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2. AQUACULTURE SUR LE LAC ITASY

Le lac Itasy (environ 130 km à l'ouest d'Antananarivo) se trouve dans une dépression d'une région volcanique. A l'exutoire, vers le côté nord ouest du lac, il y a un cratère (appelé “piscine”) qui paraît être à l'origine de la formation du lac dans la large vallée en amont. Sa superficie est d'environ 3 500 hectares. Le lac est situé à une altitude moyenne de 1 200 m, le climat de la région étant donc tropical, tempéré par l'altitude, et se caractérisant par une température moyenne annuelle de 20°C, avec des moyennes mensuelles de l'ordre de 21°C en décembre et 16°C en juillet. Le taux des précipitations est de l'ordre de 1 200–1 500 mm par an, dont plus de 90% entre les mois d'octobre et mars.

Le peuplement piscicole du lac Itasy est essentiellement composé d'espèces exotiques de Madagascar qui ont été introduites dans le lac à différents moments d'une longue période (1899– 1984); la dernière espèce introduite est un piscivore vorace, Channa (Ophiocephalus) sp. (fibata), qui a connu une expansion spectaculaire à Madagascar au cours de cette décennie. Par conséquent la pêche sur le lac a connu de grandes variations dues à l'évolution relative des populations de ces espèces introduites; par exemple, au cours des 20 dernières années on a assisté à la disparition de Tilapia macrochir et à la prédominance de plus en plus marquée de Tilapia niloticus. De plus, l'effort de pêche a sensiblement augmenté avec près de 1 000 pêcheurs à l'heure actuellle; cela a entraîné un phénomène de surpêche qui est l'une des causes de la chute alarmante de la production du lac.

Les principales espèces pêchées sont:

Les données de commercialisation (analyses des COS), ne reflètent pas nécessairement les proportions des espèces dans les récoltes mais il semble que la population de carpe se rétablit après avoir représenté seulement 3 à 4% des poids des captures depuis 1970; cela est peut-être dû à la fermeture, depuis cinq ans, de la pêche pendant la période de reproduction, de novembre à décembre.

2.1 ENVIRONNEMENT - FACTEURS D'IMPORTANCE POUR L'AQUACULTURE

Le lac Itasy a été étudié par plusieurs chercheurs et organismes et des données limnologiques adéquates sont disponibles dans la documentation malgache; il est donc possible de déterminer à un certain degré la faisabilité de l'élevage de poissons dans les conditions du lac. Sont résumées ci-dessous les données les plus importantes, avec leurs conséquences probables sur une activité de pisciculture des espèces du lac qui semblent les plus indiquées - la carpe Cyprinus carpio et le Tilapia niloticus.

Température

La température des eaux subit une variation saisonnière assez importante (voir tableau 1). Pendant quatre mois de l'année (juin à septembre) les eaux sont relativement froides et la température à la surface demeure en général près de, ou en dessous de 20°C. D'octobre à mai les températures restent élevées - entre 24°C et 27°C. Ce cycle annuel marqué agit sur plusieurs aspects de la biologie des poissons en élevage: saison de croissance rapide de huit mois, avec croissance réduite ou négligeable pendant au moins trois mois; cet effet sera légèrement plus marqué pour le tilapia que pour la carpe. La reproduction de ces deux espèces est également saisonnière (août à décembre).

pH

Le pH ne varie qu'entre 6,8 et 7,45 d'après Moreau. Cela est parfaitement acceptable pour la pisciculture. Cependant Vincke cite (1970) un minimum de 5,5, en dessous de l'idéal. Il est probable que les changements de pH sont assez ponctuels, causés peut-être par les grandes pluies, et associés à d'autres phénomènes - augmentation de la turbidité, etc. Un éleveur devrait être vigilant pendant ces périodes afin de déceler une quelconque réaction de ses poissons. Les eaux des marécages bordant le lac auraient un pH inférieur à 6,0.

Oxygène dissous

Le lac Itasy est peu profond et les eaux sont régulièrement aérées par le vent ce qui fait qu'elles sont bien oxygénées, étant généralement à 100% de saturation en surface, avec un minimum de 70% en profondeur. En outre, il n'y a pas de stratification dans le lac et il semble qu'il n'y ait pas un risque de retournement des eaux peu oxygénées (ceci n'est pas nécessairement le cas dans la “piscine” ou dans les petits lacs environnants). Les poissons en élevage n'auront sans doute pas de problèmes d'oxygène à condition toutefois que le site ait été bien choisi et les normes d'élevage respectées.

