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CHAPITRE 3
Sélection portant sur des phénotypes qualitatifs

Bien que les éleveurs de poissons comestibles attachent généralement moins d'importance aux phénotypes qualitatifs qu'aux phénotypes quantitatifs, il importe cependant qu'ils connaissent les méthodes permettant de maîtriser et d'exploiter ces phénotypes qualitatifs à l'aide de programmes d'élevage sélectif, et cela pour deux raisons. Premièrement, et c'est la raison principale, les phénotypes qualitatifs peuvent influer sur la valeur de la récolte ou le coût de production. Lorsqu'un exploitant est en mesure de proposer un produit plus attrayant, les consommateurs sont souvent près à payer davantage pour l'acquérir, ce qui a un effet positif sur les recettes. Par ailleurs, certains phénotypes qualitatifs tels que les difformités contribuent à diminuer la valeur des populations ichtyques, soit du fait de l'augmentation des coûts de production, soit parce que le poisson produit est si peu attrayant que les consommateurs ne l'achètent pas. Dans l'un et l'autre cas, les pisciculteurs peuvent recourir à la sélection pour améliorer les populations qu'ils élèvent. Deuxièmement, en apprenant à tirer parti des programmes d'élevage sélectif pour fixer (fréquence = 100 %) les phénotypes qualitatifs souhaitables et éliminer (fréquence = 0 %) les phénotypes qualitatifs indésirables et obtenir ainsi des populations génétiquement pures, on peut comprendre plus aisément comment améliorer les phénotypes quantitatifs au moyen de la sélection.

Tous ceux qui sont déjà bien au fait de la génétique mendélienne et savent comment utiliser les programmes d'amélioration pour fixer ou éliminer des phénotypes qualitatifs ou encore ceux qui ne s'intéressent qu'aux phénotypes quantitatifs peuvent sauter le présent chapitre et aller directement au chapitre 4.

Facteurs à prendre en considération avant la mise en train de programmes d'élevage sélectif

Avant de mettre en train un programme d'élevage sélectif, tout pisciculteur doit comprendre que la sélection lui permettra d'atteindre uniquement des objectifs réalisables au plan biologique. La sélection est un programme d'amélioration fondé sur la variance phénotypique héritable. En conséquence, pour qu'un programme d'élevage sélectif soit couronné de succès, il faut en premier lieu que le phénotype que souhaite modifier l'exploitant présente une certaine variance et, deuxièmement, que cette variance soit héritable. Les sélectionneurs ne peuvent pas aller au-delà de ce que le poisson et ses gènes leur permettent d'accomplir. Il ne leur est pas possible de modifier sur commande les poissons d'élevage en éliminant des phénotypes indésirables tels que la présence d'épines pectorales aiguës s'il n'existe pas d'individus dépourvus de ces épines; de plus, si de tels individus existent, encore faut-il que le phénotype soit héritable, faute de quoi la sélection se résumera à une débauche d'efforts aussi vains que coûteux. Si les phénotypes en question sont héritables, il est indispensable d'en connaître le mécanisme génétique avant de mettre en train un programme d'amélioration. Enfin, le sélectionneur doit connaître le coût relatif des différents caractères (leur coût de production) ainsi que ce qu'ils valent (leur valeur marchande) avant de mettre en oeuvre un tel programme.

Les phénotypes qualitatifs peuvent être décrits comme des phénotypes du type “ou exclusif. Un poisson possède soit un phénotype, soit un autre; autrement dit, les poissons d'une population se répartissent dans des catégories discrètes non chevauchantes. La sélection étant fondée sur la variance phénotypique, il faut que la population comporte au moins deux phénotypes dont l'un soit le phénotype souhaité par l'exploitant. S'il n'y a qu'un seul phénotype, il n'y a pas de variance phénotypique, et l'on ne peut utiliser la sélection pour le modifier. Par exemple, si tous les poissons d'une population sont noirs, il n'y a pas de variance phénotypique pour la couleur du corps, et on ne peut donc modifier cette dernière par la sélection.

Pour que la sélection puisse modifier les fréquences phénotypiques, il faut non seulement qu'on enregistre une certaine variance, mais aussi que cette variance soit héritable. La distinction entre variance héritable et variance non héritable est importante, car bon nombre des phénotypes qualitatifs que l'on observe dans les établissements piscicoles et les écloseries sont des difformités non héritables. Certaines difformités ont une origine génétique, mais la plupart sont dues à d'autres facteurs (carences nutritionnelles, perturbations de l'environnement, toxines, maladies, blessures, développement aberrant, etc.). Ces difformités d'origine non génétique ne peuvent être éliminées par la sélection. Le seul moyen d'éliminer une difformité non héritable consiste à identifier le facteur du milieu qui la provoque, puis à supprimer ce facteur ou à modifier le milieu d'élevage. Il est souvent difficile, voire impossible, d'identifier la cause de telles difformités, et il vaut probablement mieux les ignorer tant que leur fréquence reste inférieure à 0,5 %.

Avant de recourir à la sélection pour fixer ou éliminer des phénotypes qualitatifs et obtenir des populations génétiquement pures, il convient de déterminer le mode de transmission héréditaire de ces phénotypes. Si une expérience précédente a déjà permis de préciser ce mode de transmission, on peut utiliser ces renseignements pour élaborer le programme d'amélioration. Le fait de connaître le mode de transmission héréditaire permet au pisciculteur de choisir le programme d'amélioration correct et d'atteindre son objectif rapidement et efficacement. Un exploitant qui ignorerait ce mode de transmission avant de mettre en oeuvre un programme d'amélioration pourrait choisir le mauvais programme, ce qui l'empêcherait d'atteindre son objectif et entraînerait un gaspillage d'efforts, de moyens et de fonds.

Les programmes de recherche qui permettent de déterminer le mode de transmission héréditaire des phénotypes qualitatifs sont relativement simples. On déchiffre en général ce mode de transmission en procédant à des accouplements appariés sur deux générations et en établissant les répartitions phénotypiques qui leur correspondent (un certain nombre de ces accouplements et des répartitions correspondantes sont illustrés aux figures 3 et 5). Même si cette sorte de recherche n'est pas particulièrement complexe, elle nécessite néanmoins des efforts, des installations et moyens et une certaine capacité d'analyse statistique des résultats. Elle devrait donc être réservée aux scientifiques des universités ou aux chercheurs des stations de recherche gouvernementales.

