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La forêt aux paysans: Projet de villages forestiers dans le nord-est de la Thaïlande

J. Amyot

J. Amyot travaille a l'Institut de sociologie de l'Université Chulalongkorn, à Bangkok (Thaïlande). Le présent article est un condensé du rapport d'évaluation du projet de villages forestiers dans le nord-est de la Thaïlande, que l'auteur a écrit pour la FAO.

LES RESPONSABLES DU PROJET SUIVENT LA PRODUCTION DES PÉPINIÈRES ces arbres serviront à la restauration des terres et aux activités agroforestières

L'occupation par les agriculteurs de forêts classées pose un problème dans de nombreux pays. Dans les années 70, le Gouvernement thaïlandais a lancé un programme qui vise à la fois à permettre aux petits paysans de subsister et à reconstituer la forêt en autorisant, dans certaines conditions, l'utilisation agricole des réserves forestières, tout en restaurant les terres pour la foresterie.

En 1979, le PNUD et la FAO ont entrepris un projet pilote qui devait servir de modèle pour l'exécution du programme. La première phase opérationnelle de ce projet s'est achevée vers la fin de 1986.

Le présent article expose les objectifs, les moyens et les résultats de ce projet, qui a permis aux forestiers de collaborer avec les petits paysans pour travailler au développement.

L'accent est mis sur les objectifs socio-économiques du projet, qui se sont avérés beaucoup plus complexes que les problèmes de technique forestière.

Bien que la politique forestière de la Thaïlande soit principalement axée sur la conservation et la gestion des forêts dans une perspective économique et écologique, les considérations sociales y prennent une place grandissante depuis quelque temps, à mesure que s'accentuent la pression démographique sur les terres et la nécessité de venir en aide aux ruraux pauvres et sans terre.

Contrairement aux précédents, le cinquième Plan national (1981-1986) insiste plus sur la redistribution des revenus et la lutte contre la pauvreté que sur la croissance économique. Il prévoit notamment la création de nombreux villages forestiers pour remédier à la pression démographique qui pousse les paysans à occuper des terres forestières classées.

L'objectif est de regrouper les «squatters» éparpillés dans la forêt dans des villages créés sur des réserves forestières dégradées où ils peuvent cultiver les terres jugées propres à l'agriculture, en bénéficiant de services publics et d'assistance technique. Les terres non allouées à des villages sont reconverties en forêt productive. Il est prévu de créer 100 villages de ce type pendant le cinquième Plan.

La loi de 1978 sur les forêts (Forestry Act) réglemente l'utilisation des terres forestières dégradées à d'autres fins que la foresterie, notamment pour l'agriculture. La formule proposée par le Service thaïlandais des forêts pour exécuter cette politique a été adoptée par décret ministériel en 1981. Ce décret habilite le directeur général du Service des forêts à concéder l'usufruit de terres forestières classées d'une superficie pouvant aller jusqu'à 15 rai (2,4 ha) à des concessionnaires répondant à certains critères. Ce système d'usufruit, le «Sor Tor Kor» (STK), fait maintenant partie de tous les projets de villages forestiers parrainés par le Service des forêts (environ 75 en 1984).

Prévoyant les difficultés de cette approche novatrice, le gouvernement a demandé au PNUD et à la FAO de l'aider à concevoir des moyens efficaces pour l'appliquer. C'est ainsi qu'en 1979 un projet pilote a été lancé avec l'assistance technique du PNUD, la FAO étant l'agent d'exécution et le Service thaïlandais des forêts l'organisme local coopérant. La phase 11 de ce projet de restauration et utilisation diversifiée des forêts dans le nord-est de la Thaïlande (Projet PNUD n° THA/81/004) s'est achevée en septembre 1986.

Généralités

Le projet concerne environ 9000 ha dans le secteur nord-ouest de la forêt domaniale classée de Khao Phu Luang (province de Korat), soit environ 8 pour cent de la superficie totale de la réserve. Korat est la province d'accès à la région du nord-est, la plus pauvre des quatre régions de Thaïlande, caractérisée par des sols pauvres, un climat rigoureux et le manque d'eau.

