CCP: ME/HS 01/3

 

COMITÉ DES PRODUITS

GROUPE INTERGOUVERNEMENTAL SUR LA VIANDE

SOUS-GROUPE DES CUIRS ET PEAUX

Septième session

Rome, 4 - 6 juin 2001

LIENS ENTRE LES POLITIQUES COMMERCIALES, SANITAIRES ET ENVIRONNEMENTALES DANS LE SECTEUR DU TRAITEMENT DES CUIRS ET PEAUX

Table des matières



I. GÉNÉRALITÉS

1. Lors de sa sixième session, en novembre 1998, le Sous-Groupe a demandé au Secrétariat de faire une étude des interactions entre les restrictions appliquées au commerce des cuirs et peaux, les réglementations sanitaires, les mesures optionnelles telles que les labels écologiques, et les questions environnementales. Le présent document a été élaboré pour répondre à cette demande.

2. Le présent document étudie les interactions entre le commerce, les politiques commerciales, les réglementations sanitaires et les politiques de l'environnement. Les questions de commerce et d'environnement sont ensuite exposées dans une perspective économique. Les politiques économiques s'inscrivant dans un cadre légal, on examinera les règles, établies par l'Organisation mondiale du commerce et d'autres accords internationaux, qui régissent le commerce. En matière d'environnement, la réglementation vise à définir des normes, dont on étudiera l'harmonisation. On examinera ensuite quelles autres solutions existent en dehors des restrictions commerciales et des normes harmonisées.

3. Dans la deuxième partie du document, ces concepts sont appliqués au secteur de la transformation des peaux. On y fait le point sur les politiques de l'environnement concernant ce secteur et leur effet probable sur la localisation de la production et les flux commerciaux. On étudie ensuite les effets possibles de la libéralisation du commerce sur l'environnement mondial, et quelques mesures à prendre en conséquence sont esquissées en conclusion de ce document.

4. Cet article met l'accent sur l'analyse des aspects économiques. Il n'aborde pas les diverses perspectives politiques, scientifiques et sociales que les responsables politiques devraient aussi prendre en considération. Néanmoins, l'analyse économique a le mérite de faire ressortir le coût qui accompagne l'application de politiques inadéquates et les avantages qui sont ainsi sacrifiés.

II. PERSPECTIVES

A. PERSPECTIVE ÉCONOMIQUE

5. La production de pratiquement toutes les marchandises et tous les services s'accompagne inévitablement d'une pollution sous une forme ou une autre. La sagesse politique n'est donc pas de supprimer toute forme de pollution, mais de contraindre la production à ne pas dépasser certains niveaux de manière que les avantages découlant de l'accroissement de la production soient supérieurs au coût total de la production, y compris les coûts pour l'environnement. Les moyens de contraindre la production sont la fiscalité, les restrictions quantitatives appliquées aux intrants ou à la production, ou encore diverses normes affectant les méthodes de production. Les économistes tendent à préférer les instruments économiques tels que les mesures fiscales et les prélèvements parce qu'ils incitent les producteurs et les consommateurs à chercher des moyens d'augmenter la production sans augmenter le niveau de pollution.

6. Pour être efficace, une politique du commerce et de l'environnement doit faire en sorte que les prix correspondent aux coûts et aux avantages réels de la production et de la consommation. Ce qui signifie que les taxes ou les restrictions quantitatives destinées à réduire la cause directe de dégradation de l'environnement doivent être fixées à des niveaux qui correspondent à la valeur du dommage subi. Si l'on utilise comme instrument la fiscalité, la meilleure politique pour une marchandise qui pollue par son mode de fabrication consiste à imposer une taxe sur les rejets. Enfin, la taxe doit équivaloir au coût imposé aux membres de la société autres que le producteur. Pour prendre un exemple, le chrome est utilisé dans diverses applications industrielles autres que le traitement des peaux. Une taxe sur son utilisation devrait varier en fonction de l'utilisation et correspondre au degré de pollution associé à chacune d'elles. Des mesures de ce genre n'aboutiront pas à la suppression de la pollution, mais le gain pour la société produit par l'unité de production marginale compensera juste la pollution.

