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Annexe B
Exposé de la Situation mondiale de l'alimentation et de l'agriculture

Résumé

L'année 1950/51 a vu se poser, dans le domaine de la production agricole et des disponibilités alimentaires, quelques problèmes nouveaux qui pourraient devenir sérieux à bref délai.

La production a augmenté par rapport à 1949/50 mais la distribution des disponibilités a laissé beaucoup à désirer. On a vu une fois de plus, dans l'Inde et en Yougoslavie, avec quelle rapidité une seule année de mauvaises récoltes suffisait pour réduire à une quasi-famine des millions d'êtres humains. La production globale des textiles a diminué, surtout à cause de la mauvaise récolte de coton aux Etats-Unis et en Egypte. La situation sera probablement inversée en 1951/52, c'est-à dire qu'il y aura sans doute davantage de coton et moins de céréales (autres que le riz), tout au moins dans l'hémisphère nord.

Le réarmement a provoqué sur les prix et les politiques alimentaires des effets qui, dans beaucoup de pays, se sont répercutés sur la distribution alimentaire. La demande des produits agricoles a été considérablement renforcée, par suite de l'extension exceptionnelle des fabrications de guerre et de la consommation civile, et des conséquences qui en ont découlé pour le niveau d'emploi et le revenu. La conjoncture récente a été favorable aux agriculteurs, notamment dans les pays fortement industrialisés où, le plus souvent, on a vu monter les prix agricoles et s'élever le revenu réel des cultivateurs. Les prix du poisson se sont montrés moins sensibles, bien que les disponibilités aient augmenté quelque peu dans certains pays; quant aux revenus de la sylviculture, ils ont augmenté en général.

Il est difficile de prévoir la conjoncture, car on ne peut dire comment évolueront les secteurs non agricoles, d'autant que l'activité industrielle est étroitement conditionnée, à l'heure actuelle, par le cours des événements politiques et militaires. Pour le moment la situation et les rapports laissent entrevoir en 1951/52 une récolte de céréales sensiblement égale à celle de la campagne précédente, mais l'on s'attend à une augmentation du reste de la production agricole (produits animaux, poisson, graisses et huiles, textiles). Le fait que beaucoup de pays doivent affecter à la défense une partie de leurs ressources et revenir à une semi-économie de guerre n'affectera sans doute pas la production alimentaire de l'année prochaine. Si toutefois l'expansion industrielle et le réarmement devaient absorber la main-d'œuvre, les matières premières et les produits industriels à un point tel que l'agriculture vienne à manquer de moyens, la tendance à l'accroissement qu'a marquée la production agricole pourrait se ralentir ou même se renverser.

Un vaste plan de répartition internationale des matières premières et des biens nécessaires à la production agricole contribuerait beaucoup à éviter le ralentissement de celle-ci; mais il ne donnerait tous ses effets que s'il était assorti d'une série de mesures visant à réduire, dans les pays hautement industrialisés, la production des biens durables destinés à la population civile; ce serait là un moyen de libérer les ressources qu'exige un effort de réarmement aussi considérable que celui qui est actuellement envisagé, sans avoir à réduire les disponibilités de l'agriculture en main-d'œuvre et moyens de production, et sans provoquer une recrudescence de l'inflation.

Situation de l'agriculture en 1950–51

Production

D'après les renseignements, la production alimentaire mondiale de 1950/51 a dépassé celle de 1949/50. La production des céréales panifiables (blé et seigle) a été légèrement supérieure à celle de l'année dernière et sensiblement égale à la moyenne d'avant-guerre. La production de blé (non compris l'U.R.S.S.) a dépassé d'à peu près 3 pour cent celle de 1949/50, augmentation qu'annule partiellement un certain recul de la production de seigle. La production de l'orge et de l'avoine a augmenté, tandis qu'elle diminuait pour le maïs; quant au riz, on ne peut guère s'attendre à un chiffre dépassant de beaucoup les 150 millions de tonnes de paddy récoltées l'année précédente. La production des produits d'origine animale et des pêches a continué de progresser, contribuant sensiblement à l'augmentation de la production et des disponibilités alimentaires.

