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Structure juridique des réserves et parcs marins

Christian du Saussay

CHRISTIAN DU SAUSSAY enseigne le droit administratif à la faculté de droit de l'université de Nice. Il a travaillé pour de nombreux organismes gouvernementaux et internationaux, y compris la FAO, en qualité de consultant spécialisé dans la législation des parcs nationaux et des réserves naturelles.

Il est une toile de Salvador Dali représentant une fillette sur une plage, par calme plat, et qui soulève la peau de la mer pour voir ce qui se passe dessous. L'image évoque parfaitement ce sentiment général que la mer constitue un tout, enveloppé de sa peau, un monde différent du nôtre dans lequel les animaux prennent des formes étranges ou monstrueuses et les femmes des corps de poisson.

Aussi les législateurs ont-ils élaboré des droits particuliers pour réglementer les activités humaines ayant trait à la mer, qu'il s'agisse de la pêche, de la chasse, de l'exploitation minière ou de la pollution. Lorsqu'on s'est avisé de protéger certains espaces de la mer on y a transposé des institutions initialement conçues pour les aires terrestres. Les parcs et réserves naturels sont devenus marins. Dès lors la question se pose de savoir si à la spécificité du milieu océanique doit correspondre une spécificité du cadre législatif. Les pratiques suivies par les pays qui ont créé des parcs et réserves marins offrent autant de réponses que l'on en peut imaginer.

La mer est un monde en soi. Toutefois, juridiquement parlant' elle tend à emprunter aux administrations terrestres. On peut alors se demander si étant donné leur caractère spécifique les océans ne devraient pas être régis par une législation particulière

Il faut tout d'abord mettre à part une catégorie d'Etats qui ne se sont pas encore dotés d'un statut général des aires protégées ou de la conservation de la nature et qui procèdent par cas d'espèce. Le classement d'une aire dans ces pays va reposer sur une loi ou un décret ad hoc, et si l'on veut le rattacher à un texte de portée plus générale force sera d'utiliser des droits étrangers à la matière. Ainsi, le parc national de l'archipel de Los Roques au Venezuela est régi par la Ley forestal, et le parc de Tayrona en Colombie de même que le «refuge sous-marin» du Cap San Lucas au Mexique se fondent sur les lois relatives à la pêche maritime de ces pays1.

Parmi les pays qui ont adopté une législation des espaces naturels protégés, un premier groupe s'est servi de textes ne contenant aucune disposition particulière au milieu marin. C'est le cas de la France, du Kenya et des Seychelles2.

Un deuxième groupe s'est doté d'une législation applicable à la terre et à la mer, mais qui s'étend à la mise en valeur des aires marines. Par exemple, la loi japonaise du 16 mai 1970 sur les parcs naturels distingue les aires marines spéciales et les aires de parcs marins.

Le troisième groupe est constitué d'Etats qui ont promulgué une législation spéciale pour les parcs et réserves marins. Il s'agit entre autres de la Nouvelle Zélande, avec le Marine Reserves Act du 20 septembre 1971 et de Trinité-et-Tobago, avec le Marine Areas (conservation et mise en valeur) Act du 11 février 1970.

L'Australie occupe une place particulière, en ce sens qu'elle possède une législation générale: le National and Wildlife Conservation Act du 13 mars 1975, dont certaines dispositions visent les parcs et réserves marins. Mais de surcroît une loi fédérale ad hoc, le Great Barrier Reef Marine Park Act du 20 juin 1975, a été élaborée pour l'ensemble d'une côte longue de quelque quinze cents kilomètres³.

Devant cet éventail de possibilités il serait hasardeux de chercher à établir un jugement de valeur et à donner la préférence à une solution plutôt qu'à une autre. De plus, il faut tenir compte des techniques législatives propres à chaque pays. Le monde anglo-saxon est, en principe, accoutumé à des lois très précises et très détaillées. On y est donc conduit à prévoir des règles pour chaque objet et pour les parcs marins en particulier. La tradition juridique latine incline vers des rédactions courtes, limitées aux principes essentiels que le pouvoir réglementaire devra mettre en œuvre. Cela lui permet d'embrasser des matières relativement distinctes et rend peut-être moins nécessaire l'édiction d'un droit particulier aux aires marines.