Avant de mettre en train un programme d'élevage sélectif, le pisciculteur doit procéder à une évaluation en vue de s'assurer de son bien-fondé. Cette évaluation peut être réalisée soit par l'exploitant lui-même (ces études relativement complexes sont assez onéreuses), soit par des coopératives de pêche ou des stations locales de recherche piscicole. Il incombe à l'exploitant de déterminer si ses clients désirent acheter du poisson d'une couleur différente et s'ils sont prêts à payer davantage pour cela. L'évaluation lui apprendra aussi si le programme d'amélioration qu'il envisage de mettre en oeuvre peut lui ouvrir de nouveaux marchés. Un pisciculteur ne devrait mettre en train un programme d'élevage sélectif que dans la mesure où ce programme s'avère indispensable ou qu'il lui permettra d'augmenter ses recettes. Même si l'on peut obtenir un poisson plus attrayant en modifiant la couleur corporelle ou d'autres phénotypes, il vaut mieux renoncer à engager un programme d'amélioration si l'évaluation révèle que les consommateurs se montrent réticents devant ce changement.

Enfin, il est indispensable que l'exploitant soit au fait des coûts de production des différents phénotypes avant de mettre en oeuvre un programme d'élevage sélectif. Certains phénotypes ont une valeur si évidente qu'il n'est nul besoin d'étude scientifique formelle. Si un pisciculteur veut recourir à la sélection pour éliminer une difformité héritable qui a un effet néfaste sur le taux de croissance ou la viabilité, il peut se dispenser d'études formelles visant à établir les valeurs relatives des divers phénotypes, car il sait déjà que cette difformité lui coûte cher.

Les coûts de production relatifs de certains phénotypes sont toutefois plus difficiles à déterminer et nécessitent une évaluation menée dans le cadre d'une expérience scientifique. On procède en évaluant les effets qu'ont les phénotypes sur le taux de croissance, le taux de survie, la production d'oeufs, etc. En agriculture et en aquiculture, il arrive souvent que ces effets secondaires, qu'on appelle “effets pléiotropiques”, jouent un rôle plus important que le phénotype lui-même, en particulier lorsqu'ils intéressent la croissance, la survie ou la fécondité. On a ainsi constaté que la plupart des couleurs corporelles mutantes qui ont fait l'objet d'investigations chez le poisson étaient associées à des effets pléiotropiques négatifs, c'est-à-dire préjudiciables au taux de croissance ou de survie. A la figure 8 sont illustrés les effets pléiotropiques négatifs de la couleur corporelle rouge sur la viabilité des tilapias du Nil.

En l'absence d'effets pléiotropiques négatifs ou dans la mesure où les coûts supplémentaires de production (dus à un taux de croissance et/ou à une viabilité plus faibles) sont compensés par une augmentation de la valeur marchande du poisson récolté (du prix que les consommateurs sont prêts à payer), la sélection est opportune. Par contre, si la progression de la valeur marchande du poisson ne compense pas la hausse des coûts de production, il serait insensé de mettre en train un programme d'élevage sélectif, car l'exploitant verrait ses recettes diminuer.

Programmes d'élevage sélectif destinés à produire des populations génétiquement pures

Tout programme d'élevage sélectif portant sur des phénotypes qualitatifs a pour objet de produire une population génétiquement pure. Une telle population contient, au locus concerné, un seul allèle qui a été fixé, l'autre allèle ayant été éliminé par la sélection. Cela signifie que tout gamète produit par un géniteur sélectionné contiendra uniquement l'allèle souhaité et que la descendance engendrée par ce géniteur aura le phénotype voulu. Après obtention d'une population génétiquement pure par sélection, le phénotype indésirable ne pourra réapparaître qu'à la suite d'un repeuplement accidentel (ou intentionnel) avec des poissons d'une autre population ou d'une mutation.

Le phénotype indésirable et l'allèle qui l'engendre sont éliminés par un processus appelé “réforme”. On empêche les poissons réformés de se reproduire. Il n'est pas nécessaire de les tuer. On peut les laisser se développer et les vendre comme produits alimentaires, mais il faut les empêcher de frayer.

Figure 8

Figure 8. Effet de la couleur corporelle rouge sur la viabilité des tilapias du Nil. Il s'agit là d'un exemple d'effet pléiotropique négatif. La viabilité des poissons de couleur rouge (R × N-R) est comparée à celle de leurs frères ou soeurs à pigmentation normale (R × N-NP) et à une population témoin qui ne contient pas de poissons de couleur rouge (N × N). On a indiqué les valeurs de la viabilité au moment de l'incubation artificielle des oeufs (I), de “l'inversion” des sexes (SR), de la production de jeunes poissons (F) et du grossissement (G-O). Au moment de la récolte, les poissons pesaient 250 g en moyenne.

Source : d'après El Gamal, A.R.A.L. 1987. Reproductive performance, sex ratios, gonadal development, cold tolerance, viability and growth of red and normally pigmented hybrids of Tilapia aurea and T. nilotica. Thèse de doctorat. Université de Auburn (Alabama), Etats-Unis d'Amérique.

La sélection des phénotypes qualitatifs est régie par trois règles fondamentales :

  1. Si le phénotype souhaité est uniquement contrôlé par un génotype homozygote, la seule sélection permettra d'obtenir une population génétiquement pure.

  2. Si le phénotype souhaité est contrôlé par deux génotypes ou plus, la sélection ne permettra pas à elle seule d'obtenir une population génétiquement pure. Il faudra avoir recours au testage de la descendance pour fixer l'allèle souhaité et produire une telle population.

  3. Si le phénotype souhaité est contrôlé par le génotype hétérozygote, aucun programme d'amélioration ne permettra d'obtenir une population génétiquement pure. On peut obtenir une population où chaque individu possède le phénotype souhaité en croisant les deux phénotypes homozygotes, mais cette façon de faire doit être répétée à chaque période de reproduction.

Sélection portant sur des phénotypes homozygotes

Un pisciculteur a généralement recours à ce type de sélection lorsqu'il désire fixer le phénotype récessif et éliminer le phénotype dominant et que les phénotypes sont l'expression d'un gène autosomique présentant une dominance complète. Le terme “récessif n'implique aucune infériorité et le terme dominant, aucune supériorité. Ils renvoient simplement à la façon dont les allèles s'expriment et aux phénotypes qu'ils contrôlent. On s'est ainsi aperçu que bon nombre de phénotypes récessifs des plantes cultivées et des animaux d'élevage étaient tout à fait appréciables et l'on a mis en oeuvre des programmes d'amélioration pour les fixer. On ne devrait qualifier des phénotypes de “supérieurs” ou d'inférieurs” qu'après avoir procédé à leur évaluation biologique et économique.

Si le caractère souhaité consiste dans le phénotype récessif produit par un gène en état de dominance complète, on peut fixer ce caractère et obtenir une population génétiquement pure à l'aide d'un programme d'élevage sélectif d'une grande simplicité, et cela par le biais d'une unique opération de sélection. Pour ce faire, on préserve les poissons dotés du phénotype récessif et l'on réforme ceux qui présentent le phénotype dominant.

