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Les industries rurales contre la savane

E.M. Mnzava

E.M. MNZAVA est directeur du service des forêts de Tanzanie. Le présent article est tiré d'une étude de la FAO à l'intention de la Conférence des Nations unies sur les sources d'énergie nouvelles et renouvelables. Nairobi, août 1981.

En Tanzanie, le séchage du tabac ou du thé, le fumage du poisson, la brasserie, la briqueterie et la poterie consomment de grandes quantités de bois «gratuit», ramassé dans des savanes semi-arides que ne suffiront pas longtemps à satisfaire ces besoins

CONTRÔLE DE QUALITÉ DU CHARBON DE BOIS 1 t de charbon de bois = 6 m3 de bois = déboisement rapide

Le rôle du bois de feu et du charbon de bois pour satisfaire les besoins énergétiques des familles dans les pays en développement a retenu considérablement l'attention ces dernières années. Plus d'un tiers de la population mondiale utilise essentiellement, et dans certains cas exclusivement, ces sources renouvelables d'énergie pour la cuisine et le chauffage. Personne ne nie la gravité de cette situation, mais beaucoup parmi nous tendent à oublier un autre aspect de la crise du bois de feu dans les pays en développement, à savoir les graves difficultés d'approvisionnement en bois de feu que connaissent les industries rurales: il faut de l'énergie pour le séchage du tabac et du thé, le fumage du poisson, la poterie, etc. Ainsi, alors que les pouvoirs publics encouragent pour des raisons évidentes l'utilisation de briques au lieu de parpaings de ciment pour la construction dans les campagnes comme dans les villes, on ne parle guère de la source d'énergie nécessaire à la cuisson de ces briques: le bois de feu. Il en va de même pour les autres industries rurales.

Environ 87 pour cent de la population vivent dans les zones rurales, essentiellement de l'agriculture. Les principales cultures vivrières sont le maïs, le sorgho et le blé; les cultures de rapport sont le café, le coton, le tabac, le thé, la noix de cajou, le pyrèthre et le sisal. Un grand nombre d'industries rurales sont basées sur ces cultures de rapport.

L'économie nationale est dominée par le secteur agricole qui fournit 40 pour cent du PIB et les quatre cinquièmes des exportations, mais l'essentiel de la production reste dans le secteur de l'autoconsommation. L'agriculture en grand n'occupe que moins de 1 pour cent de la superficie totale pour la production de café, thé, tabac, blé et sucre, et l'élevage: les grandes exploitations appartiennent à l'Etat ou à des entreprises privées. Le revenu annuel par habitant est donc bas: 1 200 Tsh par an, équivalant à environ 145 dollars U.S.

Les principaux problèmes sont l'expansion démographique, la pénurie chronique de bois de feu et de charbon de bois, les attitudes des villageois, la dégradation de l'environnement, la pauvreté des sols, les mauvaises techniques d'utilisation des terres, la conservation de l'énergie et les méthodes de travail, et enfin un manque de renseignements et de connaissances.

La population tanzanienne comptait 11 958 654 personnes en 1967: selon le recensement de 1978, elle atteignait à cette dernière date environ 17,5 millions d'habitants. Cela représente un taux de croissance d'environ 3,4 pour cent par an. A ce rythme, la population doublera d'ici à 2000. Cela entraînera une augmentation de la demande de bois de feu et de charbon de bois. Ainsi, la consommation de bois de feu et de charbon de bois, rien que pour les usages domestiques, s'élève à 33,44 millions de m3; elle sera de 36,65 millions de m3 en 1985 et de 45,79 millions de m3 en l'an 2000 (Mnzava, 1980). Mais la production potentielle totale de bois de feu et de sciages n'est que de 25 millions de m3/an. Presque tout le bois de feu et le charbon de bois proviennent du miombo et des savanes boisées, formations le plus souvent peu denses. L'accroissement moyen annuel est très faible; dans bien des cas, il ne dépasse pas 2 m3/ha/an. La densité du miombo, par exemple, ne dépasse guère 40 à 50 m3/hectare.