RUINES ROMAINES SUR L'ÎLE TYRRHÉNIENNE DE GIANNUTRI pour délimiter la terre et la mer, la nature et la civilisation il faut une nouvelle législation

S'il n'y a donc pas lieu, ici, de trancher dans un sens ou l'autre, du moins peut-on, à travers l'analyse des législations particulières aux aires marines, dégager quelques éléments de réponse. Ces éléments s'ordonnent autour de deux grands thèmes: le statut juridique accordé aux parcs marins et celui des institutions qui les régissent.

Caractéristiques des parcs marins

Dans l'examen de ces lois, nous essayons de cerner la notion juridique de parc marin et d'étudier les mesures de protection à leur appliquer.

La notion de parc marin est l'aboutissement de deux approches convergentes: celle des finalités assignées à l'aire et celle de sa composition naturelle.

Les finalités des parcs marins, à l'exception de celles assignées au Great Barrier Reef Marine Park d'Australie, sont en tous points identiques à celles des aires terrestres.

Dans leurs déclarations de principe les législateurs affirment en effet vouloir protéger certains éléments du milieu marin en raison de leur caractère unique ou des menaces qui pèsent sur eux ainsi que de l'intérêt qu'ils présentent pour l'étude scientifique, et en permettre la fréquentation ou l'observation par le public. Ces différents buts n'étant pas toujours facilement conciliables, on tend à spécialiser les aires protégées. C'est pourquoi le Conseil de l'Europe, dans sa classification bien connue, distingue entre quatre types de zones, A, B. C, D, suivant que l'on y envisage la stricte conservation de la nature ou, à l'autre extrême, que l'on y donne la priorité aux activités de loisir. On admet généralement, malgré les différences de terminologies nationales, que les réserves intégrales correspondent à la catégorie A; que les réserves classées en B supposent une bonne protection du milieu naturel, compatible éventuellement avec une fréquentation publique réglementée, tandis que les parcs nationaux sont tenus de l'admettre. Enfin, les parcs naturels, classés en C ou D, tolèrent des incursions massives et constantes par l'homme. Toutes ces catégories sont représentées dans les aires marines4, mais il y a en l'occurrence un certain déplacement d'objectifs. Les parcs naturels ont été conçus pour faciliter le contact des citadins avec la nature dans un milieu où il existe déjà des établissements humains et où les activités économiques sont aussi intenses que possible. En d'autres termes, les National Parks anglais, les Natur-park allemands ou les parcs régionaux français représentent un aménagement privilégié du territoire. Or, il n'est pas du tout évident que le besoin qu'éprouve le citadin de communier avec la nature sera satisfait dans un parc marin comme il l'est dans une forêt, et il n'est pas question d'y mener des activités agricoles ou artisanales. En fait, il s'agit plutôt de contenter la curiosité de l'homme pour la mer. Si l'on se réfère au modèle le plus achevé du genre, les parcs marins japonais, on a le sentiment d'être en présence d'une sorte d'«anti-aquarium» En effet les critères qui guident le choix de ces zones sont significatifs. Ils comportent5:

- Une topographie caractéristique des fonds marins, une faune et une flore abondantes.

- Des eaux transparentes, à l'abri de toute perturbation ou pollution.

- L'absence de courants marins trop rapides ou de vagues trop fortes.

- Un espace suffisant à terre, pour y construire des quais, des restaurants, des centres d'exposition, des parcs à voitures, etc.

- L'absence de tout risque de destruction du paysage sous-marin par des activités industrielles quelles qu'elles soient.

En un mot, tout est organisé pour la visite en bateau à fond de verre ou par la voie de galeries sous-marines. Au lieu d'apporter les poissons à terre, on amène les hommes sur l'eau ou sous l'eau. Mais la médiation du verre reste indispensable à cette nouvelle forme de spectacle.

Enfin, il convient de signaler qu'une des législations étudiées, en Colombie6, donne pour motif de la création d'un parc national marin son «importance pour la reproduction d'espèces de grande valeur aux fins de pêche industrielle» S'agissant des réserves terrestres de chasse ou de pêche, on considère, encore que la question soit controversée, que celles-ci n'entrent pas dans les aires de protection de la nature car on y prend des mesures pour assurer l'amélioration génétique et le développement des espèces de gibier. En va-t-il de même pour les frayères marines? Sont-elles de véritables réserves naturelles? Il faut convenir que la loi citée ne prévoit aucune opération de nourrissage, de repeuplement, d'éloignement des prédateurs ou de sélection des meilleurs reproducteurs.

