Mars 1997

COAG/97/5

FAO

COMITE DE L'AGRICULTURE

Quatorzième session

Rome, 7-11 avril 1997, Salle Rouge

DEVELOPPEMENT RURAL, EN PARTICULIER REGIME FONCIER ET REVENUS NON AGRICOLES
Point 5 de l'ordre du jour provisoire

TABLE DES MATIÈRES

Paragraphes I.    INTRODUCTION 1-2

II.    L'IMPORTANCE DE LA REFORME FONCIERE POUR LA SECURITE ALIMENTAIRE 3-6

 -        Réformes foncières de la "troisième génération" 7-8

III.    L'IMPORTANCE DES REVENUS NON AGRICOLES ET DES BIENS DES MENAGES POUR LA SECURITE ALIMENTAIRE 9-11

 -     Choix d'activités du ménage en présence de marchés incomplets 12-14

IV.    INCIDENCES DE LA SECURITE DE JOUISSANCE POUR  L'INVESTISSEMENT DANS L'AGRICULTURE 15-17

 -        Quelle sorte de participation et d'accès les  marchés fonciers offrent-ils au rural pauvre? 18-20

V.    LE ROLE DES RESTRICTIONS A L'ACCES AUX REVENUS NON AGRICOLES 21-23

-        Effets sur la productivité dans l'agriculture 24-26

VI.    CONCLUSION 27-30

ANNEXE


I. INTRODUCTION

1. De nouvelles orientations et de nouveaux modèles apparaissent dans l'agriculture. La mondialisation accrue, la diminution des budgets du secteur public et l'apparition de nouveaux marchés ont entraîné de profonds changements dans les secteurs agricoles du monde entier, tant au niveau national qu'international. Ces orientations sont en grande partie exposées dans les engagements et objectifs de la Déclaration de Rome et du Plan d'action du Sommet mondial de l'alimentation (SMA) de 1996, et peuvent se résumer de la façon suivante:

Les grandes orientations du nouveau modèle agricole

2. Ces changements ne doivent pas être perdus de vue tout au long de l'étude qui suit, car ils permettent de mieux comprendre le contexte dans lequel se déroule le processus des réformes agraires.

II. L'IMPORTANCE DE LA REFORME FONCIERE POUR LA SECURITE ALIMENTAIRE 3. La réforme des régimes fonciers fait en général partie d'un processus plus large de réformes économiques et politiques. Afin de faire ressortir la dimension temporelle ou historique, on peut regrouper les réformes agraires en trois "types" ou "générations". Dans le premier type de réforme, la terre est apportée ou redistribuée par l'Etat en fonction de régles définies arbitrairement. Le second type de réforme a trait aux cas où la terre est achetée pour être redistribuée, et le troisième aux cas où la réforme agraire a lieu dans un cadre institutionnel de soutien global aux droits et à la sécurité. Et, tout aussi importante, la troisième génération de réformes agraires est différente en ce sens qu'elle ne concerne pas uniquement les groupes sans-terre, mais cherche aussi à utiliser les réformes comme moyen de renforcer le potentiel économique et productif des producteurs existants qui subissent les contraintes de dispositions foncières préexistantes et d'un dysfonctionnement institutionnel. De ces considérations, on peut tirer les conclusions suivantes:

a) La réforme agraire n'est pas uniquement un processus de redistribution. C'est également un moyen de reconnaître des dispositions existantes concernant des agriculteurs qui sont déjà en possession de terre.

b) La réforme agraire est fondamentalement une réforme institutionnelle et doit donc être accompagnée d'autres réformes, notamment d'ordre politique et institutionnel. Les seules réformes agraires ne suffiront pas à promouvoir de nouveaux investissements. La réformefoncière est une condition préalable nécessaire mais n'est pas un mécanisme d'investissement en elle-même.

4. La sécurité alimentaire a trois dimensions - la disponibilité, l'accès et la stabilité - et des niveaux variés d'agrégation - mondial, national, familial et individuel. Etant donné ce caractère pluridimensionnel, il apparaît clairement que la réalisation de la sécurité alimentaire universelle au niveau individuel, qui implique qu'elle ait été réalisée à tous les autres niveaux d'agrégation, est soit limitée soit facilitée par un ensemble de conditions sociales, politiques et économiques.