7. L'un des effets importants des taxes sur l'environnement est de procurer un avantage aux producteurs résidant dans des pays qui n'imposent pas de taxes de ce genre. Cela incite les producteurs d'un pays donné à encourager les autres pays à instaurer des taxes sur l'environnement. La protection de l'environnement mondial se mêle au désir de protection du secteur.

B. PERSPECTIVE JURIDIQUE

8. Les règles commerciales fixées par les membres de l'Organisation mondiale du commerce visent avant tout à développer les échanges. L'un des principes essentiels de l'OMC est la souveraineté nationale, qui fait qu'en matière d'environnement, les pays membres ne peuvent imposer leurs normes aux autres. Un autre principe important est que les dispositions de la réglementation de l'OMC ne portent que sur les produits, non pas sur les procédés et méthodes de production. S'il est logique de faire cette distinction pour faciliter les échanges, ce sont les différences de méthodes qui déterminent les effets de la production sur l'environnement; or, elles ne sont pas forcément visibles dans le produit final. C'est pourquoi on préconise de plus en plus une révision des dispositions de l'OMC afin d'autoriser les restrictions commerciales sur la base de différences de procédés et de méthodes de production pour garantir l'emploi de pratiques qui respectent l'environnement dans la production, la distribution et l'utilisation des marchandises.

9. Des accords sur l'environnement sont souvent négociés au niveau régional ou multilatéral lorsque la production dans un pays a des effets importants sur l'environnement d'un autre. On en trouve un exemple dans les accords sur l'appauvrissement de la couche d'ozone et le changement climatique. Les accords entre pays réglementent les rejets dans des ressources communes comme, par exemple, la mer Baltique ou les fleuves traversant des frontières nationales. Dans le cas du traitement des peaux, la pollution due à cette activité est relativement localisée et, hormis les effets en aval, ne déborde guère au niveau international. La position de l'OMC sur ce point est que chaque pays a le droit de fixer ses propres normes d'environnement et que les autres pays ne peuvent restreindre leurs importations à ce titre.

10. Les règles de l'OMC jouent aussi dans le cas des restrictions d'ordre sanitaire visant à empêcher l'introduction de parasites et de maladies et à protéger la santé des hommes, des animaux, des végétaux et, plus généralement, de l'environnement. Les pays membres fixent leurs propres règles, mais celles-ci doivent être compatibles avec les accords de l'OMC. Les différends portant sur ces dispositions sont nombreux du fait que le risque de maladie est difficile à évaluer, surtout s'il n'y a jamais eu de foyer d'infection dans le pays d'importation. Comme toutes les restrictions sur les importations, celles-ci ont pour effet de protéger les producteurs d'un pays en restreignant le commerce en provenance de pays exportateurs. Les tanneries du pays sont confrontées à des approvisionnements plus limités en matières premières dont le prix est plus élevé. Les producteurs ont donc intérêt à soutenir l'application de restrictions d'ordre sanitaire aux importations même lorsque le risque d'infection est minime, alors que les exportateurs et les transformateurs du pays peuvent y être opposés.