C'est le Great Barrier Reef Marine Park en Australie qui offre une véritable originalité. Comme il a été dit plus haut, ce parc couvre l'ensemble de la côte nord-est de l'Australie, approximativement depuis le détroit de Torres jusqu'à Brisbane, sur quelque quinze cents kilomètres. Mais les différentes zones du parc ne sont pas d'un seul tenant. Simplement, toutes terres ou portions de mer comprises dans les limites du parc peuvent être déclarées aires du parc sans qu'il y ait nécessairement continuité entre elles. Il faut ajouter que le parc est doté d'une autorité propre, distincte des services qui gèrent les autres parcs et réserves australiens.

Cette autorité a pour mission d'élaborer et de mettre en œuvre un plan général des zones du parc compatible avec les objectifs suivants7:

«a)... la conservation de la Grande Barrière.

b) La réglementation des utilisations du parc de manière à protéger la Grande Barrière tout en permettant les utilisations raisonnables de sa région.

c) La réglementation des activités exploitant les ressources de la région de la Grande Barrière afin de réduire au minimum les effets de ces activités sur cette dernière.

d) Le classement de plusieurs aires de la Grande Barrière pour la fréquentation du public.

e) Le classement de plusieurs aires de la Grande Barrière pour être conservées dans leur état naturel, hors de toute atteinte humaine, aux fins d'observations scientifiques.»

D'après le libellé de ces dispositions on voit que la formule de parc est utilisée non pour préserver telle ou telle zone, mais pour placer sous une autorité unique la planification de toute une façade maritime, et ce dans une région qui n'est nullement dépeuplée. La consultation rapide d'une carte géographique montre que l'on y trouve des cultures tropicales, des exploitations minières et un certain nombre d'agglomérations humaines.

Toutefois, un parc marin n'est pas seulement une aire affectée à telle ou telle finalité. Il faut encore se demander dans quelle mesure il est entièrement fait d'éléments liquides ou comprend également des portions de terre.

Composition des parcs marins

La composition des parcs marins est à la fois horizontale et verticale.

Horizontalement, le parc s'étend vers le large jusqu'aux confins de la juridiction de l'Etat sur les eaux territoriales. L'évolution récente du droit de la mer et l'extension à 200 milles d'une zone économique exclusive au profit des Etats riverains posent la question de savoir si des parcs pourront être établis dans cette zone. D'un côté l'Etat riverain se voit reconnaître le droit d'y réglementer l'exploitation des ressources naturelles, d'un autre il ne peut s'opposer au libre passage des navires fût-ce pour la protection de l'environnement. Dans l'un et l'autre cas, les textes fondamentaux, à l'exception de la loi néo-zélandaise et de celle de Trinité-et-Tobago, ne limitent pas les possibilités d'extension des parcs vers le large.

Côté terre, la loi néo-zélandaise borne les parcs à la laisse de haute mer8. Mais elle constitue une exception. Le Marine Areas Act 19709 de Trinité-et-Tobago précise que les aires marines comprennent «toute terre adjacente ou marais formant une même entité écologique avec l'espace sous-marin» Les autres textes font état du «rivage» (Seychelles, National Parks and Nature Conservancy Ordinance 1969-1973, s. 2) ou, d'une manière plus générale, des parcelles terrestres des parcs comme en Australie le Great Barrier Reef Marine Park Act 1975, s. 3110. Outre qu'elle facilite la gestion, l'extension du parc marin vers l'intérieur permet, comme le laisse entendre la loi de Trinité-et-Tobago, de maîtriser les phénomènes terrestres qui ont une incidence sur le milieu marin voisin. Mais on peut aussi y parer d'une autre manière en étendant le champ des pouvoirs réglementaires nécessaires pour protéger un parc au-delà de ses limites. Quant à la délimitation concrète des espaces classés elle est laissée aux actes de classement qui procèdent par référence à des points géographiques, en particulier les longitudes et latitudes.

A la verticale, c'est dans le Great Barrier Reef Marine Park Act de 1975 que l'on trouve les dispositions les plus détaillées: celles-ci prescrivent en effet, pour le sous-sol en dessous du lit de la mer, une profondeur correspondant à celle spécifiée dans l'acte de classement et pour l'espace aérien, au-dessus de la surface, une hauteur définie de la même manière, y compris la terre, les eaux de toute mer renfermée dans la zone et son lit. Les textes d'autres pays, tout en étant bien moins précis, garantissent un contrôle de facto sur les aires de parcs par le jeu des mesures de protection.

