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Rationaliser le transport du bois

Tore B. Evensen

Tore B. Evensen, Directeur de Shipbrokers R.S. Platou, Oslo, a une longue expérience du transport maritime du bois et des produits dérivés, surtout entre les pays tropicaux et l'Europe.

Le remplacement des exportations de grumes par celles de produits transformés dans les pays en développement peut se solder par des économies et, partant, des profits nets, pour les exportateurs comme pour les importateurs; on peut exporter davantage en volume et en valeur, et la manutention de ces produits est plus facile et coûte moins cher. Pour tirer parti des avantages inhérents aux transports maritimes, il est cependant indispensable de rationaliser la manutention et d'uniformiser et grouper les cargaisons. Ce qui importe plus encore, selon l'auteur, c'est de modifier l'optique de nombreux responsables des transports maritimes du bois.

L'inflation vertigineuse que connaît le monde n'a pas épargné l'industrie du bois et le fret, en particulier ces deux dernières années. A cette inflation s'ajoute cependant un mécanisme de marché qui, après un boom probablement sans précédent, a travaillé contre l'industrie du bois. C'est ainsi que, dans l'effondrement économique actuel, celle-ci doit faire face à des taux de fret plus élevés; en admettant même que la situation change, chacun sait que les coûts ont tendance à monter, et que tout dollar économisé par mètre cube transporté est autant de gagné, que les prix du bois soient élevés ou bas. Le monde connaît aussi une pénurie de fibres, imputable en partie au manque de bois dans les pays développés, mais aussi au manque de main-d'œuvre pour la coupe et la transformation.

La situation est toute différente dans les pays en développement qui, en général, disposent à la fois de fibres et de main-d'œuvre et dont les perspectives devraient être bonnes. La principale question est dès lors de savoir comment ils peuvent garder la plus grande partie de leur revenu chez eux. Le graphique de la page 17 fait ressortir l'importance de l'élément fret. Plus important encore, le coût de fret au mètre cube y apparaît d'autant plus bas que les produits ont subi un traitement plus poussé et que, en pourcentage, la différence entre les coûts pour les grumes et les contreplaqués est de 3,25 à par mètre cube, sur la base des prix c.a.f.

CHARGEMENT DE GRUMES A DESTINATION DE L'EUROPE Une façon pittoresque et onéreuse de transporter le bois.

Cette différence tient uniquement au degré de transformation. Or, cette transformation peut très bien s'effectuer dans de nombreux pays en développement, et serait beaucoup plus rentable si l'on tient compte de l'avantage d'une manutention et d'un transport rationnels. Un navire est comme une usine où les dépenses en capital et celles de fonctionnement sont plus ou moins fixes, sa cargaison déterminant l'élément coût à la tonne. Plus la production est faible, plus le coût est élevé et réciproquement. Le chargement de grumes à partir du plan d'eau, du quai, ou de la péniche est une opération qui prend beaucoup de temps. Les longueurs variables des grumes et la médiocre utilisation des cales dont on ne peut guère mieux employer l'espace en planifiant l'opération d'arrimage sont autant de facteurs qui font que les coûts de fret sont élevés. S'il est déjà assez fâcheux que l'exportation des grumes exige tant de travail dans le pays exportateur lui-même, il est bien pire encore que l'on doive recourir à une main-d'œuvre très coûteuse au port de destination du pays développé. Chacune des opérations, à partir de l'arrivée du navire, nécessite une main-d'œuvre abondante. Il faut en effet sortir le bois des cales, l'amener sur le quai, l'entreposer, le retirer de l'entrepôt pour le transporter jusqu'à l'usine et là encore le déplacer d'un point à l'autre. L'expédition maritime de grumes à destination de pays développés revient donc non seulement à exporter un produit relativement bon marché à un coût de fret élevé, mais aussi à mobiliser une main-d'œuvre supplémentaire dans une partie du monde où elle est rare et coûteuse, ce qui réduit le profit net de l'exportateur. Les opérations de transport de grumes n'ont rien de commun avec la manutention des contreplaqués ou des panneaux de particules. Lorsqu'ils importent ces produits, les pays développés peuvent tirer parti des avantages que leur offrent leurs moyens de manutention mécanique, rationnelle et peu ergastique. Que nous le voulions ou non, nous vivons à l'ère de la concurrence. On ne saurait imaginer plus mauvaise politique que d'obliger l'importateur à recourir à l'élément le plus dispendieux - la main-d'œuvre.

