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EVOLUTION CONTINUE D'UNE NOTION NOUVELLE LE PATRIMOINE COMMUN DE L'HUMANITÉ

S. SUCHARITKUL

S. Sucharitkul est Short Professor de droit international public à la faculté de droit de l'Université de Notre Dame, Illinois (Etats-Unis)

La notion de patrimoine commun de l'humanité est relativement nouvelle en droit international. L'auteur rappelle que des notions assez semblables existent dans certains systèmes de droit interne, notamment en droit romain. Il s'efforce ensuite d'analyser les bases juridiques de cette notion en droit international. Pour ce faire, il passe successivement en revue les opinions des juristes, la pratique des Etats - notamment lors de la première Conférence sur le droit de la mer - et une série de traités internationaux relatifs en particulier au droit de la mer, au droit de l'espace, aux droits de l'homme et au droit humanitaire.

Après avoir dégagé les éléments essentiels d'une définition, l'auteur s'interroge sur l'avenir de ce concept dans le droit international de demain. Il note que cet avenir dépend de la capacité de l'humanité en tant qu'institution de s'adapter et de savoir équilibrer les divers intérêts en présence.

L'auteur dresse enfin une liste des biens, avoirs, droits et intérêts qui, selon lui, font partie du patrimoine commun de l'humanité. Il y range l'univers, le cosmos, le soleil, la lune, les étoiles, ainsi que tous les autres corps célestes, les espaces atmosphériques supérieurs autour de la terre, les territoires des régions polaires, les fonds marins au-delà de la juridiction nationale, la haute mer et l'espace aérien au-dessus d'elle. A ces patrimoines célestes et terrestres, il ajoute un patrimoine spirituel se composant des droits fondamentaux de l'homme et de tous les droits humanitaires que l'homme peut invoquer, ainsi qu'un patrimoine culturel comprenant les propriétés intellectuelles et industrielles et certains biens culturels témoignant de l'histoire de la civilisation humaine.

«Rien n'est permanent, tout change», a dit Bouddha. «Toute chose corporelle a sa fin. Le corps est transitoire. Il n'y a rien de permanent. Tout est temporaire.» Cela veut dire que toute chose a son temps. Transposant cet adage dans la réalité de l'application du principe de droit ou d'une notion juridique quelconque, il est nécessaire de qualifier l'usage ou l'application par rapport au temps. L'application d'un principe de droit, d'une définition ou d'une notion juridique n'a pas de sens sans référence à une durée ou à une période de temps. Le droit international, comme tout droit, n'a aucune application en dehors de la dimension temporelle. Il n'existe pas de droit hors du temps. Le droit ne fonctionne que dans le cadre du temps, qu'à travers le passage du temps. Un principe de droit n'est valable et n'a de valeur juridique qu'au-dedans du courant de temps. Suspendons le cours du temps, à supposer que l'on puisse le faire, et l'application de toutes les règles de droit cessera automatiquement. Le mouvement, et donc le changement de toute chose, présuppose le passage du temps, sans lequel rien ne peut bouger. Mais tout change, et le temps, comme chaque moment, passe sans arrêt ni escale.

Lorsque le droit international évolue avec le temps, toute une série de notions nouvelles surgissent, deviennent visibles, sont entendues et progressivement acceptées dans la pratique des Etats. Le droit international continue à progresser dans une direction de plus en plus favorable, promouvant plus ou moins effectivement le bien-être de l'humanité et de son patrimoine héréditaire, et il continue en même temps à se développer. Plusieurs idées et notions passent du système juridique interne d'un Etat à un autre, et deviennent ensuite principes généraux de droit, sanctionnés par l'usage ou la coutume internationale et renforcés par le passage incessant du temps.

Comme le cercle vicieux de Sam Sara Vatta (naissance, vieillesse, maladie et mort), un concept juridique naît, devient connu, âgé et vénéré; puis, il est négligé et tombe en désuétude. Ainsi, apparaît parfois une notion nouvelle qui grandit et fleurit, puis un beau jour, sans préavis, pourrit et meurt d'inactivité. Ce cercle vicieux pouvant se répéter, le même concept ou un concept analogue pourrait resurgir, réapparaître sous une forme nouvelle, sous un autre aspect, et continuer à s'accroître et à s'élargir, puis de nouveau vieillir et prendre fin. Tout change. Tout évolue et se développe progressivement. Chaque instant passé dès la naissance amène à un moment plus proche de la fin.

Une notion de droit interne, semblable à celle du patrimoine héréditaire, existe dans plusieurs systèmes juridiques. Elle présente un autre aspect dans une conception de droit international où le concept d'humanité vient se confirmer sous une forme plus avancée. A l'origine, l'humanité était constituée par une seule classe de citoyens, ceux de la première caste (la «crème» de la société humaine), qui participaient seuls à la gestion de l'Etat, de l'Empire ou de la République, qu'ils soient romains, catholiques ou chrétiens. L'appellation «humanité» était réservée aux hommes d'une certaine croyance ou d'une certaine nationalité (catholiques, chrétiens, romains, etc.), qui pouvaient être considérés comme les éléments constitutifs de l'humanité. On est sorti de ce schéma archaïque, tout en proposant un nouveau concept de l'humanité. Il s'agit d'une notion de l'humanité plus scientifique, un concept purement biologique du genre humain. C'est un concept pur et simple, sans qualification aucune, ni politique, ni économique, ni financière ou sociale, ni même religieuse, ethnique ou raciale. L'humanité tout entière, acceptée comme telle, constitue déjà une notion nouvelle. Auparavant, il n'y avait que certaines espèces d'homo sapiens, dites civilisées, qui étaient seules qualifiées d'«humaines», l'humanité excluant ainsi les non romains et les non chrétiens, comme les barbares et les indigènes. A l'heure actuelle, le monde entier est disposé à accepter toutes espèces d'homo sapiens comme membres actuels de l'humanité.

UNE CONCEPTION DU PATRIMOINE COLLECTIF DE L'HOMME DANS LE DROIT INTERNE

Si, à l'origine, l'humanité n'était dotée d'aucun statut juridique et, en conséquence, ne figurait pas dans le vocabulaire du droit international traditionnel, une notion analogue à celle de patrimoine commun était connue en droit interne ou droit civil depuis l'Antiquité. En droit romain, classique et byzantin, l'idée de patrimoine provient du mot latin patrimonium, c'est-à-dire l'ensemble des biens appartenant à un père de famille (pater familias) qui, à la mort de ce dernier, pouvaient passer à un héritier. Dès la Loi des Douze Tables, le vocabulaire juridique désigne ce patrimoine par les mots familia pecuniaque. Le terme familia n'entendait pas seulement la famille, mais englobait toutes les choses mancipi: les esclaves, les bêtes et le fonds de terre. Le terme pecunia désignait les res nec mancipi, littéralement les troupeaux (du mot pecus), mais devait acquérir plutôt le sens d'argent ou de monnaie, car le pecus était une chose fungibilis pouvant être utilisée comme décharge d'une obligation financière. Cet ensemble des biens mobiliers et immobiliers, ainsi que les avoirs, esclaves et autres membres de la famille, faisaient partie intégrante du patrimoine héréditaire ou de l'héritage d'un père de famille; ils pouvaient passer à un héritier qui succédait à l'hereditas de son prédécesseur ou du père de famille qui l'avait précédé. Le patrimoine en tant que notion juridique existait donc en droit civil interne dans presque tous les systèmes juridiques plus ou moins anciens et plus ou moins développés.