Mesures de protection des parcs marins

Ces mesures sont décrites en détail dans les textes fondamentaux des pays de droit coutumier. Certains réglementent directement la matière en définissant toute une série d'infractions11. D'autres confient ce soin à l'autorité réglementaire. Mais dans ce dernier cas, le législateur énumère avec tout autant de détail les points précis qui feront l'objet d'interdictions ou de restrictions12. Il est d'usage d'y ajouter une disposition conférant à l'administration le pouvoir de prendre, en outre, toute mesure qu'elle estimera nécessaire au respect des principes et directives posés par le législateur, ceci afin de laisser toute latitude pour prescrire des mesures d'application.

Une très large place est donnée aux aspects répressifs de la protection. Toutes les législations étudiées habilitent les gardes et surveillants des parcs à contrôler sacs, récipients et véhicules ainsi qu'à saisir tout objet suspect. Les sanctions, qui comportent souvent des emprisonnements de courte durée, sont assorties de mesures restitutoires, dont la remise au parc de spécimens, objets et véhicules ou le paiement à leur pleine valeur marchande de la ressource naturelle (animal, roche, etc.) illégalement prélevée, ou encore le versement d'une indemnité pour la remise en état de lieux endommagés.

Mais il n'y a rien dans ce type de dispositions qui soit particulier au milieu marin, si ce n'est le droit d'intercepter un navire pour l'inspecter et éventuellement le saisir.

Protection de la nature contre toute atteinte

Les lois protégeant la nature contre les méfaits de l'homme sont presque partout les mêmes. Elles interdisent toutes de tuer, blesser, capturer, ramasser, endommager ou perturber tout animal, végétal ou minéral, y compris par l'introduction d'espèces étrangères13a.

L'eau de mer fait l'objet de protections spécifiques. Ainsi, la législation néo-zélandaise interdit de «décharger ou provoquer le déchargement, directement ou indirectement, de toute substance toxique ou polluante nuisible à la vie animale ou végétale»13b. Pour la loi japonaise un délit est constitué par le fait de déverser dans la mer tout liquide ou de le laisser s'écouler à partir du rivage, ou encore de capter de l'eau de mer en surface ou depuis la terre au moyen d'une canalisation14. D'autres textes vont plus loin et tentent de prévenir les risques d'altération du milieu marin à partir de points situés hors des limites du parc. En Australie, le Great Barrier Reef Marine Park Act donne pouvoir de «réglementer ou prohiber tout acte qui, commis dans le parc marin ou partout ailleurs, peut polluer l'eau d'une manière préjudiciable pour les animaux et plantes du parc» (s. 66 [2] [e]).

Plus limitée dans sa portée, la loi japonaise interdit d'élever ou d'abaisser le niveau des rivières et lacs compris dans les limites d'une aire marine spéciale ou le volume de leurs eaux. A la périphérie, mais là encore en dehors des frontières du parc, il est interdit de changer l'aspect du lit de la mer dans un rayon d'un kilomètre autour de celui-ci15.

S'il est relativement aisé de formuler les interdits les plus absolus, on sait qu'en pratique la protection de la nature suppose une réglementation harmonieuse des activités humaines qui s'y exercent.

Réglementation des activités humaines

La réglementation des activités humaines, qui constitue le problème majeur dans les parcs terrestres, du moins en Europe, doit faire face, dans le cas des parcs marins, à des conditions très particulières.

La plupart de ces zones, pour ne pas dire toutes, sont du domaine public. La propriété privée de la terre se limite à des îlots exigus. Il est donc facile, dès lors qu'elle devient gênante, de l'évincer par achat ou expropriation sans grever à l'excès le budget. En règle générale, l'Etat a maîtrise des fonds et de la surface de la mer. Par ailleurs, l'accès aux aires marines, qui exige le recours à des bateaux, est moins facile que l'accès aux espaces terrestres, ce qui réduit l'afflux des visiteurs et facilite la surveillance.

Toutefois, les littoraux sont le théâtre de toutes sortes d'activités que les législateurs ne peuvent ignorer: vie matérielle des habitants du parc, sports et loisirs nautiques, entreprises économiques et navigation.