Il est d'autant plus malaisé de comparer les coûts de transport maritime au départ de nombreux pays exportateurs, que l'on se heurte à une multitude de structures des coûts toutes différentes les unes des autres. Des chiffres seraient trompeurs, mais quelques exemples peuvent fournir une indication. Ainsi, il est intéressant de noter que le taux applicable aux grumes en provenance de Rangoon en octobre 1974 s'établit à 115,80 dollars pour 50 pieds cubes, soit à 81,30 dollars le mètre cube, tandis que celui applicable aux placages en caisse est de 77,61 dollars pour 50 pieds cubes, soit 54,81 dollars le mètre cube. En d'autres termes, le transport de placages coûte moitié moins cher à peu près que celui de grumes. Les coûts de fret ont fortement augmenté, et il est dommage que, faute de données, il n'ait pas été possible de découvrir comment est intervenue cette différence entre les coûts pour les grumes et ceux pour les produits en bois transformés. Ce qui paraît clair, c'est que la rentabilité des grumes à l'exportation s'est effectivement affaiblie à cause des coûts du fret.

Une innovation importante

Une innovation importante est intervenue depuis quatre ou cinq ans, à savoir l'affrètement de cargos réservés à des charges complètes de produits de bois, opérant sans lignes régulières. Leur emploi découle naturellement des prix élevés et du manque de place des transports réguliers. Ces services ont déjà permis aux exportateurs d'économiser un peu sur le fret, mais on peut encore faire mieux.

Il est encourageant de noter que dès l'instant où l'on a eu recours à ces cargos, certaines compagnies de lignes régulières ont jugé bon d'entrer dans la compétition. Les Etats-Unis et le Canada quant à eux se servent depuis longtemps de cargos spéciaux, pour transporter aussi bien le bois que les panneaux dérivés du bois. Il n'y a aucune raison pour que les pays en développement n'utilisent pas les mêmes moyens chaque fois que les quantités le justifient. Aujourd'hui, le navire moderne de ligne régulière est à usage polyvalent, et la cargaison y est de la plus grande importance. La «containérisation» permet de gros chargements. Les paquebots de ligne ont pendant longtemps été le moyen le plus rapide et le plus régulier pour le transport de petits envois, mais le transporteur de bois est la meilleure solution quand il s'agit de grosses quantités, car il est spécialement conçu pour les divers produits de bois. Cependant, pour rationaliser la manutention d'un bout à l'autre des opérations de transport, et économiser sur les coûts de fret, il faut que le produit soit bien adapté à l'une ou l'autre de ces formes de transport maritime.

Des navires spécialement conçus pour éviter l'excès de manutention doivent être construits, même si leur coût a monté de 300 pour cent par rapport à 1960. Les prix du carburant ont augmenté d'environ 400 pour cent depuis lors, et les autres dépenses, comme l'armement et l'exploitation, d'environ 150 pour cent. De grands bâtiments compenseront, dans une certaine mesure, la hausse des prix du fret.

Outre que les navires doivent être renouvelés de temps en temps, l'escalade des coûts de la manutention et des autres dépenses connexes est la principale raison pour laquelle nous devons adopter de nouvelles unités rationnelles. C'est là une évolution qu'on ne saurait arrêter, et plus tôt les expéditeurs s'y adapteront, plus grandes seront leurs chances d'exporter à de meilleures conditions.

L'emploi de vieux navires d'occasion bon marché, battant pavillon national, pour économiser sur le fret n'est pas à conseiller. Ces bâtiments ne font que multiplier les opérations de manutention et risquent de causer aux marchandises des dégâts qui reviendraient finalement plus cher que les dépenses que pourrait occasionner un navire moderne. Dire que les pays en développement doivent construire des bâtiments rationnels à des prix fabuleux est une autre question. A notre avis, il vaudrait mieux qu'ils emploient ces capitaux pour moderniser leur industrie du bois et bâtir de nouvelles usines, en profitant des avantages que leur offrent les méthodes de manutention actuellement élaborées dans le monde.

De nouvelles usines

Un navire moderne capable de transporter environ 80000 tonnes de panneaux dérivés du bois de la région de Singapour en Europe - soit un bâtiment jaugeant 20000 tonneaux coûterait de 16 à 20 millions de dollars, tandis que la construction d'une usine moderne de contreplaqués ou de panneaux de particules ne demanderait que de 10 à 14 millions de dollars.

A titre d'exemple de rationalisation, prenons l'industrie de la pâte, où, pendant des années, on a eu recours à des méthodes de manutention irrationnelles. Devant l'effondrement qui s'est amorcé il y a dix ans, cette industrie s'est trouvée contrainte, pour survivre, d'instaurer des méthodes de manutention plus rationnelles pour le chargement des navires. L'exploitation de régions de production nouvelles et plus éloignées a rendu cette rationalisation encore plus urgente pour assurer une commercialisation rentable. Et c'est ainsi que l'industrie de la pâte connaît aujourd'hui un essor dû en partie à des coûts 1e fret raisonnables.