D'un point de vue génétique, les poissons dotés du phénotype dominant indésirable sont homozygotes dominants ou hétérozygotes. Comme tout poisson qui possède au moins un allèle dominant exprime ce phénotype dominant indésirable, une simple réforme en une étape de tous les poissons dotés du phénotype en question permet d'éliminer la totalité des copies de l'allèle dominant. Inversement, tous les poissons qui présentent le phénotype récessif souhaité sont homozygotes récessifs; cela signifie qu'après sélection, aucun d'eux ne possédera une copie de l'allèle dominant indésirable. En conséquence, l'allèle récessif sera le seul allèle présent dans la population sélectionnée, qui sera donc génétiquement pure.

Supposons qu'un pisciculteur élève des tilapias du Nil à pigmentation normale et de couleur rose et qu'il décide de ne plus élever que des tilapias de couleur rose. Il peut obtenir une population génétiquement pure de couleur rose au moyen d'un programme d'élevage sélectif en une seule étape, au cours de laquelle il réformera tous les poissons à pigmentation normale. La couleur corporelle rose, qui correspond au phénotype récessif, est contrôlée par l'allèle récessif b (génotype bb), alors que la couleur normale, qui correspond au phénotype dominant, est contrôlée par l'allèle dominant B (génotypes BB et Bb).

La réforme de la totalité des tilapias à pigmentation normale a pour effet d'éliminer tous les allèles B de la population. Les seuls poissons qui restent sont des tilapias roses; comme ce sont des homozygotes récessifs bb, seul l'allèle b sera présent dans la population de géniteurs sélectionnés. Ainsi, une seule opération de sélection permet d'obtenir une population génétiquement pure de couleur rose (figure 9).

On peut aussi utiliser ce genre de programme d'élevage sélectif pour fixer le phénotype récessif ou dominant lorsque le mode d'action génétique est la dominance incomplète ou pour fixer le phénotype homozygote en cas d'action génétique additive. Dans ces deux cas, on peut identifier et isoler deux génotypes homozygotes. La réforme des phénotypes indésirables permet d'obtenir des populations génétiquement pures en une seule opération de sélection.

Supposons par exemple qu'un pisciculteur élève des tilapias du Mozambique de couleur corporelle noire, bronze et dorée. S'il souhaite obtenir une population génétiquement pure de tilapias de couleur dorée ou noire, il peut atteindre son objectif en une seule opération de sélection. La couleur dorée, qui correspond au phénotype récessif, est contrôlée par le génotype homozygote récessif (gg.); la couleur noire, qui correspond au phénotype dominant, est contrôlée par le génotype homozygote dominant (GG): enfin, la couleur bronze correspond au phénotype hétérozygote (Gq).

On peut obtenir une population génétiquement pure de tilapias dorés en réformant la totalité des poissons noirs et bronze (figure 10), mais aussi une population génétiquement pure de tilapias noirs en réformant tous les poissons dorés et bronze (figure 11).

Cette même notion peut être élargie à tous les phénotypes qui sont contrôlés par deux gènes ou plus. Si le phénotype souhaité n'est contrôlé que par un génotype homozygote, on peut obtenir une population génétiquement pure par une unique opération de sélection.

Par exemple, si un pisciculteur élève une population de carpes communes présentant les quatre phénotypes possibles en matière de disposition des écailles et qu'il souhaite obtenir une population génétiquement pure de carpes dotées d'un nombre réduit d'écailles, il lui faut simplement garder les poissons possédant le phénotype “miroir” et réformer tous les autres. En effet, trois des phénotypes relatifs à la disposition des écailles se caractérisent par un nombre réduit d'écailles, mais seul le phénotype “miroir” est contrôlé par un génotype homozygote (ss,nn) et peut donc garantir la pureté génétique. Quant aux phénotypes “cuir” (ss,Nn) et “à ligne” (SS,Nn et Ss,Nn), ils sont indésirables, car il s'agit de phénotypes hétérozygotes au locus N; de ce fait, lorsque deux poissons “cuir” et/ou “à ligne” s'accouplent, 25 % de leur descendance meurt (la fraction qui est homozygote NN. quel que soit le génotype au locus S) (voir figure 6). Si les phénotypes “cuir” et “à ligne” sont indésirables, c'est aussi parce qu'ils s'accompagnent de plusieurs effets pléiotropiques négatifs, dont une régression du taux de croissance et de la viabilité.

Figure 9

Figure 9. Programme d'élevage sélectif de tilapias du Nil permettant d'obtenir une population génétiquement pure de tilapias de couleur rose. La réforme de la totalité des poissons à pigmentation normale (le phénotype dominant) entraîne l'élimination de toutes les copies de l'allèle dominant B. Il ne reste alors que des poissons de couleur rose (le phénotype récessif); comme il s'agit d'homozygotes récessifs bb, les géniteurs de couleur rose de la population sélectionnée seront génétiquement purs et engendreront une descendance dotée uniquement du phénotype “rose”. Les représentations graphiques des phénotypes sont identiques à celles de la figure 2. Tout phénotype récessif peut être ainsi fixé sans difficulté.

Figure 10

Figure 10. Programme d'élevage sélectif de tilapias dorés du Mozambique permettant d'obtenir une population génétiquement pure. La réforme de la totalité des poissons mélaniques - c'est-à-dire noirs (GG) et bronze (Gg) - entraîne l'élimination de toutes les copies de l'allèle dominant G. Il ne reste alors que des poissons dorés (le phénotype récessif); comme il s'agit d'homozygotes récessifs gg, les géniteurs dorés de la population sélectionnée seront génétiquement purs et engendreront une descendance dotée uniquement du phénotype “doré”. Les représentations graphiques des phénotypes sont identiques à celles de la figure 4.

Figure 11

Figure 11. Programme d'élevage sélectif permettant d'obtenir une population génétiquement pure de tilapias du Mozambique de couleur noire. La réforme de la totalité des poissons bronze (le phénotype hétérozygote Gg) et dorés (le phénotype récessif gg) entraîne l'élimination de toutes les copies de l'allèle récessif g. Il ne reste alors que des poissons noirs (le phénotype dominant); comme il s'agit d'homozygotes dominants GG, les géniteurs noirs de la population sélectionnée seront génétiquement purs et engendreront une descendance dotée uniquement du phénotype “noir”. Les représentations graphiques des phénotypes sont identiques à celles de la figure 4.