En Amérique du Nord, la production de blé a été légèrement inférieure à celle de 1949/50, la diminution de la récolte des Etats-Unis n'ayant pas été entièrement compensée par l'augmentation de celle du Canada; le blé canadien était d'ailleurs pauvre et a servi en grande partie pour l'alimentation du bétail. Aux Etats-Unis, la diminution de la récolte de blé a été équilibrée, dans l'ensemble des disponibilités alimentaires, par l'accroissement de la production de viande, des autres produits animaux, et du sucre. En Amérique latine, beaucoup de culture vivrières ont produit plus que l'année passée et on estime que la production des céréales, avec 31 millions de tonnes au total, a augmenté de 15 pour cent par rapport à 1949/50, grâce surtout à l'amélioration des récoltes de blé et de maïs, principalement en Argentine et au Brésil. La production de viande, elle aussi, a continué d'augmenter dans cette région. En Europe, la production des huit principales cultures alimentaires a marqué en 1950/51 un nouveau record d'après-guerre, malgré la sécheresse dont a beaucoup souffert le maïs dans l'Europe du sud-est, notamment en Yougoslavie. On signale, en outre, une amélioration sensible de la production animale. D'après les renseignements disponibles sur l'U.R.S.S., la production alimentaire est la plus forte que l'on ait enregistré depuis la guerre, avec une bonne récolte de céréales; mais la production de viande et d'autres produits animaux, tout en ayant augmenté, reste inférieure aux disponibilités d'avant-guerre par habitant.

La production alimentaire paraît s'être maintenue à un niveau moyen en Afrique et au ProcheOrient; en Extrême-Orient elle s'est également maintenue, la récolte ayant été bonne en Chine, mais très mauvaise dans l'Inde. La forte baisse de la récolte indienne de riz a réduit la production céréalière totale de l'Extrême-Orient de 5 à 6 millions de tonnes, par rapport à 1949/50. Les conditions atmosphériques défavorables ont en outre compromis à divers degrés le développement du riz à Ceylan, en Malaisie et aux Philippines; par contre, on signale au Pakistan, au Japon et à Formose une augmentation notable tant de la superficie des rizières que de la production.

Mauvaise distribution des denrées alimentaires. La production alimentaire mondiale a donc dépassé quelque peu celles des années précédentes, mais c'est malheureusement dans les régions où la consommation par habitant était déjà élevée qu'est intervenue, le plus souvent, l'amélioration Dans la plupart des régions à faible consommation, notamment en Extrême-Orient, en Afrique et au Proche-Orient on ne remarque aucune amélioration. L'état des approvisionnements est particulièrement sérieux en Extrême-Orient où, jusqu'à présent, seule l'importation de grosses quantités de blé et de céréales secondaires, provenant de pays non asiatiques et utilisées pour remédier à la pénurie de riz, a permis de maintenir un équilibre fragile entre l'offre et la demande des céréales pour l'alimentation humaine. La mauvaise récolte de l'Inde a porté au total sans précédent de 8 millions de tonnes les besoins présents de l'Extrême-Orient en blé et céréales secondaires d'importation. Dans les pays de la région pris individuellement, la distribution des denrées a souffert de la hausse des prix, même si les disponibilités alimentaires totales ont augmenté, et les classes les plus pauvres ont parfois dû réduire leur consommation.

Nombre de pays signalent que, durant 1950/51, les stocks visibles de denrées alimentaires pour la consommation humaine et animale ont baissé, mais il n'est pas exclu que les stocks stratégiques dont le volume est tenu secret, aient augmenté. D'après les renseignements disponibles, les stocks de blé des quatre principaux pays exportateurs se situent au voisinage de 22 millions de tonnes, mais il est difficile de dire s'il sera possible de les conserver à ce niveau, étant donné les besoins à satisfaire dans les pays déficitaires. Parmi les pays importateurs, l'Inde présente un cas critique: en effet, ses stocks de céréales sont tombés à 800.000 tonnes, alors que les disponibilités, comprenant la production de la campagne en cours et les importations prévues, sont inférieures de 2 millions de tonnes aux besoins. Au Royaume-Uni, les stocks des principales denrées alimentaires se sont réduits de près de 500.000 tonnes en 1950 ; dans certains pays d'Europe continentale, il a été eftué des prélèvements considérables sur les stocks de céréales panifiables pour échapper à l'obligation d'importer des céréales secondaires à prix très élevés. Même aux Etats-Unis, le volume des stocks de maïs en fin de campagne, qui atteignait 22 millions de tonnes à l'automne de 1950, se réduira considérablement avant que la récolte de 1951 ne soit prête à être moissonnée.