En revanche, l'idée de la communauté de patrimoine ou de l'ensemble des biens appartenant en commun à plusieurs personnes ou à la communauté en général se manifestait tantôt dans le transfert de l'ensemble de l'héritage, tantôt dans la classification des biens ou des choses d'après leur affectation à l'usage public. Par exemple, dans le système juridique de Rome, on connaissait le régime des biens appelés res extra commercium, expression heureuse qui désignait tous les biens se trouvant hors du commerce. La res extra commercium («quorum non est commercium») comprenait également la res sacra, la res religiosa, et la res publica («publicis usibus destinata»)1. Les biens extra commercium ne pouvaient être ni vendus ni achetés, ni faire l'objet de droits particuliers ou passer d'une main à une autre par voie d'une transaction de droit privé. Ces biens extra commercium n'appartenaient donc à personne en particulier, mais leur usage devait et pouvait être partagé par les membres de la communauté qui exerçaient leur droit à l'égard de ces choses en commun.

1 Voir l'affaire The Prins Frederik (1820), in Dodson's Admiralty Report 451, p. 468, surtout l'argument du Dr Arnold: «Now we submit that there is a class of things which are not subject to the ordinary rules applying to property; which are not liable to the claims or demands of private persons, which are described by civilians, whose language and reasoning is frequently adopted by writers on general law, as extra commercium.»

Les res extra commercium étaient ainsi divisées en plusieurs catégories, comprenant par exemple les choses religieuses (res religiosae) et les choses sacrées (res sacrae) appartenant aux dieux, ainsi que les tombeaux appartenant aux mânes, ou dieux inférieurs2. En outre, il y avait les biens publics (res publicae)3, très importants, qui appartenaient à l'Etat et à Rome, et étaient soustraits au droit privé. Enfin, il y avait les choses communes, res communes4, telles que l'air et la mer. Toutes ces choses, hors du champ de droit privé, étaient à proprement parler «hors de commerce».

2 Gaius a divisé les choses en res divini et res humani juris. Les res divini ne sont propriété de personne («nullius in bonus sunt») (par. 9) car elles sont affectées aux dieux. Tel est le cas des res sacrae: temples et objets culturels, consacrés aux dieux supérieurs. Les res religiosae sont moins élevées en rang, et sont propriété en quelque sorte des dieux inférieurs, comme les tombeaux et les inscriptions. Les res sanctae sont protégées par une cérémonie religieuse, par exemple: les murs d'enceinte, les portes de la ville et les bornes des agri limitati. Robert Villers, Rome et le droit privé, 1977, p. 251-253.

3 D'après Gaius, «Res humani juris aut publicae aut privatae sunt» (par. 10), comme les res divini juris, mais pour d'autres raisons elles échappent à l'appropriation privée («ipsius universitatis esse credentur»). Institutes de Justinien II, 1, de rerum divisionem, pr.: «Quaedam etiam naturali jure communia sunt, quaedam publicae, quaedam universitatis».

4 Les res publicae au sens large comprennent: les res communes (air, eau courante) appartenant à tout le genre humain; les res publicae (fleuves publics, routes, etc.) et les res universitatis appartenant aux collectivités secondaires (thermes, théâtres, etc.).

La classification des choses ou des biens en droit romain permet de constater une évolution intéressante de notions juridiques analogues à la notion de patrimoine commun de l'humanité que l'on retrouve en droit international. L'expression res communis en droit civil s'entend d'une chose ou d'un bien, corporel ou incorporel, qui appartient à tout le monde, c'est-à-dire à la communauté globale ou universelle des êtres humains. Les Romains ont cité comme exemples de res communes la mer, l'océan, l'atmosphère et l'espace aérien, alors que l'eau ou l'air capables d'être séparés de la mer, de l'océan, de l'atmosphère ou de l'espace aérien, et pouvant faire l'objet d'appropriation à des fins d'usage ou de consommation privés, constituent la res nullius proprement dite, susceptible de possession et d'appropriation à titre individuel ou même collectif. Personne ne pourrait s'emparer de la totalité d'une res communis, comme la mer ou l'océan, ni épuiser son contenu, car elle appartient à l'Etat ou au public dans son ensemble et, en conséquence, n'appartient à personne en particulier, étant, comme la mer et l'espace aérien, inépuisable.

En revanche, il faut tracer une ligne de distinction bien nette entre la res communis et la res nullius. L'expression res nullius signifie une chose ou un bien quelconque qui peut faire l'objet de droits particuliers, mais qui, à un moment donné, n'appartient à personne. Cette res nullius, qu'elle soit meuble ou immeuble, pourrait donc faire l'objet d'une appropriation par quiconque désire la saisir et la faire sienne. A la différence de la res nullius, une res communis ne peut appartenir à personne. Etant une chose commune à tous, elle n'est pas susceptible de faire l'objet de possession, d'appropriation ou de jouissance exclusive. Elle est à tout le monde, à toute l'humanité.

UNE NOTION GÉNÉRALE DU PATRIMOINE COMMUN DE L'HUMANITÉ EN DROIT INTERNATIONAL

La conception de res communis du droit romain en tant que chose ou bien corporel se rapproche d'une notion plus récente de l'héritage ou du patrimoine commun de l'homme, quoique ce dernier ne relève pas du droit interne ni du droit civil, mais exclusivement, semble-t-il, du droit des gens, c'est-à-dire du droit international. Or, les res communes du droit civil ne concernent que l'usage privé ou le partage de certains biens que le public peut utiliser en commun, dans le cadre d'un Etat déterminé, tandis que la notion du patrimoine commun de l'humanité en droit international s'applique principalement aux Etats, membres de la communauté inter-étatique. Ceux-ci sont tenus de respecter les obligations leur incombant, et en particulier de s'abstenir de tout acte et de toute revendication sur des choses ou des biens faisant partie du patrimoine commun de l'humanité. Du fait de la nature même de ces choses ou de ces biens, les Etats devraient reconnaître et respecter le statut juridique particulier de l'ensemble de ces biens. Le sens qu'on peut donner au patrimoine commun de l'humanité est sans aucun doute plus étendu que la signification du terme res communis en droit romain ou «bien public» ou «bien d'Etat» dans un système de droit interne. En effet, les biens qui font partie de l'ensemble du patrimoine commun de l'humanité en droit international entraînent des obligations qui non seulement engagent les Etats et les organisations internationales, mais interdisent également aux individus ou aux particuliers, ainsi qu'à tout autre sujet de droit international, de s'en approprier à des fins exclusives. L'usage doit être réparti selon des critères d'équité et d'égalité, tout en respectant le principe de la «bonne foi»5, qui doit jouer un rôle important dans les relations internationales.

5 Voir, par exemple, Elizabeth Zöller: La bonne foi en droit international public, Pedone, Paris, 1979.

L'expression «patrimoine» en droit civil signifie l'ensemble des biens, avoirs, droits et intérêts, comprenant non seulement les biens corporels: ceux que les sens perçoivent, que l'on peut voir et toucher (fonds de terre, maison, esclave, etc.), mais aussi les biens incorporels: tutelle, parenté, patrimoine héréditaire (conçu abstraitement comme un ensemble de droits et obligations), usufruit, créances, servitudes, etc.