ÉCOSYSTÉME FORESTIER EN TANZANIE une source d'énergie certes pas idéale pour des industries naissantes

Dans ces conditions, de nombreuses régions de Tanzanie souffrent d'une pénurie chronique de bois, en particulier dans les zones semi-arides (Arusha, Dodoma, Singida, Tabora, Mwanza Mara et Kagera). A mesure que les forêts disparaissent au voisinage des centres habités, l'approvisionnement en bois devient de plus en plus difficile. Les ménagères perdent parfois plus d'une demi-journée à chercher le bois dont elles ont besoin. En Afrique orientale, il n'est pas rare qu'elles doivent parcourir jusqu'à 100 km (aller et retour) pour s'approvisionner. Certaines familles qui ont détruit la forêt jusqu'à une grande distance de leur habitation sont maintenant obligées de consacrer jusqu'à 40 pour cent de leur revenu mensuel au bois de feu et au charbon de bois. Cette situation est aggravée du fait que les villageois s'efforcent rarement d'économiser l'énergie et plus rarement encore d'utiliser des résidus forestiers et agricoles ou des déchets.

Pour les industries rurales, le bois et le charbon de bois sont souvent considérés comme des ressources illimitées: comme si la forêt devait être toujours là. En outre, comme le bois est le plus souvent ramassé gratuitement, il n'est pas pris en compte dans le calcul des coûts de production, par exemple du tabac. Cela explique en partie que les villageois ne se préoccupent presque jamais de reboiser ou d'établir des plantations pour approvisionner leurs industries rurales. Mais ils devront bien se rendre à la réalité: la forêt disparaît rapidement. Les pouvoirs publics ont entrepris des campagnes massives de conservation des forêts et de reboise ment qui semblent avoir alerté l'opinion.

Les besoins en bois de feu et en charbon de bois des industries rurales augmenteront à un rythme rapide au cours des cinq prochaines années; presque tout le bois proviendra des forêts naturelles. A ce rythme, la Tanzanie n'aura bientôt plus beaucoup de forêts. On estime qu'entre 1975 et 2000, 6,5 millions d'ha de forêts disparaîtront en Afrique orientale. A cet égard, la région de Tabora, importante zone de production de tabac, présente un exemple particulièrement dramatique: au rythme auquel les forêts sont actuellement défrichées pour planter du tabac (production qui s'accroît de 20 pour cent par an) et obtenir le bois nécessaire à son séchage, 700 000 ha ou 22 pour cent de la superficie boisée seront défrichés d'ici à 2000 (Temu, 1980). Les conséquences pour les sols sont tragiques: dégradation, perte de fertilité et désertification. Dans ces circonstances, les reboisements sont souvent difficiles et coûteux. Et enfin, le cercle vicieux est bouclé: les industries rurales ne peu vent plus se procurer le bois de feu ni le charbon de bois dont elles ont besoin. Cette situation serait beaucoup moins grave si les villageois utilisaient des techniques artisanales appropriées. Par exemple à Tabora, la production de tabac se fait en culture itinérante. Il vaudrait mieux adopter une agriculture plus intensive. Il est essentiel d'appliquer des techniques permettant d'économiser l'énergie dans la petite industrie.

Comme on l'a dit plus haut, le manque d'informations et de statistiques sur les industries rurales est un problème difficile à résoudre. Un des principaux obstacles vient de ce qu'il s'agit souvent d'une production familiale qui échappe aux statistiques.

Il faudrait faire au plus vite une enquête approfondie sur ces opérations, y compris les besoins de bois de feu et de charbon de bois et le potentiel d'approvisionnement. A partir des renseignements ainsi recueillis, il sera possible de formuler des plans à moyen et à long terme.

Quels sont donc les besoins actuels en bois de feu et en charbon pour le séchage du tabac et du thé, le fumage du poisson, la boulangerie, la brasserie, la briqueterie et la poterie en Tanzanie?