Insuffisance des disponibilités de fibres textiles. La situation générale de l'agriculture souffre également d'une baisse de la production des fibres textiles, notamment du coton. La production cotonnière des Etats-Unis a subi en 1950 une contraction d'ampleur imprévue, provoquée par la forte réduction des surfaces plantées et par une certaine diminution des rendements. Le déficit qui en est résulté sur le plan mondial n'a été compensé que pour un tiers par l'accroissement de la production en Asie et en Amérique latine. La récolte égyptienne a, elle aussi, été plus faible. Dans ces conditions, on estime que les disponibilités mondiales pour 1950/51, y compris les stocks de report de la campagne précédente et l'Union soviétique incluse, sont inférieures de 5 pour cent à celles de 1949/50. Par contre, la consommation a été de 10 pour cent supérieure et, si elle se maintient à son niveau actuel, les réserves seront forcement entamées au début de la campagne 1951/52. La situation est également très serrée en ce qui concerne la laine, malgré une certaine baisse des prix qui avaient atteint des niveaux record, et une certaine diminution de la consommation. Bien que la tonte de 1950/51 ait marqué la plus forte augmentation annuelle enregistrée au cours de l'après-guerre, la consommation dépasse encore la production et les stocks sont bas. C'est seulement pour la jute que les disponibilités se sont améliorées, la production de 1950/51 ayant augmenté légèrement plus que la consommation.

Commerce international. Les échanges internationaux de produits agricoles ont beaucoup augmenté de 1949/50 à 1950/51, fait qui s'explique en partie par l'écart persistant dans de nombreuses régions entre la production et les besoins de produits alimentaires et de fibres, et en partie par le programme de réarmement, qui a considérablement renforcé la demande pour la plupart des matières premières d'origine agricole.

Facteurs économiques généraux qui influent sur l'agriculture

La situation économique en dehors de l'agriculture a été fortement influencée par les hostilités en Corée qui ont provoqué un développement des programmes d'armement aux Etats-Unis et en Europe. Les conséquences s'en sont fait sentir sur la consommation, notamment celle des fibres, ainsi que sur le volume et la composition du commerce international; le désir de constituer des réserves stratégiques a renforcé rapidement la demande, ce qui a affecté la structure des prix tant intérieurs que mondiaux. L'accroissement de l'activité industrielle, de l'emploi et du revenu dans les pays fortement industrialisés, notamment aux EtatsUnis, a contribué, directement et indirectement, à renforcer la demande des produits agricoles en 1950/51, bien que la situation se soit quelque peu détendue au printemps.

Fluctuations marquées des prix. Etant donné la lenteur avec laquelle la production agricole s'adapte aux variations de la demande, et l'exiguïté relative des stocks visibles de certains produits les prix ont monté brutalement dès l'ouverture des hostilités en Corée, en raison d'une tendance à constituer des stocks supérieurs aux niveaux normaux. De juin 1950 à mars 1951, les prix mondiaux des principaux produits alimentaires ont augmenté d'au moins 20 pour cent, bien que le blé soit en général resté à peu près stable dupuis un an; quant au prix des produits agricoles non alimentaire, (laine, coton, caoutchouc, etc.), ils ont augmenté des plus de 50 pour cent en moyenne. Les autres matières premières ont subi des hausses du même ordre. Les prix des produits finis ont monté, mais de façon moins accentuée. En conséquence, les termes de l'échange sont devenus moins favorables pour les pays importateurs de matières premières, les Etats-Unis et l'Europe occidentale notamment, alors qu'ils s'amélioraient pour les pays exportateurs. C'est ainsi qu'en mars 1951, les importations de la Grand-Bretagne coûtaient 28 pour cent de plus que le prix moyen de 1950, tandis que les prix à l'exportation n'augmentaient que de 12 pour cent. En janvier 1951, les chiffres correspondant pour les Etats-Unis étaient de 30 et 10 pour cent, par rapport à l'année précédente. Si cette situation ne préoccupe pas outre mesure les Etats-Unis, elle est en revanche très inquiétante pour la plupart des pays d'Europe occidentale, car elle risque de se répercuter sur les balances de paiements et provoquer une nouvelle vague d'inflation. Entre le premier trimestre de 1950 et le premier trimestre de 1951, le Royaume-Uni a vu passer le déficit de sa balance commerciale de 71 à 235 millions de livres sterling, mais les réserves de dollars se sont accrues du fait que le bloc sterling améliorait ses possibilités de se procurer cette devise. La hausse des prix agricoles mondiaux s'est traduite par une augmentation marquée de la valeur globale des échanges de produits agricoles. La valeur des importations des Etats-Unis s'étant accrue rapidement, les disponibilités en dollars se sont améliorées pour certains pays malgré l'aggravation des termes de l'échange, de sorte que quelques-uns des pays importateurs de denrées alimentaires ont pu maintenir et même accroître leurs achats de matières premières, sauf en ce qui concernait l'obtention de produits tels que la laine et le coton, dont les disponibilités étaient matériellement insuffisantes.