L'objectif immédiat était de restaurer 40 pour cent de la forêt naturelle dégradée, tout en favorisant le développement socio-économique (c'est-à-dire en soulageant la pauvreté) des squatters, étapes préalables à l'établissement de peuplements artificiels. Les avantages socio-économiques (facteurs de production permettant aux agriculteurs d'accroître leur revenu en espèces, allocation de terres, infrastructure et services) visaient à convaincre les paysans de s'établir à titre permanent dans le reste de la forêt (60 pour cent) et d'y cultiver la terre et, en fin de compte, de participer spontanément aux activités forestières (au moyen de techniques d'agroforesterie) pour compléter leur revenu.

Il était donc urgent de réglementer la production de charbon de bois dans le pays.

ACTIVITÉS SYLVOPASTORALES le pâturage contrôlé est autorisé dans certaines plantations du projet

Diverses études préalables ont été faites: enquêtes socio-économiques, carte des sols et de leur vocation, inventaire forestier, examen des politiques et des réglementations forestières, et évaluation des possibilités d'agroforesterie. Des contacts ont été pris avec les autorités de la province et du district, ainsi qu'avec les responsables de la vulgarisation agricole, du développement communautaire, de la santé, de l'enseignement extra-scolaire, des pêches, des banques, etc.

La végétation naturelle dans la zone du projet est la forêt sèche sempervirente et la forêt caducifoliée hétérogène (voir au tableau la classification établie sur la base de l'inventaire forestier de 1980).

La densité moyenne de la forêt n'était plus que de 59 arbres à l'hectare (30 m3/ha de bois marchand). Négociants en bois, agriculteurs et producteurs de charbon de bois abattaient illégalement de nombreux arbres; la forêt dégradée ne contenait presque plus d'arbres ayant une valeur commerciale. Certaines terres d'agriculture permanente ou sur brûlis abandonnées depuis peu à cause de l'épuisement du sol étaient envahies par les graminées Imperata.

D'après une enquête de 1982, il y avait dans la zone 1293 ménages et 8000 habitants au total. Soixante-neuf pour cent des personnes interrogées étaient établies dans la zone du projet depuis un an ou deux, 31 pour cent depuis trois ans ou plus, et certaines depuis 30 ans. Il y avait quelques villages relativement anciens, mais surtout des foyers isolés dans la campagne.

Ce sont les abattages pour les scieries qui ont le plus contribué à déboiser la zone puis, à partir du début des années 50, les défrichements pour cultiver le maïs, devenu principal produit d'exportation. Le mais était très rentable les premières années, car le sol récemment défriché était riche et les rendements élevés, même sans engrais.

Les ouvriers qui ont construit les routes, en particulier la 304, de 1966 à 1969, ont joué un rôle important. Nombre d'entre eux, des agriculteurs venus d'autres zones productrices de maïs, s'établirent dans la région, une fois terminée la route, pour cultiver le mais. Le bruit se répandit rapidement jusque dans leurs villages d'origine qu'il y avait des terres fertiles disponibles dans la forêt de Khao Phu Luang. De nombreux cultivateurs de maïs vinrent alors acheter un lopin ou en défricher un en brûlant les arbres et les broussailles qui restaient.

La plupart des agriculteurs interroges lors d'une enquête menée en 1982 se déclaraient propriétaires d'une partie ou de la totalité de la terre qu'ils cultivaient, mais en fait tous occupaient illégalement des terres domaniales dans la forêt classée. A cette époque, il n'existait aucune disposition juridique permettant de régulariser leur occupation du sol. Toutefois, la population reconnaissait un droit de propriété à ces cultivateurs, qui pouvaient donc disposer de leur terre comme s'ils en étaient les propriétaires légitimes, l'exploiter, la vendre, la louer, la léguer, etc. Près de la moitié de ces «propriétaires» payaient un impôt foncier à l'administration du district, qui leur délivrait même un reçu, leur reconnaissant ainsi - du moins implicitement - un droit de propriété.

Objectifs et résultats du projet

Restauration de la forêt La restauration de la forêt à des fins écologiques et économiques était l'un des objectifs principaux du projet. On a planté surtout Eucalyptus camaldulensis (de Petford et Katherina) et Leucaena leucocephala. Chaque année, de 200 à 300 ha de terre forestière dégradée étaient préparés pour recevoir les plants produits en pépinière. Le défrichage se faisait à la main ou au tracteur, et la végétation ligneuse, coupée et empilée, servait de bois de feu ou de bois d'œuvre.