Il est vrai qu'à l'origine le patrimoine héréditaire en droit romain désignait l'ensemble des biens corporels du défunt, mais bientôt l'esprit juridique s'est affiné. L'hereditas a été rangée dans la liste des choses incorporelles, comprenant non seulement tous les objets concrets dont le défunt était propriétaire, mais également ses créances et ses dettes. On pouvait revendiquer d'un bloc tout le patrimoine du défunt, y compris le passif, par l'action intitulée hereditas petitio. On pouvait transmettre en un seul acte cette «universalité» de dettes et de droits, à titre universel, comme on transfère «à titre particulier» une maison, un champ ou un esclave. Ainsi, on en est venu à concevoir cette autre chose incorporelle, aussi importante dans le droit interne que dans le droit des gens à découvrir: la notion générale de patrimoine commun de l'homme. Et, comme la liste des personnes en droit civil ou des sujets de droit en droit international s'est allongée lorsqu'on a eu l'idée d'adjoindre aux individus (personnes physiques) et aux Etats, des personnes morales, des organisations internationales gouvernementales, des collectivités étatiques et des êtres humains, de même, la classification des objets de droit en général s'est accrue d'une série de conceptions audacieuses. Ces progrès, qui ne sont pas négligeables, resteront dans le droit civil moderne comme dans le droit international contemporain. En revanche, avec le temps, l'énumération de ces sujets ne cesse de s'étoffer et de s'élargir.

Si l'on admettait qu'il y a dans ce monde un ensemble de biens, avoirs, droits et intérêts, qui n'appartient et ne peut appartenir à personne, à aucun Etat en particulier, mais qui demeure propriété de l'ensemble de la communauté internationale, ou mieux encore, qui appartient à l'homme en tant que membre de l'espèce humaine, ou à l'humanité tout entière, cet ensemble de biens, avoirs, droits et intérêts devrait correspondre aux caractéristiques du patrimoine commun de l'homme. Ce patrimoine commun de l'homme, ainsi conçu et défini, devrait non seulement être respecté et sanctionné en droit des gens ou droit international public, mais également observé et reconnu en droit interne de chaque pays. L'ensemble des biens, avoirs, droits et intérêts qui appartient à l'homme en général ne peut faire l'objet de droits ou devenir la propriété privée d'un individu quelconque, ni d'un Etat en particulier. L'utilisation ou la jouissance d'un tel bien, avoir, droit et intérêt faisant partie du patrimoine commun de l'humanité devrait être réglée par le droit international, au moyen d'un mécanisme et d'un mécanisme et d'un système adopté par la communauté internationale.

TENDANCES ACTUELLES: ÉLARGISSEMENT DU CONCEPT DE PATRIMOINE COMMUN DE L'HUMANITÉ

Au fur et à mesure que le concept de l'humanité tout entière évolue en faveur de «l'homme» et que cette notion n'exclut aucun être humain ayant les caractéristiques physiques et biologiques d'un homo sapiens, tel qu'il est respecté et protégé en droit international et dans la pratique des Etats membres de la communauté internationale, la notion de patrimoine héréditaire de l'homme ou de patrimoine commun de l'humanité dans son ensemble ne peut que s'élargir et s'étendre. Les Etats, ainsi que les individus ou les sociétés, ont commencé à agir au nom et pour le compte de l'humanité tout entière, tout en proclamant que la découverte appartient au patrimoine commun de l'humanité, que ce soit dans le domaine des sciences naturelles, de l'atome et de l'astrologie, ou dans d'autres domaines.

Il est naturel que le concept de patrimoine collectif de l'humanité - qui englobe tous les biens, avoirs, droits et intérêts faisant partie de l'ensemble du patrimoine héréditaire de l'espèce humaine - ait beaucoup évolué et qu'il soit devenu bien plus étendu qu'on aurait pu l'imaginer à l'origine. Son contenu aussi s'est élargi. Ce qui paraissait lointain et même inaccessible est devenu tout proche et disponible pour la jouissance, le confort et la joie de vivre.

Dans le secteur des choses matérielles, visant à améliorer le bien-être de l'homme, l'humanité en tant que telle dispose de plus de confort, de nombreux loisirs, d'infrastructures et de constructions ultramodernes, de nombreux moyens de transport et de communication (télégraphe sans fil, télex, téléscripteurs, téléphotographie, fusées, missiles, véhicules spatiaux), ainsi que des progrès présents et futurs de la science. L'homme n'a pas encore conquis l'univers, mais il s'est déjà aventuré dans l'espace extra-atmosphérique où il a atteint un point jusqu'ici inconnu ou peu connu. Il a appris beaucoup plus durant ces dernières décennies qu'au cours des millénaires précédents. La progression géométrique de l'état d'avancement des sciences a placé l'homme devant toutes les autres créatures: animaux, reptiles, poissons ou oiseaux de n'importe quelle planète. Ce qui était jusqu'alors du domaine de la science-fiction est devenu réalité ou science naturelle.

De même que les sciences ont progressé dans toutes les branches et que de nouveaux territoires de l'espace ont été découverts, explorés et exploités au bénéfice de l'humanité tout entière, de même l'homme s'est dépensé pour obtenir des Etats la reconnaissance de son statut juridique, le respect de ses droits, l'étendue du domaine d'application du droit humanitaire et l'élaboration d'instruments de promotion de ses droits dans tous les domaines imaginables. Le concept des droits propres à l'homme, à l'humanité, voit le jour. L'homme commence à sentir et à mieux connaître la liberté sous toutes ses formes, en particulier les libertés fondamentales, comme le droit à la vie, le droit à la mort, le droit à la paix, le droit au développement, le droit à l'autodétermination, etc. Tous ces droits et intérêts, qui font partie du patrimoine collectif de l'homme, se sont beaucoup élargis, phénomène qui mérite notre attention et notre approbation.

Il existe enfin un domaine particulier et propre à l'histoire de l'homme, c'est le domaine culturel du patrimoine commun de l'humanité, qui tend à nous faire connaître l'histoire du développement et l'évolution de l'homme à travers les siècles et les millénaires. Le patrimoine culturel de l'humanité est composé de l'ensemble des biens culturels, des traditions, des modes de vie, des mœurs et de tout ce qui constitue la culture de l'homme de toutes les régions et de toutes les périodes de son développement culturel et social. Les biens culturels que nos ancêtres nous ont laissés sous forme de temples, palais, constructions archéologiques et statues (plus ou moins bien conservés à travers les siècles) sont en général des biens corporels comparables à ceux du droit romain appartenant à la catégorie des res sacrae et res religiosae. Il s'agit des édifices consacrés aux différents dieux ou demi-dieux, des églises, des mosquées, des temples et des synagogues, ainsi que des maisons de dieux de toutes croyances, des structures, des monuments et des statues érigées pour commémorer des héros historiques ou nationaux, des saints, des moines ou des prêtres qui ont sacrifié leur vie pour l'humanité, ou des empereurs, des rois et des chefs d'Etat. Tout cela tend à affirmer les valeurs nationales ou régionales ou un aspect de la civilisation de l'homme au cours d'une ère historique. Dans le patrimoine culturel de l'homme devraient être comprises toutes choses corporelles que l'esprit conçoit comme témoin de la civilisation ou de la culture de l'homme de n'importe quelle race, religion ou croyance sans aucune distinction. Appartiennent à l'ensemble de ce patrimoine culturel tous les objets d'art, musées, archives et documents relatifs à l'évolution de la culture humaine. Tous ces éléments devraient être répertoriés, afin qu'on puisse les conserver pour la postérité comme héritage culturel commun de l'homme. Nos ancêtres ont accompli leur tâche; il nous reste à poursuivre cet effort de conservation du patrimoine commun de l'humanité, dont nous sommes tous gardiens.