Production et traitement du tabac

En Tanzanie, le tabac est essentiellement produit dans de petites exploitations. Soixante-dix pour cent de la production sont séchés à chaud. Plus de 56 500 familles comptant 339 000 personnes travaillent à la production de tabac.

Pour sécher la production d'un hectare de tabac, il faut environ un hectare de forêt. Les principales essences indigènes normalement utilisées à cette fin sont Brachystegia spp. (B. busei par exemple), Juibernardia, Erythophleum africanum, Afromosia angolensis; on emploie aussi certaines essences exotiques telles que Eucalyptus spp. Au cours de la campagne 1979/80, la production de tabac dans les principales zones productrices de Tanzanie a occupé 53 830 familles sur 31 616 ha et entraîné une consommation totale de 8 184 000 m3 de bois de feu.

On estime que la superficie plantée en tabac passera de 33 042 ha en 1979/80 à quelque 42 000 ha en 1985. Pour sécher les 25,2 millions de kg qui devraient être récoltés, il faudra 3.36 millions de m3 de bois de feu, en admettant qu'il faut un m3 de bois pour sécher 7,5 kg de feuilles de tabac.

La Tanzanie aurait la capacité nécessaire pour traiter plus de 51 millions de kg de tabac par an, mais elle ne traite actuellement que 36 à 40 pour cent de cette quantité, essentiellement du fait des difficultés d'approvisionnement en bois de feu. On postule donc que 25,2 millions de kg représentent la quantité minimale pour assurer la rentabilité de cette industrie importante et en plein essor.

Le manque de bois est aggravé par d'autres problèmes, dont certains ont déjà été évoqués. Une bonne partie du tabac est produit en Tanzanie par des cultures itinérantes; le cycle va de 6 à 8 ans. Lors du défrichement, les villageois détruisent généralement les arbres en les brûlant sur place au lieu de les conserver pour sécher le tabac. Il faut ensuite exploiter un autre peuplement pour se procurer du bois. C'est comme si l'on brûlait 8 750 à 10 500 Tsh/ha, en admettant que la principale essence détruite lors du défrichement est Pterocarpus angolensis (1 dollar U.S. = 8,2 Tsh).

Pour faire sécher la production d'un hectare de tabac, il faut couper un hectare de savane. La production de tabac s'accroît de 20 pour cent par an aux dépens de la savane

En outre, les hangars à tabac sont mal conçus et les entreprises familiales ne peuvent pas se permettre d'en construire d'autres plus grands et plus rationnels. L'économie de bois et la conservation des forêts posent donc des problèmes difficiles.

Comme on l'a dit plus haut, la régénération naturelle des forêts dans les zones productrices de tabac est problématique. Cela est dû en partie à un environnement difficile et aux caractéristiques intrinsèques des essences considérées. De plus, il est rare que les zones laissées libres au cours du cycle d'agriculture itinérante soient plantées d'arbres; on préfère cultiver du maïs, du mil, de l'arachide, etc. Dans ces conditions, la destruction des forêts se poursuit. De plus les savanes sont les zones où le feu cause le plus fréquemment des dégâts en Tanzanie. On estime que plus de 65 000 ha de forêts et de brousse brûlent chaque année. Ces feux détruisent en même temps des microbes utiles et modifient les propriétés du sol. Ils peuvent entraîner le lessivage qui appauvrit les sols et rend difficile et coûteuse la régénération forestière. La zone productrice de tabac de Tabora est exemplaire à cet égard.

L'appauvrissement des sols et de tout l'environnement nuit non seulement à la régénération des peuplements forestiers mais aussi à la production de tabac elle-même. Il faut appliquer 750 kg/ha/an d'engrais aux cultures de tabac, cc qui coûte 1 050 Tsh/ha (avec une subvention de 50 pour cent).