11. Les dispositions sanitaires concernent le secteur des cuirs et peaux parce que l'importation de ces produits animaux peut introduire des maladies menaçant la santé des hommes et des animaux. Il est clair que les risques présentés par les peaux sont plus importants que ceux du cuir ou des articles en cuir. Il n'y a pourtant guère d'indices que les restrictions sanitaires affectent sensiblement le commerce de ces produits. On craint cependant que certaines réglementations ne soient inutilement pesantes, par exemple en exigeant une certification que les conditions observées dans certains pays en développement rendent difficile à obtenir et qui n'augmente guère la sécurité sanitaire des importations de ces produits.

a) Harmonisation des règles de protection de l'environnement

12. L'une des manières d'aborder le problème des coûts écologiques consiste à préconiser une harmonisation, c'est-à-dire la fixation de critères de réglementation identiques. Jusqu'à présent, l'harmonisation visait principalement les normes sur les produits, portant sur le produit lui-même, afin de réduire autant que possible les difficultés suscitées par des différences confuses entre produits dans les échanges. Plus récemment, l'accent a été mis sur la définition d'instruments de protection de l'environnement homogènes au niveau international tels que des normes concernant les niveaux admissibles de polluants dans l'air, l'eau ou le sol, les procédés, les instruments économiques et les labels écologiques. Ces mesures visent à défendre l'environnement plutôt que le commerce. Des tentatives ont par ailleurs été faites pour harmoniser les règles en matière d'environnement (Organisation internationale de normalisation, Code de la normalisation issu du Tokyo Round, et divers comités de l'OCDE).

13. L'harmonisation des critères de réglementation internationaux constitue un moyen de réduire les différences de compétitivité au niveau international imputables aux disparités des normes nationales en matière d'environnement. Elle évite que les pays ne se fassent concurrence et n'abaissent insensiblement leurs normes au niveau du concurrent le moins strict (nivellement par le bas). Toutefois, des normes trop sévères peuvent éliminer une concurrence pourtant légitime.

14. Nombreux sont les pays qui n'accepteraient pas des normes harmonisées. Il existe souvent des différences légitimes entre les pays, qui tiennent notamment à des préférences et à une capacité d'assimilation variables.

b) Les préférences varient d'un peuple à un autre

15. On peut se figurer la qualité de l'environnement comme une série de biens et de services qui peuvent être fournis comme tant d'autres aux consommateurs. De par leur nature, beaucoup de "biens et de services" de l'environnement sont davantage demandés par les consommateurs ayant satisfait leurs besoins essentiels de nourriture, d'habillement et de logement. Ainsi, les personnes sont susceptibles d'exiger des normes environnementales plus rigoureuses, c'est-à-dire une plus grande quantité et une plus grande diversité de "biens environnementaux" à mesure que leurs revenus augmentent. Les pays peuvent s'efforcer d'offrir, par exemple en développant leurs mesures de réduction de la pollution, des biens environnementaux en quantité plus importante et de nature plus variée, à mesure que progressent leur croissance et leur développement.

III. LA CAPACITÉ D'ASSIMILATION VARIE D'UN PAYS À UN AUTRE

16. L'environnement fonctionne comme un puits pour les déchets. Sa capacité d'assimilation peut être définie comme étant sa capacité d'absorber les déchets de manière durable. Elle dépend de la capacité qu'a l'environnement local d'absorber des doses supplémentaires de différents polluants. Les facteurs tels que la végétation, la nature du sol, la topographie et l'hydrologie déterminent la quantité et les types de déchets que l'environnement peut absorber ou diluer jusqu'à des concentrations acceptables. Les étendues d'eau et de végétation fonctionnent effectivement comme des puits pour certains types de polluants à condition de n'être pas sollicitées au-delà de leurs capacités d'assimilation.

17. Les atteintes à l'environnement seraient presque sûrement liées de manière non linéaire à l'utilisation d'intrants. Elles sont susceptibles de rester minimes jusqu'à ce que la capacité d'assimilation soit atteinte, puis de croître de manière exponentielle au-delà de cette limite.

18. Dans le cas du traitement des cuirs et peaux, le traitement des effluents consiste pour l'essentiel à filtrer et aérer, il comporte souvent l'utilisation de vastes bassins et entraîne un dégagement important d'odeurs. Il est à l'évidence souhaitable d'implanter ces installations de traitement dans des régions où le moins d'habitants possible risquent d'en subir les effets. Les pays à faible densité démographique sont les mieux placés pour accueillir ces installations.