LA BASE JURIDIQUE DU PATRIMOINE COMMUN DE L'HUMANITÉ

La notion de patrimoine commun de l'humanité ne devrait pas être abordée sans connaissance préalable de la base juridique sur laquelle ce concept repose en droit international. On a souligné à juste titre que les progrès du concept de patrimoine commun de l'humanité ont été rendus possibles par la reconnaissance croissante de l'humanité en tant que sujet de droit international. L'humanité, dont l'existence ou la sauvegarde constitue l'objet même du droit international contemporain, s'inscrit dans le nouvel ordre juridique international. Il faut tout de même, du point de vue scientifique, chercher et déterminer la base juridique du concept ou de la notion de patrimoine commun de l'humanité. On devrait commencer les recherches dans le cadre du droit international même, parmi ses principales sources reconnues, que ce soit la coutume internationale, comme témoin de la pratique constante des Etats, ou bien les principes solennellement énoncés dans une convention internationale ou dans une résolution adoptée par une organisation internationale de caractère universel, telle que les Nations Unies.

A mesure que le concept s'élargit, sont conclus de nombreux accords, traités et conventions concernant des biens appartenant au patrimoine commun de l'humanité. Bien entendu, ces accords, traités et conventions à titre universel offrent une base juridique solide en droit positif international, qui repose à son tour sur le consensus des Etats en général, critère essentiel sinon indispensable de presque tous les principes fondamentaux du droit international. On constatera une évolution semblable en examinant les autres sources du droit international, comme les opinions des juristes, les décisions judiciaires nationales ou internationales, les sentences arbitrales, les conclusions des commissions de conciliation ou d'enquête, selon les modes de règlement pacifique adoptés pour des différends touchant les questions spécifiques du patrimoine commun de l'humanité. Jusqu'ici la question n'a guère été abordée par la jurisprudence nationale ou internationale.

LES OPINIONS DES JURISTES

Avant l'avènement du droit international traditionnel ou classique, on avait parlé de la question de la répartition du monde tant connu qu'inconnu. Au moins deux puissances maritimes de l'Europe s'étaient vu concéder chacune la moitié des terres à découvrir ainsi que des océans et des mers autour de ces terres. Ces concessions furent contestées par de nombreuses autres puissances maritimes, ainsi privées de leurs portions légitimes sans consentement ni consultation préalable. Une controverse d'ordre politico-juridique et même religieux s'ensuivit. Le débat sur la question juridique fut consacré au point délicat de savoir si la mer ou la haute mer était libre ou fermée. Si la mer était libre, elle était ouverte à tout genre de navigation maritime, si au contraire elle était fermée, elle n'était ouverte qu'aux navires autorisés par tel ou tel Etat ayant le pouvoir ou l'autorité de fermer telle ou telle portion de mer.

La question si hautement controversée et contestée fut résolue au début du 17e siècle grâce, pour une large part, aux efforts d'un juriste néerlandais, Hugo de Groot (Grotius), dont l'argumentation se trouvait dans son ouvrage Mare liberum (1609) et dans son chef-d'œuvre de Jure Belli ac Pacis (1625). La mer, de l'avis de la plupart des juristes de droit international, fut dès lors réputée être libre6. La liberté de la haute mer non seulement implique la liberté de navigation et plus tard aussi celle de survol, mais comporte également l'idée de l'intérêt général de la haute mer pour le monde entier, ou plus exactement pour l'humanité tout entière. Il est vrai qu'à cette époque le concept d'humanité était parfois limité par des restrictions de croyance, de civilisation, de classe sociale, de race ou de couleur. Grâce à l'élimination progressive de ces limitations, l'humanité véritablement tout entière, dans le sens scientifique, biologique et médical du terme, peut profiter de toutes ces choses dites réservées à l'usage public dans l'intérêt général et de tous les biens appartenant à la collectivité des êtres humains ou à l'humanité en tant qu'espèce.

6 En 1932, Gilbert Gidel, dans son ouvrage Le droit international public de la mer, vol. 1, p. 213-233, nous a mis en garde contre les tentatives de classifier la mer comme res nullius ou res communis, domaine public ou héritage commun. Mais depuis lors, le droit de la mer a beaucoup évolué, surtout après 1958. Selden a répondu à Grotius dans son livre Mare Clausum (1635).

Une fois admise dans le vocabulaire technique des juristes, la notion d'intérêt général ou de bien commun servant tout le monde ou l'humanité en entier fut reconnue et acceptée par les Etats. A mesure que l'homme élargissait le champ de ses activités, qui n'étaient plus limitées à la haute mer mais s'étendaient aux fonds marins, aux espaces extra-atmosphériques et ailleurs, le concept de ce patrimoine commun de l'humanité s'élargissait d'autant. La notion de communauté de cet ensemble de biens collectifs continue de s'élargir avec l'accroissement des activités de l'homme.

LES COUTUMES INTERNATIONALES

Alors que la notion juridique trouvait place dans les ouvrages des juristes, la pratique des Etats commença peu à peu à se cristalliser en principes de droit international, grâce à une pratique constante et continue et à l'approbation de l'opinio juris. Il est opportun d'observer que le processus d'élaboration d'une règle de droit coutumier a subi des changements fondamentaux quant à la durée de temps requise pour que les avis des juristes et la pratique des Etats soient pris en compte par une conférence internationale de caractère universel7. Le consensus des Etats peut s'exprimer de manière plus facile à constater, plus précise et en fort peu de temps. Dans ce sens, une résolution d'une conférence de cette ampleur permet une évolution progressive plus rapide d'une règle coutumière internationale. En relativement peu de temps, le droit coutumier international peut évoluer, instituer ou cristalliser des règles et des principes de droit international jusqu'alors inconnus et inouïs.

7 Voir Eduardo Jiménez de Aréchaga: «International Law in the past Third of a Century», Recueil des cours de l'Académie du droit international, vol. 1, 1978, p. 9-343, en particulier p. 9-34.

La fonction d'opposition par différentes méthodes de réserve, de contestation ou de désapprobation continue à jouer un rôle non moins important que jadis. Néanmoins, il est devenu de plus en plus difficile de freiner le processus de cristallisation; celui-ci est porté par une vague constituée par la grande majorité des Etats qui adoptent des déclarations de principe par acclamation ou par des votes sans opposition. Le principe d'acquiescement ou d'absence d'objection ou d'opposition en temps voulu joue de plus en plus. Une fois acquiescé, le principe ainsi déclaré et adopté sans opposition devient un principe de droit coutumier. Le droit coutumier alors constaté s'applique également aux Etats qui ont gardé le silence, ou à ceux qui n'ont pas participé au vote (qui se sont abstenus), ou à ceux qui ont voté pour la déclaration avec des réserves, ou enfin même aux Etats qui ont exprimé leur opposition. En effet, le droit international, y compris le droit coutumier international, s'applique et doit s'appliquer à tous les Etats, grands ou petits, riches ou pauvres, sans distinction. Le consensus des Etats est un élément créateur de la règle de droit. Mais le consentement de l'Etat s'opposant à une règle particulière n'est pas requis pour son application. Autrement, il n'existerait jamais de règle de droit international. Les grandes puissances ne sauraient s'arroger le pouvoir ou le privilège de ne pas se conformer aux principes de droit international, ni la possibilité de s'opposer, seules ou en union avec d'autres Etats, à l'évolution pacifique du droit international. La marche du droit ne devrait être ni arrêtée, ni suspendue, ni contrée par un Etat quelconque, quelle que soit la supériorité de sa puissance militaire ou nucléaire. Sinon, on se trouverait en présence d'un monde gouverné par la force et non pas par le droit international. En conséquence, il paraît indispensable de soutenir ainsi la primauté du droit. Sans cela, ce serait la supériorité de la force qui ferait droit.