5. Les questions de sécurité alimentaire et de pauvreté doivent prendre en compte les processus de transition des anciennes économies dirigistes vers des économies plus ouvertes au marché. L'inadéquation du cadre juridique et institutionnel nécessaire au bon fonctionnement des marchés concurrentiels est un obstacle évident au processus de transition, particulièrement dans le secteur de l'agriculture. Les marchés ne fonctionnent pas dans le vide, ils ont besoin d'informations, de règles pour diriger les protagonistes, et d'institutions pour les faire respecter.

6. De nombreux pays en situation d'insécurité alimentaire sont largement tributaires de l'agriculture en termes de pourcentage de population rurale et/ou de contribution au PIB, et la pauvreté est toujours plus fréquente dans les zones rurales des pays en développement, où les habitants sans terre ou presque sans terre constituent le groupe le plus important de personnes souffrant de pauvreté. La production et la productivité agricoles sont une haute priorité dans les objectifs de progrès vers la sécurité alimentaire pour tous et de réduction de la pauvreté rurale; la réforme agraire joue un rôle important pour avancer dans ces deux directions.

Réformes agraires de la "troisième génération"

7. Les expériences des réformes agraires des première et seconde générations sont instructives. Même celles que l'on peut considérer comme positives sur le plan de l'ouverture de l'accès à la terre aux groupes qui en étaient auparavant privés, n'ont souvent pas réussi à mettre en place soit les orientations fondamentales soit les cadres institutionnels propres à promouvoir un développement rural durable pour les petits exploitants. En revanche, la réforme agraire de la troisième génération est axée principalement sur les réformes institutionnelles, ou plus précisément, considère que les institutions agraires sont des rouages essentiels pour arriver à la sécurité alimentaire. Premièrement, la réforme agraire de la troisième génération regarde l'accès aux biens de production - parmi lesquels la terre et l'eau sont déterminantes - comme la condition indispensable pour atténuer la pauvreté. Deuxièmement, elle tient compte des sources multiples de revenus au niveau du ménage agricole. Troisièmement, elle s'efforce de créer les conditions qui expliquent la relation inverse entre la productivité totale des facteurs et la taille de l'exploitation, fondée sur le net avantage des petites exploitations dans le domaine des coüts de surveillance grâce à l'emploi d'une main-d'oeuvre familiale. Quatrièmement, elle reconnaît que pour réussir ce type de changement, il faut rechercher délibérément la pleine participation et intervention des organisations de la société civile - depuis le niveau local jusqu'au niveau national, des collectivités, des ONG protagonistes, des ONG techniques, des associations d'agriculteurs, des chambres d'agriculture, etc. Cinquièmement, elle est fondée sur des alliances et coalitions. Ces coalitions sont convergentes, c'est-à-dire qu'elles réunissent des protagonistes de provenances diverses, ayant des opinions différentes et même contraires, autour d'un certain nombre de questions limitées, dans lesquelles ils ont tous un intérêt à défendre. Sixièmement, sachant que l'objectif principal est de combattre la pauvreté rurale, elle reconnaît la diversité des moyens de le faire.

8. Ces réformes de la troisième génération ne peuvent pas prescrire de processus linéaire ou déterministe. De même, elles ne doivent pas être maximalistes c'est-à-dire se fixer un objectif précis -comme l'éradication de la pauvreté - qui les empêche de faire quoi que ce soit d'autre s'il n'est pas atteint. Et, finalement, les réformes agraires de la troisième génération conviennent que le résultat final dépend de la production, de la productivité et de la compétitivité, car elles constituent le fondement du développement rural durable. La section suivante examine ce qui est devenu une autre donnée fondamentale.

III. L'IMPORTANCE DES REVENUS NON AGRICOLES ET DES BIENS DES MENAGES POUR LA SECURITE ALIMENTAIRE

9. L'importance de l'emploi et des revenus non agricoles peut être considérée tant du point de vue des objectifs et des stratégies du ménage, que de celui des collectivités rurales et du développementrural pour ce qui concerne la sécurité alimentaire. La diversification des revenus peut être un instrument puissant permettant aux ménages de détacher leur consommation de la production de leur exploitation et des fluctuations de leurs revenus (régularisation de la consommation). Le tableau 1 de l'annexe montre l'importance du revenu non agricole exprimé en pourcentage du revenu total des ménages agricoles ou ruraux, les chiffres provenant d'enquêtes effectuées dans trois régions en développement. Bien que les parts des revenus non agricoles soient très variables, les données montrent que, dans la plupart des cas, ce type de revenu représente une source très importante de moyens de subsistance pour les ménages ruraux.