En réformant tous les poissons “cuir”, “à ligne” et “à écailles”, l'exploitant élimine l'ensemble des allèles S et N. Les seuls poissons qui restent après sélection sont les poissons possédant le phénotype “miroir”; comme il s'agit d'homozygotes récessifs (ss,nn), seuls les allèles s et n seront présents dans la population de géniteurs sélectionnés. C'est ainsi qu'en une seule opération de sélection, le pisciculteur obtiendra une population génétiquement pure de carpes communes de type “miroir” (figure 12).

Sélection portant sur des phénotypes contrôlés par plus d'un génotype

La sélection ne permet pas de fixer un phénotype qui est contrôlé par plus d'un génotype. Cela revient à dire qu'elle ne permet pas de fixer un phénotype dominant et d'obtenir une population génétiquement pure si le phénotype est engendré par un gène agissant en dominance complète. Cela signifie également qu'elle ne permet pas d'éliminer un phénotype récessif (et l'allèle récessif qui lui correspond) si ce phénotype est contrôlé par un gène agissant en dominance complète. Bien que, dans ces circonstances, ce type de programme d'élevage sélectif s'avère inopérant, on l'utilise couramment, et fort mal à propos, pour éliminer des phénotypes indésirables qui sont contrôlés - ou supposés tels -par des allèles récessifs.

Si ce type de programme d'amélioration n'atteint pas son but, c'est pour l'une ou l'autre des deux raisons suivantes. Premièrement, la plupart des phénotypes indésirables sont des difformités causées par des facteurs non génétiques (perturbations du milieu ou anomalies de développement). Nombreux sont ceux qui partent du principe que tous les phénotypes anormaux sont des phénotypes mutants produits par des allèles récessifs. Si certains le sont, ce n'est pas le cas de la majorité d'entre aux. Si le phénotype indésirable résulte d'un facteur non génétique, la sélection s'avère inopérante, car aucun programme d'élevage sélectif ne peut fixer ou éliminer des phénotypes non héritables.

Même lorsqu'une difformité est contrôlée par un allèle récessif, la sélection ne permettra pas d'obtenir une population qui en soit exempte si cet allèle est un gène autosomique agissant en dominance complète. La raison en est fort simple : le phénotype dominant (normal) est contrôlé par l'un ou l'autre des deux génotypes envisageables, et il est impossible de distinguer les poissons normaux qui sont homozygotes dominants de ceux qui sont hétérozygotes.

De ce fait, après réforme des poissons récessifs (anormaux), la population sélectionnée sera composée de poissons possédant un phénotype (normal), mais aussi deux génotypes, et chacun des géniteurs normaux hétérozygotes sélectionnés sera porteur d'une copie de l'allèle récessif indésirable. Comme la population sélectionnée contient les deux allèles, elle n'est pas génétiquement pure. La descendance issue de l'accouplement de deux géniteurs normaux hétérozygotes sélectionnés sera dotée du phénotype anormal (récessif) indésirable. Si cette sorte de sélection permet de réduire la fréquence d'un phénotype récessif indésirable, elle ne permet pas de l'éliminer totalement et d'obtenir une population génétiquement pure exempte de difformités.

Figure 12

Figure 12. Programme d'élevage sélectif permettant d'obtenir une population génétiquement pure de carpes communes de type “miroir”. La réforme de la totalité des poissons “à écailles”, “à ligne” et “cuir” (phénotypes contrôlés par des génotypes comportant au moins un allèle dominant -- voir figure 6) permet d'éliminer toutes les copies des allèles S et N. Les seuls poissons qui restent sont ceux qui possèdent le phénotype “miroir” (récessif); comme il s'agit de poissons homozygotes récessifs (ss,nn), la population sélectionnée de géniteurs de type “miroir” sera génétiquement pure et engendrera une descendance dotée uniquement de ce phénotype. Même si un certain nombre de phénotypes sont contrôlés par deux gènes ou plus, il suffit que le phénotype désiré soit le phénotype récessif (tous les loci responsables de l'expression du phénotype étant homozygotes récessifs) pour que la sélection permette d'obtenir sans difficulté une population génétiquement pure.

Figure 13

Figure 13. Programme d'élevage sélectif ne permettant pas d'obtenir une population génétiquement pure de tilapias du Nil de couleur rouge. La couleur rouge est représentée par des carrés, alors que la pigmentation normale est symbolisée par des stries (ces représentations graphiques sont identiques à celles utilisée plus .loin, à la figure 15). Après réforme de tous les poissons à pigmentation normale (correspondant au phénotype récessif), la population sélectionnée n'est composée que de poissons de couleur rouge (le phénotype dominant). Comme cette couleur corporelle rouge est contrôlée par un allèle dominant agissant en dominance complète, elle peut être produite par le génotype homozygote dominant (RR) ou par le génotype hétérozygote (Rr). Chaque géniteur hétérozygote de couleur rouge (Rr) que l'on conserve apporte à la population sélectionnée une copie de l'allèle r, qui ne peut donc être éliminé par simple sélection. Lorsque les géniteurs de couleur rouge sélectionnés fraient, l'accouplement de deux hétérozygotes (Rr) (qui est illustré) engendre un certains nombre de descendants à pigmentation normale. La réforme ne permet donc pas d'éliminer les phénotypes récessifs, qui réapparaissent au moment du frai. En conséquence, si le phénotype souhaité est le phénotype dominant et qu'il soit contrôlé à la fois par le génotype homozygote dominant et par le génotype hétérozygote, la sélection ne permet pas d'obtenir une population génétiquement pure.

Supposons par exemple qu'un pisciculteur élève une population de tilapias du Nil composée à la fois d'individus à pigmentation normale et d'individus de couleur rouge et qu'il décide de produire uniquement des tilapias de couleur rouge. S'il essaie d'obtenir une population génétiquement pure de tilapias de couleur rouge en réformant tous les poissons à pigmentation normale, il s'apercevra qu'il ne parvient pas à obtenir le résultat escompté. Les géniteurs de couleur rouge sélectionnés engendrent une descendance composée à la fois d'individus de couleur rouge et d'individus à pigmentation normale. Cela est dû au fait que la couleur rouge représente le phénotype dominant et qu'elle est contrôlée par l'allèle dominant R (correspondant aux génotypes RR et Rr), alors que la pigmentation normale représente le phénotype récessif et qu'elle est contrôlée par l'allèle récessif r (correspondant au génotype rr). Comme les génotypes homozygote dominant et hétérozygote produisent des phénotypes “couleur rouge” identiques, certains des géniteurs de couleur rouge sélectionnés (les géniteurs hétérozygotes) seront porteurs d'une copie de l'allèle r indésirable. Lorsque deux géniteurs de couleur rouge hétérozygotes s'accouplent, ils engendrent un certain nombre de descendants dotés d'une pigmentation normale (figure 13).

