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Contrainte thermique chez les travailleurs manuels en zone tropicale

D. Lathia

DINESH LATHIA est chef du département de physiologie nutritionnelle, Fachhochschule Niederrhein, Mönchengladbach, République fédérale d'Allemagne. Il s'est inspiré dans le présent article de la thèse de doctorat écrite par A. Bremekamp et D. Schroeder.

Depuis une trentaine d'années, de nombreux chercheurs ont étudié l'influence de la chaleur et de l'humidité sur les performances physiques et les besoins alimentaires des gens qui vivent et travaillent en zone tropicale.

Bien que de nombreux facteurs influent sur la capacité de travail de la main-d'œuvre dans ces régions, les résultats de la recherche montrent l'importance primordiale d'une bonne alimentation pour une efficacité optimale.

Dans de nombreux pays tropicaux les travailleurs forestiers et autres reçoivent parfois une ration supplémentaire de chlorure de sodium sous forme de comprimés, afin de compenser les pertes de sodium dues à une transpiration intense et prévenir le stress thermique ou coup de chaleur. Pourtant, en dépit de nombreuses recherches, la valeur de cette supplémentation en sel reste incertaine vu les résultats contradictoires. D'après des études récentes, un excès de chlorure de sodium dû à un usage inconsidéré de comprimés de sel par des personnes en cours d'acclimatement à la chaleur pourrait entraîner de sérieuses carences en potassium.

En Asie du Sud-Est et dans beaucoup d'autres régions du tiers monde le régime alimentaire se compose principalement d'hydrates de carbone, tels que le riz, avec une faible ration de protéines, de légumes et de fruits. Le riz contient peu de potassium, lequel peut s'éliminer rapidement en cas de forte transpiration et de stress thermique, d'où risque d'hypokaliémie.

La présente étude a pour objet d'étudier les avantages et les inconvénients de cette supplémentation en sel. On a également tenté de récapituler les résultats de recherches récentes sur les carences potassiques et les malnutritions protéiniques et leurs effets sur les performances des travailleurs manuels en région tropicale.

MANUTENTION DU BOIS EN EQUATEUR le climat... le régime alimentaire... le labeur

Electrolytes

Les électrolytes sodium et potassium sont des minéraux indispensables à la croissance et à l'entretien normaux de l'organisme humain. Ils forment la majeure partie des éléments dissous dans les liquides organiques et contribuent de manière importante aux propriétés osmotiques intra- et extracellulaires. Le sodium et le potassium sont également responsables des processus électrophysiologiques dans les cellules.

La perte de sodium est généralement associée à la déshydratation, qui entraîne une diminution des liquides extracellulaires et un hématocrite inférieur à la moyenne en raison de la diminution de volume du sang. En outre la pression sanguine est basse et le pouls rapide. La soif est souvent absente, bien que la bouche soit sache. Le symptôme caractéristique est la présence de crampes dans les muscles des extrémités et de l'abdomen, particulièrement fréquentes chez les mineurs travaillant dans des puits à température élevée. Maux de tête, nausées, diarrhée, asthénie mentale et perte d'appétit peuvent également se manifester.

Il est maintenant bien reconnu que la perte de sodium peut intervenir sans qu'il y ait perte d'eau; c'est ce que l'on appelle l'«intoxication hydrique n. qui se produit lorsque la soif résultant d'une transpiration intense est étanchée par de l'eau non additionnée de sel.

Les principaux symptômes de la carence de potassium sont l'irritabilité, la faiblesse musculaire, la confusion mentale, la dilatation cardiaque et la paralysie intermittente. Elle évolue fréquemment en dépérissement chronique s'accompagnant de malnutrition, bilan azoté négatif prolongé, diarrhée et alcalose métabolique. Dans le cas du syndrome de Cushing, il peut également y avoir augmentation de l'excrétion de potassium.

Il se produit occasionnellement une hypersodémie, ou excès de sodium dans le plasma sanguin. La cause la plus fréquente est une perte d'eau rapide, comme par exemple dans le diabète insipide. L'hypersodémie peut également faire suite à une transpiration excessive, ou encore résulter soit d'une ingestion trop rapide de sels de sodium soit d'une hyperactivité du cortex surrénal.

L'hyperkaliémie, ou excès de potassium dans le sang, peut se produire dans le cas de défaillance rénale, de déshydratation avancée ou de traumatisme; elle peut également se produire dans la maladie d'Addison. On observe généralement une faiblesse musculaire et un état dépressif, et il peut y avoir risque de troubles cardiaques. D'autres symptômes couramment associés à l'hyperkaliémie sont un engourdissement et un picotement des extrémités, et une ulcération de l'intestin grêle.