10. L'utilisation du revenu non agricole comme source d'investissement constitue un lien important entre le ménage et la communauté rurale. L'utilisation du revenu non agricole pour l'investissement et l'amélioration de la productivité contribue à l'amélioration générale de l'activité économique dans les zones rurales. Ceci est particulièrement vrai pour la croissance agricole, qui peut se traduire par un développement rural général grâce à la création d'activités et d'emplois en amont et en aval de la production agricole, tandis que les augmentations de la productivité agricole libèrent de la main-d'oeuvre agricole au profit d'autres secteurs de l'économie.

11. L'analyse des répercussions des mesures d'ordre macro-économique au niveau des modèles de décision micro-économiques montre que l'accès aux diverses formes de capital est le facteur clé qui permet de déterminer les stratégies des ménages en matière de revenu et, donc, l'évolution probable du comportement et du bien-être des ménages lorsqu'ils sont confrontés à des changements d'ordre macro-économique. Carter et Mesbach (1993) ont procédé à une analyse de simulation relative au comportement de diverses strates de la population agricole chilienne sur le marché foncier pendant une période de forte croissance induite par les exportations agricoles. Le fait important dans ce modèle, et donc dans la définition du comportement de diverses classes de ménages ruraux, est que les ménages sont stratifiés selon les dotations en ressources (typologies des biens) qui laissent supposer des stratégies différentes. Chaque strate est sollicitée différemment par la capacité et le besoin relatifs qu'elle a de participer aux marchés des biens ruraux, sensibles au facteur taille.

Choix d'activité des ménages dans des conditions de marchés incomplets

12. En général, on peut distinguer deux séries de facteurs qui influencent la décision des ménages de diversifier leurs sources de revenu. Une première série est normalement liée à la notion de risque, qui inclut les rendements faibles et instables, les périodes de végétation de courte durée, l'absence d'irrigation, les problèmes touchant au crédit/capital/assurance, les mauvais marchés et les contraintes relatives à la terre, et elle est associée principalement à des motifs de réduction des risques des ménages. L'autre série comprend des facteurs "d'attraction" qui incitent à la redistribution des ressources dans des activités non agricoles pour tirer parti des possibilités d'accroître les revenus hors de l'exploitation. Ces facteurs comprennent, entre autres, les rendements intersectoriels des intrants, en faveur des activités non agricoles, les occasions de migration et les possibilités offertes dans les secteurs situés en amont et en aval d'un secteur agricole en croissance.

13. Les activités génératrices de revenus des ménages agricoles et des ménages ruraux dépendent du contrôle ou de l'accès qu'ils ont relativement aux actifs. Le portefeuille d'un ménage d'exploitants agricoles peut comprendre une gamme étendue de biens: terre et eau, capital productif, épargne et stocks alimentaires, capital humain, capital organisationnel, capital social, investissements dans de petites entreprises non agricoles, et capital de migration sous forme d'accès à un réseau de migration. Le portefeuille d'actifs déterminera dans une large mesure la répartition des ressources du ménage agricole entre les diverses combinaisons d'activités agricoles et non agricoles. Les changements dans le portefeuille d'actifs d'un ménage en faveur d'un bien particulier provoqueront vraisemblablement un transfert dans la répartition de ses ressources entre les activités génératrices de revenus. Le revenu provenant d'activités non agricoles influencera, à son tour, l'aptitude du ménage à acquérir des biens et donc sa future capacité de gains. Les ménages sont des entités prévoyantes qui, dans le cadre particulier des obligations qu'elles assument, utilisent (une partie de) leurs revenus pour constituer une base d'actifs qui corresponde mieux à leurs besoins de revenus et de sécurité. Ce que l'on constate à un moment donné (comme par exemple la correspondance entre le portefeuille d'actifs et les sources de revenus) est le résultat de décisions et actions antérieures liées à l'accumulation ou à la non-accumulation d'actifs.