Il n'y a guère de différence entre la manutention des pâtes et celle des panneaux dérivés du bois, que l'on peut mettre en parallèle. Ce rapprochement se justifie aussi du fait que le manque de fibres a poussé le monde occidental à se tourner en quête de pâte vers les pays d'outre-mer. Nul doute que la même pénurie obligera les mêmes clients à aller chercher outre-mer les panneaux dérivés du bois.

Le Brésil est en train de créer une industrie de la pâte, et des appels d'offres sont lancés dans le monde entier pour assurer le transport maritime entre le Brésil et l'Europe et le Japon. Les tonnages enregistrés dans des régions aussi différentes que le Japon, Singapour, le Brésil, l'Europe et les Etats-Unis sont objet de soumission et se livrent une concurrence serrée. Le coût du fret pour quelque 25000 tonnes de pâte par cargaison entre le Brésil et le Japon s'établira sans doute à compter de 1977 à moins de 40 dollars la tonne, soit à peu près 27 dollars le mètre cube. La distance qui sépare ces deux pays est de 11500 milles marins, soit la distance de Singapour à Rotterdam par le cap de Bonne-Espérance. Après la réouverture du canal de Suez, cette distance se trouvera réduite à 8500 milles marins, soit les deux tiers de la distance actuelle. Reste à savoir quels seront les droits de péage du canal.

Cette diminution appréciable des coûts de transport des pâtes et des bois transformés s'explique par le caractère hautement rationnel de la manutention, le groupement de cargaisons complètes et enfin, non moins important, le système prévu aux deux bouts du parcours qui permet aussi bien le regroupement au départ qu'une manutention par unités de chargement à l'arrivée et facilite par conséquent la distribution aux divers destinataires. A mon avis, la comparaison est là encore valable, étant donné que rien n'empêche de procéder de même pour les panneaux dérivés du bois si l'on adopte des techniques de chargement et de manutention appropriées. Par mise en unités de chargement on entend l'expédition de plusieurs types de produits en unités séparées et compactes, ce qui suppose des panneaux façonnés en dimensions standards.

Je sais, pour avoir participé directement à ce genre de planification, que, si l'on tient compte de tous les éléments, que ce soit l'orientation de la production en fonction du transport maritime et inversement, les dimensions des unités, les techniques de manutention, la distribution et la conception des navires, le résultat final est, économiquement parlant, payant pour tous les intéressés. Il est vraisemblable que d'ici cinq à sept ans près de 1 million de tonnes de pâte seront transportées entre le Brésil et le Japon. Faute d'adapter ses propres produits à ce mode de transport, l'industrie du bois en Asie orientale se verra supplanter par d'autres exportateurs et perdra ainsi une occasion en or.

Les affréteurs doivent de toute façon se préparer à cette évolution, qui ne manquera pas de susciter la concurrence dans le secteur des transports transocéaniques, et amènera les navires présents ou futurs à transporter le bois de l'Est asiatique à moindres frais qu'aujourd'hui.

Que représente le coût du transport: Melawis et essences analogues, Redwood

Les lignes hachurées montrent la part du fret dans le prix de revient du produit. Les quatre premières colonnes se rapportent à une essence qui pourrait être exportée sous quatre fore de produits les deux colonnes de droite à une espèce de Caesalpinia utilisée surtout pour les placages déroulés. Tous les chiffres sont approximatifs et se réfèrent aux prix c.a.f Singapour/Europe en décembre 1974. (Source:

Faire face à l'évolution

Contrairement à l'Asie orientale, il se pourrait bien que les affréteurs d'autres parties du monde n'aient à l'avenir d'autres possibilités de transport que dans leur voisinage immédiat.

C'est ainsi, par exemple, que les mêmes transports peuvent amener la pâte du Brésil au Japon, puis repartir sur l'Europe avec un chargement de produits façonnés. Les régions qui ne disposeront peut-être jamais des quantités que possède déjà l'Asie orientale auraient intérêt à écouler leurs produits sur les marchés les plus proches, pour réduire la longueur des transports. Encore une fois, la rationalisation de la manutention, la mise en unités et le regroupement des charges sont la réponse au problème de l'économie de transport. Ces principes peuvent être appliqués, par exemple, aux services de messageries locales, et les affréteurs ont toutes chances de trouver des services de messageries parfaitement disposés à leur consentir des réductions de tarifs du moment qu'ils peuvent mieux utiliser leurs bâtiments.