Que peut-on faire pour améliorer cette situation? Pour économiser le bois et, par voie de conséquence, conserver la forêt, les mesures suivantes devraient être envisagées.

Coopératives de village

Dans toute la mesure possible, il faudrait conseiller aux paysans de produire le tabac en coopératives et les encourager à former de telles coopératives sur des terres communes distinctes des exploitations familiales. Cela permettrait de construire des hangars économiquement et techniquement rationnels. Et au lieu de démonter ces hangars chaque fois que la production se déplace, il vaudrait mieux transporter le bois de feu. Par exemple, à Iringa, un stère de bois de feu transporté sur 30 km coûte 40 à 60 Tsh, ce qui est trop cher pour un paysan isolé. Mais il semble que la plupart des familles préfèrent travailler individuellement. Il faudra donc un gros effort d'éducation et d'information pour promouvoir les coopératives.

Il a également été suggéré que l'Office tanzanien du tabac, qui a le monopole du tabac, se charge du séchage. Mais cette solution n'est guère applicable actuellement, car l'office n'a pas les moyens nécessaires pour le ramassage des feuilles vertes. En outre, une partie de la production est située dans des zones isolées, de sorte que les feuilles risqueraient de s'abîmer le séchage.

Gratuité du bois

Tout le bois ramassé par les producteurs de tabac en forêt est gratuit. Il ne faut donc pas s'étonner que le coût de l'énergie soit considéré comme négligeable et souvent exclu des calculs et des plans concernant la production et le traitement du tabac. Pour assurer la viabilité économique des opérations, il faudrait que la récolte de tabac permette de financer la production de bois de feu nécessaire à son traitement.

Briqueterie et poterie

Une des stratégies appliquées actuellement par le gouvernement consiste à encourager les paysans à utiliser des briques plutôt que des parpaings de ciment. La matière première nécessaire à leur production se trouve facilement aux abords du village et coûte beaucoup moins cher. Une brique cuite coûte en moyenne 1,20 Tsh tandis qu'un parpaing de ciment de taille comparable coûte 6 Tsh. On a très peu de renseignements sur le nombre de familles qui produisent des briques et de la poterie. Selon des chiffres provisoires, 125 260 familles dans 20 régions travailleraient à la production de briques et 68 620 à la poterie.

Dans la région du Kilimandjaro, dont l'auteur a une expérience personnelle, la production des deux principaux districts où l'on fabrique des briques, Mwanga et Same, devrait passer de 1,8 million de pièces en 1980 à 12,17 millions en 1985.

On ne connaît pas précisément la consommation unitaire de bois de feu pour la cuisson des briques. D'après une enquête, un stère de bois provenant de la forêt indigène suffit à cuire 185 à 660 briques (7,5 x 10,0 x 22,5 cm). Il faudra donc 18 440 à 65 784 m3 de bois pour produire 12,17 millions de briques. Mais les plaines, qui sont les principales régions de production de briques, sont aussi les zones les plus sèches des districts considérés. La production annuelle totale de bois dans les districts de Mwanga et de Same atteint à peine 35 pour cent de ces besoins. De plus, en raison notamment de l'environnement difficile, le reboisement se fait lentement. Il faudra trouver au plus vite une solution réaliste et envisager notamment de renoncer aux briques en faveur des parpaings.

On estime que 450 000 à 500 000 pièces de poterie sont produites dans la région du Kilimandjaro chaque année, à raison de 115 à 130 pièces par famille. Notre enquête a également révélé qu'un stère de Grevillea robusta suffit pour cuire 20 à 25 pièces de poterie en moyenne.

En 1980/81, la production de poterie sera probablement de l'ordre de 7,9 millions de pièces, pour lesquelles il faudra au moins 394 565 m3 de bois de feu.

En Afrique orientale, il n'est pas rare qu'il faille parcourir 100 km aller et retour pour s'approvisionner en bois. Les forêts disparaissent aux abords des villages et des villes. Certaines familles dépensent 40 pour cent de leur revenu pour se procurer du bois de feu et du charbon de bois

Il est donc indispensable d'élaborer des programmes à long terme, même si les statistiques sont insuffisantes.