Dans les zones où l'on pratiquait l'agroforesterie, les agriculteurs exécutaient eux-mêmes les travaux, avec des outils manuels. Ailleurs, on a recruté de la main-d'œuvre. La population locale avait la priorité car ces travaux faisaient partie du plan global de développement socio-économique de la zone. Toutefois, il n'y avait pas assez de main-d'œuvre locale parce que les paysans étaient absorbés par les tâches agricoles, et il a fallu recruter à l'extérieur. Le manque de participation locale s'explique aussi par le retard des salaires, souvent versés plusieurs mois après la fin des travaux. Au total, 1163 ha ont été reboisés.

Consolidation des communautés villageoises et allocation de terre. La stratégie de développement socio-économique de la zone reposait sur la consolidation des communautés villageoises dans un contexte agroforestier et sur l'allocation de droits d'usufruit selon le système Sor Tor Kor (STK)

Classification des terres dans la zone du projet

 

Pourcentage de la superficie totale

1980

1975

Forêt sèche sempervirente intacte

7,32

22,80

Forêt sèche sempervirente non intacte

1,64

1,61

Terres agricoles

58,90

41,58

Zones de brûlis

32,01

33,87

Eau

0,07

0,07

APPRENTISSAGE des cour de vulgarisation sont organisés pour les villageoises

L'objectif de départ était la création de six villages agroforestiers - auxquels s'en est ajouté un septième en 1985 - dotés chacun d'une infrastructure matérielle et sociale de base et d'un ensemble de facteurs de production agricole et de services (santé, enseignement, etc.).

La priorité a été donnée aux routes. On a construit - et entretenu pendant toute la durée du projet environ 70 km de routes rudimentaires mais desservant presque tous les villages, ainsi que des digues et des barrages pour alimenter la population en eau.

Les nouveaux villages se sont peuplés plus lentement que prévu parce que les agriculteurs hésitaient à se déplacer et que, étant dispersés, ils ont eu du mal à s'organiser et à choisir parmi eux des responsables. A la fin de 1986, 317 ménages - soit environ un cinquième de la population de la zone du projet - étaient installés dans les nouveaux villages.

Chaque ménage a reçu 15 rai de terre selon le système STK et chaque village 10 rai (1,6 ha) par famille pour des utilisations collectives, principalement la plantation d'arbres fruitiers.

Sur les 5704 ha considérés aptes à l'agriculture, 1832 ha, soit 32 pour cent, ont été arpentés et alloués à 920 ménages, soit 59 pour cent des 1560 ménages résidant dans la zone du projet à la fin de 1985.

Le plus difficile a été de faire accepter le principe des 15 rai. Autre question épineuse: Que faire dans le cas des usufruitaires absentéistes? Plutôt que de forcer les choses au risque de provoquer des conflits, le Service des forêts a agi avec souplesse et pragmatisme, délimitant des parcelles qui pouvaient être allouées sans trop de démêlés et renvoyant la solution des cas problématiques à un moment plus approprié.

L'utilisation par les agriculteurs résidents des terres non allouées à un ménage ou à un village reste tolérée, de même que celle des terres destinées à être reboisées qui ne sont pas encore plantées.

La région du nord-est est caractérisée par des sols pauvres, un climat rigoureux et le manque d'eau.

Agroforesterie. Tout l'enjeu était de permettre aux agriculteurs de subvenir à leurs besoins avec des parcelles de 2,4 ha seulement, tout en protégeant la forêt naturelle et en la régénérant. Or, cela était impossible en maintenant la monoculture du mais, en particulier avec la pratique du brûlis.

On a donc incité les agriculteurs à mieux gérer leur exploitation et à se livrer à des activités parallèles pour gagner davantage: artisanat, travail à temps partiel dans les plantations, etc.

Il importait de diversifier les cultures. On a proposé le coton, le haricot mungo, le soja, le ricin, l'arachide, le riz pluvial et le kénaf. Le mais, dominait toujours à la fin du projet, mais une certaine diversification commençait à apparaître.

Dans le domaine de l'agroforesterie, le projet a encouragé les activités suivantes: plantation d'arbres forestiers et fruitiers par les intéressés pour leur propre usage; pastoralisme forestier; apiculture et fabrication de charbon de bois.