La même notion s'applique aux phénotypes qui sont contrôlés par deux gènes ou plus. Si le phénotype souhaité est produit par plus d'un phénotype et qu'au moins l'un des gènes puisse se trouver dans l'état homozygote ou hétérozygote, la sélection ne permettra pas d'obtenir une population génétiquement pure. Comme dans le cas des phénotypes contrôlés par un seul gène, certains des géniteurs sélectionnés seront porteurs d'une copie du ou des allèles récessifs indésirables et, lorsque deux poissons hétérozygotes s'accoupleront, ils engendreront une descendance dotée du ou des phénotypes indésirables.

Supposons par exemple qu'un pisciculteur élève une population de carpes communes présentant les quatre phénotypes possibles en matière de disposition des écailles; s'il décide d'obtenir une population génétiquement pure de carpes communes “à écailles” par le biais de la sélection, il s'apercevra qu'il en est incapable. Cela découle du fait que les géniteurs “à écailles” sélectionnés sont dotés de deux génotypes (SS,nn ou Ss,nn) et qu'il est impossible de distinguer les poissons “à écailles” hétérozygotes des poissons “à écailles” homozygotes. L'exploitant peut éliminer l'allèle dominant N en réformant la totalité des poissons possédant les phénotypes “à ligne” et “cuir” (on peut réformer un allèle dominant par une unique opération de sélection); les individus dotés de deux copies de l'allèle N ont été réformés par la nature et sont morts. Toutefois, l'exploitant ne peut éliminer l'allèle s indésirable en réformant le phénotype qui reste, à savoir le phénotype “miroir”. La population sélectionnée de géniteurs “à écailles” engendrera une descendance dotée à la fois des phénotypes “miroir” et “à écailles” en cas d'accouplement de deux géniteurs “à écailles” hétérozygotes (Ss,nn) (figure 14).

Testage de la descendance. Vu que la sélection (la réforme) visant à éliminer un phénotype récessif ne permet pas de fixer un allèle dominant et d'obtenir une population génétiquement pure (lorsque le mode d'action génétique est la dominance complète), il faut alors recourir à un autre type de programme d'amélioration pour atteindre cet objectif. Le seul moyen d'éliminer un allèle récessif indésirable réside dans le testage de la descendance. Il s'agit d'un programme d'amélioration qui consiste à déchiffrer le génotype des parents en identifiant les phénotypes de leur descendance. Une fois les génotypes des parents dominants déchiffrés, on a recours à la sélection pour préserver les homozygotes et réformer les hétérozygotes, ce qui permet d'éliminer toutes les copies de l'allèle récessif, de fixer l'allèle dominant et d'obtenir une population génétiquement pure.

On procède en appariant et en accouplant un poisson possédant un phénotype dominant avec un poisson “testeur” (poisson dont le génotype est connu). Les poissons testeurs sont généralement des poissons dotés du phénotype récessif, car ce sont des poissons homozygotes récessifs (il n'est pas nécessaire de recourir à des expériences pour établir le génotype d'un phénotype récessif). Comme ces poissons ne peuvent produire que des gamètes comportant un allèle récessif, c'est le parent dominant qui définit les phénotypes de sa descendance (voir figure 3c et 3e). Si le parent dominant est homozygote, la totalité de la descendance sera dotée du phénotype dominant (figure 3c); s'il est hétérozygote, la moitié de la descendance présentera le phénotype dominant et l'autre moitié, le phénotype récessif (figure 3e).

La présence d'un seul descendant possédant le phénotype récessif suffit à établir avec certitude que le parent dominant est hétérozygote et qu'il doit être réformé. Si, dans un échantillon aléatoire d'au moins 20 individus, aucun des descendants ne présente le phénotype récessif, le parent dominant peut être considéré comme homozygote et utilisé à des fins d'amélioration génétique. Une fois que ces tests de descendance ont permis de détecter un nombre suffisant de mâles et de femelles homozygotes dominants, on réforme tous les autres poissons (y compris les descendances obtenues à l'occasion des tests). On est alors assuré que la population, désormais génétiquement pure, engendrera une descendance possédant le phénotype dominant.

Ainsi, un pisciculteur qui élève une population de tilapias du Nil de couleur rouge et à pigmentation normale peut obtenir une population génétiquement pure de tilapias de couleur rouge en procédant à des tests de descendance en vue de déceler et de conserver les poissons de couleur rouge qui sont homozygotes (RR) et de réformer ceux qui sont hétérozygotes (Rr). Avant de procéder à ces tests, le pisciculteur devra réformer tous les poissons à pigmentation normale, à l'exception de ceux qui seront utilisés comme poissons testeurs.

Pour faire subir un test de descendance à ses tilapias de couleur rouge, l'exploitant doit apparier un de ces poissons avec un poisson testeur (en ce cas un tilapia à pigmentation normale, qui se trouve être homozygote récessif rr). Les parents de couleur rouge qui sont homozygotes (RR) auront une descendance constituée uniquement d'individus de couleur rouge et seront donc épargnés, alors que les parents de couleur rouge qui sont hétérozygotes (Rr) engendreront un nombre identique de descendants de couleur rouge et à pigmentation normale et seront donc réformés. A la suite de tests de descendance portant sur une seule génération, l'exploitant disposera d'une population sélectionnée de géniteurs de couleur rouge qui, parce que ce sont des homozygotes RR, permettront que la pureté génétique soit préservée et engendreront uniquement des descendants de couleur rouge (figure 15).

Figure 14

Figure 14. Programme d'élevage sélectif ne permettant pas d'obtenir une population génétiquement pure de carpes communes “à écailles”. Après réforme de tous les poissons possédant les phénotypes “à ligne”, “miroir” et “cuir”, la population sélectionnée est uniquement composée de poissons “à écailles”. Cette opération de sélection élimine toutes les copies de l'allèle dominant indésirable N, puisqu'elle donne lieu à la réforme de la totalité des poissons hétérozygotes (dotés des phénotypes “à ligne” et “cuir”); quant aux poissons homozygotes, ils sont réformés par la nature, puisque le génotype NN. est létal. Malheureusement, ce programme d'élevage sélectif ne permet pas d'obtenir une population génétiquement pure, car on ne parvient pas à éliminer totalement l'allèle récessif indésirable s en réformant le phénotype récessif (“miroir”). Le phénotype “à écailles” étant contrôlé par un allèle dominant agissant en dominance complète, les poissons “à écailles” tant homozygotes (SS,nn) que hétérozygotes (Ss,nn) seront conservés. Tout géniteur “à écailles” hétérozygote sélectionné étant porteur d'une copie de l'allèle récessif s, cet allèle ne sera donc pas éliminé par la sélection. Lors du frai, après accouplement de deux géniteurs “à écailles” hétérozygotes, on obtient une descendance dont une fraction possède le phénotype “miroir” (c'est l'accouplement illustré). Comme dans le cas d'un phénotype contrôlé par un seul gène, la sélection ne permettra pas d'obtenir une population génétiquement pure si le phénotype souhaité est contrôlé par plus d'un génotype et que l'un d'eux soit hétérozygote.