La hausse du prix des produits agricoles importés et la forte pression s'exerçant sur les disponibilités nationales ont fait monter considérablement les prix agricoles intérieurs. Aux EtatsUnis, l'indice des prix de gros des produits de la ferme (1926=100) est passé de 159 en mars 1950 à 184 en novembre et à 203 en mars 1951, soit une hausse de 28 pour cent en un an. En Europe occidentale, l'indice des prix de gros alimentaires a augmenté en moyenne de 10 pour cent depuis juin 1950, mais l'ampleur de la hausse varie beaucoup d'un pays à l'autre, selon l'efficacité des systèmes de contrôle des prix. On constate un mouvement analogue dans le reste du monde, en raison notamment du renforcement de la demande extérieure. Aux Etats-Unis, les producteurs, les commerçants et les consommateurs avaient précipité leurs achats au cours de l'automne et de l'hiver, afin de constituer des réserves, mais une certaine réaction s'est produite et la moyenne des prix de gros a cessé d'augmenter pour fléchir légèrement de mars à mai. Ce mouvement fut aidé par l'augmentation des impôts et le resserrement des restrictions imposées au crédit. On a observé sur d'autres marchés une baisse sur divers produits, tels que le coton, les céréales, le caoutchouc et la laine.

Répercussions sur les prix et le revenu agricoles. Dans la plupart des pays les cultivateurs ont bénéficié de la hausse intervenue sur les prix agricoles car ils ont tiré un revenu accru pour une production à peu près inchangée. Le revenu réel de l'agriculture n'a cependant pas progressé dans la même mesure, car, parallèlement au revenu brut, le coût de la production s'est élevé, qu'il s'agisse du prix des biens de production ou de celui de la main-d'œuvre. Mais en général la hausse des prix de revient a été inférieure à celle des prix de vente, de sorte que le revenu net agricole s'est amélioré. Aux Etats-Unis, la relation de parité (quotient des prix reçus par les agriculteurs et des prix payés par eux) avait avancé a lll en mars 1951, contre 95 en mars 1950.

Il est probable que dans les régions les moins développées, les petits producteurs n'ont pas bénéficié au même degré que les autres d'une élévation nette de leurs revenus, car la production agricole dans ces pays est orientée davantage vers l'auto-consommation que vers le marché, et, de toute façon, le marketing des excédents commercialisables laisse beaucoup à désirer. En ce qui concerne l'agriculture commerciale de ces régions, il est fréquent que l'accroissement des bénéfices qui auraient pu résulter de la hausse des prix aille pour la plus grande partie aux intermédiaires et aux gros producteurs qui, très solidement organisés, jouissent trop souvent d'une sorte de monopole de la distribution. Il n'est pas certain que la hausse des prix permette au petit producteur d'améliorer son niveau de vie ou sa productivité, car les prix des biens de consommation et des moyens de production agricole augmentent parallèlement. Ces cultivateurs sont bien souvent tributaires des importations de biens de consommation, notamment les textiles, dont les disponibilités ont été faibles et les prix élevés. Dans de nombreux pays d'Extrême-Orient, la hausse considérable qu'ont subie les prix des produits d'importation tels que le caoutchouc, les fibres et les matières grasses, a beaucoup renforcé la tendance inflationniste, que l'on tente d'enrayer en réglementant les prix intérieurs de vente et en frappant les exportations de droits élevés.

