COFI/2003/9





COMITÉ DES PÊCHES

Vingt-cinquième session

Rome (Italie), 24-28 février 2003

STRATÉGIES RELATIVES AU RENFORCEMENT DE LA CONTRIBUTION DURABLE DE LA PÊCHE ARTISANALE À LA SÉCURITÉ ALIMENTAIRE
ET À LA LUTTE CONTRE LA PAUVRETÉ

RÉSUMÉ

Le présent document décrit dans leurs grandes lignes les principales caractéristiques de la pêche de capture artisanale et analyse les contraintes et circonstances susceptibles d'influer sur sa capacité à contribuer à la sécurité alimentaire et à la lutte contre la pauvreté. Il avance qu'il y a désormais de bonnes raisons de réévaluer cette contribution et invite le Comité à examiner certaines des stratégies visant à la renforcer. La prise en compte des questions de gouvernance est jugée essentielle au succès de ces stratégies. Les questions touchant à la collecte des informations nécessaires et à l'évaluation des compromis à trouver entre les diverses options envisageables appellent également une attention particulière. De même, les coûts et avantages des différentes politiques considérées doivent faire l'objet d'un examen approfondi, à la lumière de leur impact absolu et de leurs effets distributifs sur la sécurité alimentaire et la lutte contre la pauvreté. Enfin, le document souligne l'importance des démarches et solutions intersectorielles et interinstitutions dans le traitement des problèmes liés à la sécurité alimentaire et à la pauvreté.

INTRODUCTION

1. Le présent document a pour objectif de mettre en lumière la contribution de la pêche de capture artisanale à la sécurité alimentaire et à la lutte contre la pauvreté et de définir les grands axes des stratégies dont l'adoption et la mise en œuvre pourraient considérablement renforcer cette contribution. Il vise par ailleurs à encourager les pouvoirs publics, les autres parties prenantes et la communauté internationale à accroître leur appui et leur aide en faveur du sous-secteur de la pêche de capture artisanale.

2. Le document s'articule comme suit: la première partie définit les principaux termes et concepts utilisés dans le titre du document; elle est suivie d'un bref descriptif des principaux programmes de terrain de la FAO, achevés ou en cours d'exécution, dans le domaine de la pêche de capture artisanale et d'une analyse de la pauvreté et de la vulnérabilité des communautés pratiquant cette pêche. Le document examine ensuite la contribution de cette pêche artisanale à la sécurité alimentaire et à la lutte contre la pauvreté et décrit dans leurs grandes lignes les problèmes et circonstances qui tendent à en limiter la portée. Les dernières sections du document exposent les raisons qui justifient de rouvrir le débat relatif à la pêche artisanale et présentent les diverses stratégies susceptibles d'être adoptées et mises en œuvre par les parties prenantes et la communauté internationale. En conclusion, le document invite le Comité à donner suite aux recommandations dont il est saisi.

DÉFINITION DES TERMES ET CONCEPTS CLÉS

3. La pêche artisanale se caractérise globalement par l'utilisation de techniques de capture, de transformation et de distribution à forte intensité de main d'_uvre aux fins de l'exploitation des ressources halieutiques maritimes et continentales. Les activités de ce sous-secteur, qu'elles s'effectuent à temps plein ou partiel ou de manière saisonnière, visent généralement à approvisionner les marchés locaux et nationaux en poisson et en produits de la pêche. La pêche artisanale se pratique aussi à des fins de subsistance. Cependant, au cours des dix à vingt dernières années, la part de la production artisanale destinée à l'exportation a augmenté, du fait de l'intégration et de la mondialisation grandissantes des marchés. En règle générale, la pêche est le domaine des hommes, tandis que les femmes sont chargées de la transformation et de la commercialisation. Cela étant, elles pratiquent aussi la pêche à proximité du littoral et il n'est pas rare que les hommes s'occupent de la vente et de la distribution du produit de leur pêche. D'autres activités auxiliaires comme la fabrication de filets, la construction de bateaux, la réparation et l'entretien des moteurs peuvent contribuer à la création d'emplois supplémentaires dans des secteurs en rapport avec la pêche et à l'amélioration des revenus des communautés qui vivent de la pêche maritime et continentale.

4. Les pêcheries artisanales opèrent à des niveaux d'organisation très divers, depuis les artisans-pêcheurs travaillant à leur compte jusqu'aux entreprises du secteur formel, en passant par les microentreprises informelles. Elles ne forment donc pas un secteur homogène à l'échelle nationale ou régionale, ce dont il convient de tenir compte dans la formulation des stratégies et politiques visant à renforcer la contribution de la pêche artisanale à la sécurité alimentaire et à la lutte contre la pauvreté.

5. Lors du Sommet mondial de l'alimentation, tenu en 1996, la sécurité alimentaire a été définie comme suit:

«La sécurité alimentaire existe lorsque tous les êtres humains ont, à tout moment, un accès physique et économique à une nourriture suffisante, saine et nutritive leur permettant de satisfaire leurs besoins énergétiques et leurs préférences alimentaires pour mener une vie saine et active1.»

La consommation alimentaire par habitant, définie en fonction de l'apport énergétique quotidien moyen (en calories par an), constitue un indicateur important du suivi comparatif de la sécurité alimentaire dans les différents pays. Elle est calculée sur la base des données démographiques et des bilans alimentaires nationaux. Il s'agit avant tout d'une moyenne nationale qui doit être pondérée à la lumière des informations et précisions supplémentaires tirées le plus souvent des enquêtes sur la consommation alimentaire des ménages, dont l'objet est d'évaluer les écarts liés aux facteurs spatio-temporels, à l'âge et au sexe que l'on peut observer d'un pays à l'autre en matière de sécurité alimentaire.

