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RAPPORT PRELIMINAIRE

Le lac de Bizerte est situé sur la côte nord de la Tunisie. Ce bassin salé presque isodiamétrique couvre une superficie d'environ 12000 hectares. II communique en permanence avec la mer par un étroit chenal long de 7 kilomètres [fig. 1].

Le principal oued (oued Tindja) se déverse dans la partie ouest de la lagune et fait communiquer le lac de Bizerte avec le lac Ichkeul.

Le fond du bassin ne présente pas d'accident marqué excepté le chenal de navigation qui relie le port de Bizerte à celui de Menzel Bouguiba. La bathymétrie régulière est en moyenne de l'ordre de 7 mètres atteignant au maximum 12 mètres.

I - RESULTATS

I.1. SEIMENTOLOGIE

L'étude des sédiments de la lagune de Bizerte montre une certaine homogénéité de ce bassin, notamment en ce qui concerne le taux de matière organique. En effet, la matière organique représente environ 10% du sédiment en moyenne sur l'ensemble du bassin. Cette valeur apparaît comme relativement faible en comparaison avec les autres lagunes périméditerranéennes.

On observe cependant une valeur plus élevée du taux de matière organique au débouché de l'oued Tindja et au niveau de l'ombilic hydraulique (de l'ordre de 15%).

La valeur du rapport C/N présente également une grande homogénéité sur l'ensemble de la lagune.

On peut cependant en conclure que les stations 2 et 3 (fig.2) sont soumises à des apports continentaux et que les stations 1 et 7 subissent un enrichissement d'ordre phytoplanctonique.

I.2. HYDROCHIMIE

Les paramètres suivants ont été le 1.10.1985 le long des transects metérialisés sur les cartes des figures 2 et 3 :

Température,
Conductivité,
Oxygène,
pH.

Les éléments minéraux (NO2 -, NO3 -, NH4 +, PO4 =) et organiques (N et p total) ont été anlysés sur les prélèvements effectués aux stations 2, 6, 9, 11, 12, 13 et 14 (cf. fig. 2 et 3).

L'ensemble des investigations concerne les eaux de surface (niv. - 0.5 m) et de fond (à 0,5 m de substrat).

Les figures 4 à 5 et le tableau n'1 regroupent l'ensemble des valeurs enregistrées.

-   Température : la température des eaux de la bahira était comprise entre 25 et 26, 5°C en surface - 25 et 26°C au fond. Ces valeurs sont proches du maximum (28°C) observé par AZOUZ (1966) et se situant en général au mois d'août. [Le même auteur signale que la température descend aux alentours de 10,5°C en janvier–février]. L'ensemble du plan d'eau présente une grande homogénéité, tant sur le plan horizontal que vertical ce qui implique l'absence de stratification.

-   Conductivité : les conductivités enregistrées sont comprises entre 53, 5 m mho/cm à proximité du canal de Bizerte et 54,75 m mho/cm dans la partie Est.

Ces conductivités indiquent, compte-tenu de la température, que la salinité des eaux est d'environ 35,5 .

Là encore l'absence de stratification est patente.

Selon AZOUZ (1966) la salinité du lac de Bizerte oscille entre 28 % en hiver (période des fortes précipitations) et 38 à 39 en été ; toutefois la zone immédiatement située située au débouché de l'oued Tindja connaît une dessalure hivernale plus marquée (10 ).

L'influence de la mer marquée par les conductivités et les températures les plus faibles est parfaitement visualisée sur les cartes des fig. 4 et 5. Les courants marins entrant circulent dans le sens inverse des aiguilles d'une montre longeant les rives ouest puis sud et est.

-   Oxygène dissous : l'ensemble du plan d'eau présente une teneur en oxygène (5 à 6,5 mg/1 proche de la saturation (6,8) - la station 14 mise à part, la couche profonde est légèrement plus oxygénée (6,5 à 7) en raison de l'activité photosynthétique des herbiers tapissant le fond. La faible amplitude dans la variation de ce paramètre et l'absence de couche profonde desoxygénée confirment l'hypothèse précédente quant à l'homogénéité physicochimique du bassin.

Comparant les eaux de la bahira et les eaux marines, AZOUZ (1966) constatait toutefois une plus faible teneur en oxygène dans la bahira avec des valeurs estivales de l'ordre de 4,5 mg/1.

-   Sels nutritifs : les valeurs mesurées aux 7 stations représentent des valeurs faibles, plus proches de celles rencontrées dans les eaux marines que de celles habituellement mesurées dans les milieux paraliques.

La station 9 se distingue par une teneur légérement élevée en Phosphate (en surface) et nitrate (au niveau du fond). Cette situation pourraît être liée à la proximité de l'agglomération urbaine et industrielle de Menzel Bourguiba.