Perspectives au delà de 1950–51

Production agricole en 1951/52. Aux Etats-Unis, pays qui demeure le premier exportateur de blé, il semble que la campagne en cours égalera les résultats de l'année précédente. D'après les estimations récentes, la récolte totale (blé d'hiver et de printemps) atteindra 1.054 millions de bushels, contre 1.027 en 1949/50 et 1.031 par an, moyenne des dix dernières années. Il est trop tôt pour prévoir le volume de la récolte canadienne, qui est surtout constituée de blé de printemps ; mais on peut dire que, si les emblavures ont légèrement diminué, les semis se sont faits dans des conditions assez satisfaisantes. En ce qui concerne les autres denrées alimentaires, notamment la viande et autres produits animaux, on prévoit une augmentation de la production aussi bien aux Etats-Unis qu'au Canada. Cependant, l'accroissement des effectifs du cheptel, le renforcement de la demande de viande et la forte contraction des stocks de report de maïs, obligeront peut-être à affecter à l'alimentation du bétail certaines quantités de céréales normalement destinées à la consommation humaine. Les perspectives sont satisfaisantes pour l'Amérique latine, où la production alimentaire a nettement tendance à augmenter dans la plupart des pays. On prévoit dans cette région un accroissement de la production de viande, de céréales, de sucre, de légumes et de fruits frais, en dépit d'une pénurie possible d'outillage et d'équipement importés. En Europe occidentale, l'hiver et le printemps ont été froids et humides, et les travaux de printemps tardifs, de sorte que les rendements seront sans doute quelque peu inférieurs à ceux de 1950, tandis que la production de viande de pore risque d'être limitée dans son développement par les difficultés que rencontre l'importation des céréales fourragères. Le Proche-Orient et une bonne partie de l'Extrême-Orient ont été victimes d'une invasion acridienne d'une gravité exceptionnelle, mais il n'a pas été signalé jusqu'ici d'autres facteurs qui pourraient exercer des conséquences défavorables sur les disponibilités alimentaires des autres régions en 1952. Si les conditions climatiques sont moyennement bonnes, la production de riz et d'autres céréales dépassera en Extrême-Orient celle de l'année dernière, bien que l'évolution récente des prix ait incité les producteurs à délaisser quelque peu ces cultures au profit du coton et des graines oléagineuses.

Bien que la sérieuse invasion acridienne qui s'est produite récemment ait été enrayée de façon assez satisfaisante en Iran, elle demeure très grave au Pakistan et dans l'Inde, dont elle pourrait réduire sérieusement la production céréalière en 1951. Il faut ajouter que, si des mesures spéciales de lutte ne sont pas adoptées cette année, les invasions à venir risquent d'être beaucoup plus dangereuses encore.

Dans le domaine des fibres, la situation s'améliorera probablement en 1951/52. Les perspectives de la prochaine récolte de coton sont bonnes et l'on s'attend à enregistrer des augmentations sensibles aux Etats-Unis ainsi que de nouvelles améliorations dans d'autres régions productrices. La production lainière augmentera sans doute quelque peu, les prix demeurant élevés, mais il est à peu près certain que le marché restera serré.

Perspectives de la demande. Le réarmement a déclanché, surtout aux Etats-Unis, une évolution qu'il convient de suivre de très près.

Le point de départ est les dépenses prévues aux Etats-Unis pour 1951 au titre de l'équipement et de la construction de nouvelles usines. Elles s'établissent au chiffre inouï de près de 24 milliards de dollars (soit 29 pour cent de plus qu'en 1950 et 24 pour cent de plus que le plus haut chiffre enregistré), de sorte que la capacité totale de la production industrielle devrait augmenter de 9 pour cent, en sus de l'augmentation de 7 pour cent réalisée en 1950. Il faut voir dans cet accroissement une tentative pour procéder au réarmement sans avoir à réduire exagérément la production de biens durables destinés à la population civile. Les EtatsUnis prévoient que leurs dépenses d'armements pour 1952 dépasseront d'environ 10 milliards de dollars les crédits prévus pour 1951, et que, naturellement, le volume de la production militaire augmentera de la même manière. Le point de vue européen est analogue, mais il s'agit encore d'un raisonnement théorique plus que d'une action concrète. Si les programmes ne sont pas modifiés radicalement, on peut s'attendre à un essor sans précédent de la production industrielle dans les pays de la «zone de réarmement». Par contre, il faut prévoir une baisse d'activité dans le domaine du bâtiment et une contraction de la production d'autres biens durables, par suite de l'insuffisance des matières premières, du resserrement du contrôle imposé au crédit, ainsi que d'autres restrictions.