6. On a longtemps considéré que la pauvreté, dans les communautés de pêcheurs comme dans d'autres, avait pour cause première des revenus trop faibles pour subvenir aux besoins vivriers de base des ménages. Aujourd'hui encore, le seuil de pauvreté, fixé à l'échelle internationale à 1 dollar E.U./habitant/jour, constitue un moyen simple et efficace de recenser les personnes qui vivent dans la pauvreté. Toutefois, on s'accorde de plus en plus à reconnaître que la pauvreté est un phénomène complexe aux dimensions multiples, caractérisé par des revenus modestes, un état de santé médiocre, de faibles taux d'alphabétisation, la dénutrition et des conditions de logement et de vie précaires et que l'on peut à tout moment tomber dans la pauvreté et en sortir. La pauvreté est également perçue comme le symptôme de déséquilibres sociaux structurels. Elle est étroitement liée à l'exclusion sociale, à la marginalisation, à la vulnérabilité et à l'absence de pouvoir. Compte tenu de sa nature complexe, elle est difficile à définir et plus encore à mesurer.

7. Une très forte proportion d'artisans-pêcheurs vivent dans la pauvreté et sont de ce fait dans l'incapacité d'influer sur les contraintes auxquelles ils se heurtent dans le cadre de leurs activités professionnelles. Toutefois, certains d'entre eux parviennent à maîtriser ces contraintes et à tirer de la pêche des revenus importants. Bien que le niveau de pauvreté relevé au sein des communautés pratiquant la pêche artisanale demeure élevé, rares sont les études empiriques2 consacrées spécifiquement à l'évaluation et à la définition des causes et des manifestations de la pauvreté dans le secteur de la pêche.
8. Le Code de conduite pour une pêche responsable de la FAO porte une attention particulière aux questions relatives à la sécurité alimentaire et à la lutte contre la pauvreté. L'article 6.2 établit un lien entre aménagement des pêches d'une part et sécurité alimentaire, lutte contre la pauvreté et développement durable d'autres part. Il souligne notamment que:

«L'aménagement des pêcheries devrait promouvoir le maintien de la qualité, de la diversité et de la disponibilité des ressources halieutiques en quantités suffisantes pour les générations présentes et futures, dans un contexte de sécurité alimentaire, de réduction de la pauvreté et de développement durable. Les mesures d'aménagement ne devraient pas seulement assurer la conservation des espèces visées, mais aussi celle des espèces appartenant au même écosystème que ces espèces, ou qui dépendent d'elles ou leur sont associées».

9. L'article 6.18 du Code traite du bien-être social et de la sécurité socioéconomique des communautés de pêcheurs:

«Reconnaissant l'importance de l'apport de la pêche artisanale et de la pêche aux petits métiers en matière d'emploi, de revenu et de sécurité alimentaire, les États devraient protéger de manière adéquate les droits des pêcheurs et des travailleurs du secteur de la pêche, particulièrement de ceux qui pratiquent une pêche de subsistance, artisanale et aux petits métiers, à des conditions de vie sûres et justes ainsi que, le cas échéant, à un accès préférentiel à des fonds de pêche traditionnels et aux ressources se trouvant dans les eaux relevant de la juridiction nationale».

PRINCIPAUX PROGRAMMES DE TERRAIN DE LA FAO ACHEVÉS OU EN COURS D'EXÉCUTION DANS LE DOMAINE
DE LA PÊCHE DE CAPTURE ARTISANALE

10. La Conférence mondiale sur l'aménagement et le développement des pêches tenue en 1984, a donné lieu à l'adoption de la Stratégie d'aménagement et de développement des pêches. Cette dernière comporte une section sur les rôles et besoins spéciaux du secteur de la pêche artisanale et des communautés rurales de pêcheurs et de pisciculteurs. La Stratégie recommande que les politiques de développement des pêches soient axées en priorité sur la pêche artisanale et insiste sur la nécessité d'accroître les revenus des travailleurs de ce secteur. Elle souligne par ailleurs que «la pêche artisanale joue également un rôle important en assurant un revenu et un emploi à de très nombreux pêcheurs et à leur famille, qui font partie des groupes les plus pauvres et les plus défavorisés de la société.» La Conférence et le Plan d'action qui en a résulté mettent l'accent sur l'importance d'une approche intégrée. Ce concept a influencé nombre de donateurs et de pays membres intervenant à l'appui de la pêche artisanale.

11. S'agissant de la FAO, la conférence de 1984 a abouti à la mise en œuvre de plusieurs programmes opérationnels, parmi lesquels le Programme pour le golfe du Bengale, un programme régional sur la pêche artisanale maritime financé par l'Agence suédoise de développement international (SIDA) et lancé en 1979 et le programme de développement intégré de la pêche artisanale en Afrique de l'Ouest (1983-1998), financé par l'Agence danoise de développement international (DANIDA). Le Programme pour des moyens d'existence durables dans la pêche (PMEDP), actuellement en cours d'exécution, est financé par le Ministère britannique du développement international et mis en _uvre par la FAO, en partenariat avec 25 pays d'Afrique de l'Ouest. Il a pour objectif de lutter contre la pauvreté et d'améliorer les moyens d'existence des communautés de pêcheurs côtiers et continentaux les plus pauvres de la région. Le PMEDP s'est notamment employé à faire clairement inscrire les pêches artisanales aux documents de stratégie pour la réduction de la pauvreté (DSRP) et à établir le profil de la pauvreté chez les pêcheurs, en s'appuyant sur l'approche axée sur les moyens d'existence durables.

12. Dans le domaine de la pêche artisanale continentale, la FAO, en association avec la Commission du Mékong et les gouvernements de Thaïlande et des Pays-Bas, a lancé un projet visant à améliorer les informations relatives aux pêcheries continentales, en particulier les pêcheries artisanales opérant dans le bassin du Mékong3. La FAO, en collaboration avec le Réseau de centres d'aquaculture pour la région Asie-Pacifique (RCAAP), le Ministère britannique du développement international et le VSO, participe également au Programme d'appui à la gestion des ressources aquatiques régionales (STREAM) mené en Asie du Sud-Est. Ce programme porte sur: le renforcement des capacités et l'amélioration des politiques et procédures d'évaluation de l'impact des stratégies mises en œuvre sur les moyens de subsistance des artisans-pêcheurs; le suivi et l'évaluation des différentes méthodes de gestion des pêches; l'amélioration de l'échange d'informations; et l'établissement de réseaux regroupant les pays de la région.