Les plants ont été fournis par le projet; des recherches et des essais de terrain ont permis de déterminer les essences les mieux adaptées à l'environnement et les plus utiles pour l'agroforesterie. On a choisi les mêmes essences que pour le reboisement: Eucalyptus camaldulensis et Leucaena leucocephala. Dans les zones consacrées à l'apiculture, on a retenu aussi Calliandra calothyrsus et Eucalyptus deglupta pour le pollen. Près de 170000 plants ont été distribués dans les fermes et les écoles, tant dans la zone du projet qu'à l'extérieur, en réponse à la demande.

Les efforts n'ont guère suscité d'enthousiasme dans un premier temps pour plusieurs raisons. Le bois de feu n'étant pas rare dans la région, les agriculteurs ne voyaient pas la nécessité de planter des arbres, d'autant plus qu'ils ne pourraient en profiter, l'abattage étant interdit dans une réserve forestière. Le concept même d'agroforesterie était étranger à ces cultivateurs de maïs, qui pensaient que des arbres dans leurs champs les empêcheraient de labourer au tracteur. Toutefois, petit à petit, ils se sont laissé convaincre. Selon un sondage de 1985, 56 pour cent des agriculteurs interrogés avaient au moins commencé de planter des haies et 51 pour cent des arbres forestiers. Toutefois, seulement 3 pour cent avaient participé à l'établissement ou à la gestion des parcelles boisées villageoises.

Si, en 1985, l'habitude de planter des arbres était assez bien établie, les agriculteurs n'en tiraient pas encore de gain, ce qui les a probablement découragés.

Le bruit se répandit rapidement qu'il y avait des terres fertiles disponibles dans la forêt de Khao Phu Luang.

Charbon de bois. Alors qu'ils ont accueilli avec quelque scepticisme l'idée de planter des arbres pour vendre le bois à des scieries, les paysans ont immédiatement accepté de faire du charbon de bois pour l'utiliser ou le vendre. Ils comprenaient parfaitement la valeur des arbres utilisés à cette fin et connaissaient des méthodes de carbonisation. D'après une enquête réalisée au début de 1986 dans la zone du projet, plus de 60 pour cent des 244 ménages interrogés n'utilisaient que du charbon de bois et 27 pour cent du charbon de bois et du bois. Les villageois produisaient eux-mêmes la plus grande partie du charbon qu'ils consommaient, avec du bois qu'ils allaient chercher dans la forêt, dans des charbonnières en meule rudimentaires et inefficaces.

Le Service des forêts a toujours vu d'un mauvais œil le commerce du charbon de bois, en général lié à l'abattage illégal des arbres. D'un autre côté, le charbon de bois est un produit essentiel en Thaïlande, en particulier dans les zones rurales où les autres sources d'énergie pour la cuisine (électricité, gaz liquéfié) n'existent pas ou sont trop chères. Il était donc urgent de réglementer la production de charbon de bois dans le pays.

En premier lieu, on a encouragé les charbonniers locaux à planter des arbres pour ne plus dépendre de la forêt naturelle.

En deuxième lieu, on s'est efforcé d'optimiser la production en introduisant des techniques de carbonisation plus efficaces et peu coûteuses, l'objectif étant de permettre à des entreprises licites de satisfaire la demande locale.

On a choisi le four en terre en forme de ruche. Au premier semestre de 1986, 14 agriculteurs ont appris à construire ce type de four et à le faire fonctionner, devant ensuite former d'autres agriculteurs. Le manuel illustré préparé par l'expert en dendroénergie sur la construction et le fonctionnement de ces fours a été distribué aux agriculteurs.

On a interrogé 68 agriculteurs de la zone du projet pour savoir s'ils étaient disposés à construire ces fours. Ceux qui ont répondu négativement ont invoqué diverses raisons: manque d'argent (34), manque d'espace (10), peur d'être inquiétés par le Service des forêts (22), toutes raisons non fondées puisque les fours devaient être construits par les agriculteurs eux-mêmes et leurs familles, qu'ils occupaient très peu de place et que le Service des forêts y consentait à condition que l'on n'abatte pas d'arbres de la forêt. Il est possible toutefois que les agriculteurs aient eu des raisons plus profondes. Comme on l'a déjà mentionné, le charbon de bois est très utile dans la zone du projet, et la production illégale arrivait à satisfaire la demande. Le vrai problème était donc de convaincre les agriculteurs d'arrêter de détruire la forêt et de n'abattre que les arbres de leurs propres plantations, et d'utiliser le four en forme de ruche, plus efficace.