C'est dans ces conditions que le concept d'héritage commun ou de patrimoine commun de l'humanité vit le jour publiquement en 1958, lorsque le président de la première Conférence de Genève sur le droit de la mer, le prince Wan Waithayakorn de Thaïlande, constata: «La mer constitue l'héritage commun de toute l'humanité, et il est donc de l'intérêt général de déterminer nettement le droit de la mer et de faire en sorte que celui-ci réglemente équitablement les divers intérêts en jeu et assure la conservation de cet héritage pour le bien de tous8

8 Première séance plénière, 24 février 1958, procès-verbaux, p. 3, par. 37.

Le prince Wan Waithayakorn a vraiment mis en exergue la définition d'une notion ou d'un concept qui allait demeurer, et se développer progressivement, longtemps après la fin de cette première Conférence sur le droit de la mer. Il a même pressenti l'avenir du développement progressif du droit de la mer, consistant non seulement en une définition des principes du droit international applicables, mais encore en une réglementation équitable des divers intérêts en jeu par une institution internationale, dont les conférences subséquentes sur le droit de la mer nous ont prodigué des exemples, afin d'assurer la conservation de cet héritage pour le bien de tous. L'assurance de la conservation de ce patrimoine commun qu'est la mer, y compris ses ressources naturelles et minérales9, ainsi que la réglementation des divers intérêts particuliers des Etats continuent de nos jours à occuper l'attention des juristes, comme des diplomates et des hommes d'Etat.

9 Sir Kenneth Bailey écrit: «The international customary law of the sea took for its starting point and foundation the idea that the sea and all its resources were the common heritage of mankind.» «Australia and Geneva Conventions», in International Law in Australia, 1965, p. 229.

Quel que soit le statut juridique exact de la mer ou de la haute mer, il est bien certain qu'en vertu des conventions de 1958 son régime exclut une souveraineté territoriale de l'Etat et que la liberté de la mer signifie l'usage de la mer pour tous et pour toutes les utilisations, étant entendu que toute liberté générale comporte des limitations inhérentes. La déclaration du prince Wan, le 24 février 1958, paraît constater ou confirmer un état de fait existant. Il s'agissait donc d'une constatation de l'état de développement du droit coutumier de la mer contre lequel personne n'avait soulevé d'objection. Les principes énoncés n'ont suscité ni opposition ni commentaire négatif, ce qui tend à renforcer leur valeur juridique en tant que règles de droit coutumier n'ayant fait l'objet d'aucune contestation et ayant été approuvées en général par tous les Etats participants. Ce qui reste à clarifier, c'est l'étendue ou la portée juridique précise de la définition de la mer et de ses ressources naturelles.

Dans la même ligne que celle tracée à Genève par le prince Wan, le représentant permanent de Malte, M. l'ambassadeur Pardo, proposa, une décennie plus tard, au sein de la première Commission de l'Assemblée générale à New York, en 196710, que l'utilisation des ressources minérales des fonds marins au-delà des limites de la juridiction nationale des Etats soit réglementée par les Nations Unies, tout en proclamant que ces ressources constituaient le patrimoine commun de l'humanité. Ainsi, le principe du patrimoine commun de l'humanité qu'avait énoncé le président de la première Conférence sur le droit de la mer en 1958 fut enrichi quand il fut précisé qu'une partie importante du fond des mers et des océans, au-delà des limites de la compétence territoriale nationale ou du pouvoir juridictionnel des Etats côtiers, appartient à tous.

10 A/C.1/22/P.V. 15 et 16.

Cette fameuse proposition maltaise de 1967, consistant à confirmer que les ressources des fonds marins au-delà des limites de la juridiction nationale font partie du patrimoine commun de l'humanité, fut applaudie et acceptée par acclamation. Le projet de résolution proposé par le Gouvernement de Malte fut discuté et adopté à l'unanimité11. Une sous-commission fut créée pour étudier la question de la réglementation des divers intérêts, de la gestion et de la distribution des richesses des fonds marins. C'était le commencement des études qui aboutirent à la convocation de la troisième Conférence sur le droit de la mer, dont la onzième et dernière session eut lieu à New York du 8 mars au 24 septembre 1982. Au fil des multiples sessions de cette Conférence, plusieurs principes de droit se sont dégagés des débats, à l'occasion de la présentation des projets d'articles et de la constatation des avis des Etats. Ainsi, le droit coutumier de la mer, en tant que patrimoine commun de l'humanité, a effectué un pas décisif dans le sens de la progression du droit.

11 Résolution de l'Assemblée générale (XXIII), le 19 décembre 1967.

En attendant l'entrée en vigueur de la Convention sur le droit de la mer, adoptée le 30 avril 1982 à New York et ouverte à la signature à la Jamaïque le 10 décembre 1982, les principes énoncés dans les Conventions de 1958, tels qu'ils ont été modifiés par les règles de droit coutumier, continuent à constituer le droit positif régissant la mer, la zone du fond des mers et des océans, ainsi que le sol et le sous-sol.

LES TRAITÉS, ACCORDS ET CONVENTIONS INTERNATIONAUX

La notion de patrimoine commun de l'humanité dans le sens employé dans cette étude trouve également sa base juridique dans des traités, accords et conventions internationaux relatifs à quelques aspects spécifiques des biens faisant partie de l'ensemble du patrimoine commun de l'humanité.

Le droit de la mer, tel qu'il a été codifié, progressivement développé et incorporé dans les quatre Conventions de Genève de 1958 et la convention que vient d'adopter la troisième Conférence sur le droit de la mer (1982), constitue un élément doté de la base juridique positive ou conventionnelle renforçant le concept de patrimoine commun de l'humanité, du moins en ce qui concerne la liberté de la mer, ou de la haute mer et de l'espace océanique excluant toute prétention de souveraineté nationale.

Le droit spatial ou le droit de l'espace régissant l'utilisation pacifique de l'espace extra-atmosphérique, tel qu'il a été incorporé dans les accords spécifiques sur le sujet, a donné des exemples de traités, accords et conventions, fournissant des bases juridiques au concept de patrimoine commun de l'humanité. Ainsi, le traité sur les principes régissant les activités des Etats en matière d'exploration et d'utilisation de l'espace extra-atmosphérique (y compris la lune et les autres corps célestes) du 27 janvier 1967, entré en vigueur le 10 novembre 196712, et le traité régissant les activités des Etats sur la lune et les autres corps célestes étendent le concept de patrimoine commun de l'humanité à tous les corps célestes du système solaire, à l'exception de la Terre, et à leur ressources naturelles13.

12 Le texte du traité, ouvert à la signature le 27 janvier 1967 par les trois Etats dépositaires (Union soviétique, Royaume-Uni et Etats-Unis), figure en annexe à la résolution 2222 (XXI) de l'Assemblée générale du 19 décembre 1966.

13 Voir l'accord régissant les activités des Etats sur la lune et les autres corps célestes, résolution 34/68 de l'Assemblée générale du 5 décembre 1979.

Les droits de l'homme et le droit humanitaire (tel qu'il existe dans divers instruments internationaux) s'expriment d'une manière plus ou moins nette dans les déclarations, les pactes et les conventions, pour constituer la base juridique de ce concept de patrimoine commun de l'humanité dans le domaine des droits de l'homme, ainsi que dans le domaine du droit humanitaire qui cherche à réglementer les conflits armés entre les Etats ou entre les sociétés humaines dans les limites territoriales d'un ou de plusieurs Etats.

i) Parmi les instruments internationaux concernant les droits de l'homme, qui composent l'ensemble de la Charte internationale des droits de l'homme, on peut citer la Déclaration universelle des droits de l'homme (1948)14, le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (1966)15, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (1966)16 et le Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques (1966)17. Il y a en outre bien d'autres instruments internationaux touchant les divers aspects des droits de l'homme, y compris le droit à l'autodétermination, la non-discrimination raciale, la prévention des crimes contre l'humanité, y compris le génocide, la convention relative à l'esclavage, etc.18.

ii) Les instruments internationaux réglant des questions de droit humanitaire comprennent les règlements de La Haye (1899 et 1907)19, les Conventions de Genève (1949)20 et les Protocoles additionnels aux Conventions de Genève (1977)21.