PAUVRETÉ ET VULNÉRABILITÉ DES COMMUNAUTÉS PRATIQUANT LA PÊCHE ARTISANALE

13. La définition de portée générale présentée au paragraphe 6 souligne la nécessité de relever le niveau de vie des communautés de petits pêcheurs et de venir à bout des obstacles qui les empêchent d'influer ou d'exercer des droits de propriété sur leur production, entre autres, ce qui pourrait entraver la capacité du secteur à contribuer à la sécurité alimentaire et à la lutte contre la pauvreté. Nombre de ces communautés, notamment celles qui pratiquent la pêche maritime, sont coupées de la société « terrestre », non seulement du fait de leur isolement géographique, mais aussi aux plans socioéconomique, culturel et politique, comme en témoignent le niveau exagérément faible, au regard du nombre d'individus concernés, des ressources investies dans les domaines de la gestion, de la recherche et de l'appui au développement de ce secteur.

14. Les communautés d'artisans-pêcheurs sont vulnérables. Cette situation les réduit à la pauvreté et met en danger leur sécurité alimentaire. Parmi les menaces auxquelles elles sont exposées, figurent notamment les conditions climatiques et autres phénomènes naturels, comme les variations annuelles et saisonnières des stocks; le faible volume des captures; les intempéries et les catastrophes naturelles telles les cyclones et les ouragans; les conditions économiques, en particulier les fluctuations des prix du marché et l'accès variable aux circuits de commercialisation; les facteurs réglementaires, qui influent sur les droits des artisans-pêcheurs; et les facteurs liés aux conditions de travail, notamment les risques de la pêche en mer. La dégradation de l'environnement, qui résulte de phénomènes à la fois naturels et anthropiques, ne fait qu'accroître cette vulnérabilité, sans parler des risques sanitaires et des autres déterminants de la pauvreté auxquels les communautés de petits pêcheurs peuvent être exposées.

15. La mondialisation peut avoir des effets néfastes, en particulier sur les groupes les plus démunis:

«...Grâce à l'amélioration des communications et des transports, la plupart des producteurs et des consommateurs constituent désormais un marché mondial ...De plus, si en théorie la libéralisation est censée accroître le bien-être d'une manière générale, certains protagonistes ont les moyens de tirer profit des marchés mondiaux à un degré beaucoup plus élevé que d'autres parce qu'ils ont accès aux capitaux, aux connaissances, aux technologies et aux décideurs. D'autres, au contraire, sont très défavorisés, voire pénalisés, et souvent sans qu'ils n'aient rien fait pour mériter un tel sort. En outre, il est bien rare que les personnes qui sont injustement privées de moyens bénéficient de compensations ou d'autres formes d'assistance.4»

CONTRIBUTION DE LA PÊCHE ARTISANALE À LA LUTTE CONTRE LA PAUVRETÉ ET À LA SÉCURITÉ ALIMENTAIRE

16. Nombre de communautés d'artisans-pêcheurs sont pauvres et vulnérables. Pourtant, la pêche artisanale peut générer des bénéfices considérables, résister aux chocs et aux crises et contribuer dans des proportions importantes à la sécurité alimentaire et à la lutte contre la pauvreté, en particulier pour les personnes suivantes:

17. Les pêcheries artisanales ciblent une ressource alimentaire renouvelable et potentiellement durable, riche en protéines animales, en huiles de poisson et en micronutriments essentiels tels le calcium, l'iode et diverses vitamines. Si le caractère périssable des produits, souvent pêchés dans des zones éloignées des côtes, peut poser des problèmes évidents, la production de nombre de pêcheries artisanales est consommée localement et peut être transformée en divers produits qui se conservent plus longtemps. Le poisson a de tous temps joué un rôle majeur dans la sécurité alimentaire de nombreux pays et fournit en moyenne 15 à 16 % des apports en protéines animales. Son importance pour les communautés établies en zone côtière ou lacustre ou dans les plaines d'inondation est plus grande encore que ne l'indique cette moyenne mondiale. La pêche artisanale est à l'origine d'environ la moitié des approvisionnements en poisson destinés à la consommation humaine. En conséquence, en assurant des revenus réguliers aux petits pêcheurs, on garantit l'approvisionnement durable en poisson des consommateurs, dont beaucoup vivent dans la pauvreté.

18. Les pêches artisanales maritimes et continentales remplissent une fonction vitale en matière de sécurité alimentaire, grâce à la conservation et à la transformation du poisson destiné aux marchés intérieurs. La pêche continentale contribue peut-être davantage à la sécurité alimentaire nationale et locale, dans la mesure où elle se pratique principalement à des fins de subsistance. La pêche artisanale maritime contribue quant à elle dans des proportions importantes à la lutte contre la pauvreté, tant à l'échelle locale que nationale, grâce aux bénéfices tirés de la vente du poisson, aux recettes d'exportation, aux divers avantages économiques qui découlent de la pêche, à l'effet multiplicateur des revenus et des emplois créés en amont et en aval de la filière et, dans une moindre mesure, aux prélèvements fiscaux qui permettent de redistribuer les ressources que génèrent les activités de pêche. La pêche artisanale fournit actuellement une part grandissante des recettes en devises de nombreux pays. De fait, on a observé ces dix dernières années une forte augmentation des exportations de poisson pêché par les pêcheries artisanales.

19. La pêche, la transformation et la commercialisation du poisson à l'échelle artisanale sont une source de revenus importante pour nombre d'individus aux prises avec la pauvreté et l'insécurité alimentaire, qui ne sont pas officiellement classés dans la catégorie professionnelle des artisans-pêcheurs. Les recherches sur les stratégies de subsistance ont montré qu'en dépit des chocs et des crises qu'ils subissent, les ménages parviennent généralement à préserver leur bien-être grâce à de multiples stratégies et mécanismes d'adaptation. À cet égard, l'accès aux ressources sur lesquelles s'exercent des droits de propriété commune, comme le poisson, revêt une importance particulière. En effet, compte tenu des caractéristiques agroécologiques médiocres des sols de nombre de zones côtières et du risque de dégradation auquel sont exposées les terres situées à proximité immédiate des masses d'eau intérieures, la pêche peut constituer une précieuse « soupape de sécurité » lorsque la production agricole ou les stratégies de subsistance des communautés qui ne pratiquent pas la pêche sont menacées.