Cette faible richesse sur le plan des éléments nutritifs est toutefois normale compte-tenu de l'abscence d'apport fertilisant à la saison où ont été faits les prélèvements.

I.3. LES PEUPLEMENTS PHYTOPLANCTONIQUES

Sur les transects utilisés pour les paramètres précédents ont été étudiés en surface les pigments chlorophylliens (actifs et dégradés). Aux stations 2, 6, 9, 11, 12, 13 et 14, les mesures ont été effectuées à 3 niveaux de profondeur. Les profils établis (fig. 6) permettent d'apprécier la répartition horizontale des paramètres étudiés.

La biomasse phytoplanctonique active (exprimée en mg de Chla a/m3) est située entre 1,2 et 3,4 [tableau № 2]. La répartition horizontale de la biomasse s'organise semble-t-il par tache : le long du premier transect entre le canal de Bizerte (prélèvements effectués en courant marin entrant) et la région de Menzel Bourgiba, la biomasse n'est pas dégradée et uniquement composée de chlorophylle a. La concentration relativement stable est comprise entre 1,9 et 2,6 mg/m3. Les profils verticaux (st. 2 et 6) sont peu accusés, le maximum de biomasse est situé au niveau - 2m, les couches profondes sont dépourvues de phéophytine (pigments dégradés).

Dans la partie sud de ce transect (région Menzel Bourguiba) la concentration en chlorophylle de surface décroît. Le profil effectué à la station 9 montre cependant que le pic de biomasse du niveau - 2m est beaucoup plus accusé (4,9 mg/m3), on voit apparaître les premières traces de phéophytine (9,6 %).

Sur le deuxième transect entre Menzel Bourguiba et la rive est, la teneur en chlorophylle a de surface, reste faible (1,4 à 2,0 mg/m3). Le profil de la station 11 montre que le maximum de chlorophylle est observé au niveau profond. La teneur en phéophytine est plus élevée et présente une maximum au niveau - 2m (75,1%).

Sur le transect remontant vers Menzel Abd er Rahmane les teneurs élevées en phéophytine se maintiennent, atteignant parfois 100%, la concentration de chlorophylle a reste comprise entre 1,2 et 2,3 mg/m3 mais la biomasse totale peut atteindre 8,4 mg/m3. Elle est en général plus élevée dans les couches profondes (profils des stations 12, 13, et 14). A l'extrémité de ce transect les eaux lagunaires sortant en surface présentent une biomasse légèrement plus élevée que les eaux marines entrantes mais surtout plus dégradée (31% de phéophytine).

La composition du peuplement est assez homogène sur l'ensemble du plan d'eau.

La présence de Diatomées centriques (Bacteriastrum elegans, les genres Chaetoceros et Rhizosolenia), la faible representation des flagellés, en particulier nanoplanctoniques et la richesse taxonomique élevée témoignent d'une forte influence marine.

Le peuplement est dominé par la Diatomée pennée Nitzschia closterium (Abondance relative ≥ 50%) sauf à proximité de l'oued Tindja ou l'on observe une floraison de Chaetoceros socialis. AZOUZ (1966) constate pour sa part que les Diatomées (en particulier N. closterium) constituent l'immense, majorité du phytoplancton.

Sur la base de ces observations le fonctionnement de la bahira, au niveau primaire (production phytoplanctonique), peut être interprété de la manière suivante pour la période de prélèvement : les eaux marines entrantes présentent une biomasse phytoplanctonique peu élevée et pas du tout dégradée. Elles conservent cette caractéristique pendant tout leur trajet jusqu' à la rive sud, la production photosynthétique est probablement maximale au niveau - 2m de profondeur. [Schéma classique en domaine paralique (FRISONI, 1984)] Progressivement la biomasse produite se dégrade et sédimente vers les couches profondes. Le long de ce trajet circulaire des masses d'eau, certaines taches s'isolent (zones d'ombilic) favorisant d'autant l'accumulation de biomasse fortement dégradée. En raison du ralentissement progressif des courants, ces taches sont surtout fréquentes dans la région nord-ouest. On observe alors une biomasse deux fois (voire quatre fois) plus élevée que sur le reste du plan d'eau.

Les valeurs de chlorophylle rencontrée permettent de situer la bahira à un niveau trophique ralativement faible, caractéristique des milieux paraliques peu confinés (étangs de DIANA, URBINO, THAU… -FRISONI, 1984). AZOUZ (1966) précise toutefois que la poussée phytoplanctonique d'automne est moins importante que celle de la fin de l'hiver et du printemps.