Figure 15


Figure 15

Figure 15. Représentation schématique du programme de tests de descendance qu'il faut mettre en oeuvre pour obtenir une population génétiquement pure de tilapias du Nil de couleur rouge. Les tests de descendance permettent d'identifier et de réformer les poissons de couleur rouge hétérozygotes (Rr), et d'identifier et de conserver les poissons de couleur rouge homozygotes (RR). On déchiffre le génotype d'un poisson de couleur rouge en accouplant ce dernier avec un poisson testeur (un poisson à pigmentation normale rr) et en observant les phénotypes de sa descendance. S'agissant du croisement du haut, on constate que le poisson de couleur rouge est hétérozygote (Rr) et qu'il doit être réformé, car la moitié de sa descendance présente une pigmentation normale. En ce qui concerne le croisement du bas, le poisson de couleur rouge doit être considéré comme homozygote (RR) et donc conservé, car on ne décèle aucun poisson à pigmentation normale dans un échantillon aléatoire constitué d'au moins 20 de ses descendants. Grâce aux tests de descendance, on obtient une population génétiquement pure de géniteurs de couleur rouge homozygotes (RR) sélectionnés qui engendreront uniquement des descendants de couleur rouge. La représentation graphique des phénotypes est identique à celle de la figure 13.

Le même principe s'applique si le phénotype souhaité est contrôlé par deux génotypes ou plus et par plus d'un gène. Par exemple, si un pisciculteur qui élève des carpes communes présentant les quatre phénotypes possibles en matière de disposition des écailles décide de créer une population génétiquement pure constituée uniquement de carpes communes “à écailles”, il lui faudra recourir aux tests de descendance pour atteindre son objectif. Le phénotype “à écailles” est contrôlé à la fois par le génotype SS,nn et par le génotype Ss,nn. En ce cas, ce sont les poissons doté du phénotype “miroir” qui font fonction de poissons testeurs, du fait qu'ils sont homozygotes récessifs (ss,nn). Avant de procéder aux tests de descendance, l'exploitant doit éliminer tous les poissons possédant les phénotypes “à ligne” et “cuir” ainsi que la plupart des poissons présentant le phénotype “miroir”; il conservera simplement quelques poissons dotés de ce dernier phénotype et les utilisera comme poissons testeurs.

Les tests de descendance permettent d'identifier et d'épargner les poissons “à écailles” qui sont homozygotes au locus S (SS,nn), et d'identifier et de réformer ceux qui sont hétérozygotes au locus S (Ss,nn). Si le parent “à écailles” est homozygote au locus S (SS,nn), la totalité de la descendance possèdera le phénotype “à écailles”; si, par contre, il est hétérozygote (Ss,nn), la moitié de la descendance présentera le phénotype “à écailles” et l'autre moitié, le phénotype “miroir”. Après des tests de descendance portant sur une génération, l'exploitant disposera d'une population sélectionnée génétiquement pure, constituée de géniteurs “à écailles” relevant tous du type SS,nn qui engendreront uniquement des descendants “à écailles” (figure 16).

Par ailleurs, on peut utiliser un seul poisson testeur pour tester la descendance d'un certain nombre de poissons possédant le phénotype dominant, dans la mesure où il est possible de provoquer artificiellement la ponte du poisson. De plus, il n'est pas nécessaire d'élever des milliers d'individus issus de chaque famille. Un échantillon aléatoire de 100à 200 oeufs fécondés devrait suffire, pour peu que les très jeunes poissons aient un taux de survie convenable. Il n'y a en conséquence aucune raison pour que les tests de descendance coûtent cher; ils peuvent être réalisés dans une petite écloserie, que ce soit en aquarium, dans de petites piscines en plastique ou dans des hapas suspendus dans un seul étang d'une superficie n'excédant pas 0,04 ha. Pendant l'élevage des familles, il convient de maintenir les géniteurs dominants dans des bassins ou des hapas distincts, de façon à pouvoir les conserver ou les réformer après examen de leur descendance. Il est possible de placer plusieurs poissons dans un même bassin ou hapa, pour peu qu'ils aient été marqués au moyen d'une bague de nageoire. On parvient à obtenir une population génétiquement pure à l'aide de tests de descendance portant sur une seule génération, et il n'est par la suite plus nécessaire de procéder à de tels tests, à moins que des poissons porteurs de l'allèle récessif indésirable soient acquis dans un autre établissement piscicole ou que cet allèle réapparaisse par mutation.

Sélection portant sur des phénotypes contrôlés par des génotypes hétérozygotes

Si l'on souhaite préserver le phénotype hétérozygote, aucun programme d'amélioration génétique ne permettra d'obtenir une population génétiquement pure. Cela est dû au fait que les poissons dotés du phénotype souhaitable sont incapables d'engendrer une telle population. Les poissons hétérozygotes produisent deux types de gamètes, et cela en nombre égal. En conséquence, lorsque ces poissons s'accouplent, ils engendrent une descendance possédant trois phénotypes (la sélection portant sur des phénotypes hétérozygotes fonctionne uniquement lorsque les phénotypes sont contrôlés par des gènes autosomiques agissant en dominance incomplète ou de façon additive). Un exploitant qui réformerait les deux phénotypes homozygotes dans le but de créer une population sélectionnée contenant uniquement le phénotype hétérozygote s'apercevra rapidement que son programme d'élevage sélectif est un échec, car la moitié seulement de la descendance des géniteurs sélectionnés présentera le phénotype souhaité.

Supposons par exemple qu'un pisciculteur qui élève une population de tilapias du Mozambique dotés des phénotypes “noir”, “bronze” et “doré” décide de créer une population génétiquement pure de poissons “bronze”; il s'apercevra que c'est impossible. S'il met en oeuvre un programme d'élevage sélectif, il réformera les poissons dorés (le phénotype récessif) et noirs (le phénotype dominant) et conservera les poissons bronze (le phénotype hétérozygote). Lorsque l'on croise les géniteurs bronze de la population sélectionnée, ceux-ci engendrent une descendance présentant les trois phénotypes (figure 17).

Si l'exploitant ne souhaite produire que des poissons de couleur bronze, il doit croiser des poissons dorés et des poissons noirs. Ce type d'accouplement (le croisement de deux homozygotes, qui est illustré à la figure 5c) donnera une descendance entièrement hétérozygote (figure 18).