14. Les décisions prises par le ménage agricole concernant l'ensemble de ses activités dépendent donc des mesures d'incitation existantes comme de leur aptitude à en tirer parti. Des ménages qui sont confrontés à des techniques et à des risques semblables et qui ont la même attitude devant le risque, pourront investir leurs ressources différemment s'ils ont des contraintes différentes du fait de leurs revenus, profils d'actifs et capacités de nantissement. L'investissement privé en agriculture est donc déterminé par des facteurs variés, comme la stabilité des régimes fonciers.

I V. CONSEQUENCES DE LA STABILITE DES REGIMES FONCIERS SUR L'INVESTISSEMENT AGRICOLE

15. Les incidences du mode de garantie de propriété ou d'occupation sur la disponibilité des crédits et la productivité agricole peuvent être ramenées aux effets de l'offre et de la demande. Les effets de la demande se produisent lorsque l'acquisition du titre foncier augmente la sécurité de l'exploitant agricole et la certitude qu'il ou elle sera capable de conserver la possession de la terre et de bénéficier des investissements améliorant la capacité productive de l'exploitation. Une plus grande sécurité est supposée intensifier les incitations à l'investissement, augmenter la demande de capital et de divers intrants complémentaires du capital et, ainsi, accroître la productivité agricole. Les effets de l'offre apparaissent lorsque la fourniture d'un titre de propriété sür et légal permet à un agriculteur d'accéder plus facilement à un crédit institutionnel moins cher et à plus longue échéance parce que la terre peut servir de garantie.

16. L'enregistrement des terres peut réduire les risques et les coüts de transaction pour certains propriétaires fonciers mais, notamment pour les petits propriétaires qui dépendaient auparavant de mécanismes fonciers coutumiers, les risques et les coüts de transaction peuvent en fait augmenter (par exemple, au Kenya). En ce qui concerne l'accès au crédit, les marchés financiers d'Afrique sont souvent inaccessibles aux petits exploitants, même s'ils ont un titre de propriété; le crédit bancaire qui va à l'agriculture peut être déterminé par d'autres facteurs que la rentabilité. La garantie de la terre est moins attirante ou utile en Afrique car les institutions financières hésitent, pour des raisons d'ordre culturel et administratif, à saisir une propriété foncière. Le revenu non agricole est de plus en plus considéré comme une garantie préférable, notamment dans les zones où il existe au moins quelques établissements d'épargne (pas nécessairement formels).

17. Des investissements dans des améliorations de la terre et dans de nouvelles techniques sont réalisés en Afrique, que le droit de propriété soit formel ou non, et les régimes fonciers locaux n'ont généralement pas eu de conséquences négatives sur la productivité. Même s'il n'existe pas encore d'études définitives et concluantes sur les effets à long terme de l'introduction de titres de propriété foncière sur les structures agraires, il semble que le seul titre foncier ne suffise pas à permettre de réaliser des améliorations importantes dans les niveaux de productivité agricole. Il peut conduire à une mobilisation plus importante de l'épargne rurale (lorsqu'elle est disponible), mais si plus de fonds ne sont pas mis à la disposition particulière des petits exploitants agricoles, les opérations de crédit n'augmenteront pas nécessairement, pas plus que les transactions foncières. Il faut donc un vaste cadre institutionnel et juridique qui ouvrira des perspectives plus lointaines aux décisions dans ce secteur, et pourra prendre en compte des facteurs comme la crédibilité des pouvoirs publics, et l'existence d'autres dispositifs permettant d'officialiser l'engagement des pouvoirs publics envers les petits exploitants.

Quelle sorte de participation et d'accès les marchés fonciers offrent-ils au rural pauvre?

18. Les marchés fonciers sont plutôt des marchés très locaux et très informels en matière d'actes de transactions et de droits de propriété ainsi qu'en matière de diffusion de l'information. La terre n'est évidemment pas un produit homogène et très souvent sa qualité varie à l'intérieur même de micro-régions. Les coüts de transaction sont souvent très élevés, ce qui barre l'accès pour les pauvres et dissuade les gros exploitants de participer. Dans de nombreuses circonstances, jusqu'à une époque récente, les réglementations limitaient ou interdisaient certaines formes de transactions foncières. Dans ces conditions, l'activité s'est poursuivie de façon très informelle, avec peu de transactions enregistrées et bien souvent seuls les droits d'usage ont été traités. Enfin, la nature informelle des transactions rend l'accès à l'information très inégal. Par exemple, la disponibilité d'une terre n'est souvent annoncée que par des réseaux de parents ou d'amis.