Activités sylvopastorales. Les agriculteurs ont été autorisés à faire paître leur bétail dans les plantations d'arbres d'une façon réglementée. Au milieu de 1986, cette forme d'élevage avait pris de l'importance, et certains troupeaux comptaient jusqu'à 50 têtes. Pour améliorer le pâturage, on a semé de l'herbe de Guinée et d'autres plantes fourragères sur 16 ha de forêt.

Bien que la formation soit donnée aux hommes, ce sont surtout les femmes qui pratiquent l'apiculture.

Arbres fruitiers. On a distribué des semences d'arbres fruitiers tout au début du projet en geste de bonne volonté. En mai 1982, 28 agriculteurs et deux fonctionnaires du projet ont reçu une formation à la multiplication des plantes.

En avril 1986, on avait distribué quelque 60000 plants et planté sur environ 590 ha des arbres fruitiers très divers ainsi que des cocotiers, des anacardiers (pour les noix de cajou) et des bambous (pour les pousses). Les vergers devaient surtout produire des mangues, des jaques, des cœurs de boeuf et des tamarins, mais aussi des papayes, des bananes et des limes.

En 1986, plusieurs agriculteurs qui avaient planté des arbres fruitiers au début du projet commençaient à en tirer profit. L'un d'eux, interrogé au milieu de l'année, avait vendu pour 40000 baht (1540 dollars) de mangues et acheté une camionnette pour les livrer au marché.

Apiculture. A la fin de mars 1982, huit agriculteurs ont suivi à l'Université de Khon Kaen un stage d'apiculture d'une semaine sur la fabrication de caisses pour les ruches. A la fin de l'année, 30 ruches avaient été achetées pour la zone du projet.

Les apiculteurs ont reçu des conseils sur les opérations saisonnières, l'alimentation des abeilles, la construction du matériel d'apiculture, la lutte contre les ravageurs et les maladies, et les plantes mellifères. On les a aidés à accroître le nombre de leurs colonies, à retirer les cadres et à extraire le miel.

C'est en 1984 que l'apiculture a démarré dans la zone du projet. Dix autres agriculteurs ont été formés en juin; à leur tour, ils en ont formé d'autres, et le mouvement s'est ainsi poursuivi de lui-même. En mars 1986, il y avait 41 apiculteurs et 350 colonies d'abeilles. Bien que la formation soit donnée aux hommes, ce sont surtout les femmes, probablement instruites par eux, qui pratiquent l'apiculture.

Le Service des forêts a incorporé l'apiculture à ses projets de villages forestiers dans tout le pays, et une quarantaine de fonctionnaires assignés à ces villages ont reçu une formation dans ce domaine pendant le projet.

Crédit. Un autre objectif du projet était de fournir du crédit agricole à des taux d'intérêt raisonnables. Au début, les agriculteurs n'avaient aucun titre de propriété. Peu à peu, on leur a délivré des titres d'usufruit (STK) qui légitimaient l'occupation des terres mais n'étaient pas transmissibles, sauf aux héritiers naturels. En raison de cette limitation, les banques commerciales n'acceptaient pas en principe la terre comme garantie puisqu'elles ne pouvaient la saisir en cas de défaut de remboursement.

A la fin de 1982, des pourparlers ont commencé avec la Government Bank for Agriculture and Agricultural Cooperatives (BAAC) sur les possibilités de consentir des prêts aux agriculteurs de la zone du projet. Des fonctionnaires de la Banque se sont rendus sur le terrain pour parler avec les agriculteurs des conditions de prêt et du crédit en général.

Deux groupes, l'un de 13 agriculteurs et l'autre de 24, ont sollicité des prêts et rempli à cette fin des formulaires de responsabilité solidaire. Six du premier groupe et 13 du deuxième ont bénéficié de prêts de 1500 à 2000 baht (de 58 à 77 dollars) chacun. Les autres demandes avaient été rejetées pour diverses raisons: risque, absence de certificats de mariage ou de résidence.