CIRCONSTANCES ET PROBLÈMES TENDANT À LIMITER LA CONTRIBUTION DE LA PÊCHE ARTISANALE À LA SÉCURITÉ ALIMENTAIRE ET À LA LUTTE CONTRE LA PAUVRETÉ

20. Les contraintes liées à la disponibilité des ressources halieutiques peuvent réduire la capacité des pêcheries artisanales à contribuer à la sécurité alimentaire et à la lutte contre la pauvreté. S'y ajoutent d'autres difficultés liées notamment au manque d'accès aux capitaux, aux possibilités d'emploi limitées dans d'autres secteurs et à l'absence de moyens technologiques adaptés. Toutefois, les principales contraintes observées tiennent aux systèmes de gouvernance et au cadre de politique générale régissant l'accès aux environnements et ressources aquatiques, les mesures de contrôle applicables en la matière, les marchés et la redistribution des bénéfices tirés des ressources. Les artisans-pêcheurs qui opèrent en zone maritime et ceux qui travaillent dans les eaux intérieures subissent à des degrés divers les effets de ces contraintes. Les communautés de pêcheurs pratiquant la pêche continentale y sont vulnérables du fait le plus souvent des conflits qui les opposent à d'autres groupes, tout aussi pauvres, d'utilisateurs des ressources aquatiques ou au contraire à des groupes riches détenant un pouvoir politique, tandis que les difficultés que rencontrent les petits pêcheurs en mer tiennent davantage à la concurrence des flottilles industrielles et étrangères.

21. Les conflits entre les pêcheries artisanales et industrielles peuvent être provoqués, ou aggravés, par des problèmes touchant à la gouvernance et au cadre de politique générale en vigueur (incapacité à faire appliquer les lois ou absence de volonté de les faire appliquer, traitement préférentiel des pêcheries industrielles, etc.). On mentionnera à titre d'exemple les retards dans l'examen des plaintes déposées à la suite de l'incursion de navires de pêche industrielle dans les zones réservées à la pêche artisanale, l'interdiction faite aux pêcheries artisanales d'exploiter les lieux de pêche, les subventions accordées aux pêcheries industrielles et les sommes versées à titre officieux par les sociétés de pêche industrielle, en vue de l'obtention de droits d'accès aux ressources ou aux marchés.

22. Ces conflits montrent combien il est important d'améliorer les politiques, les règles institutionnelles et les procédures en vigueur et de les réorienter de sorte qu'elles contribuent à la réduction de la vulnérabilité des petits pêcheurs et à la défense de leurs droits. Ils témoignent par ailleurs de la nécessité de faire des choix clairement établis, en connaissance de cause, entre des intérêts divergents, par le biais de mécanismes décisionnels transparents, lorsque l'objectif visé est de renforcer la sécurité alimentaire et la lutte contre la pauvreté et de s'engager clairement en faveur de cet objectif. On peut envisager en la matière les options suivantes:

23. Outre les compromis à trouver entre les différentes options politiques possibles, se pose également la question des risques liés aux effets non intentionnels de certaines politiques ou des modifications apportées aux mécanismes de gestion des pêches. Ainsi, la dissolution de puissants monopoles commerciaux pour favoriser l'accès des artisans-pêcheurs aux lieux de pêche peut en fait entraîner la disparition d'une forme de «gestion» des masses d'eau et aboutir à des conflits entre les petits pêcheurs, voire à une surexploitation des stocks. De même, les activités de remise en état et de préservation des habitats naturels, si elles ont des effets bénéfiques sur les ressources bioaquatiques, peuvent aussi avoir de fâcheuses conséquences pour les petits pêcheurs, qui se voient interdire temporairement l'accès aux ressources; elles peuvent de surcroît inciter les grosses flottilles de pêche à exploiter les zones dans lesquelles les habitats ont été remis en état. En d'autres termes, une fois que les politiques et compromis envisageables ont été examinés et qu'une décision a été prise, il convient d'assurer le suivi régulier de l'impact des solutions mises en œuvre sur la pauvreté et la sécurité alimentaire afin d'y apporter, s'il y a lieu, les modifications nécessaires.

RAISONS JUSTIFIANT DE ROUVRIR LE DÉBAT SUR LA PÊCHE ARTISANALE ET SA CONTRIBUTION À LA SÉCURITÉ ALIMENTAIRE ET À LA LUTTE CONTRE LA PAUVRETÉ

24. Durant la décennie passée, les banques de développement et les organismes donateurs bilatéraux et multilatéraux ont fortement réduit leur soutien en faveur de la pêche artisanale. Ce revirement a pour principales causes: i) la nécessité de s'écarter de projets axés sur la production au profit d'initiatives visant la mise en valeur et la gestion durables des pêches; et ii) les difficultés que la plupart des banques de développement et des donateurs rencontrent pour financer de tels projets, du fait notamment de l'appui institutionnel considérable, de la souplesse et des engagements à long terme qu'ils exigent.

Pêche et sécurité alimentaire

25. Les 95 États participants à la Conférence internationale sur la contribution durable des pêches à la sécurité alimentaire, tenue à Kyoto (Japon) en 1995, ont adopté une Déclaration et un Plan d'action visant le renforcement de la contribution des pêches aux approvisionnements alimentaires. Notant que l'offre de poisson était inférieure à la demande, ils ont cependant observé que l'adoption de mesures adaptées, axées sur la conservation et la gestion améliorée des ressources halieutiques, devrait permettre de combler ce déficit. La nécessité de garantir la sécurité alimentaire de la population mondiale a été soulignée une fois de plus à l'occasion du Sommet mondial de l'alimentation, organisé à Rome en 1996, et réaffirmée lors du récent Sommet mondial de l'alimentation: cinq ans après, tenu à Rome en 2002, qui a rappelé l'importance de la gestion durable des ressources naturelles.