La demande de matières premières s'est donc renforcée, ainsi que la concurrence pour obtenir celles-ci, d'où une hausse des prix qui gênera certainement ceux des pays de la «zone de réarmement» qui sont mal placés pour négocier sur le plan international. La ruée vers les matières premières s'est accentuée du fait que tant le commerce privé que les gouvernements veulent constituer des réserves. Les prix des matières premières ont cessé de monter ces mois derniers, surtout parce que les achats se sont ralentis, mais on s'attend en général à les voir reprendre leur mouvement ascensionnel avant la fin de l'année civile, lorsque les stocks se seront réduits et que la production industrielle, comme prévu, se développera encore davantage dans la «zone du réarmement».

Il faut signaler en outre qu'en matière de stocks stratégiques, les Etats-Unis ont plus que doublé les sommes qu'ils entendent dépenser, celles-ci représentant près de 10 milliards de dollars, dont 3 milliards seulement ont été utilisés jusqu'ici.

Si la situation politique se modifiait sensiblement, par la cessation du conflit coréen, par exemple, et si la cadence du réarmement ralentissait en conséquence, il faudrait peut-être reviser en baisse les prévisions concernant les niveaux de la production, de l'emploi et des prix. Si au contraire, les hostilités s'étendaient ou si la tension internationale augmentait, il en résulterait, bien entendu, une évolution dans le sens opposé.

Perspectives ultérieures pour la production agricole

Pays industrialisés. Il est difficile de dire si l'expansion industrielle en cours laissera à la disposition des agriculteurs assez de moyens de production pour leur permettre de continuer à élever les rendements, notamment dans des régions comme l'Europe occidentale. Etant donné l'amélioration de l'emploi et du revenu, il est probable que la demande de produits agricoles demeurera ferme et que les prix continueront à monter, mais on ne saurait dire s'il en résultera un développement parallèle de la production.

Les tendances qui se manifestent en dehors du secteur agricole n'auront probablement pas de conséquences appréciables sur la production de ce secteur en 1951/52. A partir de 1952/53, cependant, il se peut qu'elles l'affectent de plus en plus et modifient de façon sensible la situation des disponibilités. Si l'industrie continue à se développer, pour les besoins tant du réarmement que de la population civile, la production de biens durables absorbera une part toujours plus forte des ressources, en particulier de main-d'œuvre. Aux Etats-Unis, l'agriculture, qui occupait en mars 1950 6.700.000 personnes, n'en occupait plus, un an après, que 6.400.000, soit une diminution de 5 pour cent en un an ; parallèlement, le nombre des emplois dans les secteurs non agricoles passait de 50.800.000 à 53.800.000. Un nouveau bond en avant de la production industrielle ne ferait qu'accentuer la concurrence sur le marché de la main-d'œuvre ; dès 1950, les salaires des travailleurs agricoles aux Etats-Unis avaient augmenté de 7 pour cent environ.

En Europe occidentale, les perspectives de l'agriculture sont encore plus incertaines. Non seulement on a vu se modifier le rapport entre les prix reçus et les prix payés par les agriculteurs, mais il existe un danger de pénurie d'engrais, d'insecticides, de machines agricoles et d'outillage en général. Le problème se complique en Europe du fait de la situation des paiements de nombreux pays. Si l'Europe affecte à la production d'armes et de biens durables destinés à la consommation civile une plus forte proportion de ses disponibilités en matières premières, déjà limitées, et si elle réduit en même temps la fabrication des biens nécessaires à la production agricole, celle-ci risque de diminuer. Pour la maintenir, donc, il faudra sans doute amputer sévèrement soit les fabrications d'armements, soit la production de biens durables pour la population civile, soit les deux. Il est actuellement difficile de faire des pronostics, mais peut-être l'Europe occidentale s'efforcerat-elle de trouver un compromis entre ces deux solutions. Il se peut en outre que l'Europe doive réduire ses importations de produits agricoles, en particulier de denrées alimentaires, et ceci pour deux raisons : d'une parte les disponibilités aux Etats-Unis (sur lesquelles pèsera fortement la demande des autres régions déficitaires) sont limitées ; d'autre part, l'Europe devra surveiller sa balance des paiements, que peut mettre en danger l'accroissement des importations de matières premières et d'équipement industriel. Cependant, l'évolution exacte de la situation sera influencée de façon sensible par l'importance des programmes de réarmement et par l'ampleur relative des mouvements inflationnistes qui se produiront en Amérique du Nord, en Europe et dans les pays d'outremer clients de l'Europe. Il est possible que la situation alimentaire de l'Europe se complique dans l'avenir. Une meilleure intégration de l'agriculture européenne, du type de celle que la France a proposé de réaliser, pourrait contribuer à atténuer les difficultés prévues, mais de tels programmes sont nécessairement à longue échéance et il est difficile de réaliser l'accord à leur sujet.