Dés l'instant où l'on admet que des particuliers peuvent résider de façon permanente sur telle ou telle île d'un parc, il faut leur permettre de mener le genre de vie auquel ils sont habitués. Cela suppose l'assouplissement de règles autrement trop strictes comme celles qui sont appliquées dans les parcs terrestres pour la cueillette des fruits par exemple. Mis à part le cas très spécial des mesures prises en faveur des aborigènes en Australie ou des Maoris en Nouvelle-Zélande, une seule des législations étudiées aborde ce problème: le règlement du parc national marin de Ste-Anne, aux Seychelles. Ce texte accorde aux résidents le droit d'accéder à leur propriété en bateau, «d'échouer, de caréner, de nettoyer, de gratter ou de peindre, une embarcation ou un navire» dans les limites du parc. Ils peuvent également en tirer leur subsistance. La commission du parc peut délivrer aux familles des licences permettant de poser des casiers à poissons, de pêcher à la ligne ou de ramasser des coquillages dans des conditions très strictes et toujours sous son contrôle16.

Les sports et loisirs nautiques sont normalement circonscrits à certaines zones des parcs établies à cet effet et régis par une réglementation de la circulation des personnes. Aux termes du règlement du parc Ste-Anne il est interdit d'«utiliser ou de permettre l'utilisation d'une planche de surf ou de pratiquer le ski nautique» (art. 5).

Les activités économiques telles que l'aquaculture ou l'extraction minière suscitent deux attitudes diamétralement opposées. Le législateur néo-zélandais fait prévaloir ces intérêts sur ceux de la conservation du milieu naturel marin. Les aires cédées à bail ou sous licence pour l'établissement de fermes marines ne peuvent être légalement classées en réserves marines. L'institution d'une réserve ne met pas directement fin aux permis d'exploitation minière en vigueur ni n'empêche la délivrance de nouvelles autorisations. En principe l'exploitation de ces permis, anciens ou nouveaux, doit être compatible avec la réglementation appliquée dans la réserve. En réalité, comme cela est impossible sans la cessation de toute activité minière, la loi prévoit une exception à la règle générale en accordant dans certains cas le droit de se livrer, dans une réserve marine, à toute activité exigée au nom d'une exploitation minière.

Ces dispositions exceptionnelles sont établies conjointement par les Ministres de la marine et des mines. Enfin, le législateur invite le ministre à refuser le classement d'une réserve chaque fois que celui-ci «nuit indûment à toute entreprise ou intérêt fonciers dans la réserve ou au voisinage... à un droit de navigation,... à la pêche industrielle,... [ou] à tout droit d'usage de la zone à des fins récréatives...»17. Il faut préciser, pour que de telles dispositions soient appréciées à leur juste valeur, qu'en Nouvelle-Zélande le droit de déclencher la procédure administrative pour la création d'une réserve revient non seulement à l'Etat, mais aussi à d'autres entités et même indirectement aux simples citoyens. Le rôle du ministre en l'occurrence est d'user de son pouvoir pour s'y opposer en élevant des objections et en motivant ses décisions. Le législateur lui fournit à cet effet tout un arsenal juridique. Manifestement, on a voulu éviter les propositions inconsidérées et le règlement des litiges systématiquement en faveur des intérêts économiques. Dans les pays où la question ne se pose pas avec la même acuité, la loi interdit purement et simplement l'extraction minière. Le Great Barrier Reef Marine Park Act de 1975 permet aussi de réglementer ou d'interdire toute activité commerciale dans le parc18.

Toutes les législations évoquées ici traitent des problèmes posés par la navigation maritime. La loi australienne entend par navire tout «bateau, embarcation, radeau, ponton, ou tout autre moyen pour le transport de personnes ou marchandises dans ou sur l'eau y compris les aéroglisseurs»19 Pas plus que les autres textes, elle ne fait de distinction entre navigation de plaisance et navigation commerciale, entre la propulsion à voile ou celle à moteur. Le principe général est celui de la libre circulation des navires conformément aux règles du droit maritime. Mais cette circulation peut être réglementée, soit pour préserver certaines zones, soit pour fixer des itinéraires et des limites de vitesse. Elle peut par ailleurs être assujettie au paiement de redevances. Le droit de mouillage et d'accès à la côte est également reconnu, sous réserve que soient respectés les règlements de police. On sait les dangers que présente l'utilisation des ancres marines pour le milieu naturel et particulièrement pour les herbiers sous-marins. L'ancrage est formellement interdit par les textes néo-zélandais et seychellois; dans le Great Barrier Reef Mariné Park Act (Australie) il relève du pouvoir général de réglementer la navigation dans ledit parc20.

Dans cette tentative pour définir les caractéristiques des parcs marins on s'est attaché à celles des aires proprement dites, à savoir les finalités qui leur sont assignées, les milieux naturels qu'elles peuvent comprendre et les mesures de protection qu'elles supposent. Il s'agit maintenant de savoir dans quelle mesure les institutions administratives spécifiques s'occupent de ces caractéristiques.