Pour que ce programme d'amélioration donne les résultats escomptés, il faut simplement que l'exploitant sache sexer avec exactitude ses poissons. Il suffit que le sexe d'un seul poisson soit mal identifié pour que la descendance comporte des spécimens dorés ou noirs. Pour mener à bien ce type de programme, il faut disposer d'au moins deux étangs (ou bassins), l'un où l'on mettra des femelles “dorées” et des mâles “noirs” et l'autre où l'on mettra des femelles “noires” et des mâles “dorés”.

Tenue de registres

En comparaison de la quantité de données qu'il est nécessaire de consigner dans le cas des phénotypes quantitatifs, les relevés de données auxquels il faut procéder pour ce qui concerne les phénotypes qualitatifs sont minimes, tant sur le plan de la diversité que sur celui du volume. L'une des sortes d'informations qu'il convient de noter consiste dans la description des phénotypes anormaux ou “mutants” qu'on observe chaque année. La mémoire des pisciculteurs n'est pas parfaite, et ils ont souvent tendance à exagérer le nombre des poissons anormaux, simplement parce que ces poissons sont inhabituels. Un recensement de ces phénotypes permettra à l'exploitant de disposer d'un inventaire précis des divers types d'anomalies observées et de mieux percevoir le moment où une anomalie commence à poser problème. Ces données renseigneront également l'exploitant sur les autres phénotypes qualitatifs qui se manifestent dans la population qu'il élève.

Les exploitants devront se procurer des fiches où ils consigneront la date d'observation ainsi que le nom (on peut en inventer un) et une brève description des divers phénotypes. Ils noteront en outre le nombre de poissons dotés de ces phénotypes et l'effectif total de la population produite, ce qui leur permettra d'en déduire la fréquence de chacune des anomalies observées. Une augmentation inconsidérée de ces fréquences les préviendra de la survenue d'un éventuel problème. Un exemple de ce type de fiche est présenté au tableau 7.

Figure 16


Figure 16

Figure 16. Représentation schématique du programme de tests de descendance qu'il faut mettre en oeuvre pour obtenir une population génétiquement pure de carpes communes “à écailles”. Les tests de descendance permettent d'identifier et de réformer les poissons “à écailles” hétérozygotes (Ss,nn). et d'identifier et d'épargner les poissons “à écailles” homozygotes (SS,nn). On déchiffre le génotype d'un poisson “à écailles” en l'accouplant avec un poisson testeur (un poisson doté du phénotype “miroir” ss,nn) et en observant les phénotypes de sa descendance. S'agissant du croisement du haut, on constate que le poisson “à écailles” est hétérozygote (Ss,nn) et qu'il doit être réformé, car la moitié de sa descendance présente le phénotype “miroir”. En ce qui concerne le croisement du bas, le poisson “à écailles” doit être considéré comme homozygote (SS,nn) et donc épargné, car on ne décèle aucun poisson possédant le phénotype “miroir” dans un échantillon aléatoire constitué d'au moins 20 de ses descendants. Grâce aux tests de descendance, on obtient une population sélectionnée génétiquement pure de géniteurs “à écailles” certifiés homozygotes (SS,nn), qui engendreront uniquement une descendance “à écailles”.

Figure 17

Figure 17. Programme d'élevage sélectif ne permettant pas d'obtenir une population génétiquement pure de tilapias du Mozambique de couleur “bronze”. En ce cas, on réforme tant les homozygotes noirs (GG) que les homozygotes dorés (gg) et l'on épargne les poissons de couleur bronze (Gg). Ces derniers étant hétérozygotes, la population sélectionnée n'est pas génétiquement pure. La moitié seulement de la descendance des géniteurs sélectionnés héritera du phénotype “bronze”. Les représentations graphiques de la couleur corporelle sont identiques à celles de la figure 4.

Figure 18

Figure 18. Programme d'amélioration génétique permettant d'obtenir 100 % de tilapias de couleur bronze. On ne peut obtenir une population de poissons de couleur bronze (Gg.) qu'en croisant des poissons noirs (GG) et des poissons dorés (gg). Si l'exploitant souhaite élever uniquement des poissons de couleur bronze, il lui faudra mettre en train ce programme d'accouplement à chaque période de reproduction. Les représentations graphiques des couleurs corporelles sont identiques à celles de la figure 4.

Tableau 7. Exemple de fiche servant à consigner les phénotypes qualitatifs anormaux ou autres qui sont observés.

Date : 23 mars 1995
Espèce : tilapia du Nil
Effectif produit : 25 500
PhénotypeDescriptionNombreFréquence
NageoiresAbsence de nageoires et de pédoncule caudal30.000117
Semi-operculeRaccourcissement de l'opercule droit; branchies partiellement exposées50.000196
Corps rabougriNanisme; tronc anormalement court20.000078

Si l'exploitant souhaite mettre en oeuvre un programme d'élevage sélectif pour fixer un phénotype qualitatif, il doit noter la date à laquelle la sélection a eu lieu, le nombre de poissons épargnés, le nombre de poissons réformés et le ou les étangs où les géniteurs sélectionnés ont été placés. Une fois que ces géniteurs ont frayé, il doit en outre se fonder sur les résultats obtenus pour préciser si la population qu'ils forment est génétiquement pure ou non. Un exemple de ce type de fiche est donné au tableau 8.

Tableau 8. Exemple de fiche servant à consigner des données relatives à un programme d'élevage sélectif (il s'agit en ce cas d'un programme mis en oeuvre en vue d'obtenir une population génétiquement pure de tilapias dorés du Mozambique.)

Date : 1er juin 1995
Espèce : tilapia du Mozambique
Programme d'amélioration : obtention d'une population génétiquement pure de tilapias dorés
Phénotypes réformésEffectif réformé
noir456
bronze935
Phénotype épargnéEffectif épargné
doré204 femelles et 196 mâles

La population est-elle génétiquement pure?

Oui le 23 juin 1995, car les géniteurs sélectionnés ont engendré uniquement des descendants de couleur dorée.

Oui le 5 juillet 1995, car les géniteurs sélectionnés ont engendré uniquement des descendants de couleur dorée.

Oui le 17 juillet 1995, car les géniteurs sélectionnés ont engendré uniquement des descendants de couleur dorée.

Si l'exploitant procède à un test de descendance, il doit noter la date et les résultats de chaque accouplement; il doit en outre indiquer si les poissons ont été épargnés ou réformés et préciser où ont été placés les géniteurs sélectionnés. Une fois que ces géniteurs ont frayé, il doit enfin se fonder sur les résultats obtenus pour indiquer si la population qu'ils forment est génétiquement pure ou non. Un exemple de ce type de fiche est présenté au tableau 9. L'exploitant doit aussi tenir un registre des lieux où sont gardés chacun des poissons et chacune des familles jusqu'à ce que le test de descendance soit terminé et que les poissons aient été épargnés ou réformés.