Nutrition

De nombreux chercheurs ont fait des études poussées sur la nutrition et les performances physiques, et on peut en trouver une analyse détaillée dans beaucoup d'ouvrages de caractère général. Toutefois d'après d'importantes études nouvelles, les protéines ne sont pas utilisées comme aliments énergétiques lorsque la ration de calories est suffisante. On a observé que durant les périodes d'entraînement les athlètes n'utilisent pour couvrir leurs besoins énergétiques que leurs réserves d'hydrates de carbone, à condition que leur alimentation protéinique demeure suffisante. Par conséquent, un régime alimentaire riche en hydrates de carbone peut être recommandé pour une personne qui fait un exercice intensif prolongé, de façon à accroître le taux de glycogène dans les muscles qui accomplissent le travail le plus dur. Certains auteurs estiment que la ration de protéines ne devrait pas excéder 70 à 100 grammes par jour pour des ouvriers accomplissant un travail pénible. Une enquête nutritionnelle réalisée sur des ouvriers forestiers en Allemagne aboutit à un résultat comparable avec une consommation moyenne de protéines de 100 à 110 grammes par jour.

D'autres recherches ont montré que les pertes d'eau et de sel par la transpiration étaient le principal facteur responsable de la fatigue physique et diminuaient par conséquent l'efficacité d'un travail prolongé. Certaines études récentes indiquent la nécessité d'une supplémentation en eau et en sel à petites doses à intervalles fréquents au cours d'un effort physique intense.

CHARGEMENT DE GRUMES AU SRI LANKA à la chaleur s'ajoute la malnutrition

L'un des principaux mécanismes de régulation de la température du corps dans les climats chauds est la transpiration. La vitesse d'évaporation de la sueur dépend de l'humidité atmosphérique et de la vitesse de l'air. Sous les tropiques, où un haut degré d'humidité atmosphérique va généralement de pair avec une faible vitesse de l'air, l'évaporation de la sueur se trouve ralentie, ce qui augmente la transpiration et diminue la capacité de travail. Un chercheur a constaté que celle-ci était réduite de 50 pour cent lorsque la température s'élevait de 25°C à 34°C, avec un vent de 2 m/seconde.

OUVRIER FORESTIER EN AMÉRIQUE CENTRALE sa santé doit passer avant celle de l'arbre

Sous les tropiques, une consommation calorique réduite semble contribuer à maintenir une température corporelle satisfaisante. On a noté que la ration alimentaire des Touaregs était peu élevée tant en calories qu'en protéines. On n'a constaté aucune différence dans la forme physique et dans le rendement au travail en fonction de la ration de protéines chez des hommes soumis à des conditions climatiques variables. On a également montré que les pertes totales d'azote, au cours d'un travail de 6 heures et demie dans la chaleur, n'étaient pas liées à une transpiration abondante et que, par conséquent, rien ne semble justifier un régime riche en protéines dans les climats chauds.

Pertes d'électrolytes

On sait que la teneur en sels minéraux de la sueur dépend de l'intensité de la transpiration. Une transpiration abondante provoque la déshydratation. Dans ce cas la teneur totale en électrolytes de l'organisme diminue, mais la concentration ionique du sodium et des chlorures extracellulaires tend à augmenter.

Des études sur les effets de l'ingestion de chlorure de sodium sur le rendement du travail par forte chaleur n'ont montré aucun avantage pour des doses de sel élevées (30 g/j) ou moyennes (15 g/j). La perte de sodium et de chlorure chez un homme sain n'est, semble-t-il, importante que lorsqu'elle est causée par un jeûne prolongé, une transpiration intense ou une alimentation fortement déficitaire en sel pendant une longue période. Toutefois, certains ont soutenu qu'une carence en sel pouvait souvent apparaître aussi chez des hommes soumis à une contrainte thermique ou accomplissant un travail physique pénible.

On a de plus en plus de preuves d'une carence potassique causée par un excès de sel chez des militaires et des athlètes à qui on administre des comprimés de sel en pays tropical. De jeunes recrues et des joueurs de football qui s'entraînent sous un climat chaud et reçoivent une ration supplémentaire de sel sont sujets au manque de potassium. On a constaté que les pertes journalières de potassium dans la sueur et les urines, chez des sujets acclimatés à la chaleur travaillant sous des températures tropicales élevées, pouvaient être d'environ 116 mEq, pour une ration quotidienne de 97 mEq par jour, de sorte que le bilan du potassium était négatif.

Etant donné que de nombreux pays tropicaux sont également des pays pauvres, la malnutrition y est très répandue. Alors qu'une ration journalière de protéines de 70-100 g peut suffire pour des travailleurs manuels accomplissant un travail pénible par forte chaleur, il faut reconnaître que certains n'ont même pas cette ration. Il faut aussi se préoccuper de l'apport calorique, qui doit être satisfaisant.

Les résultats de la recherche ne permettent cependant pas de tirer des conclusions définitives au sujet de la supplémentation en chlorure de sodium. Cette question est très importante en ce qui concerne les travailleurs manuels et demande une attention immédiate, parce qu'en leur donnant des comprimés de sel en quantités excessives on risque de provoquer une grave carence en potassium. Dans les pays tropicaux, les autorités compétentes doivent se garder de sous-estimer ce problème du déficit en potassium chez les ouvriers forestiers et recommander une nourriture riche en potassium et pauvre en sodium afin de prévenir les coups de chaleur et d'éviter le danger d'un excès de sodium dans les liquides organiques.


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