C 2005/INF/9




Conférence


Trente-troisième session

Rome, 19-26 novembre 2005

Vingt-quatrième Conférence McDougall


DISCOURS EN L'HONNEUR DE FRANK L. MCDOUGALL PRONONCÉ PAR DAVID BECKMANN, PRÉSIDENT DE BREAD FOR THE WORLD ET DE L'ALLIANCE NATIONALE DES ÉTATS-UNIS CONTRE LA FAIM,
LE 19 NOVEMBRE 2005

Excellences, Mesdames et Messieurs, je suis honoré de l'occasion qui m'est ainsi offerte de m'adresser à vous. Vous êtes les représentants de ministères de l’agriculture et des affaires étrangères du monde entier, des institutions des Nations Unies et des réseaux de la société civile. Le monde compte sur vous pour guider la lutte contre la faim.

Cette conférence est dédiée à Franck McDougall, le visionnaire australien promoteur de l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture. Nous rendons également hommage à ceux qui ont prononcé une allocution en sa mémoire dans les années précédentes, à des pionniers tels que Julius Nyerere, Président de la Tanzanie; John D. Rockefeller de la Fondation Rockefeller; et Boutros Boutros-Ghali, Secrétaire général des Nations Unies.

Je tiens à remercier le Directeur Général, M. Jacques Diouf, de m'avoir invité à tenir cette année la conférence McDougall. Permettez-moi également d'adresser toute ma gratitude aux directeurs et au personnel des trois institutions des Nations Unies chargées des questions d’alimentation – la FAO, le Programme alimentaire mondial et le FIDA. Je souhaite aussi rendre hommage à l'Ambassadeur Tony Hall et à la Sous-Directrice générale Eva Clayton, qui comptent parmi mes mentors personnels.

Cette intervention est articulée en trois parties. Tout d'abord, je pense que vous serez intéressés d'en savoir plus sur Bread for the World. Nous sommes un mouvement local actif sur le territoire des États-Unis et nos membres ont montré en maintes occasions qu'ils pouvaient amener le gouvernement des États-Unis à prendre des mesures importantes pour les populations affamées du monde entier. Ensuite, je tiens à affirmer de façon plus générale que la mobilisation d'une volonté politique est essentielle pour faire avancer la lutte contre la faim. Et pour finir, je voudrais présenter à cette éminente assemblée diverses suggestions sur la manière de contribuer concrètement à créer l'engagement politique nécessaire pour mettre un terme à la faim généralisée.

Bread for the world

En 1974, un pasteur dénommé Arthur Simon et d'autres responsables ecclésiastiques apprenaient, à la lecture des rapports de la première Conférence mondiale de l'alimentation, qu'il était possible de vaincre la faim dans le monde en mobilisant la volonté politique nécessaire. Ils ont donc adressé une invitation aux particuliers et aux églises sur tout le territoire des États-Unis, pour la constitution d'un réseau qui puisse faire pression sur les élus de notre nation en les poussant à redoubler d’efforts pour éliminer la faim.

Bread for the World compte aujourd'hui 57 000 membres, dont 2 500 congrégations. Nous mobilisons chaque année 250 000 contacts d'électeurs avec des membres du Congrès. Nous rassemblons un large éventail d'églises chrétiennes et travaillons conjointement avec des organisations juives, musulmanes et laïques. Bread for the World aide les personnes intéressées à en savoir plus sur les enjeux politiques importants pour les populations victimes de la faim, puis nous organisons des campagnes nationales pour faire voter des lois pour la lutte contre la faim. Nous sommes fiers de partager notre nom avec le mouvement allemand homonyme, mais nos organisations sont tout à fait distinctes.

J'estime que la meilleure façon d'expliquer Bread for the World est de vous parler de nos membres à Birmingham, en Alabama. Il y a une dizaine d'années, une jeune mère, Pat Pelham, et son amie Elaine Van Cleave se sont mobilisées sur les enjeux de Bread for the World. Étant croyante, Pat s'était sentie appelée par Dieu à faire quelque chose contre la faim en Afrique. Ces deux femmes sont presbytériennes, mais c'est un prêtre catholique, le Père Martin Muller, qui leur a fait connaître Bread for the World. Pat et Elaine ont commencé par organiser une manifestation auprès de leur église, à laquelle est intervenu leur représentant au Congrès, Spencer Bachus.