26. Compte tenu de l'accroissement prévisible de la population mondiale et de l'augmentation de la demande en produits alimentaires comme le poisson et la viande qui en découlera, on peut raisonnablement s'attendre à ce que bon nombre des problèmes liés à la sécurité alimentaire rencontrés actuellement persistent dans les années à venir. Les effets des déséquilibres entre l'offre et la demande ne se feront probablement pas sentir de la même manière dans le monde entier. De fait, si nombre de pays et régions ont réussi à réduire dans des proportions considérables leurs carences en aliments énergétiques, beaucoup d'autres (en particulier en Afrique subsaharienne) ont vu leur sécurité alimentaire se dégrader et ceux qui ont réussi à corriger la situation n'y sont parvenus qu'au prix d'une dépendance accrue à l'égard de produits alimentaires importés de pays développés.

27. Pour apprécier à sa juste valeur le rôle de la pêche artisanale en matière de sécurité alimentaire, il importe de reconnaître et de renforcer la contribution qu'elle y apporte d'ores et déjà dans de nombreux pays. Pourtant, cette contribution est encore largement sous-estimée, faute de données suffisantes. Le manque de données se fait particulièrement sentir dans le domaine de la pêche continentale, que de nombreux pêcheurs souvent très dispersés pratiquent à temps partiel ou de manière saisonnière, en complément d'autres activités. Ils ne sont donc pas considérés comme des actifs du secteur de la pêche dans les statistiques relatives à l'emploi.

Pêche et pauvreté

28. Si dans le passé nombre d'interventions axées sur la mise en valeur de la pêche artisanale visaient implicitement à lutter contre la pauvreté, la plupart n'avaient pas pour objectif déclaré d'améliorer les conditions de vie des plus démunis, mais plutôt d'accélérer la croissance économique grâce au développement des technologies et des infrastructures et par le biais de politiques économiques de marché. L'absence d'objectifs clairs en matière de lutte contre le pauvreté et les effets distributifs modérés des programmes de développement mis en _uvre peuvent expliquer les résultats limités de nombre de ces interventions. Il ne fait aucun doute que la persistance de la pauvreté dans les communautés d'artisans-pêcheurs exige de l'ensemble des acteurs concernés qu'ils réexaminent le problème d'un _il neuf. Cet exercice s'impose d'autant plus que la définition de la pauvreté est désormais plus large, les causes du phénomène mieux comprises et l'importance de la vulnérabilité des populations reconnue. En conséquence, il convient d'adopter de nouvelles stratégies de lutter contre la pauvreté.

29. La croissance économique a certes contribué au recul de la pauvreté dans le monde entier. Pourtant, les effets positifs de la croissance sur la pauvreté ont été de moindre ampleur qu'on ne l'avait espéré, du fait notamment de la distribution inégale des avantages qui en ont découlé, de l'accroissement de la population mondiale et des retombées de l'épidémie de VIH/SIDA. Ce constat a amené de nombreux gouvernements et organismes donateurs à réorienter leurs efforts sur la lutte contre la pauvreté. Le Sommet mondial des Nations Unies sur le développement durable, qui s'est déroulé à Johannesburg en 2002, l'édition 2000 du Rapport de la Banque mondiale sur le développement dans le monde, le Sommet mondial des Nations Unies pour le développement social et la Déclaration du Millénaire de l'ONU, adoptée en 20005, ont accordé à l'éradication de la pauvreté un haut degré de priorité.

QUE PEUT-ON FAIRE?

Liens avec d'autres secteurs

30. Plusieurs stratégies et domaines de recherche pourraient être examinés pour renforcer la contribution de la pêche artisanale à la sécurité alimentaire et à la lutte contre la pauvreté. Certaines de ces stratégies relèvent directement du secteur de la pêche et pourraient être mises en œuvre dans le cadre d'initiatives axées spécifiquement sur la pêche (comme celles décrites au présent document), tandis que d'autres exigent l'intervention de planificateurs, de responsables politiques et de spécialistes d'autres secteurs. Entrent notamment dans cette dernière catégorie les stratégies visant la promotion d'emplois et de moyens d'existence qui puissent se substituer à la pêche en cas de surexploitation massive des ressources. Les responsables des projets axés sur les pêches doivent d'une part mettre en _uvre des stratégies réalistes relevant de leurs domaines de compétence respectifs et d'autre part tenir compte du fait que les déterminants de l'insécurité alimentaire et de la pauvreté sont souvent fonction de facteurs sociaux, culturels et politiques relevant d'autres secteurs. Les acteurs de la filière pêche et des autres secteurs concernés doivent donc _uvrer de concert à la coordination de leurs activités, dans le cadre d'une démarche intersectorielle et interinstitutions.