Régions économiquement moins développées. L'évolution de la situation dans les pays industrialisés peut également avoir des conséquences sérieuses sur l'économie des pays moins développés. Les cours élevés des cultures commerciales sont de nature à encourager l'extension de celles-ci dans l'avenir immédiat, et cette prime à la production exportable risque de nuire à la production des denrées alimentaires de base indispensables à la consommation intérieure. Par exemple, on constate que dans quelques pays de l'Extrême-Orient les producteurs de riz abandonnent leurs cultures parce qu'ils peuvent obtenir des salaires élevés sur les plantations d'hévéas. Dans le Bornéo du Nord, le gouvernement a dû renoncer à quelques grands projets de reconstruction d'après-guerre parce que, là aussi, la main-d'œuvre agricole était attirée par la production de caoutchouc. Ces tendances pourraient nuire à l'ensemble du développement économique des régions les moins industrialisées. En outre, les bénéfices plus élevés que procurent les produits exportables, et la hausse des prix des biens durables d'importation provoquent une montée des prix intérieurs agricoles et du coût général de la vie, ainsi que d'autres phénomènes de caractère inflationniste. Il se peut que les pays à faible développement économique voient s'améliorer leur revenu national, mais ce ne sera jamais que dans la mesure où les gouvernements arriveront à enrayer l'inflation. Des mesures comme celles qu'ont prises en Afrique quelques territoires non autonomes, qui s'efforcent de développer au maximum la production destinée à la consommation intérieure, et en Extrême-Orient, où le plan de Colombo s'est fixé, entre autres, un objectif analogue, pourront aider à maintenir le pouvoir d'achat des monnaies.

Il faut mentionner également les mesures anti-inflationnistes prises en Australie, en NouvelleZélande, au Mexique et ailleurs. Dans les deux premiers de ces pays, une importante partie du revenu des producteurs de laine a été bloquée jusqu'à nouvel ordre, soit par le système du paiement différé (Nouvelle Zélande), soit par le versement d'impôts provisionnels (Australie). Mais le succès de ces mesures reste incertain, car la tendance actuelle des prix joue en faveur des cultures commerciales et de la production d'autres biens exportables d'une part, et, de l'autre, il arrive que les pouvoirs publics sont incapables de faire appliquer les dispositions prévues. Au cours des récentes années d'après-guerre, on a vu se dissiper rapidement les ressources financières accumulées durant le conflit par les régions les moins développées, et il devrait y avoir là un avertissement. La politique de réarmement des pays industriels, en réduisant les quantités exportables de biens de production gênera l'équipement des pays à faible développement et limitera leurs importations, même s'ils disposent de ressources accrues de devises étrangères.

Effets sur le commerce extérieur. Il est encore trop tôt pour prévoir les conséquences de ces développements sur le commerce international des produits agricoles et alimentaires. On peut néanmoins penser que les pays de la «zone de réarmement» limiteront leurs importations alimentaires, donnant la priorité aux importations de matières premières industrielles. Aussi se peut-il que certains pays tentent de satisfaire leurs besoins alimentaires en développant leur production nationale, si les nécessités accrues de l'industrie le leur permettent. La réduction des crédits attribués au titre de l'ERP est un autre facteur qui limitera le commerce international des produits alimentaires, bien que le développement du programme d'assistance des Etats-Unis, au bénéfice notamment des pays d'Extrême-Orient, puisse contrebalancer l'action de ce facteur jusqu'à un certain point.