En 1998, des activistes britanniques ont lancé la campagne Jubilee pour l'annulation de la dette des pays pauvres. Aux États-Unis, des organes ecclésiastiques et Bread for the World ont préparé un projet de loi à soumettre au Congrès. Puis en 1999, Spencer Bachus a été nommé président du sous-comité responsable au sein du Congrès. J'ai donc téléphoné à Pat Pelham.

Pat et Elaine sont venues à Washington. Elles ont apporté une pétition signée par 400 membres de l'église du Père Muller. Spencer Bachus déclare aujourd'hui ouvertement qu'à l'époque il ne savait pratiquement rien sur la pauvreté ou la dette internationale. Mais ses électeurs parlaient avec le cœur, expliquant combien ces thèmes étaient importants pour eux, et Spencer Bachus est ainsi devenu un partisan influent de la réduction de la dette des pays à faible revenu.

Les membres de Bread for the World à Birmingham ne se sont pas limités à une seule réunion. Ils ont lancé d'autres initiatives communautaires – cette fois pour célébrer le rôle de chef de file de Spencer Bachus dans ce domaine. Ils ont convaincu le journal local à consacrer des articles à la question. Ils ont mobilisé une vingtaine d'églises à Birmingham en invitant leurs membres à écrire au Congrès. Ils ont créé une volonté politique.

Partout aux États-Unis, des dizaines de milliers d'autres personnes s'efforcent de la même façon d'obtenir le soutien de leurs représentants au Congrès. Dans de nombreux pays, des groupes ont pris une part active dans la campagne Jubilee. Au bout du compte, les paiements annuels de la dette de 25 pays parmi les plus pauvres du monde, ont été réduits de 1 milliard de dollars par an. Dans ces pays, le nombre des enfants scolarisés a nettement augmenté, tout comme celui des médicaments disponibles auprès des dispensaires ruraux.

Je me suis rendu en Ouganda l'an dernier où j'ai pu rencontrer des petites filles en fin d'études primaires – et cela parce que l'Ouganda avait pu utiliser des ressources destinées au paiement de la dette pour éliminer les frais de scolarité. Les filles qui savent lire et écrire deviendront de meilleures mères et des cultivatrices plus performantes.

Lorsque le Président Clinton a signé la loi qui finançait l'intervention des États-Unis dans l'allègement de la dette des pays pauvres, j'ai été invité à le présenter. Le Président Clinton a reconnu à Spencer Bachus le mérite d'avoir joué un rôle crucial dans l'obtention de l'approbation du Congrès. Et j'ai remercié Pat Pelham, Elaine Van Cleave et Martin Muller. Je ne crois pas que le monde aurait annulé les dettes des pays à faible revenu si ces personnes n'avaient pas exercé une pression aussi efficace sur leur représentant au Congrès.

Bread for the World aide les individus et les groupes concernés à exercer une influence. L’organisation nationale organise des campagnes, dirige les travaux de Washington et fournit appui et matériel à nos volontaires travaillant au niveau local.

Depuis l'adoption de la loi sur l'allègement de la dette en 2000, Bread for the World s'est efforcé d'amener les États-Unis à renforcer leurs programmes d'aide au développement ciblant la pauvreté. De fait, les États-Unis ont doublé leur aide au développement dans les cinq dernières années, et Bread for the World a été l'un des artisans de ce succès. L'an dernier, le mouvement a joint ses forces avec Bono, la rock star irlandaise, et de nombreux autres groupes, dans le cadre de la campagne ONE. Il s'agit de l'incarnation américaine de l'initiative des objectifs du Millénaire, et un million et demi de personnes (dont de nombreux jeunes) reçoivent actuellement des courriers électroniques d'information concernant cette campagne et la lutte mondiale contre la pauvreté et le SIDA. Les concerts Live 8 de cet été – dont l'un s'est justement tenu tout près d'ici – nous ont aidés à convaincre le Président Bush et ses collègues du G8 de prendre l'engagement de réduire ultérieurement la dette et de renforcer l'aide au développement en faveur de l'Afrique et d'autres régions pauvres du monde.

Au cœur même des États-Unis, 38 millions de personnes appartiennent à des ménages en situation d'insécurité alimentaire. Il ne s'agit pas d'individus aussi sous-alimentés que les 850 millions de personnes qui souffrent de la faim dans les pays en développement. Mais dans de nombreux foyers américains à faible revenu, on manque parfois de nourriture. Bread for the World oppose donc actuellement une résistance aux propositions du Président Bush et de nombreux membres du Congrès, de réduire le programme de coupons alimentaires et d'autres dispositifs d'assistance aux personnes à faible revenu dans notre pays. Nous insistons au contraire pour qu'ils adoptent le Hunger-Free Communities Act, ce qui confirmerait ainsi leur engagement à réduire de moitié l'insécurité alimentaire aux États-Unis d'ici à 2010, et à aider les communautés à éradiquer la faim au niveau local.