Les différences de capacité d'assimilation et les préférences font que l'environnement peut, à certains égards, être considéré comme un patrimoine naturel ou un facteur de production et s'inscrire parmi les avantages relatifs d'un pays au même titre que l'abondance de sols riches, une forte pluviométrie, les richesses minières ou une main-d'œuvre qualifiée. Tout avantage acquis à un pays grâce à la quantité ou à la nature particulière des éléments de son environnement ou de l'ensemble de ses préférences sociales contribue à lui permettre de se spécialiser. Les pays ayant des capacités d'assimilation relativement élevées et des préférences relativement faibles pour les "biens" de l'environnement sont susceptibles d'avoir une production importante de produits polluants. Mais comme les préférences changent avec l'augmentation des revenus et que la pollution augmente avec la concentration industrielle, cet avantage relatif aura tendance à diminuer progressivement.

IV. AUTRES MOYENS D'ACTION POSSIBLES

19. Il existe des moyens d'agir sur la politique de l'environnement dans d'autres pays sans fausser les politiques commerciales ou accroître le protectionnisme, parmi lesquels ont peut citer:

20. Les progrès techniques tels que l'utilisation de matériel de récupération des produits chimiques peuvent permettre en même temps d'abaisser les coûts de production et de réduire la quantité et la toxicité des déchets polluants. La technologie peut-être la solution pour réduire certains effets sur l'environnement sans sacrifier le développement économique. Des techniques plus avancées éviteraient à certains pays de devoir faire des choix à court terme entre la croissance économique et le respect de l'environnement. Pour permettre le transfert de technologies perfectionnées, il faudrait que les pays en développement encouragent les prises de participation étrangères et les opérations conjointes afin de développer les installations de production et de traitement.

21. Le transfert de technologies peut s'inscrire dans le cadre plus large de la diffusion de l'information auprès des pays ayant des niveaux de protection de l'environnement peu élevés. La diffusion internationale d'idées écologiques et le souci accru de l'environnement peuvent favoriser l'adhésion de la population à un changement de politique à l'égard de l'environnement et influencer par ce biais les modes de production et de fabrication utilisés dans ces pays. Des actions de cette nature peuvent être engagées à l'initiative des gouvernements ou des organisations non gouvernementales et constituer la base d'une coopération intergouvernementale ou la renforcer.

22. Les actions au niveau des consommateurs peuvent aussi être un instrument très utile pour favoriser l'évolution de la politique de l'environnement, par exemple par l'étiquetage écologique. La mise en place réussie d'un label écologique dans le secteur du cuir ne va toutefois pas sans difficultés. La diversité des techniques de production du cuir est telle que les critères risquent d'être quelque peu arbitraires et le contrôle difficile et coûteux. En fixant des critères qui seront discriminatoires à l'égard de pays utilisant des procédés différents, certains pays seront tentés d'utiliser l'étiquetage écologique comme une barrière commerciale. En outre, le cuir n'est pas vendu aux consommateurs mais à des fabricants, ce qui ajoute une étape entre le producteur et le consommateur. Il est par ailleurs probable que, pour la plupart d'entre eux, les consommateurs ne connaissent pas les problèmes écologiques liés à la production du cuir, ni ne s'en préoccupent. Les inciter à réfléchir aux effets du tannage sur l'environnement pourrait les amener à réfléchir aux avantages qu'il y aurait à remplacer totalement le cuir par d'autres matériaux en fibres naturelles ou synthétiques. Enfin, dans la mesure où il se soucie davantage des effets au niveau local qu'au niveau planétaire, l'étiquetage écologique ne serait pas très efficace dans le cas d'articles en cuir fabriqué dans d'autres pays.