Collecte de données et recherche aux fins de la formulation de stratégies

31. Pour élaborer des stratégies efficaces de mise en valeur de la pêche, il convient en un premier temps de bien cerner les facteurs responsables de la pauvreté des communautés pratiquant la pêche artisanale, avant de définir la portée réelle de la contribution que la petite pêche peut apporter à la sécurité alimentaire et à la lutte contre la pauvreté. On pourrait ainsi faire la preuve du bien-fondé des efforts déployés à l'appui de la pêche artisanale, au regard non seulement des niveaux de pauvreté tant absolus que relatifs relevés dans ce secteur, mais aussi de sa contribution actuelle et potentielle à la sécurité alimentaire et à la lutte contre la pauvreté aux plans local, régional et national. De toute évidence, la qualité des statistiques sur la pêche artisanale collectées dans de nombreux pays laisse à désirer, notamment en ce qui concerne la pêche continentale, pratiquée à temps partiel ou de manière saisonnière par de nombreux pêcheurs qui ne justifient pas d'une licence de pêche. En règle générale, on s'emploie davantage à recueillir des données sur la pêche artisanale maritime, qui génère d'importantes recettes d'exportation. Il faut donc rassembler des données plus complètes, ne serait-ce que pour recenser avec exactitude le nombre de personnes qui travaillent dans le secteur de la pêche artisanale. De fait, en l'absence de telles informations, il est impossible d'évaluer la contribution réelle de la pêche artisanale à la sécurité alimentaire et à la lutte contre la pauvreté. À titre d'exemple, une étude réalisée récemment par la FAO en Asie du Sud-Est indique que le nombre de pêcheurs pratiquant la pêche de capture continentale dans le monde (soit 4,5 millions de pêcheurs à temps plein, à temps partiel ou intermittents, selon les données communiquées à la FAO) est largement inférieur au nombre de personnes qui pratiquent la pêche continentale dans les huit pays couverts par l'étude6.
32. Cela étant, s'il convient de disposer de données de base pour être à même de déterminer dans quelle mesure les objectifs visés ont été réalisés, la collecte de données et d'informations plus précises n'est pas le seul préalable à l'amélioration des conditions de vie des artisans-pêcheurs. Il importe tout autant d'appuyer à l'échelle internationale les efforts visant à mieux comprendre: i) le processus qui conduit les individus à tomber dans la pauvreté et à en sortir; ii) les solutions correspondantes, tant en ce qui concerne la gestion des risques a priori que les mesures d'appui à prévoir a posteriori; iii) les stratégies requises pour accroître la contribution de la pêche artisanale à la sécurité alimentaire et à la lutte contre la pauvreté aux plans local, national et régional; et iv) les modalités de mise en œuvre de ces stratégies.
33. Pour mieux cerner le processus qui conduit les individus à tomber dans la pauvreté et à en sortir et les solutions susceptibles d'améliorer le sort des plus démunis, il convient d'accorder une attention particulière aux questions de gouvernance et aux rapports de force en présence. Si l'on comprend encore mal ces questions à l'heure actuelle, il est indispensable d'en savoir plus pour être à même de déterminer, entre autres: les différents mécanismes d'adaptation utilisés dans le secteur de la pêche artisanale et leur degré d'efficacité; si la pêche est un secteur plus exposé que d'autres au risque de pauvreté; comment la vulnérabilité des communautés concernées a évolué dans le temps et pourquoi; dans quelle mesure les politiques en vigueur et les grandes tendances influent sur les moyens d'existence des pêcheurs; par quels mécanismes les pêcheurs influent, ou pourraient influer, sur le cadre de politique générale et sur les rapports de force en jeu; et comment améliorer les services et l'appui fournis aux communautés de petits pêcheurs.

Réduction de la vulnérabilité des pêcheurs et accroissement de la valeur des produits
de la pêche

34. Diverses solutions ont été appliquées pour tenter de réduire la vulnérabilité des pêcheurs. La mise en place de programmes de préparation aux catastrophes et de systèmes d'alerte précoce peut contribuer à limiter les dégâts causés par les catastrophes naturelles comme les ouragans. On peut aussi réduire les risques professionnels auxquels sont exposés les pêcheurs: à titre d'exemple, les programmes de formation à la sécurité en mer aident à limiter le nombre d'accidents en mer, tandis que l'utilisation de fours améliorés contribue à atténuer les problèmes de santé dus au fumage du poisson. Une autre stratégie consiste à reconnaître officiellement et à faire respecter les droits que les pêcheurs, qu'ils soient sédentaires ou itinérants, devraient pouvoir exercer sur les ressources halieutiques et sur les terres sur lesquelles ils vivent ou qu'ils utilisent, de même que sur les installations dont ils se servent (comme le prévoit l'article 6.18 du Code de conduite pour une pêche responsable). On peut aussi réduire leur vulnérabilité en communiquant aux décideurs des informations de meilleure qualité qui favoriseront l'adoption de décisions fondées en matière de développement. Enfin, on peut renforcer la capacité des pêcheurs à s'organiser et recourir à des méthodes leur permettant de participer de manière constructive à la prise des décisions relatives à leur secteur d'activité, à leurs moyens de subsistance et à leurs conditions de travail.

35. On peut accroître la valeur des produits de la pêche en améliorant les infrastructures et la gestion des sites de débarquement, des unités de stockage et des marchés au poisson, l'accès aux informations relatives aux marchés et les procédures de transformation et en réduisant les pertes en aval de la pêche. L'octroi de crédits, dans les délais appropriés et à des conditions de remboursement réalistes, peut également contribuer à faciliter la commercialisation du poisson et des produits d'autres secteurs artisanaux. La réduction des pertes en aval de la pêche, qui peut aussi accroître la valeur ajoutée des produits, passe notamment par l'amélioration des procédures de manipulation, de transformation et de distribution des espèces ciblées comme des prises accessoires. Enfin, on pourrait analyser de plus près la rentabilité des opérations des pêcheries artisanales, afin de définir les stratégies susceptibles d'en accroître le rendement.

36. Lorsque les stocks sont sous-exploités, on peut améliorer la sécurité alimentaire et lutter contre la pauvreté par le biais des mesures suivantes: i) accroissement des volumes débarqués, grâce à l'intensification de l'effort de pêche et à l'amélioration des compétences des pêcheurs; ii) promotion des ventes et augmentation de la valeur ajoutée des produits pour accroître les revenus tirés de la pêche. Cette démarche suppose l'adoption d'un plan de développement, l'amélioration des techniques de capture et de transformation, un meilleur accès au marché et la formulation de stratégies visant à accroître les prix de vente du poisson. Elle peut aussi exiger une évaluation de la ressource, qui permettra d'établir que les stocks peuvent être exploités sans risque, ainsi que la mise en place d'un régime de gestion adapté, garant de la pérennité des ressources.

Attribution et gestion des ressources

37. Dans le cas plus fréquent où les stocks sont surexploités, la contribution de la pêche artisanale à la sécurité alimentaire et à la lutte contre la pauvreté peut être renforcée par le biais des mesures suivantes:

Reste la question du compromis à trouver entre les considérations financières et l'obtention, à partir de ressources limitées, d'acquis durablement bénéfiques.