14 Adoptée et proclamée par l'Assemblée générale dans sa résolution 217A (III) du 10 décembre 1948.

15 Adopté et ouvert à la signature, à la ratification et à l'adhésion par l'Assemblée générale dans sa résolution 2200A (XXI) du 16 décembre 1966, et entré en vigueur le 3 janvier 1976, conformément aux dispositions de l'article 27.

16 Adopté et ouvert à la signature, à la ratification et à l'adhésion par l'Assemblée générale dans sa résolution 2200A (XXI) du 6 décembre 1966, et entré en vigueur le 23 mars 1976, conformément aux dispositions de l'article 49.

17 Adopté et ouvert à la signature, à la ratification et à l'adhésion par l'Assemblée générale dans sa résolution 2200A (XXI) du 6 décembre 1966, et entré en vigueur le 23 mars 1976, conformément aux dispositions de l'article 9.

18 Voir, par exemple, l'étude établie par Aureliu Cristescu: Le droit à l'autodétermination, E/CN4/Sub. 2/404/Rev. 1; la Déclaration des Nations Unies sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale, proclamée par l'Assemblée générale le 20 décembre 1963 dans sa résolution 1964 (XVIII); la Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination adoptée par l'Assemblée générale dans sa résolution 2106A (XX) du 21 décembre 1965, entrée en vigueur le 4 janvier 1969, conformément aux dispositions de l'article 19; la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, approuvée et soumise à la signature et à la ratification ou à l'adhésion par l'Assemblée générale dans sa résolution 260A (III) du 9 décembre 1948, entrée en vigueur le 12 janvier 1951, conformément aux dispositions de l'article XIII; la Convention sur l'imprescriptibilité des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité, adoptée et ouverte à la signature, à la ratification et à l'adhésion par l'Assemblée générale dans sa résolution 2391 (XXIII) du 26 novembre 1968, entrée en vigueur le 11 novembre 1970, conformément aux dispositions de l'article VIII; la Convention relative à l'esclavage, signée à Genève le 25 septembre 1926, entrée en vigueur le 9 mars 1927, conformément aux dispositions de l'article 12; et la Convention pour la répression de La traite des êtres humains et de l'exploitation de la prostitution d'autrui, approuvée par l'Assemblée générale dans sa résolution 317 (IV) du 2 décembre 1949, entrée en vigueur le 25 juillet 1951, conformément aux dispositions de l'article 24.

19 Le droit de La Haye, ou droit de la guerre proprement dit, sert à définir et préciser les droits et devoirs des belligérants dans la conduite des opérations et limite le choix des moyens de nuire. Ces stipulations résultent, au principal, des Conventions de La Haye de 1899, révisées en 1907. Le droit de La Haye embrasse aussi des conventions comme celle de Saint-Pétersbourg de 1868, interdisant les balles explosives, et le Protocole de Genève de 1925, prohibant les gaz asphyxiants et les moyens bactériologiques ou similaires.

20 Le droit de Genève, ou droit humanitaire proprement dit, tend à sauvegarder les militaires mis hors de combat ainsi que les personnes qui ne participent pas aux hostilités. Voir, par exemple, Les Conventions de Genève du 12 août 1949, commentaire publié sous la direction de Jean S. Pictet (en quatre volumes): vol. 1 - La Convention de Genève pour l'amélioration du sort des blessés et des malades dans les forces armées en campagne, 1949 (1952); vol. 2 - La Convention de Genève pour l'amélioration du sort des blessés, des malades et des naufragés des forces armées sur mer, 1949 (1959); vol. 3 - La Convention de Genève relative au traitement des prisonniers de guerre, 1949 (1958); vol. 4 - La Convention de Genève relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre, 1949 (1956).

21 Les Protocoles additionnels aux Conventions de Genève du 12 août 1949: n° 1 relatif à la protection des victimes des conflits armés internationaux; n° 2 relatif à la protection des victimes des conflits armés non internationaux, du 10 juin 1977.

Le patrimoine culturel de l'homme, y compris toutes les choses corporelles et incorporelles autres que les droits de l'homme et le droit humanitaire, est reconnu également dans une série de conventions internationales. On citera en particulier la Convention sur le droit d'auteur, le droit littéraire, le droit de reproduction, de publication et de distribution, comprenant la traduction des ouvrages de prose ou de poésie, la musique, les brevets d'invention, les propriétés intellectuelles ou industrielles et la technologie dans tous les domaines du développement économique, ainsi que les instruments portant sur la protection des biens culturels, tels que la Convention de La Haye pour la protection des biens culturels en cas de conflit armé (1954)22.

22 Voir la résolution 20 du protocole additionnel du 10 juin 1977 sur la protection des biens culturels en cas de conflit armé, se référant à la Convention signée à La Haye le 14 mai 1954 et à son protocole additionnel, comme instrument d'une importance capitale visant la protection du patrimoine culturel de l'humanité tout entière contre les effets des conflits armés.

ANALYSE DES ÉLÉMENTS ESSENTIELS D'UNE DÉFINITION

UN PRINCIPE DU DROIT INTERNATIONAL

Tout au long de cet article, de nombreux éléments se sont dégagés du concept de patrimoine commun de l'humanité. Le premier élément paraît très important est certes le droit international dans le cadre duquel le concept de patrimoine commun de l'humanité est appelé à jouer. Ce concept repose sur un principe du droit international n'ayant aucun sens hors du système de droit international. Que le droit international soit prédominant en tant que système juridique régissant les rapports internationaux, personne n'en doute. Comme le droit international lui-même a subi des changements radicaux en ce qui concerne la reconnaissance et le respect de l'humanité, il s'ensuit que des progrès ont dû également être réalisés dans le domaine du patrimoine héréditaire ou de l'héritage commun de l'humanité. Il est évident que le concept de patrimoine commun de l'humanité relève du droit international, car c'est un concept non seulement de droit interne mais essentiellement de droit international régissant les relations entre les Etats.

LA MISE EN APPLICATION

En second lieu, il s'agit d'une limitation imposée à des activités exercées par les Etats et les individus conformément au droit international régissant l'usage ou l'utilisation des biens, avoirs, droits et intérêts faisant partie du patrimoine commun de l'humanité. Admettre que les Etats devraient se conformer aux normes du droit international, c'est en même temps constater que les principes de droit applicables dans les systèmes juridiques internes ne peuvent permettre aucune dérogation aux normes du droit international. La mise en application de telles normes est assurée par l'obligation faite aux Etats de se comporter conformément au droit international.

LA QUESTION DU JUS COGENS

Plusieurs pays en développement ont déjà proposé que la notion de patrimoine commun de l'humanité constitue un principe de jus cogens, c'est-à-dire un principe impératif qui n'admet aucune dérogation. La question de savoir si un principe quelconque du droit international est vraiment un principe de jus cogens pourrait être résolue par référence au critère de l'indépendance absolue de la volonté ou du consentement des Etats. S'il s'agit d'un principe de jus cogens, on se trouve en présence d'un principe primordial du droit international qui n'est pas assujetti à l'exception du consentement de l'Etat. L'accord des Etats peut altérer bien des rapports inter-étatiques, sauf en ce qui concerne les activités réglementées par un principe de jus cogens, par exemple les principes de l'indépendance de tous les peuples, de l'autodétermination, de la décolonisation, du droit inaliénable, de la souveraineté permanente des Etats sur les ressources naturelles et de la dignité de l'homme. Dire que le patrimoine commun de l'humanité relève d'un principe de droit international du type jus cogens, c'est constater l'établissement d'un régime spécial, d'un statut spécifique, presque sacro-saint. Aucun Etat, aucun individu et aucune organisation internationale ne saurait violer un tel principe sans être condamné par la communauté tout entière. Une dérogation ou violation du patrimoine commun de l'humanité devrait être corrigée et restituée in integrum autant que possible. Aucun autre principe du droit international ou du droit interne ne pourrait changer le contenu de ce principe. Seul un autre principe de jus cogens pourrait à l'avenir modifier un principe existant de jus cogens.