Séchage du thé

En Tanzanie, 50 pour cent de la production de thé proviennent de grandes plantations privées, 49 pour cent de quelque 30 000 petites exploitations et 1 pour cent de l'Office tanzanien du thé.

Les petites plantations se développent rapidement. En 1972, elles ne représentaient qu'environ 12,5 pour cent de la production totale, alors que ce pourcentage a grimpé à 22 pour cent en 1976 et à 48 pour cent en 1978. Il existe des plans en vue d'améliorer cette production villageoise, et l'on estime qu'en 1982 elle atteindra 22 000 t, il n'y aura ensuite guère d'expansion au cours des cinq années suivantes.

La principale source d'énergie utilisée pour le traitement du thé est le bois de feu, mais on emploie aussi du pétrole et du charbon. Dans certains cas, ces divers matériaux sont utilisés ensemble, par exemple dans la plantation de Mponde, où le bois de feu et le pétrole sont utilisés en parties égales. On estime qu'entre 1976 et 1981 il faudra au total 163 180 m3 de bois de feu pour le séchage du thé; la consommation annuelle de bois de feu pour cette industrie est de 43 600 mètres cubes.

Les principales essences utilisées sont Cephalosphaera usambarensis, Chrysophyllum spp., Newtonia buchananii, Meosopsis eminii, Olea spp. On emploie aussi quelques essences de plantation: Acacia mearnsii et EucaIyptus spp. Malheureusement, rares sont les petits exploitants qui plantent le bois dont ils ont besoin; ils s'approvisionnent essentiellement dans la forêt naturelle, qui s'appauvrit et disparaît rapidement; il s'agit en effet de formations délicates situées essentiellement dans des écosystèmes d'altitude.

Fumage du poisson

Le fumage du poisson est en passe de devenir une importante industrie rurale en Tanzanie. Il y a trois principales zones de pêche: la côte, les cours d'eau intérieurs et le lac Victoria. La majeure partie du poisson pris le long de la côte est vendue à l'état frais, mais le gros des captures provenant des cours d'eau intérieurs et du lac Victoria est fumé. Par exemple, en 1977, sur 65 415 t de poisson pêché dans le lac Victoria, près de 59 000 t ont été fumées. On estime de plus que 20 à 30 pour cent des captures sont consommés sur place et ne sont jamais enregistrés. Une partie de cette production est également fumée.

Le fumage du poisson, de même que le séchage du tabac, est essentiellement une activité familiale. Le bois et le charbon de bois sont généralement ramassés gratuitement dans les forêts de village et celles des alentours. En l'absence de réserves légales, les permis sont délivrés ad hoc, de sorte qu'il est difficile d'établir des statistiques des quantités enlevées.

POTIERS TANZANIENS ET LEUR PRODUCTION une industrie artisanale pratiquée par plus de 68 000 ménages

Dans les pêcheries du lac Victoria et des cours d'eau, il faut 0,2 à 0,3 m3 de bois de feu ou 15 à 20 kg de charbon de bois pour fumer une tonne de poisson. La consommation de charbon de bois à cette fin est très réduite. On estime qu'entre 1975 et 1981 on aura brûlé environ 152 000 m3 de bois pour fumer quelque 759 000 t de poisson.

Brasserie

On n'a jusqu'à présent guère de renseignements sur la consommation de bois de feu et de charbon de bois pour la brasserie artisanale. Non seulement il s'agit d'une activité essentiellement familiale, mais une partie de la production consiste en types de bière interdits et reste donc secrète. C'est pourquoi une bonne partie de la production et, partant, de la consommation de bois, échappe aux statistiques. Il existe plus de vingt types de bière locale dans le pays et les besoins d'énergie pour la produire varient dans des proportions considérables. Il est manifestement impossible d'estimer la consommation de bois de feu pour la brasserie. Mais pour illustrer l'ampleur du problème énergétique que pose la production locale de bière, il suffit de citer le cas de deux des vingt types de bière locale.