38. On peut améliorer la ressource jusqu'à un certain point grâce à des mesures de gestion plus efficaces (visant par exemple à limiter l'utilisation de méthodes de pêche destructrices) et à la reconstitution des stocks (création de nouvelles zones aquatiques protégées, remise en état des lieux de pêche, repeuplement des stocks et restauration des habitats, entre autres). Cela étant, il faudra vraisemblablement envisager aussi d'appliquer des restrictions aux activités des flottilles commerciales et industrielles en concurrence directe avec les pêcheries artisanales et tenter de résoudre les conflits opposant les différentes catégories d'artisans-pêcheurs. Il conviendra à cette fin d'améliorer les cadres juridiques et réglementaires en vigueur, d'assurer le suivi, le contrôle et la surveillance des activités de pêche, de mettre en place des systèmes de gestion des conflits et de veiller à la bonne application de la réglementation relative aux pêches.

39. S'agissant de l'attribution des ressources, le rééquilibrage entre pêcheries industrielles et artisanales peut s'opérer conformément aux principes suivants: i) établissement de quotas fixant avec précision la part des ressources attribuée à chacune des pêcheries; ii) élargissement des zones de pêche réservées aux différentes pêcheries; et iii) utilisation de dispositifs de concentration du poisson (DCP) pour favoriser la concentration (et améliorer l'accessibilité) des stocks dans les zones côtières. Toutefois, ces mesures seront plus difficiles à appliquer aux nombreuses pêcheries continentales artisanales, qui sont par nature dispersées et peu structurées, rendant difficile ce type d'intervention. De même, pour garantir l'accès des petits pêcheurs aux ressources halieutiques et exercer un contrôle adéquat sur la ressource, il serait sans doute préférable d'appuyer la mise en place de systèmes de gestion collective et autres mécanismes connexes (création d'associations de pêcheurs, amélioration des procédures de suivi, de contrôle et de surveillance, mise en place de systèmes de gestion et d'application de la réglementation). Il convient cependant d'entreprendre des travaux de recherche supplémentaires pour être à même d'évaluer l'impact sur la pauvreté et sur la sécurité alimentaire des différents régimes d'accès et droits de propriété applicables à la ressource. Pour contribuer à la lutte contre la pauvreté, les mécanismes de gestion des pêches devront d'abord générer des rentes et ensuite permettre la redistribution, sous une forme ou une autre, de ces rentes. Si cette dernière condition n'est pas remplie, les richesses tirées de la pêche seront concentrées et n'auront pratiquement aucune incidence sur les niveaux de pauvreté. Cela étant, avant de pouvoir redistribuer ces richesses, il faudra s'attaquer aux réticences des institutions et élites microéconomiques et macroéconomiques qui tirent profit de la concentration des richesses que génère la pêche.

40. Dans le même ordre d'idée, la création de moyens d'existence en complément de la pêche, dans le cadre de structures de gouvernance efficaces, est une autre stratégie importante qu'il convient de mettre en _uvre pour réduire les pressions s'exerçant sur des ressources et des environnements aquatiques déjà surexploités. Cette stratégie doit avoir pour but non seulement d'aider les pêcheurs en activité, mais aussi de dissuader les acteurs d'autres secteurs de se lancer dans la pêche artisanale. L'éducation joue à cet égard un rôle primordial, dans la mesure où elle contribue à accroître la mobilité professionnelle des pêcheurs et leur permet de ce fait de tirer pleinement parti des possibilités d'emploi et des sources de revenus qu'offrent d'autres secteurs. Toutefois, la mobilité professionnelle des pêcheurs ne s'améliorera probablement pas du jour au lendemain, mais plutôt de manière progressive. La garantie de moyens d'existence de substitution à la pêche contribue par ailleurs à la lutte contre la pauvreté dans les communautés de pêcheurs et à la reconstitution des stocks. La reconstitution des stocks, qui doit s'accompagner de mesures efficaces de contrôle de l'accès aux lieux de pêche, peut à son tour favoriser l'accroissement des approvisionnements en poisson destinés à l'alimentation humaine, des revenus des petits pêcheurs, du revenu national, des recettes d'exportation et des recettes fiscales tirées de la pêche artisanale, sans parler de son effet multiplicateur sur l'emploi.

41. La mise en œuvre de ces stratégies efficaces de gestion et d'attribution des ressources s'appuiera, comme c'est déjà le cas, sur le Code de conduite pour une pêche responsable. Le Code peut en lui-même servir de guide de référence (comme indiqué aux paragraphes 7 et 8). Il est complété par des directives techniques7 publiées régulièrement. Des directives sur la lutte contre la pauvreté dans le secteur des pêches sont en cours d'élaboration.

Compromis envisageables et impacts des différentes politiques et stratégies

42. Les compromis, souvent implicites, que supposent les décisions politiques visant à combattre l'insécurité alimentaire et la pauvreté (comme celles mentionnées au paragraphe 22), doivent être fondés sur les informations tirées de la collecte de données et des travaux de recherche (voir paragraphes 31, 32 et 33). Il convient par ailleurs d'évaluer les coûts et avantages respectifs des différentes stratégies envisagées. Or, à l'heure actuelle, les données et informations concrètes susceptibles d'éclairer les décisions à prendre en la matière demeurent très limitées. Pourtant, un certain nombre de questions se posent: ainsi, quel serait le coût d'une réduction des activités de pêche industrielle et des recettes en devises correspondantes, au profit d'un accroissement des prises des pêcheries artisanales et de la rentabilité de la petite pêche, de leurs effets multiplicateurs, etc.? Quels seraient les avantages comparatifs du rééquilibrage des ressources consacrées à l'application de la réglementation entre opérations de surveillance terrestres et maritimes et opérations aériennes ou entre le contrôle exercé par l'État et celui qu'exercent les communautés? Quel serait le coût de la fermeture des centrales hydroélectriques en vue de la réintroduction de la pêche artisanale fluviale, qui serait porteuse d'emplois et de revenus? Le coût relativement élevé de la gestion des pêches artisanales serait-il supérieur à celui de l'appauvrissement des ressources, de la perte d'emplois et de revenus et de l'insécurité alimentaire qui résulteraient de l'absence de mécanisme de gestion? L'estimation de ces coûts ne doit pas être strictement économique; elle doit aussi tenir compte de facteurs sociaux et culturels.