Il est probable que l'influence du lac Ichkeul par l'intermédiaire de l'oued Tindja soit beaucoup plus sensible en hiver et au printemps, favorisant alors l'apport d'éléments fertilisants (Azote, Phosphore), voire même de biomasse chlorophyllienne ; cette dernière étant beaucoup plus élevée dans le lac Ichkeul (LEMOALLE, 1983).

I.4. LES PEUPLEMENTS BENTHIQUES

Les peuplements de la mecrofaune et de la macroflore benthiques ont été échantillonnés à l'aide d'une benne Eckman manipulée en plongée.

Les données qualitatives et quantitatives recueillies montrent, comme dans le cas des peuplements phytoplanctoniques, une grande homogénéité des peuplements benthiques dans la majorité du bassin. La quasi totalité des fonds de la lagune sont tapissés par des herbiers à Caulerpa prolifera et à Cymodocea nodosa, notamment dans toute la partie centrale. Toutefois on rencontre Zostera marina au niveau de la communication avec la mer, une ceinture périphérique de Zostera noltii le long de la rive est, et Ruppia spiralis au débouché même de l'oued Tindja ainsi que dans la zone extrême nord-est associé aux Chlorophycées (Ulves et Enteromorphes).

La macrofaune benthique est dominée par des espèces thalassiques ce qui traduit une grande influence marine. On peut noter notamment la présence sur la quasi totalité de la lagune, des Echinodermes (Ophiurides, Astérides, Holoturides…) caractéristiques des milieux peu confinés et appartenant à la zone II (GUELORGET et PERTHUISOT, 1983). La richesse spécifique est relativement élevée, de l'ordre de 50. En revanche la biomasse est peu élevée pour ce type de milieu, elle est comprise entre 4 et 5 g/m2 en poids sec après décalcification.

La densité (en nombre d'individus par m2) oscille entre 2500 et 4500.

Toutefois, comme dans le cas de la macroflore, la composition qualitative et quantitative de la macrofaune se modifie dans certaines régions de la lagune.

-   Au niveau débouché de la communication avec la mer les peuplements macrofaunistiques sont tous thalassiques. Ils présentent la plus faible biomasse (2,3 g/m2) et la richesse spécifique la plus élevée (67 espèces recensées à la station 1 le 2.10.1985, fig.2.

-   Au débouché de l'oued Tindja la macrofaune est composée essentiellement d'espèces paraliques telles qu'Abra ovata, Cerastoderma glaucum, Hydrobia ventrosa, Nereis diversicolor, et Gammarus gr.locusta.

Cette composition faunistique se retrouve également dans la zone extrême nord-est.

Dans ces deux zones la richesse spécifique est faible (15 espèces en moyenne) et la biomasse avoisine 10 g/m2. La densité y est très élevée, de l'ordre de 10 000 individus/m2. Elles appartiennent à l'évidence à la zone IV du domaine paralique.

-   Le long des rives de la côte est, et de part et d'autre du débouché de l'oued Tindja, les peuplements sont dominés par des espèces mixtes, caractéristiques de zone III, comme Ruditapes aureus, R.decussatus ; Glycera convoluta et Nephthys hombergii. Ces zones recueillent les plus fortes biomasses (de 15 à 20 g/m2).

-   Enfin dans la zone située au large de Menzel Abd er Rahmane les peuplements de la macrofaune sont dominés par les Capitellidae et le Pelecypode Corbula gibba espèces indicatrices d'engraissement organique (station 7). Cette zone correspond à l'ombilic hydraulique (GUELORGET et al. 1984 ). La densité de la macrofaune est importante (15 000 individus/m2) et la richesse spécifique réduite (13 espèces).

En résumé, la lagune de Bizerte est un bassin bien renouvellé en eau marine et peu confiné. Le confinement se limite aux zones situées aux débouchés immédiats des oueds (notamment l'oued Tindja) et à la rive et surtout dans sa partie nord. Enfin on observe aucun confinement bathymétrique (GUELORGET et PERTHUISOT, 1983) excepté dans la zone de l'ombilic hydraulique.

II - CARACTERISATION ECOLOGIQUE ET ZONATION BIOLOGIQUE DE LA LAGUNE

Sur la base des observations hudrologiques phytoplanctoniques et benthiques, la caractérisation écologique de la bahira de Bizerte a pu être établi selon la méthodologie mise au point par le GREDOPAR, Groupe d'Etude du Domaine Paralique (GUELORGET et al. 1983).

-   Le trait dominant de la bahira est sans aucun doute son homogénéité. L'influence marine prépondérante en fait un milieu peu confiné dont la majorité se situe en zone II de confinement (GUELORGET et al. 1983).

-   Seule la périphérie est en zone III de confinement. Cette zone s'élargit dans la région nord-est où l'on voit même apparaître en bordure une zone IV abritant des espèces typiquement paraliques et présentant une tendance à la dystrophie en période estivale (forte production macrophytique et accumulation organique, présence de thiorodobactéries).