La bière Mbege est indigène dans la région du Kilimandjaro; elle est obtenue par fermentation de mil et de banane. Il ressort d'une enquête effectuée dans 245 villages que 73 500 m3 de bois de feu sont utilisés rien que pour la brasserie: pour obtenir une telle quantité de bois, il faut couper à blanc 1 470 ha de savane boisée.

La bière Kangara est produite dans de nombreuses régions. Elle est faite de mats et d'autres céréales; elle est fabriquée et vendue dans quelque 130 villages. Rien que pour cette bière, 32 175 m3 sont coupés et brûlés chaque année; tout ce bois provient des forêts côtières, y compris les mangroves.

La brasserie artisanale est une activité si répandue, répétons-le, qu'il est impossible d'établir des prévisions statistiques. Il suffira de rappeler que c'est une industrie prospère à tous les égards. Il est donc indispensable de prévoir son approvisionnement en bois. Jusqu'à présent aucun reboisement n'a été fait pour satisfaire les besoins de la brasserie. De plus, les bois de village existant actuellement suffisent à peine aux besoins des familles pour la cuisine.

Boulangerie

Il existe de renseignements sur les boulangeries rurales. Les indications ci-dessous sont donc basées sur les informations et données recueillies dans les boulangeries de quelques petites villes et villages. Entre 1975 et 1980, la Tanzanie a produit ou importé au total 334 149 t de blé, dont 95 pour cent ont été utilisés pour produire 915 820 000 miches de pain. En admettant qu'il faut un mètre cube de bois de feu de bonne qualité pour faire cuire 20 000 pains, les besoins totaux seraient de 45 791 m3 de bois de feu. Le chiffre réel est un peu inférieur, car 10 à 15 pour cent de l'énergie utilisée dans la boulangerie en Tanzanie sont fournis par l'électricité, le pétrole ou le gaz.

En tout état de cause, l'ordre de grandeur des besoins ne fait pas de doute et il s'agit de la production d'un aliment essentiel. Toutefois, il existe quatre autres solutions possibles: le charbon, le pétrole ou le kérosène, l'énergie hydro-électrique et le biogaz.

Charbon

Il existe des mines de charbon assez riches dans le sud-ouest du pays; et selon les plans, le principal gisement, celui de Songwe-Kiwira devrait produire 300 000 t/an dans un avenir proche. A l'heure actuelle, la mine d'Ilima est la seule qui soit exploitée et elle produit environ 7 000 t/an. La demande de charbon est assez élevée et augmentera encore à l'avenir, de sorte qu'il n'est pas certain que l'on dispose de suffisamment de charbon pour les industries locales. Par exemple, la nouvelle cimenterie de Mbeya aura besoin de 50 000 t/an et la fabrique de pâte et de papier de Mufindi (Iringa) consommera également de grandes quantités de charbon.

Là n'est pas le seul problème. Le transport du charbon coûte très cher. Par exemple, une tonne de charbon à Ilima coûte 250 Tsh; mais si elle doit être livrée à Tabora pour le séchage du tabac, le transport ferroviaire sur plus de 500 km fera monter le prix de revient à plus de 700 Tsh.

L'utilisation du charbon pour le séchage du tabac offre cependant de grandes possibilités dans les régions de Mbeya et d'Iringa.

Pétrole/kérosène

Tout le pétrole et le kérosène utilisés dans le pays sont importés. La facture pétrolière nationale est passée de 760 millions de Tsh en 1977 à 2,3 milliards en 1980, date à laquelle 670 000 t ont été importées. On a tenté d'utiliser le pétrole pour la briqueterie et le séchage du thé à l'échelle industrielle, mais cela revient beaucoup plus cher que le bois. On a également envisagé d'employer le kérosène pour le séchage du tabac mais, là encore, les coûts sont trop élevés, malgré la plus grande valeur calorifique du kérosène (10 400 kcal/kg contre 4 000 kcal/kg pour certaines essences du miombo (Temu, 1979). En conclusion, il semble réaliste d'affirmer que cette solution, avec les rapports actuels de prix, n'est pas viable.