19. En Europe centrale et orientale, les marchés fonciers n'existaient pas et se mettent en place maintenant. Ceci se fait dans un contexte de confusion, en ce qui concerne les régimes d'allocationpour la privatisation des fermes d'Etat, et de crainte d'une prolifération ultérieure de minuscules exploitations fragmentées. Même si le mode de réforme agraire du passé doit être corrigé structurellement, les politiques d'ajustement structurel d'aujourd'hui doivent comprendre certaines formes de réforme agraire (par exemple, la création de marchés fonciers qui tiennent compte explicitement de la capacité de participation du rural pauvre; les questions de la sécurité des régimes fonciers). Les orientations dans ce domaine diffèrent aujourd'hui notamment sur deux points: a) l'utilisation de stratégies de marché et b) la reconnaissance des liens étroits existant entre les marchés fonciers et ceux des autres facteurs ruraux (capital et main-d'oeuvre).

20. Même si les marchés fonciers sont concurrentiels, il est peu vraisemblable que la terre soit transférée à ceux qui ont peu ou pas de terre. Pour financer l'achat de terre dans un marché concurrentiel des capitaux, le pauvre doit économiser sur sa consommation courante, ce qu'il ne peut se permettre. Dans ce contexte, la fragmentation signifie que des forces systématiques limitent la fluidité des transferts de terres des grandes exploitations vers les plus petites. La fragmentation se retrouve également dans le prix unitaire de la terre qui est, de façon systématique et appréciable, plus élevé pour les petites parcelles que pour les grandes; la plupart des ventes se font entre exploitations de tailles similaires.

V. LE ROLE DES OBSTACLES A L'ACCES AU REVENU NON AGRICOLE

21. En Asie, notamment en Asie du Sud, les ménages pauvres tendent à tirer leur revenu d'activités non agricoles, ce qui montre l'aspect "résiduel" de leur emploi; ils peuvent être disposés à accepter un revenu moyen inférieur pour avoir des flux de revenu plus stables. Pour les ménages à revenu intermédiaire, qui sont souvent spécialisés dans la production agricole intensive, la part des revenus agricoles est à peu près égale à celle des revenus non agricoles. Les revenus non agricoles tiennent une place plus importante dans les ménages disposant de revenus plus élevés, car ceux-ci ont plus facilement accès à l' éducation et sont plus aptes à diversifier investissement et emploi pour obtenir des salaires plus élevés dans un emploi productif.

22. Les caractéristiques de la production agricole, notamment les relations entre la terre et le travail, constituent un autre facteur déterminant de l'accès aux revenus non agricoles. Toutes choses égales d'ailleurs, on pourrait s'attendre à ce que, dans les zones où le rapport entre la superficie des terres et la main-d'oeuvre est très bas (comme c'est le cas dans la plus grande partie de l'Asie), la pression démographique et l'exiguïté des exploitations "poussent" les ménages les plus pauvres hors de l'agriculture à la recherche de revenus non agricoles. Au contraire, en Afrique, où les terres sont abondantes mais souvent de mauvaise qualité et où le travail est rare, les ménages pauvres ont tendance à rester dans l'agriculture, alors que les ménages plus favorisés sont mieux armés pour répondre aux incitations à participer aux activités non agricoles.

23. Si l'accès à l'éducation est le même pour tous, riches ou pauvres, alors le revenu non agricole peut avoir un effet d'égalisation et de réduction de la pauvreté. Cet effet peut être amplifié si les petits exploitants ont la possibilité d'accéder aux innovations technologiques en matière de production agricole.

Effets sur la productivité en agriculture

24. La nature des actifs et les types de contraintes des ménages déterminent très largement à la fois les motifs et les répercussions du revenu non agricole. La répartition des actifs en fonction de leur liquidité est un facteur important dans la décision du ménage de diversifier ses revenus. Si le crédit est accessible, les ménages sont d'autant plus incités à diversifier que la part de leurs actifs non liquides est importante. De même, l'incidence marginale du revenu non agricole devrait être d'autant plus forte que les actifs sont moins liquides et que l'accès au crédit est plus difficile.

