. Evidemment, cette méthode présente des avantages parce qu'elle nécessite seulement de petites quantités d'agents pathogènes et ne réclame aucun matériel coûteux pour l'application sur le terrain. En outre, la dispersion des agents pathogènes est réalisée par l'insecte et elle s'étend bientôt à toute la population hôte. Surtout là où les zones forestières sont dispersées, la diffusion des agents pathogènes par lâcher d'adultes contaminés comme porteurs sains ou la distribution d'individus infectés de manière latente peuvent être des méthodes très utiles (Knipling, 1960). Ces possibilités démontrent les grandes différences entres la lutte chimique et la lutte bactériologique.

La diffusion artificielle répétée est nécessaire là où les agents pathogènes ne persistent pas de manière naturelle. Hôtes et agents pathogènes, influencés tous deux par leur milieu, déterminent l'effet et la persistance d'une maladie dans les populations d'insectes. On connaît plusieurs exemples où les maladies persistent et se perpétuent d'elles-mêmes, soit sans l'aide de l'homme, soit après interventions biologiques. Deux possibilités permettent ces effets de longue durée: la «persistance mésologique» et la «persistance biologique».

Persistance mésologique. L'agent pathogène lui-même est très résistant, par exemple les virus dans les corps d'inclusion ou les bactéries et les microsporidies dans les spores. Ce type de persistance contre les influences du milieu peut être comparé à l'effet à longue durée des insecticides comme les hydrocarbures chlorés qui restent actifs dans le sol pendant des années. Les expériences systématiques de Jaques (1967) ont montré que les virus polyédriques nucléaires de l'arpenteuse (Trichoplusia ni) restent viables dans le sol pendant plusieurs années. On peut supposer la même chose des virus polyédriques nucléaires des insectes forestiers. L'industrie a grandement amélioré plusieurs préparations de virus et de B. thuringiensis grâce à des formules spécifiques qui utilisent des tampons ou des substances de revêtement pour accroître leur persistance mésologique. La condition spécifique et le stade d'infection peuvent déterminer si un agent pathogène est capable ou non de survivre pendant quelque temps. C'est ainsi que B. thuringiensis a la vie brève en agriculture; mais il peut persister dans les carcasses du bombyx du pin (Dendrolimus sibiricus) attachées aux aiguilles des conifères et provoquer ainsi l'infection des larves de la génération suivante (Talalaev, 1958).

Persistance biologique. Cet autre type de persistance résulte de l'activité du vecteur ou de la transmission de l'agent pathogène d'une génération à la suivante (transmission verticale). Cette transmission a lieu fréquemment avec des virus et avec des microsporidies, plus rarement avec des bactéries. Les viroses de certaines tenthrèdes et la microsporidiose du ver de l'épicéa (C. fumiferana) sont des exemples bien connus. La persistance biologique est possible lorsque l'agent pathogène est capable de traverser certains stades de l'hôte en état d'activité. Ces individus affectés de manière latente sont encore capables de s'apparier et de pondre. Les femelles (et rarement les mâles) transmettent des agents pathogènes par ces moyens et provoquent des infections chez la descendance immédiate ou après plusieurs générations. Ce type de transmission démontre à nouveau les grandes différences entre les agents pathogènes vivants et les insecticides chimiques. Etant donné les différences de persistance des agents pathogènes dans le milieu et dans la population hôte, la durée des effets obtenus par la lutte microbienne varie d'une manière considérable. Les extrêmes sont fréquemment appelés lutte à court terme et lutte à long terme, mais il y a des nuances intermédiaires. Avec B. thuringiensis, on obtient généralement une lutte à court terme. Son utilisation en foresterie ne peut être, recommandée, pour des raisons économiques, que là ou les récoltes forestières de haute valeur sont en danger, où l'attaque ne dure pas trop longtemps, et où des circonstances particulières mettent en jeu la qualité du milieu et la santé publique. On en trouve un exemple dans la lutte contre Tortrix viridana en République fédérale d'Allemagne. On a préféré B. thuringiensis, près de la ville d'Hanau, à cause de son innocuité pour l'homme et les animaux; ce traitement assure une protection foliaire suffisante (environ 80 pour cent), évite la croissance de branches épicormiques et donne une bonne glandée (Franz et al., 1967).