-   Une autre zone IV de faible extention se situe au débouché de l'oued Tindja.

En dépit de la forte profondeur du milieu mais sans doute en raison de sa grande surface le confinement bathymétrique est absent de cette bahira. Il en résulte une très faible tendance à la stratification des eaux.

Les courants marins entrant dans la lagune par le canal de Bizerte circulent en longeant les bordures ouest-sud puis est. Dans cette région le ralentissement des courants favorise le confinement du milieu (élargissement de la zone III, apparition d'une zone IV). Déjà se dessine une tendance à la création d'ombilics hydrauliques, l'ombilic majeur se situant plus au nord au large de Menzel Abd er Rahmane.

L'influence de l'oued Tindja joue certainement un rôle important dans le fonctionnement de cet écosystème (dessalure (AZOUZ 1966) confinement de la zone ouest). Celle-ci ne peut toutefois être appréhendée qu'en période d'apports issus du lac Ichkeul (hiver-printemps) et pourra être étudiée lors des missions futures.

III - POTENTIALITES AQUACOLES

Le faible confinement de ce plan d'eau, son niveau trophique, sa profondeur en font un milieu propice à la mise en valeur aquacole sur le mode intensif (cages flottantes pour l'élevage du poisson, loup, daurade) cf.annexe.

Seule la proximité immédiate de l'oued Tindja (pouvant connaître un confinement hivernal et printanier), la zone nord-est (sujette à distrophie) et la zone située à proximité et à l'ouest de Menzel Bourguiba (pouvant être polluée par les activités urbaines et industrielles) doivent être écartées pour le développement intensif.

L'usage de structures flottantes ne sera toutefois possible que dans la mesure où elles supportent les houles pouvant survenir par vent dominant. Ceux-ci soufflant généralement de secteur NW-W (AZOUZ, 1966 - LEMOALLE, 1983), il est probable que la partie E-SE soit particulièrement sujette à la houle comme en témoignent les microfalaises issues de l'érosion de la rive dans cette partie.

Le niveau trophique primaire, la présence de diatomées centriques, les résultats des exploitations conchylicoles existantes montrent que ce site est potentiellement favorable pour l'élevage des coquillages.

AZOUZ (1966), estime toutefois que l'élevage de l'huitre plate (Ostrea edulis) est rendu difficile par les fortes températures estivales. Celles-ci pourraient empêcher également le maintien des moules (Mytilus galloprovincialis) certains étés (température dépassant les 30°C).

Compte-tenu des biomasses chlorophylliennes rencontrées et de la zonation biologique établie, la partie la plus favorable pour cette activité est sans doute la partie N.E. [excepté les zones de bordure pouvant être touchées par des dystrophies (zone IV)].

Il est probable que la zone située au large de l'oued Tindja présente également des potentialités élevées pour cette activité. Sous réserve que l'influence hivernale et printanière n'entaîne pas une trop forte dessalure et surtout une trop forte turbidité.

La partie centrale en raison de la navigation (chenal menant à Menzel Bourguiba) et du faible niveau trophique doit être exclue du développement conchylicole.

La Tapiliculture (élevage de la palourde) doit pouvoir se développer le long des bordures en zone III. La rive est et celle située entre l'oued Tindja et l'agglomération de Menzel Bourguiba est en toute évidence favorable.

L'extrémité NE (en raison des dystrophies) et la proximité immédiate des agglomérations (en particulier à l'Est de Menzel Bourguiba) sont toutefois à éviter.

L'élevage des des pénéides en enclos peut être envisagé dans la bahira. Compte tenu du degré d'avancement des expérimentations concernant cette filière, il n'est pas possible de préciser le mode (intensif, extensif) adapté à ce milieu. Il est par ailleurs certain que la taille du plan d'eau et la nature de la communication avec la mer, obèrent toute possibilité de mise en valeur globale de la lagune en extensif (lacher de larves et pêche des individus adultes).

Cependant de schéma n'est valable que si la communication avec le lac Ichkeul et surtout l'influence du lac Ichkeul sur le lac de Bizerte sont maintenues dans les conditions actuelles.

On peut, en effet, craindre que la diminution des apports en provenance du lac Ichkeul (liée au projet d'aménagement hydraulique du bassin versant) modifie la position de la bahira dans l'échelle de confinement. Cette modification allant sans doute vers un déconfinement, du milieu entraînera une diminution des niveaux trophiques primaire et secondaire et par conséquent des potentialités pour l'élevage des filtreurs (moules, huitres, palourdes). Une augmentation simultanée des potentialités pour l'élevage intensif de poissons ou de crustacés pourrait, par contre, accompagner cette évolution.


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