Dans l'ensemble, il est possible que, vu les circonstances actuelles, la tendance au développement qu'a récemment marquée la production agricole mondiale s'affaiblisse ou même s'inverse, et que les disponibilités deviennent insuffisantes, en particulier pour les denrées alimentaires de base. Le mouvement inflationniste qui se précise déjà dans plusieurs régions du monde s'accélèrera sans doute à cause de l'écart toujours croissant entre la demande et l'offre, tant des produits agricoles que des autres biens de consommation. Il est inévitable que la structure de la consommation alimentaire se trouve affectée sur le plan aussi bien national qu'international. La reconstruction de l'Europe occidentale et le progrès économique des régions les moins développées risquent de se trouver sérieusement compromis, éventualité qui mérite d'être considérée avec attention et exige une action internationale à bref délai.

Mesures propres à sauvegarder la production agricole et les approvisionnements alimentaires

L'incertitude qui règne concernant les perspectives de l'alimentation et de l'agriculture a pour cause principale le déséquilibre entre le développement de l'industrie et celui de l'agriculture dans les pays de la «zone de réarmement», et il est donc évident que ces perspectives ne se modifieront que si la politique desdits pays venait à être revisée. Les ressources économiques actuelles sont limitées, qu'il s'agisse de matières premières ou de main-d'œuvre, et le développement de la productivité ne peut ménager qu'une marge restreinte de liberté, de sorte que la pression exceptionnelle imposée aux ressources économiques risque d'entretenir l'inflation.

Il semble que les nombreuses mesures de reconstruction et de progrès économique actuellement adoptées sont autant de pas dans la bonne direction. Le Programme élargi d'assistance technique en vue du développement économique représente un levier des plus puissants, qui devrait amorcer une série d'améliorations cumulatives de la production et du marketing, et accentuer la tendance au redressement qu'a marquée la production agricole. Les plans d'intégration de l'agriculture européenne, les plans de développement tels que celui de Colombo, les mesures d'assistance financière et technique aux pays insuffisamment développés que proposent les rapports Gray et Rockfeller et les recommandations du comité d'experts des Nations Unies1, tous ces facteurs sont autant de contributions positives au progrès économique mondial. Cependant, ces programmes ne peuvent être ni adoptés ni réalisés en peu de temps, et leur succès définitif dépendra peut-être en partie de l'action entreprise dans un avenir proche.

1 Mesures pour le développement économique des pays insuffisamment développés, Nations Unies, New York, mai 1951.

Le système proposé d'allocation internationale des matières premières rares paraît être une formule convenable pour l'immédiat, à condition que, pendant la période de réarmement intensif, la production des biens durables pour la population civile soit réduite de manière à ne pas peser à l'excès sur les ressources disponibles. Quelque satisfaisant que soit ce système d'allocation, la production agricole risque de souffrir si les pays consacrent au développement rapide de leur production industrielle une part trop considérable de leurs ressources. C'est pourquoi il faudra peut-être limiter encore davantage les investissements industriels. Aux Etats-Unis, ces investissements bénéficient de certains stimulants, parmi lesquels l'autorisation d'accélérer le calcul de la dépréciation aux fins de la fiscalité. Le Canada, cependant, vient d'adopter une politique de dépréciation différée qui interdit aux personnes qui font de nouveaux placements (sauf dans les exploitations agricoles, les forêts et les pêches) de procéder à aucune déduction d'impôt au titre de la dépréciation au cours des quatre premières années suivant l'investissement. Des mesures analogues tendant à limiter ou à contrôler les investissements de capitaux privés ont déjà été adoptées en Suède et au Royaume-Uni, et sont à l'étude en Suisse et en Allemagne occidentale.

En outre, certains pays d'Europe ont déjà décidé de rétablir la collecte des céréales panifiables afin d'éviter que, tentés par les prix élevés de la viande, les producteurs n'affectent des quantités excessives de ces grains à l'alimentation du bétail, au détriment de l'alimentation humaine. D'autres pays d'Europe pourraient étudier des mesures analogues pour assurer le ravitaillement des consommateurs avant que la situation ne s'aggrave.

Un certain nombre de pays, parmi lesquels les Etats-Unis, s'efforcent de combattre l'inflation en rétablissant le contrôle des prix. Il est cependant vraisemblable que si l'on se borne à imposer des prix sans aller jusqu'au rationnement, les résultats demeureront limités. Enfin, indépendamment de tout contrôle des prix, les ressources alimentaires mondiales deviendront insuffisantes, si la production alimentaire ne continue pas à se développer au moins au même rythme que la population.


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