D'autres exemples de lutte microbienne à court terme en Europe et en U.R.S.S., avec des préparations de B. thuringiensis, ont fait l'objet d'une étude récente (Franz et Krieg, 1967). Il s'agit de résultats satisfaisants obtenus sur le terrain contre Dendrolimus sibiricus, Tortrix viridana, Selenophora lunigera, Thaumetopoea pityocampa et T. wilkinsoni, Zeiraphera griseana et Lymantria dispar (en certains cas, efficacité seulement moyenne). La nonne (Lymantria monacha) n'est pas vulnérable. Choristoneura murinana n'a pas fait l'objet de résultats satisfaisants, ce qui correspond aux expériences des entomologistes nord-américains publiées jusqu'ici sur C. fumiferana. Des essais avec des insectes forestiers en Amérique du Nord ont été également en partie positifs, à savoir contre C. Pinus (Cameron, comm. pers.) ou Acleris variana (Morris, 1969). D'autres exemples sont étudiés par Falcon au chapitre «Use of bacteria in microbial control» dans Burges et Hussey, 1970.

Les exemples de lutte microbienne à moyen et à long terme en forêt concernant les virus sont trop nombreux pour être énumérés ici. Les insectes nuisibles, en plus de ceux qui sont mentionnés dans cette étude, appartiennent aux Diprionidae et aux Lepidoptera (genres Dendrolimus, Malacosoma, Hyphantria, Lymantria, Thaumetopoea, Kotochalia, etc.). Des expériences pilotes utilisant les virus contre C. fumiferana et l'espèce européenne correspondante (C. murinana) ont obtenu des succès pour la première fois au Canada (Cameron, comm. pers.) et en Allemagne (Schönherr, 1969). D'autres exemples sont énumérés dans les études et livres récents mentionnés ci-dessus.

Dans le cas des nuisibles étrangers, un effort doit être fait pour trouver si des maladies jouent un rôle limitatif naturel dans le pays d'origine. L'effet persistant des maladies virales importées de la tenthrède européenne (D. hercyniae) et, à un moindre degré également, de la maladie blanche du hanneton (Popillia japonica) est un résultat encourageant d'introductions en partie involontaires, en partie volontaires d'agents pathogènes vers de nouvelles régions. Un rare exemple d'importation d'un nouvel organisme pathogène dans une zone précédemment envahie par un insecte nuisible est celui de Rhabdionvirus oryctes, employé avec des résultats spectaculaires contre Oryctes rhinoceros dans les cocoteraies de Samoa et des îles environnantes (Huger, 1966 et comm. pers.).

Même si les maladies ne sont pas assez puissantes pour supprimer à jamais les populations, elles peuvent compléter utilement le complexe des facteurs de mortalité comme dans le cas du zigzag (L. dispar) en Amérique du Nord, où des épidémies régulières de la, maladie de dessèchement (nucleó-polyédrose) évitent les proliférations massives persistantes de l'insecte.

Comme dans le cas des insectes entomophages, les maladies ne se limitent pas toujours à un seul hôte. L'expérimentation en Europe du «web-worm» américain (Hyphantria cunea) a démontré qu'après dix ans dans le nouveau milieu, le ver abritait trois maladies à microsporidies et trois à virus, toutes inconnues et probablement inexistantes en Amérique du Nord. On soupçonne que le ver a contracté ses maladies auprès de larves de lépidoptères qui vivaient en Europe dans le même habitat (Weiser, 1956).

Il semble qu'on puisse en conclure d'une façon générale que la recherche de nouveaux ennemis naturels à l'étranger devrait automatiquement comporter une recherche de pathogènes, y compris d'espèces voisines, tout particulièrement si les insectes entomophages à eux seuls ne peuvent maintenir les nuisibles à un taux suffisamment bas.

Vecteurs. Que les insectes nuisibles soient indigènes ou importés, il importe de considérer les facteurs qui favorisent la persistance des effets biologiques.

Les prédateurs ou les parasites peuvent jouer dans la transmission des maladies un rôle de vecteurs qu'on néglige souvent, car nous tendons à juger la valeur des agents biotiques d'après la mortalité directe qu'ils provoquent. Il est difficile d'évaluer l'efficacité des vecteurs qui répandent naturellement une maladie. Nous savons que le passage de certains agents pathogènes à travers l'appareil intestinal de prédateurs comme les campagnols, les oiseaux ou les insectes, n'inhibe pas leur capacité d'infection. Les hyménoptères parasites peuvent transmettre des micro-organismes lorsqu'ils introduisent leur ovipositeur dans les hôtes, soit pour se nourrir, soit pour pondre. La propagation des agents pathogènes, entre autres à partir des cadavres ou des excréments, permet, on le sait, à une épizootie d'être prolongée par l'activité des vecteurs. Bien qu'on dispose de très peu de renseignements précis sur l'effet total des vecteurs, à part une excellente étude sur la tenthrède de l'épicéa d'Europe au Canada (Bird et Burk, 1961), cet aspect de la lutte microbienne ne doit pas être négligé à l'avenir. Nous examinerons ci-dessous comment on peut enrichir (voir Conservation) les populations de parasites et de prédateurs.