23. Les arguments exposés jusqu'ici permettent d'étudier les interactions entre politique commerciale et politique de l'environnement. On en conclura principalement que les instruments de la politique de l'environnement devraient être utilisés pour agir sur les problèmes de l'environnement et être ciblés aussi précisément que possible sur les rejets qui nuisent à l'environnement. Le cadre institutionnel actuel favorise la poursuite d'objectifs commerciaux plutôt qu'écologiques, et incite les pays à créer leurs propres normes écologiques plutôt qu'à adopter des normes internationales. De plus, sans analyser les données, il n'est pas possible de savoir si la libéralisation du commerce favorise les objectifs écologiques ni quelle est l'influence des politiques de protection de l'environnement sur l'implantation de la production et du commerce. Ces études doivent être faites cas par cas. Nous examinerons ensuite les rapports entre le commerce et l'environnement dans le secteur des cuirs et peaux et des produits dérivés.

V. APPLICATION AU SECTEUR DES CUIRS ET PEAUX

24. Le marché mondial des cuirs et peaux présente plusieurs aspects qui peuvent éclairer le débat sur la politique commerciale et la protection de l'environnement.

25. Partant de ces données, on peut étudier les effets probables d'une politique de l'environnement sur le commerce et ceux d'une politique commerciale sur l'environnement.

A. UN NIVELLEMENT PAR LE BAS - NORMES ÉCOLOGIQUES ET IMPLANTATION DE L'INDUSTRIE

26. Ces dernières années, l'industrie s'est déplacée vers les pays ayant des normes moins exigeantes1, mais on ne sait pas précisément dans quelle mesure cette réglementation a influé sur ce phénomène. Les différences de normes incitent davantage les entreprises à se déplacer si les coûts liés à la protection de l'environnement représentent une part sensible de l'ensemble de leurs coûts de production. Dans le cas du traitement des peaux, les différences de normes sont difficiles à évaluer. La fabrication du cuir est incontestablement une activité polluante: une étude de Hettinge et coll. a constaté que les tanneries et les mégisseries comptaient parmi les plus toxiques des industries classées selon les catégories à quatre chiffres2. Il n'apparaît cependant pas clairement que les coûts diffèrent sensiblement d'un pays à un autre. D'après les estimations, il semblerait que les coûts de dépollution représentent dans les usines européennes de 3 à 5 pour cent des coûts de fonctionnement (communication personnelle de COTANCE). Précédemment, une estimation de l'ONUDI indiquait que le coût de traitement des effluents représenterait de 4 à 6 pour cent du coût final3. On peut penser que, dans les pays en développement, où l'on ne respecte pas des normes aussi strictes, ces coûts seraient inférieurs, mais qu'ils dépasseraient 5 pour cent si l'on tentait d'appliquer les normes européennes sans disposer des techniques utilisées en Europe.

27. Partant de ces estimations, les différences de coût de la dépollution entre pays développés et pays en développement seraient tout au plus de 5 pour cent. On peut se demander si cette différence, sans être négligeable, suffirait à déterminer l'implantation des industries. De plus, les entreprises sont souvent tenues de se conformer aux critères de leur pays d'origine en exerçant des activités à l'étranger et de renoncer ainsi à bien des avantages potentiels.

28. Les différences de coûts de la main-d'œuvre peuvent jouer un plus grand rôle dans la décision de délocalisation des industries du cuir, comme d'ailleurs elles ont contribué à des déplacements dans d'autres secteurs employant beaucoup de main-d'œuvre. Lorsque la main-d'œuvre d'un pays devient plus qualifiée et mieux payée, les industries utilisant une proportion relativement forte de main-d'œuvre non qualifiée ne sont plus compétitives et commencent des activités ailleurs. Selon une étude de la Commission européenne4, les coûts de main-d'œuvre représentent de 12 à 15 pour cent du coût du cuir fini, tout au moins en Europe. Les autres coûts se répartissent entre les peaux (55 à 65 pour cent), les produits chimiques (10 pour cent), les frais généraux (20 pour cent) et l'énergie (3 pour cent). Les matières premières représentent une part importante du coût final.