Minéraux

Les eaux du lac sont peu conductrices, mais les variations constatées (65 à 105 μH) ne présentent pas de problème particulier pour les poissons même si les conditions ne sont pas idéales pour une productivité élevée du plancton qui aurait pu contribuer à la croissance des poissons en élevage. Le phosphore est le seul élément assez abondant.

Turbidité

La transparence des eaux varie entre 0,8 et 1,65 m, essentiellement en fonction de la densité du phytoplanction et de l'apport d'éléments étrangers par les eaux de ruissellement. Le lac est peu profond et il faut tenir compte aussi de la force des vents et des courants qui mettent en suspension des particules sédimentées sur le fond. Ce dernier phénomène se manifeste surtout en octobre en en novembre lors des orages. Le phénomène d'augmentation de la turbidité pourrait avoir un effet régulier sur les élevages et doit être surveillé.

Sédimentation

Liée au dernier facteur, et donc à l'érosion si évidente autour du lac, la déposition progressive des nouveaux sédiments sur le fond du lac pourrait à long terme poser un problème par la réduction des profondeurs de certaines parties du lac. Il faudrait éviter de situer des cages ou enclos à l'embouchure des rivières alimentant le lac où ce problème de sédimentation sera plus marqué.

Vents

La région d'Itasy reçoit des vents régulièrement toute l'année, principalement de l'est, ce qui assure des eaux bien mélangées et oxygénées. Il faudrait se méfier des gros orages, et cages et enclos doivent se trouver à l'abri des grands vents qui ne viendront pas exclusivement de l'est. Les sites les plus favorables seront sur la côte est, et autour des baies du nordouest ou du sud.

Courants

La vitesse d'échange de l'eau à travers les structures d'élevage est un facteur très important pour les cages et enclos (apport d'oxygène, évacuation des métabolites et apport d'aliments naturels). Il n'existe pas de données précises à ce sujet, mais les vents caractéristiques font supposer qu'il y aura un mouvement d'eau bénéfique aux élevages intensifs. Cela est à vérifier par des contrôles dans différentes parties du lac, surtout celles convenant à l'installation de cages et d'enclos. Dans le col du lac, juste avant l'exutoire vers la rivière Lily, il y a un déplacement d'eau régulier qui pourrait être exploité par ces élevages (environ 1 à 2 cm/s à 500 m).

Profondeur

Le lac est relativement peu profond (6 à 7 m au maximum). Une profondeur idéale, de 0 à 1 m pour les enclos, de 3 à 5 m pour les cages existe sur une bonne part de ce lac (profondeurs estimées à partir du niveau minimum des eaux). Le problème principal qui se pose, en particulier en ce qui concerne l'installation des enclos, est la variation saisonnière du niveau du lac. Cette variation annuelle est normalement de l'ordre de 1,5 m mais des variations jusqu'à 2 m ont été enregistrées. La saison des hautes eaux ne dure que de 3 à 4 mois (janvier à avril, avec un maximum en février), et celle des basses eaux de mai à décembre avec un minimum en novembre. Dans ces conditions la construction des enclos risque d'être assez onéreuse, et il serait souhaitable de prospecter aussi les petits lacs avoisinants qui ne présentent pas un marnage aussi important.

Plancton/aliments naturels

Sans être particulièrement riches, les eaux du lac contiennent assez de planction avec des concentrations au-dessus de 10 cm3/m3 pendant 10 mois de l'année. Les poissons en cage ou en enclos bénéficieront de cet apport en aliment naturel, même s'il faut prévoir un apport en aliment artificiel pour obtenir une croissance adéquate. Le lac est suffisamment productif pour que (si la vitesse et constance des courants le permettent) l'on puisse tester des élevages en enclos extensifs (sans apport d'aliment) ou semi-intensifs (apport d'aliments simples) qui dépendent en partie de l'exploitation du plancton par les poissons.

Il n'y a pas d'évidence quant aux “blooms” de phytoplancton nocifs aux poissons habitant le lac.

Prédateurs

En dehors des poissons prédateurs, Micropterus (bar noir) et Channa (fibata), qui doivent être évidemment exclus des infrastructures d'élevage, il existait aussi des tortues et des caïmans. Ces derniers sont devenus rares et ne devraient donc pas poser une menace dans les zones d'activités humaines intenses où l'on placerait les cages et enclos.