Un cas particulier d'activité de vecteurs est celui du nématode Neoaplectana carpocapsae, désigné communément sous le nom de DD-136 (Dutky, 1959; Poinar, 1967). Ces vers portent des bactéries pathogènes pour les insectes. En apparence, la relation est de symbiose. Une vaste gamme d'insectes est attaquée par le nématode et, partant, par l'infection septicémique. Plusieurs qualités de ce nématode en font un agent idéal pour la colonisation de nouvelles zones - grande tolérance aux températures, facilité de conservation et facilité de propagation, résistance à de nombreux insecticides, simplicité d'application avec un équipement de pulvérisation classique. Plusieurs insectes forestiers y sont sensibles, notamment des insectes mineurs (Schmiege, 1963; Nash et Fox, 1969). Les nématodes pénètrent dans les tunnels d'alimentation et sont ingérés par l'hôte. Cependant, leurs besoins en humidité sont élevés et leur survie dépend de l'existence de lieux humides. On peut entretenir plus longtemps l'humidité nécessaire en ajoutant à l'émulsion aqueuse des produits qui retardent l'évaporation (Webster et Bronskill, 1968). Cependant, les récentes évaluations d'expériences pratiques ne permettent pas beaucoup d'espoir (Niklas, 1967, 1969). Etant donné qu'une utilisation fréquente de suspensions de nématodes serait probablement trop coûteuse en foresterie à part quelques cas particuliers, la nécessité de fournir une variété d'habitats fauniques et floraux est soulignée. Il serait bon d'envisager des études sur la possibilité de créer par des mesures culturales des centres de colonisation de nématodes dans les plantations ou les forêts très aménagées.

Sélectivité et sécurité. Certains pathogènes des insectes sont hautement spécifiques et limités à une seule espèce d'hôte, par exemple plusieurs virus de tenthrèdes de conifères. D'autres, comme Bacillus popilliae, agent de la maladie blanche des hannetons japonais, ou B. thuringiensis, infectent un groupe d'espèces apparentées. B. thuringiensis attaque essentiellement les larves de lépidoptères qui s'alimentent à la surface des végétaux (Angus, 1968; Heimpel, 1967; Heimpel et Angus, 1960; Krieg, 1967). Cette plus large spécificité est avantageuse lorsqu'elle permet de combattre plusieurs nuisibles avec un seul agent pathogène. En outre, les insectes utiles ne sont pas affectés, et l'équilibre naturel n'est pas troublé comme avec les insecticides de longue durée et à large spectre. Il sera nécessaire de suivre de près l'effet des préparations à base de champignons Beauveria que l'on peut désormais se procurer en Amérique (Dune et Mechalas, 1963) et en Europe (Martouret, 1969; Samsinakova, 1964). La protection d'une biocénose régulatrice après la réduction immédiate de la population de nuisibles reste d'une importance capitale en foresterie, beaucoup plus qu'en agriculture où le seuil économique est plus bas et où il arrive souvent qu'on considère uniquement les conséquences immédiates des traitements. En outre, toutes les préparations microbiennes utilisées jusqu'ici contre les insectes ne présentent aucun danger pour les hommes et les animaux domestiques. Cela élimine le problème des résidus toxiques et de l'empoisonnement accidentel des vertébrés, dont l'homme, à la suite de manipulations imprudentes; caractéristique qui contraste avec la plupart des insecticides.

Résistance des hôtes. On admet à présent que l'apparition de nuisibles présentant une tolérance plus ou moins grande aux insecticides s'explique par la sélection de souches génétiques mieux aptes à survivre aux effets de ces produits. On peut se demander si ces changements pourraient également résulter de la lutte microbienne (Franz, 1966b). Lorsqu'un composé chimique et un insecte nuisible réagissent l'un sur l'autre, seul le second este capable de subir un changement génétique. Cependant, dans la lutte entre agent pathogène et hôte, tous deux ont la possibilité de changer dans le sens d'une plus grande pathogénicité ou d'une plus grande tolérance, respectivement. En outre, la sélection par les agents pathogènes n'est probablement jamais aussi extrême que celle que produisent les insecticides, parce que d'autres ennemis naturels continuent à exercer une pression. Ainsi donc, théoriquement, l'accroissement de la tolérance à l'égard des agents pathogènes devrait se produire plus rarement qu'à l'égard des insecticides ou ne pas avoir lieu du tout. Très peu d'agents pathogènes des insectes ont été étudiés assez longtemps pour qu'on puisse formuler un jugement de portée générale. En fait, les observations ont montré que la tolérance à l'égard de certains micro organismes peut être accrue grâce à une sélection continue en laboratoire. C'est ainsi que Pieris brassicae a perdu une grande partie de sa sensibilité première à un virus granulosique après culture et sélection continues en laboratoire (David et Gardiner, 1960).