29. La conclusion que l'on pourrait donc tirer de ce qui précède est que, bien que la transformation des peaux soit considérée comme une industrie relativement polluante, les variations dans les normes de protection de l'environnement observées d'un pays à un autre peuvent n'avoir que des incidences négligeables sur la localisation du secteur.

VI. POLITIQUE COMMERCIALE DANS LE SECTEUR DES PEAUX

30. Dans plusieurs pays en développement, des taxes à l'exportation et autres contraintes limitent les exportations de peaux.5 En augmentant l'offre sur le marché intérieur, ces politiques font baisser les prix des peaux à la production et à l'utilisation, ce qui rend l'industrie locale de transformation des peaux plus compétitive et encourage le développement d'industries à valeur ajoutée. Par rapport à une situation de libre marché, les exportations de peaux sont moindres et les exportations d'articles en cuir plus importantes. Le cuir se vendant plus cher, les exportations des deux secteurs combinés tendent à être supérieures. La production d'autres secteurs est diminuée du fait que les intrants sont captés par le secteur du cuir.

31. Les articles en cuir sont très protégés par des droits de douane à l'importation sur les marchés de nombreux pays développés. La libéralisation du commerce ferait baisser les prix dans les pays importateurs et augmenterait la consommation de cuir et d'articles en cuir. Elle est donc susceptible d'entraîner une augmentation du tannage de cuir et un déplacement de cette activité.

A. RÉFORME COMMERCIALE ET IMPLANTATION DE L'INDUSTRIE

32. Les politiques commerciales ont une influence manifeste sur l'implantation des activités industrielles. Les taxes et les restrictions à l'exportation des peaux ont entraîné une diminution des exportations de peaux et une augmentation de la production de cuir et d'articles en cuir dans les pays exportateurs. En l'absence de restrictions, l'implantation d'une industrie dépend des coûts relatifs de production dans les différents pays et du coût relatif du transport des produits bruts et transformés. Les articles en cuir étant des produits de forte valeur, les frais de transport n'ont pas une incidence considérable, bien qu'à l'état brut, les cuirs et peaux puissent s'abîmer pendant le transport dans les climats chauds. On peut évaluer le rôle que jouent les politiques commerciales dans le choix de l'emplacement des activités industrielles en modélisant les effets de la libéralisation du commerce. La seule étude de modélisation qui existe à ce jour permet de penser que la libéralisation complète des exportations et des importations des pays développés et des pays en développement se traduirait par une augmentation de la production de cuirs légers de 3 pour cent dans les pays développés et de 12 pour cent dans les pays en développement.6 Bien que ces estimations soient datées et doivent, pour d'autres raisons aussi, être maniées avec précaution, elles font nettement ressortir que la libéralisation entraînerait un certain nombre de délocalisations dans le secteur de la transformation des cuirs et peaux.

B. EFFETS SUR L'ENVIRONNEMENT DE LA LIBÉRALISATION DU COMMERCE DANS LE SECTEUR DE LA TRANSFORMATION DES PEAUX

33. La libéralisation du commerce des peaux brutes et du cuir pourrait avoir des effets sensibles sur l'environnement. À l'échelle d'un pays, l'industrie de transformation des peaux est très polluante et toute augmentation de la production de cuir augmente la pollution dans une mesure déterminée par l'application de la législation en vigueur, les technologies disponibles, les dépenses consacrées à réduire la pollution et les coûts du traitement des déchets. La suppression des obstacles commerciaux a pour conséquences premières d'augmenter la production et de la déplacer vers les pays en développement. La pollution due à la transformation des peaux est donc susceptible d'augmenter dans les pays en développement.