Bread for the World est l'organisation chef de file de l'Alliance nationale des États-Unis contre la faim. Merci à vous et aux institutions des Nations Unies établies à Rome, pour avoir contribué au lancement de l'Alliance internationale contre la faim et d'alliances nationales dans de nombreux pays. L'Alliance nationale des États-Unis a rassemblé divers groupements religieux, œuvres de charité, fondations, corporations, syndicats et particuliers, pour mobiliser la volonté publique de mettre un terme à la faim dans notre pays et dans le monde entier. L’Alliance des États-Unis a fait des enquêtes et d’autres études sur l’opinion des électeurs concernant la faim. Une grande majorité des électeurs veulent que notre gouvernement prenne des initiatives efficaces pour réduire la faim dans notre pays et dans le monde entier. Des membres de l’Alliance prévoient de contacter ensemble des candidats probables au poste de Président des États-Unis pour les inciter à se prononcer en faveur d’initiatives visant à réduire la faim et la pauvreté.

J’ai parlé jusqu’à présent de ma propre expérience. Il existe divers moyens de créer une volonté politique, et les stratégies appropriées diffèrent selon les pays. Bread for the World et l’Alliance des États-Unis contre la faim constituent néanmoins un exemple de ce qui doit être fait, selon des modalités diverses, dans tous les pays et à une bien plus vaste échelle. La clé de la réduction de la faim est la mobilisation d'une volonté politique.

Mobiliser la volonté politique

Le monde reconnaît depuis longtemps qu'il est possible d'aller rapidement de l'avant dans la lutte contre la faim. Le coût de l'élimination de la faim dans le monde est aisément abordable. Les difficultés techniques et de mise en œuvre sont surmontables. La seule véritable contrainte est l'engagement politique. Dans les dernières décennies, de nombreux rapports et conférences sur la faim dans le monde se sont conclus par une liste de propositions d'action et par un appel au renforcement de la volonté politique.

Aucun rapport ou conférence ne devrait plus jamais se conclure ainsi. L'analyse devrait plutôt être poursuivie et aboutir à des propositions de mesures spécifiques pour mobiliser la volonté politique nécessaire.

Les gouvernements constituent le point de concentration de la volonté politique. Les programmes gouvernementaux peuvent réduire la faim – ou contribuer à l'aggraver – dans une large mesure. Les politiques gouvernementales établissent le cadre dans lequel les individus, le monde des affaires et la société civile peuvent contribuer à faire avancer la lutte contre la faim. Les responsables politiques ou les autorités, à titre individuel, sont donc en mesure d'apporter d'importantes contributions à ce combat.

Les individus qui détiennent le pouvoir, ont toutefois une marge de manœuvre limitée. Il est donc important de mettre en place des institutions gouvernementales chargées de réduire la faim et la pauvreté, et de les renforcer – par exemple en établissant un programme de vulgarisation à l'intention des petits exploitants agricoles dans les zones défavorisées du pays, ou bien une division de la nutrition au sein du ministère de l'agriculture.

Nous avons également besoin de personnes et d'organisations externes au gouvernement, qui poussent celui-ci à prendre des mesures pour réduire la faim. Les partis politiques, la société civile, les organisations de pauvres, les médias, les entreprises et les individus actifs ont tous un rôle à jouer dans la mobilisation d'une volonté politique. Et un engagement politique durable est fonction de la mise en place systématique d'institutions externes au gouvernement qui insisteront pour faire avancer la lutte contre la faim dans les prochaines décennies.

Les organisations internationales peuvent jouer un rôle. Elles exercent une influence sur les gouvernements et contribuent à la diffusion d'idées et d'informations aux populations du monde entier. La première Conférence mondiale de l'alimentation a engendré Bread for the World et bien d'autres groupes de lutte contre la faim.

Mobiliser une volonté politique est un projet et nécessite, à ce titre, un savoir-faire. Tout ce que Bread for the World sait quant à la façon de créer une volonté politique, est avant tout le fruit de notre propre expérience d'activistes. Nous avons cherché des études indiquant comment mobiliser une volonté politique pour réduire la faim et la pauvreté – et avons été surpris de n'être parvenus à réunir qu'une documentation restreinte. Une synthèse de ce que nous avons appris figure dans un document préparé pour l'équipe spéciale sur la faim du projet du Millénaire des Nations Unies. Ce texte est disponible sur les sites web de Bread for the World (www.bread.org) et de l'Alliance nationale des États-Unis contre la faim (www.alliancetoendhunger.org). Nous avons néanmoins besoin de nouvelles études de cas et d'analyses.