Cependant, dans la nature, où la sélection n'est ni si unilatérale ni si durable, on n'a jamais constaté que la réduction de la sensibilité des populations d'insectes ait été l'effet permanent d'une mortalité élevée due à un pathogène, bien que de petits changements cycliques dans la tolérance des hôtes soient probables dans certains cas (Martignoni et Schmid, 1961). Aucune des utilisations répétées de pathogènes en forêt ne semble avoir provoqué une diminution de l'efficacité de l'agent biotique, qu'il soit indigène ou exotique. L'exemple le plus systématiquement étudié est l'effet persistant du virus de la tenthrède de l'épicéa d'Europe mentionné plus haut. Vingt ans après l'introduction du virus au Canada, on n'a détecté aucun changement dans le taux de la mortalité, et les caractéristiques de l'hôte et de l'agent pathogène ne semblent pas avoir été altérées (Bird et Burk, 1961).

Bien qu'un certain optimisme soit permis, il faut faire attention lorsque des pathogènes comme B. thuringiensis sont cultivés en milieu artificiel pendant un très grand nombre de générations. Le contre-équilibre entre agent pathogène et hôte est rompu, et des mutants de pathogénicité différente peuvent apparaître. Il conviendra de contrôler ces processus de façon permanente, en ce qui concerne tant leur effet sur les insectes que leur innocuité à l'égard des animaux à sang chaud.

Evaluation des taux de mortalité. Les différences entre les méthodes de lutte biologique et chimique sont très claires après application, lorsqu'on mesure l'effet du traitement. L'intervalle entre la pulvérisation et la mortalité est généralement plus long avec les agents pathogènes. Un exemple extrême est fourni par la diffusion artificielle d'une virose nucléaire de la chenille molle du Grand Bassin (Malacosoma fragile), dans des forêts de trembles du Nouveau-Mexique, Etats-Unis (Thompson, 1959). La population de ce nuisible a subi une mortalité de 100 pour cent deux ans après l'infection. Dans les forêts capables de résister à plusieurs années de dégâts, on peut recommander le déclenchement précoce d'épizooties, même à action lente, s'il est prouvé que leur effet présente une persistance plus grande que les insecticides. On ne peut, dans ce cas, se fonder sur la mortalité immédiate pour juger de la valeur de la méthode.

Non seulement la rapidité, mais le degré de la mortalité est quelquefois plus faible après utilisation d'agents pathogènes microbiens qu'après celui d'insecticides. Comme nous l'avons déjà vu, des individus infectés de manière latente sont fréquemment nécessaires pour transmettre l'épizootie d'une génération à l'autre. Aussi, après utilisation de certains agents pathogènes comme les virus des tenthrèdes, la mortalité totale n'est pas désirable. La survie d'une partie de la population traitée assure la transmission de la maladie à la génération suivante: le niveau tolérable nuisibles dépend évidemment du seuil économique. Il est fonction de plusieurs facteurs biologiques et économiques. Ici encore, les principes d'application et ceux d'évaluation de la mortalité diffèrent grandement des méthodes classiques de la lutte par insecticides. Aussi, les comparaisons entre les insecticides et les agents de lutte microbienne ne peuvent exprimer la vérité complète si l'on s'attache uniquement à la pente de la ligne des probits dans une courbe de la mortalité en fonction du dosage. Les formules habituelles de correction d'Abbott ou celles, identiques, de Schwerdtfeger ont une application limitée en lutte biologique. Lorsqu'on a affaire à des agents pathogènes à action lente, l'évaluation des pertes foliaires totales dans les parcelles traitées et non traitées peut permettre d'obtenir les résultats les plus significatifs (Franz, 1968). Si l'on connaît mieux le mécanisme de régulation des populations naturelles, on peut obtenir le même résultat économique au prix d'efforts et de dépenses moindres. On pourrait invoquer d'autres exemples pour prouver que la simple comparaison numérique des chiffres de mortalité ne révèle pas toutes les conséquences de la lutte chimique ou microbienne.