Enfin, si l'exploitant souhaite produire des hétérozygotes aux fins d'affinage, il doit prendre note des étangs où se trouvent chacun des homozygotes, du nombre de poissons dans chaque étang et de la date d'empoissonnement, des étangs ou des bassins où le frai a eu lieu, du nombre de géniteurs qui ont frayé et des résultats des accouplements. Un exemple de ce type de fiche est donné au tableau 10.

Tableau 9. Exemple de fiche servant à consigner les données relatives à un test de descendance. Il s'agit en ce cas d'un test portant sur des tilapias du Nil, effectué en vue de réformer les poissons de couleur rouge hétérozygotes (Rr) et d'épargner les poissons de couleur rouge homozygote (RR), de manière à obtenir une population génétiquement pure de tilapias du Nil de couleur rouge. Dans cet exemple, on a uniquement fait mention des données concernant les accouplements des poissons 1 à 5.

Date : 29 mai au 15 juin 1995 
Espèce : tilapia du Nil 
Test de descendance : ce test a porté sur des poissons de couleur rouge et permis de réformer les hétérozygotes et d'épargner les homozygotes. Des poissons à pigmentation normale ont servi de poissons testeurs.
DateGéniteur de couleur rougeRapport de descendance
(rouge/normal)
réformé/épargné
1er juin1156:0épargné
1er juin273:70réformé
1er juin3pas de frairéformé
2 juin475:0épargné
2 juin556:61réformé 
Nombre total de poissons de couleur rouge épargnés : 75 femelles et 49 mâles
Les poissons sélectionnés forment-ils une population génétiquement pure?
Oui le 25 juillet 1995, car les géniteurs sélectionnés ont engendré uniquement des descendants de couleur rouge.
Oui le 31 juillet 1995, car les géniteurs sélectionnés ont engendré uniquement des descendants de couleur rouge.

Table 10. Exemple de fiche qui peut-être utilisée pour relever les données d'un programme d'amélioration produisant des hétérozygotes aux fins d'affinage. Dans cet exemple le programme d'amélioration qui accouple le poisson doré avec le poisson noir produit un poisson bronze.

Date: 25 juillet – 1 août, 1995Espèce: tilapia du Mozambique
Programme d'amélioration: Accoupler doré × noir pour produire 100% bronze
PhenotypeDateEtang No.Effectif mâlesEffectif femelles
noir1erjuin 199523125230
doré1er juin 199532119198
Exemple de ficheProduction de poisson bronze
DateEtang No.Phenotype/sexPhenotype/sexDescendants
1er août223 mâles dorés45 femelles noires8,300 bronze
1er août350 femelles dorées30 mâles noirs9,500 bronze
1er août445 femelles dorées32 mâles noirs10,300 bronze

Conclusion

Les programmes d'élevage sélectif dont il a été fait mention dans le présent chapitre ne présentent pas de difficultés techniques et nécessitent très peu de relevés de données. Les programmes d'amélioration permettant d'obtenir des populations génétiquement pures sont relativement simples et, dans la plupart des cas, peuvent être menés à bien en une seule journée. Une fois la population génétiquement pure obtenue, la sélection est achevée. Même s'il est impossible d'obtenir une telle population, on peut concevoir un programme d'amélioration simple destiné à produire uniquement le phénotype souhaité.

Les programmes d'élevage sélectif mentionnés dans le présent chapitre ont été utilisés pour obtenir, chez certaines des principales espèces aquicoles, des populations possédant uniquement le phénotype souhaité. C'est ainsi que l'ensellure (difformité de la nageoire dorsale), phénotype indésirable touchant la souche Auburn University du tilapia bleu, a été éliminée par une unique opération de sélection, du fait qu'elle était contrôlée par un allèle dominant. En Virginie-Occidentale et en Pennsylvanie (Etats-Unis d'Amérique), les organismes halieutiques d'Etat ont eu recours à la sélection et à l'accouplement d'homozygotes pour obtenir des truites arc-en-ciel dorées (sélection) et “alezanes” (accouplement d'homozygotes) destinées au peuplement des eaux du domaine public. En Europe, bon nombre d'éleveurs de carpes sont parvenus à fixer le phénotype “miroir” en réformant tous les autres phénotypes relatifs à la disposition des écailles. Enfin, les éleveurs de poissons ornementaux ont régulièrement recours à ce type de programmes d'amélioration pour produire des poissons d'une plus grande valeur marchande.

Avant de procéder à la sélection, l'exploitant (ou la coopérative d'exploitants) doit faire une analyse économique afin de s'assurer du bien-fondé d'un éventuel programme d'élevage sélectif. Il lui faut en particulier s'informer, d'une part, de la valeur marchande des divers phénotypes et, d'autre part, du coût de production de ces phénotypes, qui est également fonction des éventuels effets pléiotropiques (taux de croissance, taux de survie, etc.). Si les résultats indiquent qu'il est possible d'augmenter les recettes en fixant un phénotype lié, par exemple, à une couleur corporelle plus attrayante, l'exploitant est alors fondé de mettre en oeuvre un programme d'élevage sélectif. Si, par contre, les résultats démontrent que l'augmentation de la valeur marchande de la récolte de poisson ne compense pas la progression des coûts de production, il devrait y renoncer.

Il importe aussi que les exploitants sachent reconnaître les situations où la sélection est superflue, la correction du problème ne s'imposant pas. Toutes les populations comportent des individus difformes. A l'état sauvage, les poissons présentant des difformités sont généralement éliminés par les prédateurs et restent donc fort rares. Les étangs des pisciculteurs étant exempts de prédateurs, les poissons difformes y sont plus nombreux, même si leur fréquence reste d'ordinaire assez peu élevée. Les exploitants estiment souvent qu'il y a un problème du fait qu'ils remarquent plus volontiers les poissons aberrants et qu'ils en ont un souvenir plus marqué. Si une difformité ne concerne pas plus d'un poisson sur 250, elle ne devrait pas constituer un problème à résoudre impérativement. Par contre, si elle concerne un poisson sur 100 à 200, il faut se pencher sur la question et recourir éventuellement à la sélection s'il s'agit d'une difformité héritable.

Enfin, pour mener à bien un programme d'élevage sélectif, l'exploitant doit épargner 100 à 200 géniteurs sélectionnés. En effet, il importe qu'au moins 25 mâles et 25 femelles fraient à chaque période de reproduction, de façon à éviter tout problème dû à la consanguinité.


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