On pourrait ainsi faire appel à des experts internationaux du transport maritime pour chercher des chargements de retour permettant d'employer à plein les petits cargos modernes faisant le transport du bois.

Une flotte assez importante de ce qu'on appelle «minibulkers» est dès à présent disponible pour répondre à une telle demande. Là encore, l'utilisation de ces petits cargos modernes ne saurait être rentable qu'à condition de réduire au minimum le temps de mouillage et le nombre de ports à toucher.

ABIDJAN (CÔTE D'IVOIRE) - GRUMES D'ACAJOU AFRICAIN SUR LE POINT D'ÊTRE CHARGÉES Ne doivent pas être emballées

Minibulkers

Le processus est le même que pour les grosses expéditions, bien que les économies puissent être moins substantielles. Même si l'on parvient seulement à diminuer les frais à venir, ce serait déjà un bon point acquis.

Pour redresser la situation, il faudrait donc

- Mettre en unités et normaliser la marchandise en usine.

- Regrouper les charges de diverses usines pour réunir chaque fois des quantités suffisantes.

- Concentrer les opérations de chargement dans un ou au maximum deux ports.

- Mettre en œuvre un plan de développement portuaire, offrant des postes de mouillage modernes en eau profonde et de vastes aires pavées pour le regroupement des charges.

- Prévoir des équipements modernes pour la manutention des charges dans les ports d'embarquement.

- Coordonner vente et distribution aux points de destination.

Comme on l'a déjà dit, on peut se procurer les navires nécessaires à cette fin. Des systèmes efficaces de manutention existent déjà en Europe, et il ne reste plus qu'à satisfaire à trois des six points susmentionnés - à savoir groupement, gestion et développement portuaire - et c'est là essentiellement l'affaire des régions exportatrices. C'est peut-être difficile, mais non impossible. Efforts et capitaux sont nécessaires pour moderniser les usines ou en construire de nouvelles, réorganiser les transports jusqu'à la côte, réorganiser les ventes, etc.

Une modernisation coûteuse

C'est ce qu'a fait dans une large mesure le monde occidental dans les ports de chargement, notamment les ports européens. Il a fallu que les exportateurs traditionnels y investissent tant dans les dispositifs de chargement que de déchargement. Les nouveaux venus à l'exportation de bois ont l'avantage quant à eux de pouvoir se concentrer sur leurs problèmes locaux car, à l'autre bout de la chaîne, c'est-à-dire au point de destination, la technique moderne est à leur disposition.

Il faudrait que les gouvernements et les autorités portuaires donnent la priorité absolue au développement d'aires portuaires pour promouvoir une manutention rationnelle. Peut-être existe-t-il déjà des mouillages qui conviendraient à cette fin, mais ils sont souvent encombrés de vieux entrepôts et si mal revêtus qu'on ne peut s'en servir utilement.

Le plus difficile est souvent de décider de l'aire à réserver spécialement à cet usage. Les autorités ont peut-être davantage besoin de données concrètes et de perspicacité que d'investissements, sans que nous mésestimions l'importance de ces derniers. Cette difficulté peut être tournée en imposant une taxe temporaire d'utilisation du port calculée sur les investissements étrangers privés en attendant de rembourser cette dette. Une telle taxe n'absorberait qu'une part infime des économies réalisées sur le fret.

FABRICATION DE CONTREPLAQUÉ EN COLOMBIE Doit être emballé

Un port aménagé

Faute d'une installation portuaire aménagée, tous les autres efforts de rationalisation sont vains. Dès l'instant où un port est convenablement aménagé, les affréteurs tendent à suivre très vite le mouvement, d'où relèvement immédiat du revenu national et expansion de l'industrie locale.

Des palettes de grand format standard (6,10 x 2,5 mètres) pouvant être revêtues d'une couche protectrice en matière plastique cuite au four, et chargées à l'usine, sont souvent une bonne solution à bien des problèmes en même temps qu'elles protègent bien la marchandise contre les dommages, ce qui doit entrer en ligne de compte. Il faudrait que ces palettes puissent s'empiler à l'aide de dispositifs d'amarrage à chaque coin.

On ne peut préciser comment il convient de réaliser une mise en unités de chargement rationnelle, car celle-ci ne sera pas la même selon l'emplacement et selon les marchandises. C'est ainsi que les feuilles de placage, les panneaux de particules et les contreplaqués, ainsi que les panneaux prêts à l'emploi et vernis, peuvent exiger des moyens d'expédition différents.

Si ce genre de rationalisation coûte cher, il permet aussi des économies immédiates, et le jeu, semble-t-il, vaut bien la chandelle.


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