Par «institution» on entend généralement à la fois l'objet créé et l'acte créateur. Le terme recouvre donc deux domaines distincts: l'administration des parcs marins et leur création.

Administration des parcs marins

L'administration des parcs marins se confond le plus souvent avec celle des aires protégées terrestres, les cas contraires étant assez exceptionnels.

On trouve une organisation administrative commune aux deux types de parcs en Australie, aux Seychelles et au Japon, avec une législation régissant l'ensemble des aires protégées et des dispositions particulières pour les parcs marins; pour ces derniers, cependant, il n'est prévu aucune institution administrative ou technique de gestion spéciales.

Ces trois pays ont adopté un système centralisé en ce sens que les parcs n'y jouissent pas d'un statut de société autonome. Cependant, ils ne sont pas directement gérés par l'Etat, mais par des entités ou des sociétés qui, elles, jouissent de la personnalité morale. Il s'agit du service de l'environnement au Japon, de la commission des parcs nationaux et de la conservation de la nature aux Seychelles et de la direction des parcs nationaux et de la faune sauvage, en Australie21. Ce sont les lois particulières aux parcs nationaux qui, aux Seychelles et en Australie, instituent ces organismes dont les attributions semblent limitées à la gestion - ainsi qu'à la création - des parcs et réserves sous la tutelle des ministères compétents.

L'organisation administrative distincte

C'est l'expérience australienne avec la Grande Barrière qui présente à cet égard le plus d'intérêt. En effet le Great Barrier Reef Marine Park Act de 1975 soustrait les littoraux du nord-est de l'Australie à la juridiction de la législation générale sur les aires protégées et les confie à un organisme autonome.

EQUATEUR. AU PARC NATIONAL DES ÎLES GALAPAGOS, UN IGUANE AFFRONTE UNE MOUETTE l'une des rencontres les moins agressives dans les parcs marins

Cet organisme est composé d'un président et de deux conseillers nommés par le gouverneur général (dont l'un est désigné par le gouvernement du Queensland). Il est doté d'un comité consultatif d'au moins treize membres, y compris le président désigné par l'organisme lui-même. Un tiers des membres est nommé par le gouvernement du Queensland, les autres par le ministère fédéral. Chacun d'eux représente un département ministériel ou autre service fédéral ayant des responsabilités dans la région de la Grande Barrière. Sans doute les institutions universitaires et scientifiques sont-elles susceptibles d'entrer dans cette dernière catégorie. La loi est très laconique sur ce point22.

Il s'agit surtout d'assurer la coopération des services publics de la fédération et de l'Etat du Queensland. Il n'est question ni des habitants, ni des associations de défense de la nature, ni des groupements privés intéressés, ni même d'un quelconque conseil scientifique. L'organisme dispose d'un appareil administratif et d'une force de police, le corps des «inspecteurs du parc». Les crédits de son budget lui sont directement votés par le parlement. Ses attributions sont de deux ordres: en premier lieu, il conçoit la politique d'aménagement de la Grande Barrière. Il est le seul habilité à recommander les aires à inclure dans le parc marin, à dresser des plans relatifs à ces aires et à arrêter les règlements connexes. Ces recommandations et plans de zones sont soumis à l'approbation du ministre et du parlement tandis que les règlements sont édictés par le gouvernement général, qui peut toutefois déléguer à l'organisme ses pouvoirs réglementaires23,

En second lieu, l'organisme assure la gestion des aires du parc et dispose à cet effet des pleins pouvoirs pour décider. Mais il doit se conformer aux directives du ministre sous la tutelle duquel il est placé. Aux termes de la loi l'organisme est habilité à coopérer avec d'autres institutions publiques et en particulier avec le gouvernement du Queensland. Il prévoit expressément la possibilité d'une coopération avec la Direction des parcs nationaux et de la faune sauvage. Ainsi, l'organisme peut proposer que certaines parties du parc soient déclarées «aires spéciales» administrées par la «Direction», en vertu du National Parks and Wildlife Conservation Act de 1975.

Création des parcs marins

Le dernier domaine dans lequel les législations étudiées apportent des éléments originaux, encore qu'ils ne soient pas particuliers aux parcs marins, est celui des procédures de classement.

A part peut-être Trinité-et-Tobago où il suffit, pour créer «une aire marine limitée», d'un simple arrêté ministériel sans autre formalité, les autres législations étudiées prévoient des procédures de classement plus ou moins complexes allant jusqu'à mettre en jeu la participation du public.