Macrophytes

Il existe plusieurs variétés de macrophytes aquatiques: certaines espèces d'émergeants marginaux, surtout en zone marécageuse (parmi lesquelles le papyrus Cyperus madagascariensis domine), ainsi que certaines espèces d'immergeants dans les eaux moins profondes, espèces flottantes, en particulier la jacinthe d'eau Eichornia crassipes. Ces dernières peuvent poser un problème pour des cages ou enclos. En effet, le déplacement des grands îlots de plantes (on en signale certains très lourds avec la formation d'un “sol”) peuvent poser une menace mécanique aux structures d'élevage; aussi, dans des lieux où s'accumulent de grandes quantités de ces plantes en décomposition il peut y avoir des problèmes de réduction de l'oxygène dissous et même de la production d'éléments toxiques (CO2, méthane, etc.). Lors du choix des sites on évitera les lieux susceptibles de poser ce genre de problèmes. En ce qui concerne les pêcheurs, ces derniers citent l'augmentation dans les quantités de la macrophyte immergeante comme étant l'un des problèmes majeurs: cette plante gênerait la pose de filets dans les zones de pêche.

2.2 ENVIRONNEMENT SOCIOECONOMIQUE

Population cible

Une activité de développement de l'aquaculture sur le lac Itasy viserait en priorité la population de paysans- pêcheurs vivant autour du lac. Ces familles, bien que de plus en plus nombreuses, sont frappées par la chute de la production de la pêche dont elles tirent un revenu de plus en plus réduit. Les pêcheurs ne sont pas des professionnels, en ce sens qu'ils s'occupent aussi d'agriculture (rizicole, maraîchère) et souvent d'élevage extensif (bovins, volaille). Une partie habite autour du lac, près du bord, alors que d'autres viennent des villages environnants. Les premiers sont les mieux indiqués pour entreprendre des élevages dans le lac.

Il est certain que l'aquaculture en cages ou en enclos est caractérisée par un type de gestion assez étroite par rapport aux élevages en étang. C'est un élevage de “caractère intensif” qui requiert des investissements, des intrants, et une certaine organisation. Pour un tel développement il est essentiel de tenir compte de la motivation et des capacités de la population cible. A noter qu'il n'y a pas d'autres élevages de type intensif dans la région (et peu à Madagascar).

Ces paysans ont un revenu très faible et donc, peu de possibilités d'investissement. Le revenu monétaire moyen d'un paysan de la région est de l'ordre de FMG1 80 000 par an. Dans le cas d'un agriculteur ce revenu est acquis en grande partie au moment des récoltes. Dans le cas des pêcheurs ils vendent leur produit presque journalièrement (sauf en novembre et décembre quand la pêche est fermée) ce qui pourrait être un avantage pour l'achat au comptant des produits de l'élevage (aliments, etc.) mais un désavantage pour l'investissement de sommes plus importantes. Il est certain que le développement de l'aquaculture en cages doit limiter au maximum les investissements, se baser sur des matériels et intrants disponibles localement et à la portée des éleveurs potentiels, et prévoir une assistance matérielle ou financière (par exemple disponibilité de crédits). Le faible niveau économique des ménages, porte à croire qu'il faudrait prévoir des élevages de petites dimensions, et que les paysans pourraient être poussés à adopter une technique d'une nouveauté telle qui leur permettrait de doubler leur revenu.

On constate que les paysans ont une certaine maîtrise technique de leurs activités agricoles et piscicoles courantes; les pêcheurs sont assez indépendants en matière de matériel et sont à même de tisser des filets de bonne qualité.

2.3 CONCLUSIONS SUR LA FAISABILITE DE L'AQUACULTURE AU LAC ITASY

Conditions du milieu aquatique

Le poisson est un animal à sang froid et donc totalement influencé par les conditions de son milieu aquatique, un milieu sur lequel l'éleveur n'a pratiquement pas de contrôle. Les conditions au lac Itasy permettent l'aquaculture, sans être idéales pour cette activité.

Au niveau des saisons les variations de température imposent une saison de croissance piscicole de huit mois (d'octobre à mai) et une saison froide de quatre mois (de juin à septembre). Cela ne pose pas nécessairement des problèmes au niveau de l'élevage car l'on peut prendre des mesures appropriées pendant la période froide (par exemple ne pas nourrir les poissons), mais la rentabilité sera affectée au niveau de l'amortissement des infrastructures qui ne pourront être amorties que pendant huit mois sur douze. On pourrait résoudre ce problème en minimisant les investissements dans les structures et ce, en utilisant, autant que possible, du matériel d'origine locale.