Créer une volonté politique a également un coût monétaire. Ceux qui s'efforcent de mobiliser un tel engagement, consacrent une grande partie de leur temps à recueillir des fonds, et les efforts de mobilisation sont souvent voués à l'échec par manque d'argent.

Bread for the World ne bénéficie d'aucun financement de la part du gouvernement des États-Unis. Nous savons pourtant que chaque dollar de notre propre budget peut permettre d'obtenir au moins 100 dollars de fonds publics pour des programmes efficaces d'aide à ceux qui souffrent de la faim. Notre expérience montre que le rendement des investissements effectués pour renforcer l'engagement est élevé. Cette proportion approximative montre toutefois également que les investissements doivent être bien plus importants. Selon une estimation prudente, la réalisation des objectifs du Millénaire pour le développement exigera une aide au développement supplémentaire de 50 milliards de dollars par an. Si nous voulons que les États-Unis contribuent à hauteur de 13 milliards de dollars à cet effort additionnel, il nous faudra des dizaines de millions de dollars de plus par an pour mener une action de promotion et de sensibilisation dans ce pays. Fort heureusement, les fonds destinés à la sensibilisation aux grands défis de la santé mondiale et de la pauvreté tendent à augmenter. Plusieurs grandes fondations apportent leur aide et les contributions publiques sont elles aussi en progression.

Le renforcement de l'engagement devrait également être l'un des éléments des nombreuses activités de développement mises en œuvre dans le monde entier, et doit être financé. L'aide publique au développement n'est pas applicable à certaines activités politiques, aussi devons-nous créer de nouvelles sources et filières de financement.

Les efforts de mobilisation d'un engagement au niveau même des populations pauvres sont particulièrement importants. Les programmes qui sont censés aider ces populations ratent souvent leur objectif ou bien manquent d'efficacité au point de mise en application. Les gouvernements ont généralement d'autres priorités et prennent des mesures qui ignorent totalement les besoins des plus pauvres ou qui leur nuisent. Mais les organisations de petits exploitants, les organisations communautaires, certains organismes religieux et certains partis politiques sont là pour plaider en faveur des populations pauvres.

Deux de mes collaborateurs se sont récemment rendus au Sénégal et ont été frappés par l'Union des groupements paysans à Mekhé, à 120 kilomètres de Dakar. Il s'agit d'une petite ONG. Son personnel est composé de 15 personnes, pour la plupart des résidents locaux de retour dans leur communauté après avoir fait des études universitaires. Les fonds extérieurs dont ils disposent sont limités, mais ils offrent aux agriculteurs des services de vulgarisation et d'alphabétisation, ainsi que des installations de stockage. Ils aident les paysans à acquérir un esprit d'entreprise et leur apprennent à défendre leurs intérêts. Ces activistes de Mekhé, au Sénégal, me rappellent ceux de Bread for the World à Birmingham, en Alabama.

La mobilisation d'un engagement parmi les populations pauvres commence à la base, mais elle a également un retentissement au niveau national. Aujourd'hui, en Éthiopie, des organisations non gouvernementales prennent de grands risques en dénonçant des manipulations qui menacent de saper les importants progrès accomplis par ce pays au cours des dernières années.

Recommandations

Permettez-moi maintenant de m'adresser à vous, responsables réunis ici à Rome en ce moment même, pour formuler quatre recommandations à votre intention.

Tout d'abord, je vous invite vivement à utiliser tout le pouvoir dont vous disposez dans votre pays, pour aider ceux qui souffrent de la faim et leur offrir des possibilités. En tant que responsables gouvernementaux, vous pouvez apporter un soutien à des politiques et des programmes qui aideront les populations pauvres des zones rurales à améliorer leurs moyens d'existence. Vous pouvez accroître les investissements publics dans l'assistance nutritionnelle aux personnes qui souffrent de la faim, et notamment aux jeunes enfants.

Vous pouvez ouvrir les portes du pouvoir aux groupements qui, dans votre société, représentent les intérêts des populations victimes de la faim. Lorsque des responsables en matière d'agriculture, comme vous, travaillent avec des associations de paysans pauvres ou des groupes de revendication, ils les aident à se renforcer. Je suis heureux de constater que l’initiative « Faim Zéro » du Brésil prévoit un renforcement des efforts pour mobiliser la société brésilienne autour de la réduction de la faim.