34. La libéralisation du commerce peut aussi avoir des répercussions sur l'environnement planétaire. Tout d'abord par l'effet d'échelle dû à l'augmentation de la production mondiale. Cet effet tend à accroître la pollution, bien qu'une utilisation plus rationnelle des ressources permette de réduire la pollution au niveau de l'unité de production. La libéralisation peut ensuite avoir des effets sur la composition du milieu, variables selon que les normes de protection de l'environnement appliquées sont plus strictes dans les pays qui augmentent leur part de la production mondiale ou dans ceux qui la perdent. D'une manière générale, il y a des raisons de penser que les pays en développement qui soutiennent leur secteur de transformation des peaux ont des normes inférieures à celles des pays développés, et il est donc raisonnable de conclure que les politiques de réforme commerciale se traduiront par un accroissement total de ce type d'effets sur l'environnement. Les répercussions tiennent, en troisième lieu, au transfert de technologies. Les réformes commerciales visant à libéraliser l'économie sont susceptibles d'encourager l'application de technologies améliorées, moins polluantes. C'est notamment le cas si la libéralisation du commerce s'accompagne d'une libéralisation des investissements car les entreprises étrangères tendent à appliquer des critères plus stricts que les entreprises nationales. Si c'est l'effet d'échelle qui domine, comme on peut s'y attendre au moins à court terme, la libéralisation du commerce qui s'accompagne d'un déplacement de la production vers les pays en développement aura tendance, en l'absence d'une réforme de la politique de défense de l'environnement, à accroître la pollution mondiale par les tanneries.

35. Si la diminution de la pollution mondiale est toujours un fait souhaitable, la localisation n'est pas pour autant sans importance. Du fait que les effets ne franchissent guère les frontières, le déplacement d'un processus industriel nuisible à l'environnement d'un lieu à un autre aura une influence sur l'estimation de ces effets. De même que l'on considère comme bénéfique le déplacement d'une installation de transformation des peaux de l'intérieur d'une ville à une zone moins peuplée, son déplacement d'un pays à un autre peut aussi être bénéfique.

36. D'une manière générale, il est probablement raisonnable de conclure que les pays en développement ont des préférences et des capacités d'assimilation qui favorisent l'implantation des industries de transformation des peaux. En témoigne le degré de rigueur et d'application de leurs normes. On ne peut toutefois conclure que le déplacement de la transformation des peaux vers les pays en développement aurait des résultats négatifs du point de vue de leur bien-être parce que l'estimation de la dégradation de l'environnement diffère d'un pays à un autre.

37. L'une des retombées positives pour l'environnement de la réforme du commerce tient à l'accroissement de la demande de biens écologiques à mesure que les revenus augmentent. Le traitement des peaux est une industrie importante dans de nombreux pays en développement et une amélioration des revenus tirés de cette activité serait bénéfique pour leur économie. Avec le temps, l'augmentation des revenus est susceptible de faire émerger une demande de normes plus strictes et d'atténuer les répercussions sur l'environnement.

VII. CONCLUSIONS ET SUITES

38. L'industrie de la transformation des peaux se caractérise par des procédés très polluants et les pays en développement opèrent généralement suivant des normes de protection de l'environnement moins strictes que les pays développés. Une meilleure connaissance, depuis quelques années, des problèmes écologiques a dirigé l'attention sur la nécessité de réduire les répercussions sur l'environnement. L'un des moyens de le faire pourrait être d'appliquer des normes harmonisées. Cependant, l'argument selon lequel les pays en développement devraient employer des procédés de production qui satisfassent aux normes des pays développés conduit à soupçonner les producteurs des pays développés d'essayer de restreindre les importations en s'abritant derrière le prétexte commode mais fallacieux de la protection de l'environnement. D'un autre côté, confrontés à des normes de protection de l'environnement plus sévères, ces mêmes producteurs peuvent se plaindre de ce que leurs concurrents étrangers ont un avantage déloyal. Selon ce point de vue, relever les critères égaliserait les conditions de la concurrence et contribuerait, par dessus le marché, à donner une meilleure image du secteur aux consommateurs tout en aidant les pays en développement à résoudre leurs propres problèmes écologiques.