1 $US 1 = FMG 1 275 (décembre 1987)

Le deuxième effect saisonnier contraignant est le marnage annuel des eaux. Pour les cages cela ne présente aucune difficulté, mais avec une variation de 1,5 m en année normale, 2,0 en année exceptionnelle, il faudra construire des enclos qui soient suffisamment hauts pour rester en eau quand le lac est bas, et en même temps dépasser le niveau maximum du lac d'au moins 30–50 cm, ce qui requiert un mur de grillage de l'ordre de 3,50–4 m. Le choix d'effectuer un cycle d'élevage en enclos pendant les neuf mois où les eaux sont relativement basses (done avec des enclos aux dimensions réduites) ne semble guère possible car les variations de profondeur sont décalées par rapport aux températures et la saison froide tombe au milieu de cette période. Dans ce cas aussi, la réussite de l'élevage dépendra de l'amortissement des investissements.

Au niveau de la productivité du lac, il faudrait voir dans quelle mesure les poissons choisis pour l'élevage peuvent se nourrir d'aliments naturels - notamment de plancton. En effet, l'apport de ces aliments naturels déterminera l'intensité d'élevage. Lorsque les eaux (en fonction des sites choisis) sont suffisamment riches il sera intéressant d'installer des élevages extensifs ou semi-intensifs qui dépendent entièrement ou partiellement des apports naturels; ce niveau d'intensification serait certainement le mieux adapté aux possibilités des paysans. Mais lors d'une absence d'aliments naturels en quantité suffisante il faudra prévoir une alimentation artificielle complète (et relativement chère). Les eaux du lac Itasy n'étant pas très riches il est probable que les apports en aliments naturels ne seraient intéressants que sur des sites où il y a un effet de “concentration” - par exemple par des courants.

Les autres facteurs limnologiques ne présentent pas de contre-indication majeure.

Conditions socio-économiques

Dans cette région, il reste beaucoup à faire pour améliorer la situation des paysans pêcheurs. Ces derniers ont la réputation d'être ouverts à l'introduction de nouvelles techniques (ce qui est capital pour la vulgarisation d'une technique ausi différente que l'aquaculture). En général, ces paysans disposent de peu de moyens (par exemple, ils n'arrivent pas à se procurer du matériel de pêche sans avoir recours au crédit). Par conséquent, il sera essentiel de prévoir un système financier d'assistance au moment de l'installation (crédit, fonds de roulement, etc.).

Ces pêcheurs sont habiles, et tissent par exemple des filets en monofilaments fins et de très bonne qualité. Il serait sans doute possible de développer avec eux des techniques de fabrication et de montage de matériel pour cages ou enclos, qui seraient moins coûteuses.

Les pêcheurs, à l'heure actuelle peu organisés, ont un esprit plutôt individualiste. Le projet doit donc étudier les possibilités d'inciter une meilleure organisation entre pêcheurs pour réussir l'introduction d'une nouvelle technique et surtout pour améliorer les conditions de sécurité des élevages.

Lors de l'introduction de l'aquaculture dans le calendrier des paysans, il faudrait se souvenir que tous les pêcheurs pratiquent l'agriculture et d'autres activités. Dans le cas de l'emploi du temps journalier de la famille, il faudrait que quelqu'un soit disponible pour aller sur l'eau deux fois par jour pour les soins journaliers essentiels (alimentation, entretien, etc.). Dans le cas du calendrier annuel il y a déjà des périodes de travaux intenses, notamment pour la culture du riz. Ce qui risque d'être contraignant c'est que la saison chaude correspond à la fois au cycle prévu pour la croissance du poisson en élevage, au cycle de la riziculture, et de janvier à mai à la saison de grande pêche. Au niveau de la commercialisation, la fin du cycle de croissance piscicole coïncide avec la récolte de riz et de poisssons (rizipisciculture) à un moment où la pêche dans le lac est la plus productive. C'est aussi la période où le paysan a le plus de revenus et se montre donc d'autant plus motivé par l'aquaculture. Il faudrait peut-être vendre moins de produits et définir des méthodes de stockage fiables. On chercherait à commercialiser les poissons de juin à août ou, mieux encore, en novembre/décembre quand la pêche est fermée sur le lac.

Sécurité

Un des premiers problèmes soulevés par les pêcheurs, agents MPAEF, et autorités est celui relatif à la sécurité des élevages. Les risques de vol sont réels, et le vol des filets explique pourquoi les pêcheurs pêchent généralement durant le jour et non de nuit.

Il est évidemment impossible de proposer de l'extérieur une solution à ce problème. Les membres de la communauté s'accordent pour dire qu'il faudrait une solidarité préalable entre les pêcheurs avec appui des collectivités décentralisées concernées.

Un choix judicieux sera aussi important. Des sites près des habitations des exploitants, facilement surveillés jour et nuit grâce à la proximité de la famille, seraient préférables.


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