La deuxième recommandation qui vous est faite, est d'utiliser les réunions des prochains jours pour donner une impulsion au renforcement de l'aide au développement et du commerce.

Les nations du monde sont convenues d'augmenter l'aide au développement et d'améliorer l'utilisation des ressources financières dans les pays bénéficiaires de cette assistance. Vous pouvez contrôler les progrès réalisés dans ce domaine. Bread for the World a fait l'éloge du Président Bush lorsque celui-ci a promis cette année, à l'occasion du G8, de doubler l'aide au développement des États-Unis en faveur de l'Afrique d'ici à 2010 et de contribuer à faire doubler cette aide d'une façon générale. Je dois toutefois signaler qu'il permet maintenant à son propre parti de réduire de plus de moitié l'accroissement de l'aide au développement qu'il avait proposé pour l'année prochaine. Même ainsi, l'augmentation de l'aide au développement ciblée sur la pauvreté sera d'un milliard de dollars. Mais je demande au Président Bush de maintenir son engagement personnel dans ce domaine, afin de veiller à ce que notre nation tienne la promesse qu'il a faite en notre nom aux populations pauvres et affamées du monde.

Le cycle de négociations commerciales multilatérales de Doha pourrait offrir à des millions de personnes parmi les plus pauvres du monde, la possibilité d'améliorer leurs moyens d'existence. Elles tireraient avantage des réductions dans les subventions à l'agriculture qui faussent les échanges, d'un meilleur accès aux marchés des pays industrialisés et d'un accroissement de l'aide fournie aux pays pauvres pour renforcer leurs capacités de saisir les nouveaux débouchés commerciaux. Les négociations de Doha semblent toutefois au point mort et nous avons besoin d'une avancée décisive dès la réunion des ministres du commerce qui se tiendra le mois prochain à Hong Kong. Sans quoi, la conclusion d'un nouvel accord commercial multilatéral sera probablement retardée de plusieurs années.

L'Europe tend à être plus progressiste que les États-Unis en matière d'aide au développement, mais sa position actuelle sur les questions concernant le commerce agricole est, à mon avis, moins progressiste. Ce sont des enjeux difficiles et complexes, mais les personnes réunies ici sont particulièrement bien placées pour ouvrir la porte à la réussite du Cycle de Doha. Certains parmi vous peuvent-ils débloquer les négociations actuelles sur le commerce agricole? Si c’est le cas, le monde entier, y compris de nombreuses familles prises dans l’étau de la faim, profiteront de votre effort et de votre créativité.

Ma troisième recommandation est que vous renforciez l'Alliance internationale contre la faim. Pour ce faire, voici quelques suggestions:

Ø Créer des alliances nationales contre la faim dans d'autres pays, et renforcer le rôle des institutions non gouvernementales dans les alliances nationales.

Ø Approuver la proposition de la FAO de regrouper ses fonctions de communication et renforcer les effectifs attachés à l'Alliance internationale.

Ø Soutenir les efforts déployés par la FAO, le Programme alimentaire mondial et le FIDA pour contribuer au renforcement de l'engagement politique – leurs conférences et leurs rapports; le soutien de la FAO à l'Alliance internationale et à la Journée mondiale de l'alimentation; l'initiative « Walk the World » du Programme alimentaire mondial et son prochain programme de lutte contre la faim chez les enfants; et les intéressants travaux mis en œuvre par le FIDA pour renforcer les organisations de pauvres.

Ø Encourager la collaboration entre les trois institutions des Nations Unies chargées de l'alimentation dans leurs efforts de mobilisation du public. La société civile se rallie plus aisément autour de leurs dirigeants lorsque ceux-ci agissent de concert. Ils ont par exemple uni leurs forces à l'appui de l'Alliance internationale.

Ø Enfin, l'Alliance internationale (www.iaaph.net) devrait s'ouvrir plus largement aux initiatives complémentaires. La campagne Plus et Mieux rassemble des ONG de 25 pays dans un effort pour accroître la quantité et la qualité des financements pour l'agriculture, le développement rural et la nutrition (www.moreandbetter.org), et aujourd'hui il existe dans de nombreux pays des projets ou campagnes de grande envergure autour des objectifs du Millénaire (www.whiteband.org).