39. Les mêmes problèmes se posent dans le domaine sanitaire. Si les réglementations sanitaires sont nécessaires pour limiter la propagation des épizooties, elles peuvent donner lieu, avec l'incertitude qui entoure les risques potentiels, à des abus tenant au fait que les producteurs tentent de se protéger contre la concurrence étrangère. Les problèmes d'épizootie qu'a connus récemment l'Europe ont aggravé les craintes d'ordre sanitaire. L'obligation de traiter les peaux d'une manière déterminée peut constituer un obstacle administratif au commerce.

40. Lorsque l'on étudie des mesures, il importe de souligner que la pollution produite par les tanneries est assez localisée et que les effets transfrontaliers sont minimes. Pour cette raison, c'est aux gouvernements locaux ou nationaux plutôt qu'aux instances internationales qu'il appartient de régler les problèmes écologiques. Cette idée trouve appui dans l'insistance de l'OMC sur la souveraineté nationale. Les pays en développement devraient faire appliquer les politiques de protection de l'environnement qu'ils jugent appropriées à leur propre situation plutôt que d'accepter des normes imposées par d'autres pays.

41. Il n'y a guère d'indices que l'absence d'uniformisation des normes entraîne un nivellement par le bas. Les pays en développement sont incités à relever leurs normes par le renforcement de la demande d'un environnement de qualité qui se produit dans de nombreuses régions. Les problèmes écologiques locaux, comme la pollution de l'air et de l'eau, ont des chances d'être réglés en premier.

42. Le commerce peut avoir des effets positifs ou négatifs sur l'environnement, même lorsque le coût de réparation des atteintes, internalisé, est à la charge de l'industrie polluante. La suppression complète des restrictions importantes appliquées aux importations et aux exportations risque de se traduire par une augmentation de la production et de s'accompagner d'un certain déplacement de la transformation des peaux des pays développés vers les pays en développement afin de profiter du moindre coût de la main-d'œuvre dans ces pays. Étant donné que certains pays en développement appliquent des normes de protection de l'environnement moins sévères, on prétend que la libéralisation du commerce provoquerait des dégâts accrus sur l'environnement mondial et que, pour cette raison, elle n'est pas souhaitable. Or, si la pollution se déplace dans les zones où elle est mieux tolérée, il en résultera un mieux-être général.

43. La connaissance des problèmes écologiques progressant, l'industrie de transformation des peaux doit répondre aux préoccupations des écologistes et des consommateurs. Le transfert de technologie et de formation à l'intention des producteurs de pays en développement est bénéfique. Les labels écologiques peuvent contribuer à relever les normes en donnant aux consommateurs des informations sur certaines caractéristiques des produits. Une gamme de normes pourrait être la solution appropriée qui tiendrait compte des différences de goûts, des préférences et des avantages naturels des différents pays.

 


1 FAO 1998. "Le commerce des cuirs et peaux et l'environnement" CCP: ME/HS 98/5, Rome.

2 Beghin, J.; Potier, M. 1995: "Effects of trade liberalisation on the environment in the manufacturing sector". Document reprenant un rapport commandé par la Direction de l'environnement de l'OCDE, Paris.

3 FAO 1994, "Aspects environnementaux de la transformation et du commerce des cuirs et peaux", CCP: ME/HS 94/9, Rome.

4 Commission européenne, 1997: "Examination procedure regarding Argentinean practices regarding exports of hides and imports of leather', http://europa.eu.int/comm/trade/pdf/arglea_rep.pdf, Bruxelles.

5 FAO 1998, "Le commerce des cuirs et peaux et l'environnement", CCP: ME/HS 98/5, Rome.

6 FAO 1998, "Le commerce des cuirs et peaux et l'environnement", CCP: ME/HS 98/5, Rome.