Une conséquence possible et inattendue de la lutte microbienne concerne le «sex ratio». L'abondance relative de chacun des sexes est fondamentale pour le potentiel de reproduction d'une population. Par exemple, les femelles des tenthrèdes du pin (Neodiprion sertifer et N. pratti) ont un stade larvaire de plus que les mâles. Elles sont donc exposées à l'infection plus longtemps que les mâles lorsque les virus sont appliqués artificiellement; les mâles atteignent plus tôt le stade prépupal, qui est relativement peu sensible. Par conséquent, l'utilisation du virus ne provoque pas seulement une forte mortalité des tenthrèdes, mais il existe une plus grande perte de larves femelles que de larves mâles (Bird, 1961; Mclntyre et Dutky, 1961). L'élimination sélective des femelles entraînant une modification du sex ratio est, elle aussi, une caractéristique particulière des agents pathogènes.

En conclusion, nous pouvons dire que les agents pathogènes microbiens offrent plusieurs possibilités nouvelles pour la lutte contre les insectes forestiers. Ce qu'il faut surtout, c'est intensifier la recherche, pouvoir expérimenter plus facilement des préparations nouvelles sans réussite obligée dès le premier essai, et tenir plus grand compte des facteurs écologiques dans la lutte contre les nuisibles.

MANIPULATION GÉNÉTIQUE

Les populations naturelles sont dans un état de changement perpétuel. Non seulement les effectifs, le sex ratio, les classes d'âge se transforment ainsi que d'autres caractères phénotypiques, mais la composition génétique est également modifiée par chaque individu perdu ou gagné par le groupe. La manipulation artificielle des populations a été tentée avec deux objectifs: a) les améliorer, ou au contraire b) les rendre moins aptes à la sur vie.

Sélection de souches améliorées. L'élevage de variétés mieux adaptées à un certain objectif est depuis longtemps pratiqué chez les animaux domestiques, y compris les vers à soie et les abeilles. On a étudié récemment les moyens d'améliorer par sélection l'efficacité des prédateurs ou des parasites (DeBach, 1958; Franz, 1961a; Simmonds, 1963). Quatre mesures ont été envisagées: a) détermination des caractères nécessitant une amélioration; b) constitution d'une variabilité génétique suffisante, c) modes de sélection satisfaisants, d) maintien de l'intégrité de la nouvelle souche sur le terrain.

Comme il a été dit ci-dessus, l'accumulation d'une aussi grande variabilité génétique que possible constitue le fondement moderne de l'importation d'insectes utiles. Dans ce réservoir, la sélection naturelle préservera les souches qui sont supérieures dans les conditions mésologiques régnantes. Il est néanmoins nécessaire d'avoir un bon point de départ, et il faut que les effectifs relâchés soient à même de soutenir la concurrence de la population existante (Wilson, 1965).

La sélection au laboratoire de certaines qualités améliorées n'a pas encore donné de bons résultats sur le terrain, probablement parce que toute sélection en milieu fermé est nécessairement unilatérale. Ce biais peut être acceptable lorsqu'il s'agit d'animaux domestiques ou bien d'insectes utiles élevés en masse en vue d'une utilisation unique selon la «méthode d'inondation». On oublie souvent que la production massive continue au laboratoire aboutit à la sélection de souches adaptées à cette procédure. La nécessité de pratiquer l'élevage en masse dans des conditions plus naturelles a donc été soulignée dans le cas où la souche est cultivée pour être relâchée sur lie terrain (Stein et Franz, 1960).

On connaît bien le cals du parasite importe Mesoleius tenthredinis de la tenthrède du mélèze (Pristiphora erichsonii); ce parasite a perdu son efficacité première en Amérique du Nord parce que la plupart des larves hôtes sont devenues capables d'encapsuler l'embryon du parasite (Muldrew, 1953). Comme tous des parasites importés contre la tenthrède étaient autrefois recueillis en Angleterre, où les forêts de mélèzes ne sont pas autochtones, la raison de cet échec local peut être attribuée à la faible variabilité de la souche parasite originelle. Les introductions d'autres biotypes en provenance d'autres secteurs de l'aire de distribution (Bavière) du parasite (Muldrew, 1964) ont abouti à l'établissement, et l'encapsulation commence à diminuer. En outre, l'ichneumonide Olesicampe benefactor a été introduit d'Europe au Manitoba; il a atteint plus de 90 pour cent de parasitisation à l'endroit du lâcher et a été transféré avec succès à d'autres provinces canadiennes (Simmonds, 1969). La rareté de ces cas où des mécanismes de défense se développent cirez l'hôte contre le parasite démontre que généralement l'hôte et le parasite efficace entretiennent une relation équilibrée, qui contribue probablement à prolonger l'existence de l'un ou de l'autre (Doutt, 1960). Si cet équilibre est rompu, la lutte biologique permet, par manipulation génétique et/ou introduction de nouveaux parasites (comme le montre l'exemple), de rétablir l'efficacité du complexe parasitique.