L'ÉGALITÉ ET LA NON-DISCRIMINATION

Un quatrième élément caractéristique du patrimoine commun de l'humanité se manifeste par l'application du principe d'égalité et de non-discrimination quant à l'utilisation du patrimoine collectif de l'humanité. L'égalité existe devant la loi, mais plus important encore, c'est souvent l'égalité pratique des possibilités d'exploration, d'exploitation et d'utilisation qui compte beaucoup plus que la possibilité théorique d'en faire un usage égalitaire. L'aspect négatif de la non-discrimination signifie qu'aucune discrimination n'est admissible pour n'importe quelle raison et quelle que soit la base juridique ou la justification d'un traitement inégal. En pratique, l'égalité et la non-discrimination impliquent l'impossibilité d'allouer à quiconque (Etat, particulier ou organisation internationale) des droits exclusifs, ou de nier l'usage de ce patrimoine commun à toute autre personne. Aucune inégalité ou discrimination n'est admise ou tolérée en ce qui concerne l'usage ou l'utilisation du patrimoine commun de l'humanité.

AFFECTATION À L'INTÉRÊT GÉNÉRAL

Les activités des Etats à l'égard des biens, avoirs, droits et intérêts faisant partie du patrimoine commun de l'humanité, telles qu'elles ont été autorisées, consenties ou sanctionnées par une convention internationale, servent en fait l'intérêt général. Dans la mesure où ces activités, exercées par exemple dans l'Atlantique ou dans l'espace extra-atmosphérique, sont sans but lucratif, et pourvu qu'elles soient pacifiques, elles accroissent la connaissance humaine et le progrès scientifique, et profitent à l'humanité tout entière. L'affectation à l'intérêt général est essentiellement un critère du patrimoine commun.

LA NON-APPROPRIATION

La «non-appropriabilité» paraît être un élément décisif du patrimoine commun de l'humanité. Vraisemblablement, l'élément de l'être hors du commerce, extra commercium, et par conséquent hors d'appropriation, d'occupation ou d'usage exclusif, est un facteur distinctif. La non-appropriation a en outre une signification économique, comme l'a souligné Mme S. Bastid à propos des ressources du fond des mers, patrimoine commun de l'humanité: «Cette notion paraît impliquer la non-appropriation par un Etat souverain, le droit de participation ouvert à tous les Etats dans l'exploration et l'exploitation de ce patrimoine commun, sa gestion rationnelle et sa préservation23.» Cet élément négatif ou bien prohibitif ou régulateur de l'usage du patrimoine commun de l'humanité implique l'absence de la possibilité juridique ou de la légitimité ou légalité d'un acte d'appropriation, qu'il soit exécuté par un Etat souverain, comme l'a cité Mme S. Bastid, par un simple particulier ou par une société industrielle, autorisée ou non par un Etat ou par une organisation internationale, hors du contrôle universellement imposé et admis pour l'intérêt général en faveur de l'humanité tout entière. Autrement dit, l'appropriation illégale étant prohibée par un principe de jus cogens, elle entraîne des conséquences juridiques d'ordre répressif, à moins d'un retour au status quo ante. Cela ne veut pas dire qu'il n'y aura pas de possibilité d'exploration, d'exploitation ou d'usage réglementé conformément au droit international et au régime institué par l'organisation mondiale de caractère universel, c'est-à-dire par tous les Etats ou presque tous les Etats.

23 Voir S. Bastid: «L'état du droit international public en 1973», in Journal du droit international, 1973, p. 5-21. Voir aussi C.A. Colliard: «La gestion internationale des ressources de la mer», in Actualités du droit de la mer, Paris, Pedone, 1972, p. 199 et suivantes.

L'ÉVOLUTION DU NOUVEAU DROIT INTERNATIONAL VISANT LA PROTECTION DE L'HUMANITÉ

Un dernier élément essentiel de ce nouveau concept s'inscrit dans la ligne d'évolution du droit international général, dans ses tendances actuelles et futures, qui visent à protéger les faibles contre les forts et les pauvres contre les riches, et à soutenir les Etats les plus nombreux, les moins développés scientifiquement et les moins avancés économiquement. Le processus de décolonisation et de préservation de la souveraineté permanente sur les ressources naturelles, ainsi que les mesures visant à garantir le respect des droits de l'homme et de la dignité de la personne humaine, tout cela fait partie de l'ensemble d'une évolution constante qui se manifeste depuis peu dans tous les domaines, et qui ne semble plus niable pour des raisons politiques, égoïstes ou philanthropiques.

Cette évolution signifie une limitation du champ d'action des Etats, des individus et des sociétés privées ou commerciales. Les activités concernant la gestion d'une partie quelconque de ce patrimoine commun de l'humanité devraient être autorisées par le droit international et exercées en conformité avec ce nouveau principe du droit international en vigueur, qui cherche à protéger l'homme et à faire avancer son bien-être, et tend à assurer une meilleure protection de sa vie, et par là même la survie de l'espèce humaine.

LE CONCEPT DE PATRIMOINE COMMUN DE L'HUMANITÉ DANS LE DROIT INTERNATIONAL DE DEMAIN

Le concept de patrimoine commun de l'humanité, analysé et examiné ci-dessus, continue et devrait continuer, semble-t-il, à évoluer dans une direction qui favorise l'humanité. Peut-être l'humanité s'attribue-t-elle la tâche qui consiste à s'affirmer pour assurer sa propre survie, face à plusieurs catastrophes et holocaustes, qui par deux fois dans l'espace d'une vie humaine ont frappé cette Terre que nous peuplons actuellement. Ce concept se modifie au fur et à mesure de son évolution. Plus les choses changent, plus le concept s'élargit. Plus le droit international d'aujourd'hui avance dans l'avenir avec davantage de raisons pour renforcer la protection et la promotion de l'humanité, plus le concept de patrimoine commun de l'humanité ne cesse d'élargir son contenu, et ainsi de multiplier la portée juridique et même physique des biens, avoirs, droits et intérêts, capables de faire partie du patrimoine commun de l'humanité.

Les exemples des biens, avoirs, droits et intérêts ainsi classifies comme faisant partie de ce patrimoine héréditaire de l'homme se multiplient à maintes reprises, de sorte que dans divers domaines il y a eu des tendances inverses. D'une part, ce concept continue à évoluer et à élargir le contenu, le cadre et la portée de son application; d'autre part, les intérêts spéciaux ou nationaux des Etats s'inscrivent dans plusieurs domaines, notamment dans les récents développements progressifs du droit de la mer, le concept de zone économique exclusive étant pleinement accepté. Ces nouveaux régimes du territoire sous-marin ou de l'espace marin surjacent constituent en réalité une réduction inévitable du domaine qui aurait pu être traité comme faisant partie du patrimoine commun de l'humanité.