Dans les pays où la gestion des parcs marins est confiée à un service autonome, ce dernier a l'initiative des procédures de classement. A partir de cette première étape s'offrent plusieurs possibilités faisant toutes intervenir in fine l'approbation du gouvernement, après audiences publiques. Aux Seychelles le classement est prononcé par arrêté de la commission elle-même après approbation du gouvernement. En Australie, dans le cadre général du National Parks and Wildlife Conservation Act de 1975, le classement est effectué par proclamation du gouverneur général après examen par le conseil exécutif et rapport par la Direction des parcs nationaux et de la faune sauvage. Entre-temps, les responsables doivent établir un plan d'aménagement des aires en cause à soumettre successivement à l'approbation du ministre et des deux Chambres du Parlement. Celles-ci disposent d'un délai de vingt jours pour approuver tacitement le plan ou le rejeter par le vote d'une résolution. L'intérêt de ces procédures ne réside pas tant dans les instances qu'elles font intervenir que dans la place qu'elles donnent au public et autres parties intéressées.

Participation du public et des entités intéressées

La participation du public et des entités intéressées est organisée par le biais des enquêtes publiques habituelles. Toutefois la législation de la Nouvelle-Zélande va au-delà d'une simple consultation du public et lui reconnaît pleinement le droit d'initiative en la matière.

Les consultations sont régies par les règles relatives à la publicité et aux délais à respecter pour en garantir la régularité. Elles ne mériteraient pas de retenir l'attention si elles n'étaient assorties, en droit australien, de l'obligation, pour l'administration, d'étudier les objections élevées et d'en tenir dûment compte. Cette obligation vaut pour tous les niveaux de la procédure. L'organisme doit soumettre au ministre un dossier comportant les objections formulées par écrit au cours de l'enquête publique et ses propres réponses. Si le ministre juge utile de modifier le projet, il doit en aviser l'organisme. Les objections de ce dernier aux amendements apportés par le ministre et les motifs pour lesquels celui-ci s'en tient néanmoins à sa décision doivent alors être exposés au Parlement. On est ainsi assuré, à tous les échelons, de l'utilité pratique de la consultation, quelles que puissent être les démarches entreprises ultérieurement pour contester la décision finale.

La loi néo-zélandaise va plus loin dans l'association du public au processus décisionnel. Elle lui en donne l'initiative. «Aucune ordonnance [portant classement d'une réserve marine] ne sera prise... à moins: (a) qu'une université..., l'organisme responsable des parcs nationaux, une entité chargée d'administrer des terres riveraines de la mer en vertu du Reserves and Domains Act de 1953, ou encore toute société constituée... ayant pour objet l'étude scientifique de la vie marine ou l'histoire naturelle... saisisse le Secrétaire d'Etat à la marine d'une requête tendant à l'application de cette ordonnance»24, Etant donné la facilité avec laquelle peut être formée une société constituée, même pour l'étude de la vie marine, et en l'absence de toute autre spécification, la seule conclusion que l'on puisse tirer de ce texte est que le législateur reconnaît à chaque citoyen le droit de déclencher la procédure de classement. Après consultation avec le Secrétaire d'Etat à la marine le requérant doit annoncer publiquement son intention de présenter sa requête et inviter les «personnes qui souhaiteraient le faire» à formuler leurs objections dans les délais prescrits et sous la forme voulue. Ces objections sont adressées au Secrétaire d'Etat à la marine qui en donne copie au requérant afin que celui-ci puisse y répondre. Projet, objections et réponses du requérant sont alors transmis au Ministre de la marine qui peut saisir le Conseil des ministres ou rejeter le projet. Pour aussi intéressantes qu'elles soient, ces procédures néo-zélandaises ne sont pas particulières aux réserves marines.

On ne peut tirer aucune conclusion de cet examen limité de la spécificité juridique des parcs marins. On retiendra simplement que les législations qui y font expressément référence consacrent des dispositions originales à la définition de ces parcs et aux mesures de protection à adopter. Toutefois, elles placent ces parcs sous la gestion d'une administration commune à l'ensemble des aires protégées, à moins que les aires en question doivent embrasser un littoral si étendu qu'il faille de toute évidence les confier à un organisme distinct ou à un service s'occupant normalement de questions marines.