43. Nombre de ces stratégies devront être adaptées à chaque cas précis, en fonction de la nature de la stratégie et des pêcheries artisanales considérées, des parties prenantes concernées, de l'étendue et de l'emplacement de la zone géographique à laquelle la stratégie pourrait s'appliquer. Il importe cependant de noter que les effets distributifs sur la sécurité alimentaire et la pauvreté des compromis sur lesquels reposent ces stratégies sont encore très mal compris. Si ces solutions de compromis font l'objet d'études approfondies, au même titre que les besoins auxquels répondent les différentes stratégies envisagées, on devrait pouvoir formuler des directives relatives à la mise en œuvre du Code de conduite pour une pêche responsable qui traiteraient spécifiquement de la sécurité alimentaire et de la lutte contre la pauvreté.

Amélioration de la gouvernance: intégration, légalité, transparence et responsabilité

44. Il ressort clairement de ce qui précède que les questions relatives à la gouvernance et aux rapports de force sont d'une importance cruciale pour le succès des stratégies préconisées. Il est donc primordial de bien cerner toute l'importance de ces questions pour être à même de concevoir et d'appliquer des solutions efficaces.

45. La bonne gouvernance requiert pour l'essentiel les trois éléments suivants: promotion de l'intégration des parties prenantes; promotion de la légalité; et promotion de la transparence et de la responsabilité8. Si ces conditions sont réunies, les stratégies visant à renforcer la contribution de la pêche artisanale à la sécurité alimentaire et à la lutte contre la pauvreté et à réduire la pauvreté dans les communautés de pêcheurs ont toutes les chances de réussir.
46. La notion d'intégration renvoie à la responsabilisation des parties prenantes et à la décentralisation. La responsabilisation des parties prenantes permet aux plus démunis d'apporter une contribution constructive aux travaux de recherche et à la mise en œuvre des stratégies (utilisation des connaissances des communautés locales et autochtones sur l'état des stocks, prise en compte des technologies traditionnelles, vulgarisation et éducation, mobilisation et organisation politique, etc.). De même, tout porte à croire que la décentralisation (en matière de cogestion, par exemple) favorise l'intégration des parties prenantes dans la mesure où elle rapproche le processus décisionnel des populations locales. Les données disponibles indiquent malgré tout que la gouvernance locale n'a d'incidence positive sur la situation des populations défavorisées qui si elle s'appuie sur: i) un même engagement de la part des autorités centrales et locales en faveur des réformes destinées à aider les plus pauvres; ii) des financements suffisants versés par l'administration centrale; et iii) un soutien durable aux actions de renforcement des capacités institutionnelles.
47. La légalité suppose que les structures dirigeantes locales et nationales observent les principes du droit et les fassent respecter. Ce précepte doit s'appliquer notamment aux législations et réglementations relatives aux pêches, ainsi qu'à toute réforme juridique visant à éliminer les lois et pratiques jugées contraires aux intérêts des plus démunis. Il peut justifier dans certains cas le recours à une procédure de médiation et de règlement des conflits opposant les utilisateurs des ressources.
48. Enfin, la transparence exige de toutes les structures dirigeantes, à quelque niveau que ce soit, qu'elles rendent compte de leur action et se soumettent, le cas échéant, à des sanctions lorsqu'elles enfreignent les principes relatifs à l'intégration et à la légalité. La notion de responsabilité est donc étroitement liée à celles de corruption, de transparence, d'accès à l'information et de capital social et politique. Les petits pêcheurs qui vivent dans la pauvreté sont souvent dans l'incapacité de faire respecter le principe de responsabilité et, partant, d'influer sur les réformes favorables aux plus démunis. Les pêcheries artisanales ne pourront contribuer à la sécurité alimentaire et à la lutte contre la pauvreté que si la responsabilité des autorités compétentes est renforcée. Il convient à cette fin d'améliorer l'accès à l'information et de veiller à la surveillance et à l'évaluation participatives des initiatives visant à soutenir les pêches artisanales, notamment par le biais d'audits «sociaux».

RECOMMANDATIONS À L'INTENTION DU COMITÉ

49. Le Comité est invité à examiner le présent document et à formuler des indications à l'intention des États membres, de la FAO et d'autres organisations et organismes internationaux quant aux stratégies qu'il conviendrait de promouvoir pour apporter une contribution notable à la mise en valeur de la pêche artisanale, notamment en ce qui concerne l'impact de ce secteur sur la sécurité alimentaire et sur la lutte contre la pauvreté. À cet égard, le Comité souhaitera peut-être insister sur l'importance des questions suivantes:

mesures visant à encourager la création d'organisations d'artisans-pêcheurs à l'échelle de la communauté et à en faciliter la représentation aux niveaux local, régional et national, afin de responsabiliser les petits pêcheurs et de susciter parmi eux le sentiment d'être partie prenante au processus décisionnel.


1Sommet mondial de l'alimentation de la FAO, 1996. Plan d'action du Sommet mondial de l'alimentation, article I.

2 Literature review of studies on poverty in fishing communities and of lessons learned in using the SLA in poverty alleviation strategies and projects. G. Macfadyen et E. Corcoran, 2002. Circulaire sur les pêches de la FAO nº 979.

3Consultation ad hoc d'experts FAO/CM/Thaïlande/Pays-Bas sur les nouvelles approches de l'amélioration des statistiques des pêches de capture continentales, 2-5 septembre 2002 (voir également la note 11).

4Problèmes d'éthique dans les secteurs de l'alimentation et de l'agriculture, Série de la FAO sur l'éthique, nº 1, 2001.

5La Déclaration du Millénaire contient un engagement à réduire de moitié, avant 2015, la proportion de la population mondiale dont les revenus sont inférieurs à un dollar par jour.

6Inland capture fisheries statistics of Southeast Asia: current status and information needs. Bureau régional de la FAO pour l'Asie-Pacifique, Thaïlande, février 2002 (couvre le Cambodge, l'Indonésie, la Malaisie, le Myanmar, les Philippines, la République démocratique populaire lao, la Thaïlande et le Viet Nam).

7Sur les pêches continentales, par exemple. Directives techniques pour une pêche responsable nº 6, FAO, 1997.

8New Thinking on Poverty: Implications for Poverty Reduction Strategies. P. Shaffer, 2001.