25. Les possibilités de se procurer des revenus non agricoles peuvent affecter de façon substantielle la productivité agricole du fait de changements dans la volonté et l'aptitude des ménages à prendre des risques. L'augmentation des revenus due aux emplois non agricoles ou aux petites entreprises peut permettre à un ménage agricole de; a) accroître la superficie cultivée; b) utiliser plus d'intrants achetés du fait à la fois d'une plus grande liquidité et d'une plus grande sécurité en cas de mauvaise récolte; c) diversifier l'activité de l'exploitation par de nouvelles cultures ou de l'élevage ou bien étendre les cultures commerciales. D'un autre côté, les activités non agricoles peuvent concurrencer directement les nouvelles technologies pour ce qui est des ressources en main-d'oeuvre du ménage, empêchant l'adoption de nouvelles technologies à forte intensité de main-d'oeuvre.

26. Si les revenus non agricoles peuvent servir de garantie pour les acquisitions d'actifs agricoles, ils augmentent l'accès des ménages ruraux à ces actifs (y compris l'éducation et la formation). L'effet de "cercle vertueux" est évident: la croissance agricole offre aux ménages de nouvelles perspectives d'emploi et de diversification des revenus qui, à leur tour, incitent à augmenter les investissements dans les actifs agricoles et favorisent la croissance des secteurs agricoles et ruraux.

VI. CONCLUSION

27. L'examen des questions de régimes fonciers et de revenus non agricoles permet d'arriver à la conclusion générale qu'une multiplicité de facteurs affecte les incitations et les aptitudes des ménages à diversifier leurs activités génératrices de revenu et à parvenir à la sécurité de jouissance des biens.

28. Les politiques en matière de régime foncier doivent donc être définies dans un contexte beaucoup plus étendu qu'il ne l'est, et approuvées à un niveau supérieur à celui d'un ministère, à moins que son mandat ne couvre toute la chaîne de la production alimentaire et de l'emploi rural en même temps que les régimes fonciers.

29. On peut tirer de l'examen ci-dessus trois conclusions principales qui concernent les points suivants:

i) l'importance d'analyser les liens existant entre l'élaboration des réformes et la création des capacités institutionnelles, avec une attention particulière au rôle des institutions locales et des pouvoirs publics locaux dans les domaines de l'agriculture et du développement rural;

ii) la reconnaissance des dynamiques des stratégies génératrices de revenu au niveau du ménage et le besoin qui s'y rattache de procéder à des enquêtes, des études de cas et des analyses comparatives pour que les mesures adoptées soient mieux ciblées;

iii) la nécessité de promouvoir des partenariats et des alliances entre les associations d'agriculteurs, le secteur privé, les établissements universitaires ou les instituts de recherche et les pouvoirs publics, comme choix stratégique d'inclure les intéressés, là où la complexité de la chaîne de la production alimentaire est mieux appréhendée.

30. En raison de l'importance capitale que revêtent ces questions pour la FAO, le COAG est invité à fournir l'orientation nécessaire à l'action que doivent entreprendre la FAO et les gouvernements.


ANNEXE

Tableau 1

Pourcentage des revenus non agricoles par rapport au revenu monétaire rural total dans certains pays d'Afrique, et par rapport au revenu rural total de certains pays d'Asie et d'Amérique latine (1)

 

Pays

 

Année

Revenu

non agricole/monétaire

%

Libéria, Région de l'Ouest*

Tanzanie*

Chine, Province du Yunnan

Pakistan

Chili

Mexique, Ejidos

1973

1975

1992

1986-89

1994

1994

31

43

35-49

64

59

55

*     Comprend tous les ménages ruraux, pas nécessairement tous les ménages exploitants agricoles. Sources: Libéria, OIT (1982a); Tanzanie, OIT (1982b); Chine, Centre d'investissement de la FAO (1992); Pakistan, Adams (1994); Chili, Valdes (1995); Mexique, de Janvry et al. (à venir).

 

 (1) La définition de revenu agricole n'est pas uniforme dans toutes les enquêtes. Par exemple, dans certaines enquêtes, seules les récoltes sont prises en compte alors que dans d'autres l'élevage est également inclus dans la définition.