Notes

1. Venezuela, décret n° 1061, 9 août 1972. G.O. n° 29883, 18 août 1972, p. 223.

Colombie, résolution n° 903, 21 octobre 1969. D.O. n° 32958, 16 décembre 1969, p. 629.

Mexique, décret publié au D.O. n° 20, 29 novembre 1973, p. 6.

2. Kenya, Wildlife (Conservation and Management) Act, 1976 et Wildlife (Conservation and Management) Regulations, 1976.

Seychelles, National Parks and Nature Conservancy, ordonnance 1969-73.

3. Seule est prise en considération ici la législation fédérale. On peut toutefois signaler que dans le Queensland les parcs nationaux sont régis par le Forestry Act 1959-71. Lorsque cet Etat a voulu donner un fondement légal aux parcs marins, il s'est servi du Forestry Act, mais en y introduisant des amendements relatifs au milieu marin. «Act to amend the Forestry Act 1959-1968 in certain particulars with a view to providing for the establishment of Marine National Parks, 22 April 1971» (Cité sous le titre: Forestry Act Amendment Act, 1971).

4. La mention expresse de réserves strictes est rare. A titre d'exemple toutefois voir la section 32 (7) (e) du Great Barrier Reef Marine Park Act 1975, qui prescrit la défense de quelques zones de la Grande Barrière contre toute atteinte humaine, sauf aux fins d'observations scientifiques.

5. Critères de sélection des Marine Park Areas, in Marine Parks in Japan, mai 1975, publication du Marine Parks Centre of Japan, Environment Agency, page 4.

6. Colombie, résolution n° 903, 21 octobre 1969, par laquelle est réglementée la pêche dans la zone maritime du parc national naturel Tayrona. D.O. n° 32958, 16 décembre 1969, p. 629.

7. Australie, Great Barrier Reef Marine Park Act 1975, s. 32 (7).

8. Nouvelle-Zélande, Marine Reserves Act 1971, s.2. Les aires marines sont comprises dans la «mer territoriale de la Nouvelle-Zélande, telle qu'elle est définie par la section 3 du Territorial Sea and Fishing Zone Act 1965» et dans les eaux intérieures néo-zélandaises.

9. Trinité-et-Tobago, Marine Areas Act (conservation et mise en valeur) 1970, s.2. Les aires marines sont comprises dans la «mer territoriale».

10. L'annexe unique à cette loi définit les limites du parc. Celle-ci sont fixées, côté terre, à la laisse de basse mer de sorte que les «terres» incluses dans le parc ne peuvent être que des îles.

11. Nouvelle-Zélande, Marine Reserves Act 1971, s. 19. Offences within a reserve.

12. Australie, Great Barrier Reef Marine Park Act 1975, s. 66.

13a. Aux termes de la section 19 (1) (e) du Marine Reserves Act 1971 néo-zélandais, est considérée comme en infraction toute personne qui fouille, entaille ou abîme le lit de la mer, retourne toute roche, pierre ou galet.

13b. Ibid., s. 19 (1) (b). Voir aussi article 11 (c) de l'arrêté n° 58, 10 juillet 1973, portant règlement du parc national marin de Sainte-Anne (1973) (Seychelles).

14. Japon, Natural Parks Law 1970, article 27 (3) (4) et article 18-2 (3) (3).

15. Ibid., Natural Parks Law 1970, article 20 (1) (2) et (6).

16. The St Anne Marine National Park Regulations 1973, articles 3 (1) (b), 11 (b), 12, 13, 14 et 18.

17. Marine Reserves Act 1971, s. 3 (1) (5), (6), et 5 (6).

18. S 66(2). Pour les interdictions frappant les activités minières et analogues, cf. s. 38, ibid. et Natural Parks Law 1970, Japon, articles 20-1 (5) et 27-2 (3).

19. Great Barrier Reef Marine Park Act 1975, s. 4.

20. Nouvelle-Zélande, Marine Reserves Act 1971, s. 23; Seychelles, the St Anne Marine National Park Regulations, article 10, Australie, Great Barrier Reef Marine Park Act 1975, s. 66 (2) et (7).

21. National Parks and Wildlife Conservation Act 1975, s. 15: «(1) Il est constitué une direction des parcs nationaux et de la faune sauvage sous forme de société à succession en permanence. (2) La société a un cachet social, peut être poursuivie ou engager des poursuites sous sa raison sociale...»

22. Great Barrier Reef Marine Park Act 1975, s. 22 (b) (6).

23. Ibid., s. 66 (2) (a).

24. Marine Reserves Act 1971, s. 5 (l) (a).


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