A l'avenir, la sélection de souches plus tolérantes aux pesticides pourrait donner de bons résultats pour le lâcher en serres, en zones isolées, et dans le cas d'espèces utiles comme les acariens prédateurs, dont le pouvoir de dispersion est faible. Dans de nombreuses situations, l'intégrité des nouvelles souches sera mise en danger et les qualités souhaitées seront perdues si la pression de sélection en faveur de cette nouvelle qualité est généralement basse et si d'autres individus non sélectionnés peuvent envahir la zone du lâcher.

Les agents biotiques utiles possédant un pouvoir de dispersion faible comme les agents pathogènes sont particulièrement adaptés à la sélection. On a signalé les résultats prometteurs de certaines souches de virus polyédrique nucléaire sélectionnées pour leur virulence contre la tenthrède du pin de Swaine (Smirnoff, 1961). Des résultats analogues ont été obtenus sur le terrain contre le bombyx disparate (Orlovskaja, 1962), et au laboratoire contre la teigne Galleria mellonella en utilisant des virus (Veber, 1964). La sélection a été effectuée en transmettant d'une manière expérimentale les virus des larves qui étaient mortes les premières et présentaient les symptômes les plus nets. La même hétérogénéité du matériau viral a permis l'adaptation d'un virus de la tenthrède du peuplier (Trichiocampus viminalis) à une tenthrède du saule étroitement parente (T. irregularis) en trois passages (Smirnoff, 1963). On a observé en Afrique qu'une souche de virus provenant de larves de la psyché de l'acacia (Kotochalia junodi) recueillies au cours d'une prolifération dans une zone éloignée agissait plus vigoureusement sur une population test (Ossowski, 1960); cela prouve une fois de plus que la variabilité des virus et probablement aussi d'autres agents pathogènes justifie une étude plus systématique. Il semble qu'on puisse espérer rencontrer d'autres exemples d'accroissement de la virulence et d'élargissement de la gamme d'hôtes, cela pourrait étendre le domaine futur de la lutte microbienne.

Lutte par autodestruction. La destruction d'un insecte par sa propre action demande la production de souches génétiquement inférieures. C'est donc le contraire de la sélection de souches supérieures, étudiée ci-dessus. La méthode a connu une grande publicité après l'éradication des larves de la mouche Cochliomyia hominivorax à Curaçao et dans le sud-est des Etats-Unis. On a proposé (Knipling, 1960) d'explorer, au cours de recherches futures, plusieurs façons d'utiliser contre les insectes le principe d'autodestruction:

a) Lâcher de mâles stérilisés par rayonnement gamma ou par d'autres moyens physiques. C'est la seule méthode déjà testée avec succès au cours d'expériences à grande échelle. Le premier exemple d'utilisation d'un nuisible forestier est probablement l'éradication du hanneton (Melolontha vulgaris) dans une région limitée de la Suisse (Horber. 1963). Des mâles ont été recueillis en grand nombre sur le terrain. Après stérilisation par rayons X, ils ont été lâchés dans une vallée isolée. La population locale de hannetons a disparu après le deuxième vol et le deuxième lâcher. Horber (1969) montre, preuves à l'appui, que dans des conditions spéciales l'utilisation de la technique de stérilisation du mâle pourrait constituer le complément idéal des méthodes de lutte traditionnelles lorsqu'on désire une régulation à long terme. Le bombyx disparate (L. dispar) est le deuxième nuisible forestier utilisé sur le terrain pour tester la lutte par autodestruction aux Etats-Unis. La production de masse restant difficile à cause de l'interférence des maladies, on envisage actuellement de ne relâcher qu'un nombre limité d'adultes pour vérifier si la méthode permet d'empêcher la propagation d'une population marginale (Knipling, 1969). Pour d'autres études exploratoires sur les insectes forestiers, voir Lynn (1967).

b) Lâcher de miles stérilisés par des moyens chimiques ou induction de stérilité dans les populations par application de produits chimiques. Des recherches intensives, notamment aux Etats-Unis, ont montré récemment qu'on peut mettre au point des produits qui stérilisent les mâles ou les mâles et les femelles sans réduire vigueur générale ou leur compétitivité sexuelle et al., 1964). Le grand avantage de cette méthode, c'est qu'on peut stériliser les populations sans élevage et lâcher en masse. Certains de ces composés produisent la stérilité par simple contact; d'autres doivent être ingérés. Les chimio-stérilisants, qui sont trop toxiques pour être généralisés sur le terrain, peuvent présenter une utilité pratique lorsqu'ils sont employés en combinaison avec des appâts.