Il est significatif de noter en observant ce processus d'évolution que dans la concrétisation de ces normes pertinentes, par exemple dans le domaine du droit de la mer ou des fonds marins, les deux tendances se rencontrent. Les négociations des Etats ont produit des solutions de compromis dans l'intérêt général de l'humanité. Le nouveau droit international cherche à être équilibré dans son évolution. Les intérêts généraux et les intérêts nationaux, étatiques ou particuliers devraient être équilibrés, à moins que les conflits ne s'aggravent, ne détériorent la situation mondiale et n'accentuent les problèmes qui nous touchent.

Nous verrons ci-après où s'arrêtent ces conflits sur une base de compromis acceptable et rationnel. La recherche d'une solution de compromis basée sur l'équité et l'égalité se poursuit chaque jour, aussi longtemps que les Etats sont d'accord pour continuer à négocier et à chercher une solution amicale qui soit juste, équitable et favorable à tous. La tâche n'est pas facile. Mais, l'acceptation de cette tâche n'est-elle pas un défi à la génération future, car celle-ci à son tour devrait s'efforcer de sauver et sauvegarder l'humanité tout entière. Si une génération quelconque laisse se relâcher sa vigilance, c'est à partir de ce moment-là que l'humanité commencera à s'affaiblir et ensuite à se désintégrer. L'équilibre devrait donc être soigneusement préservé, face aux conflits d'intérêts qui se produisent.

Quelle sera donc la place du concept de patrimoine commun de l'humanité dans le droit international de demain? L'avenir de ce concept dépend de la capacité de l'humanité, en tant qu'institution, de s'adapter, d'équilibrer les divers intérêts, de les ranger dans un ordre qui soit juste et profitable à tous, et de trouver parmi eux l'ordre de préséance ou de priorité dans chaque cas, tout en gardant suffisamment de souplesse et d'esprit de compromis dans l'intérêt général de l'humanité tout entière. Les Etats, à leur tour, devraient protéger leurs intérêts vitaux et spéciaux, en veillant à la protection des intérêts spécifiques de leurs ressortissants et des agents agissant pour leur compte. Par contre, en dernière analyse, c'est l'intérêt général de l'humanité qui devrait prévaloir.

Deux principales catégories de biens ou de choses pourront être distinguées dans la liste des biens, avoirs, droits et intérêts. En premier lieu, il semble y avoir une catégorie de biens corporels qui appartiennent à l'humanité en entier et n'appartiennent donc à personne, à aucun Etat en particulier. Sont compris dans cette liste l'univers, le cosmos, le soleil, la lune, les étoiles, ainsi que tous les autres corps célestes de l'univers, de notre système solaire. Les étoiles et les planètes ne pourront faire l'objet d'une occupation ni par des individus, ni par un Etat ou un organe d'Etat quelconque. On peut appeler cela le patrimoine céleste ou le patrimoine extra-terrestre de l'homme.

Seront également inclus dans cette même catégorie de biens corporels une variété de biens composant le patrimoine terrestre de l'homme, y compris les espaces aériens et marins, ainsi que les parcelles de territoire et les fonds marins, les mers et les océans, qui demeurent hors du commerce et en même temps hors de l'appropriation exclusive par un particulier ou par un Etat ou un groupe d'Etats. Il existe sur la Terre des parcelles de territoire, des zones de terre ferme (terra firma) ou des continents et des mers, des océans et des espaces aériens qui, dans l'ensemble, font partie intégrante du patrimoine commun de l'homme, et qui ne peuvent ainsi appartenir à aucun Etat, à aucun individu, quelle que soit sa nationalité, quelle que soit l'autorité ou la supériorité de sa puissance publique, de sa souveraineté étatique, même supranationale ou super-étatique. En droit interne, l'individu a insisté sur le droit de propriété exclusive même à long terme, au-delà de la vie d'une génération. De même, en droit international, l'Etat aurait pu prétendre exercer sa souveraineté sur tout le reste des océans, des mers et des terrae nullius, jusqu'alors non occupés ou ne faisant pas l'objet d'une occupation pacifique par un autre Etat. Ces revendications, ces prétentieuses proclamations ne sont aucunement fondées en droit, ni dans le système national, ni dans le système international. Il y a sur cette Terre des parcelles de territoire qui ne sont à personne, à aucun Etat en particulier, mais qui servent tout le monde et appartiennent ainsi en commun à toute l'humanité. Ce sont, par exemple, les espaces atmosphériques supérieurs autour de la Terre, ou bien les espaces stratosphériques et ionosphériques de la Terre, le cœur, l'axe, le fond ou l'intérieur de la Terre, les glaciers ou territoires glaciaires dans les régions polaires au nord et au sud de la Terre (en dépit de quelques prétentions), le fond des mers hors de la juridiction nationale, la haute mer, les espaces aériens au-dessus de la haute mer et des océans: tout ce qui compose ainsi le patrimoine dit terrestre de l'humanité. Au-delà de la limite du patrimoine terrestre commence l'étendue du patrimoine céleste ou extra-terrestre de l'homme.

A part ces patrimoines céleste et terrestre qui relèvent de la perception corporelle, il y a des biens faisant partie du patrimoine de l'humanité que l'esprit perçoit par abstraction. Ce patrimoine spirituel, qui comprend des biens incorporels, que l'on ne voit ni ne touche mais que l'on saisit par l'esprit, se compose des droits fondamentaux de l'homme et de tous les droits humanitaires que l'homme peut invoquer: ils font partie du patrimoine des biens incorporels de l'humanité24. Ces droits de l'homme se manifestent dans diverses formes de droit, par exemple le droit à la survie, aux libertés fondamentales, au développement, à la qualité de l'environnement, au standard minimal pour le traitement de l'homme, à la protection en tant qu'espèce humaine, à la dignité de l'homme, à la préservation contre l'extinction ou contre la cruauté découlant d'un conflit armé, etc.

24 Extrait des Institutes de Gaius, liv. II, par. 2 et suivants (Digeste, liv. I, titre VIII, fragment 1): (2) «Summa itaque rerum divisio in duos articulos diducitur: nam aliae sunt divini juris, aliae humani...» (10) «Hae autem quae humani juris sunt, aut publicae sunt aut privatae..» (12) «Quaedam praeterea res corporales sunt, quaedam incorporales...» (14) «Incorporales sunt quae tangi non possunt, qualia sunt ea quae (in) jure consistunt, sicut hereditas, ususfructus, obligationes quoquo modo contractae... Nam ipsum jus successionis et ipsum jus utendi fruendi et ipsum jus obligationis incorporale est».

Outre la répartition des biens corporels de l'humanité en patrimoine céleste et patrimoine terrestre et la classification principale du patrimoine commun de l'homme en biens corporels et biens incorporels, il faut ajouter une troisième dimension, un troisième type de division de biens, droits, avoirs et intérêts de l'homme, à savoir le patrimoine culturel. Ce dernier comprend les propriétés intellectuelles, les propriétés industrielles, les brevets, les inventions, les progrès scientifiques, sanitaires, littéraires, etc., représentant l'avancement de l'humanité, ainsi que tous les biens culturels comme témoignages de l'histoire de l'homme et de la civilisation humaine, les archives, les inscriptions en pierre, les sites et les objets archéologiques, faisant partie en ce sens du patrimoine culturel de l'ensemble de l'humanité et non pas de telle ou telle race ou nation, ou d'un certain groupe ethnique en particulier.

Le patrimoine commun de l'humanité dont le contenu a été ainsi examiné pourrait faire l'objet d'une étude plus détaillée, portant sur chaque catégorie ou domaine de patrimoine et leurs divers éléments - corporels, incorporels et culturels -, d'après la classification proposée et brièvement exposée ci-dessus.


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