La quatrième et dernière recommandation concerne le Forum spécial qui se tiendra en septembre 2006. Dix ans se seront alors écoulés depuis l'engagement pris par les nations du monde de réduire de moitié la faim d'ici à 2015, et je vous recommande vivement de profiter de la manifestation du mois de septembre prochain pour renforcer l'engagement politique. Il est difficile d'établir si les grandes réunions internationales valent ce qu'elles coûtent. Il serait toutefois profitable de réunir les différentes organisations qui travaillent, de par le monde, pour éliminer la faim. De nombreux groupes de la société civile n'ont pas les moyens d'entreprendre des voyages internationaux. D'autres types d'institutions, y compris les corporations, les associations de paysans et les universités, devraient également être de la partie. L'Alliance internationale et la campagne Plus et Mieux ont déjà identifié les organisations concernées dans de nombreux pays. Les réunir donnerait vie à l'Alliance internationale et porterait un riche patrimoine d'expériences à l'attention internationale. Les organisations concernées du monde entier pourraient ainsi unir leurs forces pour promouvoir de nouveaux moyens d'action contre la faim. L’Alliance des États-Unis contre la faim voudrait aider à amener en septembre 2006 une gamme différente d’organisations concernées des États-Unis.

Les plans pour septembre 2006 devraient également prévoir un programme élaboré permettant d'assurer la couverture du problème de la faim et de la pauvreté par les médias. Serions-nous en mesure d'organiser une rencontre du Pape Benoît XVI avec Bono et Bill Gates en septembre prochain? Chacun d'eux parle au monde de la pauvreté mondiale avec une grande énergie, et ensemble ils pourraient nous convaincre tous que le monde n'aurait qu'à sortir de sa torpeur pour réaliser des progrès historiques contre la faim, la pauvreté et la maladie.

Le Sommet mondial des Nations Unies s'est penché cette année sur de nombreuses questions, et notamment sur les objectifs du Millénaire. Il pourrait être opportun, en 2006, de se concentrer sur le premier de ces objectifs – réduire l'extrême pauvreté et la faim. Certains gouvernements sont réticents à s'engager dans un sommet prévoyant la participation de chefs d'État, mais les sommets ne sont pas qu'apparat et grands discours. Lorsqu'un chef d'État prononce un discours, c'est l'ensemble du gouvernement qui se penche sur la question et prend parfois de nouvelles mesures. Est-il excessif de demander aux chefs d'État de se réunir au moins une fois par an pour évaluer les progrès du monde face à la pauvreté, à la faim et à la maladie? Y a-t-il quelque chose de plus important?

Étant croyant, je voudrais conclure par quelques mots à propos de Dieu. Je crois que Dieu aime l'humanité; que Dieu intervient dans l'histoire pour libérer les pauvres et les opprimés de la misère et de l'injustice; que Dieu utilise avec bienveillance les hommes – les personnes comme nous – afin qu'ils jouent un rôle actif dans cette merveilleuse libération.

Les personnes réunies dans cette salle sont issues de cultures et traditions très diverses. Mais nous savons tous qu'assurer aux enfants une nourriture suffisante est la chose juste à faire. Toutes nos traditions religieuses nous enseignent que permettre à 850 millions de personnes de souffrir de la faim n'est pas admissible.

Mettre un terme à la faim est une mission sacrée. Rien n'a autant d'importance.



David Beckmann est le président du mouvement Bread for the World, du Bread for the World Institute et de l'Alliance nationale des États-Unis contre la faim.

Bread for the World est un mouvement de citoyens qui exerce des pressions sur le Congrès et sur le Président des États-Unis afin qu'ils contribuent à l'élimination de la faim aux États-Unis et dans le monde entier. Bread for the World compte à son actif 32 années de succès législatifs. Le Bread for the World Institute mène des travaux de recherche et des activités de sensibilisation concernant le problème de la faim.

L'institut a organisé l'Alliance nationale des États-Unis contre la faim. Bread for the World est une organisation chrétienne pluriconfessionnelle, mais l'Alliance réunit une plus grande variété d'institutions – organisations juives, musulmanes et laïques, corporations, syndicats et associations de paysans. Le Département américain de l'agriculture et l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture y participent en qualité d'observateurs.

Beckmann est un pasteur luthérien et un économiste. Il s'est occupé des problèmes de la pauvreté auprès de la Banque mondiale pendant 15 ans, avant de passer à Bread for the World en 1991. Il a vécu et travaillé au Ghana et au Bangladesh. Il est diplômé de l'université de Yale, du Christ Seminary et de la London School of Economics.