c) Culture ou détection et lâcher de souches d'insectes caractérisées par des facteurs génétiquement inférieurs ou létaux, ou qui sont incompatibles avec la souche locale. Pour le bombyx disparate, Downes (1959) a suggéré d'importer aux Etats-Unis des mâles appartenant à la race asiatique qui, lorsqu'on les croise avec la race européenne actuellement présente aux Etats-Unis, produisent des intersexués femelles stériles. Outre la stérilisation génétique, la sélection et la manipulation génétique pourraient être utilisées pour produire des souches inférieures d'insectes destructeurs. Ces individus doivent être relâchés pendant des périodes favorables afin de dominer la population naturelle. Les qualités inférieures transférées dans une population à une fréquence suffisante provoqueraient sa destruction parce que la population deviendrait plus sensible aux facteurs de résistance mésologiques. On a examiné les types suivants de déficience génétique: impossibilité de la diapause ou du vol, absence des glandes produisant la colle qui fixe les oeufs sur la plante nourricière, déformation des organes buccaux des larves, et divers autres types. Un caractère létal dominant ou au moins trois caractères létaux récessifs indépendants pourraient être aussi efficaces qu'une stérilité provoquée chez les insectes monogames, et probablement plus efficaces chez les espèces polygames. L'anthonome du cotonnier (Anthonomus grandis) a servi de base pour évaluer la possibilité de destruction par lâcher de spécimens possédant des facteurs létaux transmissibles (LaChance et Knipling, 1962; Klassen et al., 1970).

Toutes ces méthodes de lutte par autodestruction exigent des individus qui aient gardé leur vigueur sexuelle et puissent concurrencer les individus normaux. Ce résultat est difficile à obtenir par l'irradiation ou par les produits chimiques. Des recherches récentes aux laboratoires du Ministère de l'agriculture des Etats-Unis ont montré que des doses sous-stérilisantes peuvent créer chez les survivants F1 un niveau de stérilité plus élevé que celui de la génération dont ils sont issus. Ce phénomène est apparemment provoqué par de nombreuses translocations réciproques de chromosomes. La présence chez les lépidoptères d'une particularité unique de la structure chromosomique - l'existence de centromères diffus - rend ce groupe d'insectes particulièrement sensible à cette nouvelle technique de lutte très prometteuse (Knipling, 1969; North et Holt, 1968). Tous les chercheurs soulignent que certaines considérations en sont encore théoriques. Les données nécessaires sur la dynamique des populations, la dispersion et surtout le taux d'accroissement, font fréquemment défaut. Cependant, une série d'expériences pilotes, essentiellement sur les lépidoptères et les diptères, ont prouvé que le principe général était valable et ont stimulé la recherche dans des domaines jusque-là négligés.

Ces expériences et ces considérations théoriques ont démontre l'un des grands avantages des méthodes d'autodestruction par rapport aux méthodes de lutte traditionnelles. Lorsque les insectes sont génétiquement modifiés ou stérilisés par une méthode appropriée quelconque la réduction de la population est obtenue de deux manières: l'insecte stérilisé ne peut pas se reproduire; on obtient ainsi le même résultat qu'en le détruisant. De plus, ces individus stériles restent dans la population et concurrencent les individus normaux au cours de l'appartement: il s'ensuit un effet supplémentaire, comparable à celui qui est obtenu par les lâchers d'individus stériles. Cette «prime» représente le principal avantage de l'autodestruction sur les autres méthodes de lutte. Elle produit un effet rapide qui aboutit à une éradication, au moins locale, beaucoup plus prompte que les autres méthodes. Etant donné que les insectes stériles ou présentant une déficience quelconque contribuent à réduire le niveau de leur propre population, il faut moins d'efforts et de dépenses pour obtenir le niveau souhaité.

Dans les forêts, deux types d'infestation se prêtent le plus nettement aux méthodes de lutte par autodestruction: l'apparition d'un nuisible nouvellement introduit et la présence de nuisibles dans des lieux isolés comme les îles, les vallées ou les nouvelles plantations dans les zones non forestières. L'isolement des populations est manifestement favorable à la méthode, bien que ce ne soit pas une condition absolue. Les calculs ont démontré que dans certains cas le lâcher répété de mâles stériles ou la création répétée de déficiences, y compris la stérilité, peuvent être plus économiques que le recours répété aux insecticides (Knipling, 1960, 1969). Pour commencer le traitement d'autodestruction, il faut attendre que la population soit réduite, soit naturellement, soit par une autre technique de lutte.