Energie hydro-électrique et biogaz

Cette possibilité n'a pas été étudiée à l'échelon des villages. Une grande partie de l'électricité est encore utilisée essentiellement pour l'éclairage et la cuisine. Ainsi, on estime qu'entre 60 et 80 pour cent de la production totale d'électricité seront cette année vendus dans la seule ville de Dar-es-Salaam. Toutefois, il existe un plan ambitieux tendant à développer les centrales hydro-électriques de village pour l'éclairage et les petites industries. Une vingtaine de ces centrales, d'une capacité de 6 à 200 kW, produisent actuellement environ 960 kW au total.

Il faudrait étudier les possibilités que présentent pour les industries rurales le biogaz - dont il existe déjà 200 installations réparties dans tout le pays ainsi que le gaz naturel et l'énergie solaire.

L'enquête révèle que le bois de feu et le charbon de bois demeureront pendant encore plusieurs décennies la seule source d'énergie viable pour les industries rurales. La crise des approvisionnements en bois pour les industries rurales en Tanzanie est très réelle. Pour mettre fin à la destruction rapide des forêts naturelles, il faudra intensifier les programmes de restauration des forêts naturelles et de plantation. Sur la base de la consommation estimée de bois de feu et de charbon de bois, il faudrait planter dans les villages 15 000 à 20 000 ha/an; or le rythme actuel de plantation n'est encore que de 7 000 à 9 000 ha/an.

Parallèlement, il faut étudier sérieusement la possibilité de transporter du bois des zones d'excédent aux zones démunies. Chaque fois que possible, on choisira des moyens de transport économiques, qu'ils fassent ou non appel à des carburants d'origine pétrolière. Le transport du bois par route donne satisfaction dans les régions d'Iringa et de Tabora.

Il est impératif de faire bien comprendre aux villageois que l'énergie tirée du bois, même si elle est relativement bon marché, est un élément crucial du coût de revient des industries rurales. Il faut donc en tenir compte dans tous les calculs. Il est grand temps de réexaminer la question de la gratuité de l'énergie tirée du bois. Toutes choses égales d'ailleurs, il faudrait que les villageois paient leur bois, fût-ce un prix symbolique et fortement subventionné. Il faudra incontestablement un gros effort d'information et de vulgarisation pour changer la mentalité des villageois et leur faire comprendre qu'ils ne pourront pas indéfiniment ramasser du bois à leur bon plaisir.

Pour obtenir un tel changement d'attitude, il vaudrait mieux utiliser des mesures d'encouragement que d'imposer les idées de façon autoritaire.

Par ailleurs, la prospérité et même la survie des industries rurales ne seront possibles que si les institutions compétentes s'occupent sérieusement du problème du bois de feu et du charbon de bois. Il faudra qu'elles fournissent des moyens financiers de développer ces ressources, ainsi que toute autre assistance nécessaire. Elles devront également aider les villageois à établir des plans à long terme, surtout pour équilibrer les besoins et les ressources en matière d'énergie.

En un mot, il est indispensable de formuler une politique énergétique pour les industries rurales, qui devrait faire partie intégrante de la politique énergétique rurale d'ensemble laquelle, à son tour, est un élément de la politique nationale.

Références

OPENSHAW, K. 1971 Tanzania timber trends study: Project work document FD: SF/TAN 15, FAO, Rome.

TEMU, A.B. 1979 Fuelwood scarcity and other problems associated with tobacco production in Tahora region, Tanzania. University of Dar-es-Salaam, Record No. 12.

MNZAVA, E.M. 1980 Village afforestation: lessons of experience in Tanzania. FAO, Rome.


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