En conclusion, nous pouvons considérer les méthodes de lutte par autodestruction comme l'un des grands résultats obtenus par la lutte biologique. On envisage de les appliquer dans tous les domaines de la lutte contre les nuisibles.

CONSERVATION

La conservation revêt trois aspects (Beirne, 1963a): a) protection des ennemis naturels contre les pratiques sylvicoles qui les détruisent; b) encouragement, en ne supprimant pas les conditions requises par les ennemis naturels pour leur survie et leur multiplication; c) augmentation, en fournissant délibérément ces conditions essentielles.

Pour comprendre cette phase de la conservation, le mieux est de définir l'objectif de la sylviculture moderne. On ne cherche plus simplement à obtenir le rendement maximal des produits forestiers dans le minimum de temps. De plus en plus, l'idée du rendement continu s'est répandue en aménagement forestier, après la période de l'exploitation irrationnelle. Si nous devons conserver pendant de longues années des sources suffisantes de produits forestiers, il faut modifier certaines procédures actuelles. C'est vrai des forêts nouvellement plantées avec des espèces introduites, comme en Amérique du Sud ou en. Nouvelle-Zélande (Rühm, 1964).

Il faut comprendre que, par exemple, des forêts uniformes et équiennes sont souvent plus sensibles aux attaques des nuisibles que d'autres forêts ayant une flore plus diversifiée et une gamme variée de classes d'âge. L'étude complète de Morris et de ses collaborateurs (1963) au Canada l'a démontre, et elle a expliqué pourquoi les monocultures de pins baumiers favorisent de manière optimale les attaques de la tordeuse des bourgeons de l'épicéa. La promotion du type forestier mixte fait partie de la lutte sylvicole et, simultanément, de la lutte biologique. Par exemple: plusieurs insectes nuisibles importants ont des parasites exigeant des hôtes de rechange qui, très fréquemment, vivent sur d'autres plantes. Le désherbage radical réduit automatiquement l'effectif des espèces utiles. Les adultes de nombreux insectes utiles se nourrissent de fleurs sauvages ou d'autres plantes. Si elles ne disposent pas d'arbres creux, très peu de mésanges (Paridae), consommatrices d'insectes, parviennent à nidifier. Beaucoup d'insectes prédateurs doivent avoir une proie de rechange leur permettant de survivre aux pénuries temporaires du nuisible. Les vecteurs de micro-organismes pathogènes seront plus nombreux dans une faune diversifiée. Préserver ces conditions nécessaires, éviter la destruction inutile de ces aspects essentiels de l'habitat, c'est le rôle de la conservation dans la lutte biologique. Il existe un autre aspect, le renforcement délibéré de ces conditions nécessaires. Exemples: culture des plantes nécessaires à l'alimentation des parasites adultes, et par conséquent à leur reproduction (Beirne, 1963b; Scepetilnikova, 1963); fourniture de cachettes (buissons) ou de nichoirs pour les oiseaux insectivores (Bruns, 1960); plantation d'arbres ou de buissons produisant un supplément de nourriture hivernale pour les oiseaux temporairement insectivores comme les mésanges, afin qu'elles survivent pendant la période critique (Gibb, 1960); protection des fourmis prédatrices du groupe Formica rufa contre la surexploitation commerciale de l'homme (Gösswald, 1958).

Certains oiseaux, certains mammifères et, certains insectes sociaux se sont montrés particulièrement efficaces contre les proliférations locales en raison de leur forte réponse comportementale à l'accroissement des populations hôtes (Buckner, 1966; Hassel, 1966).

Evidemment, cette «augmentation planifiée» des conditions indispensables aux organismes utiles nécessite une compréhension approfondie des facteurs réglant l'abondance du nuisible et de ses ennemis dans une région donnée. Etant donné que cette connaissance détaillée fait souvent défaut, le principe général suivant peut nous guider, principe qui est bien illustré par l'observation et par l'expérimentation (Pimentel, 1961): dans la lutte contre les nuisibles, nous avons affaire à un complexe d'interactions, l'écosystème. Dans ce complexe, on ne peut changer une partie sans changer toutes les autres. La diversité des espèces et la complexité de la biocénose jouent un rôle important dans la prévention des attaques de nuisibles. Chaque fois que possible, la sylviculture doit encourager et protéger la variété de la faune et de la flore.

La deuxième partie de cet article et la bibliographie seront publiées dans Unasylva, volume 25 (1), N° 100.


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