Entre-temps, 60 autres candidats ont été proposés pour des prêts, dont 24 ont été retenus. Les 19 premiers bénéficiaires ont sollicité de nouveaux prêts qui leur ont été consentis. Le premier groupe s'étant parfaitement acquitté du remboursement, la Banque a porté le plafond d'abord à 3000 baht, puis à 4500 baht (173 dollars).

Pendant le deuxième semestre de 1983, 63 agriculteurs de la zone du projet ont adhéré à la Coopérative de crédit Lam Phra Phloeng, récemment créée, en payant une cotisation de 250 baht (9,62 dollars). Ces cotisations sont versées au fonds de crédit, qui est presque intégralement approvisionné par la BAAC. En 1983 et 1984, 203 prêts de 5000 à 7000 baht (de 192 à 269 dollars) ont été consentis à 140 bénéficiaires. Comme pour les prêts de la BAAC, l'agronome du projet à suivi et orienté les emprunteurs qui ont remboursé 100 pour cent.

En 1985, 39 des 43 agriculteurs qui avaient reçu un prêt de la BAAC et l'avaient remboursé ont bénéficié de nouveaux prêts de 204500 baht au total (7865 dollars). De même, 129 des 260 agriculteurs qui avaient reçu des prêts de la Coopérative Lam Phra Phloeng les ont remboursés et en ont obtenu d'autres d'un montant de 1025200 baht (39431 dollars).

Entre juillet 1983 et mars 1986, la BAAC et la Coopérative ont octroyé 303 prêts d'un montant total de 2173500 baht (83596 dollars). Ainsi, des petits paysans dépourvus de titres de propriété ont déjoué le système de domination des usuriers.

Le certificat STK a donné aux agriculteurs la sécurité de jouissance dont ils avaient besoin. Pour les banques, le risque a été minimisé grâce au parrainage général du projet et à son efficacité en ce qui concerne le remboursement.

CULTURE DANS LA FORET le maïs prédomine toujours dans la zone du projet

Services de santé. En matière de santé publique, la politique du gouvernement est d'installer des services médicaux, de créer des dispensaires, de vacciner les enfants et de donner des notions d'hygiène dans les zones rurales défavorisées à cause de l'isolement et des mauvaises routes. Les autorités de la province de Korat prévoyaient d'appliquer cette politique dans la zone du projet en 1985, mais étant donné la nécessité évidente de ces services, ils ont accepté, à la demande des responsables du projet, d'avancer leur plan de deux ans.

Les neuf premiers mois, 1026 hommes, femmes et enfants ont reçu des soins. En avril 1984, 117 candidats venant de 13 villages de la zone du projet ont suivi un stage d'une semaine pour devenir agents sanitaires. Neuf d'entre eux ont été sélectionnés pour être volontaires sanitaires et ont suivi un autre stage de deux semaines.

L'un des grands problèmes de santé est la qualité de l'eau potable. C'est l'eau de pluie recueillie dans de grandes jarres en ciment qui est utilisée pour boire et cuisiner. Au début du projet, il n'y avait pas assez de jarres, parce qu'elles coûtaient trop cher. Les agriculteurs ont appris à les fabriquer eux-mêmes, ce qui leur a permis d'avoir beaucoup plus d'eau potable de bonne qualité toute l'année.

PRIORITÉ AUX ROUTES la mobilité et l'accès aux marchés sont fondamentaux

Activités extra-agricoles. Les possibilités d'obtenir un revenu d'appoint en exerçant des activités en dehors de la ferme ne manquaient pas dans la zone du projet. Dix-sept stages de formation ont été organisés d'octobre 1983 à février 1985, la plupart pour les femmes: couture (13 stages), cuisine et conservation des aliments (2).11 y a eu aussi un stage pour former des mécaniciens (réparation de moteurs) et un autre pour former des coiffeurs pour hommes.

Les écoles ont servi de centres de diffusion des innovations proposées dans le cadre du projet; elles étaient desservies par une bibliothèque mobile, et des cours d'hygiène et de nutrition y ont été donnés.

Perfectionnement du personnel. Bien que la Thaïlande ait déjà une certaine tradition - théorique et pratique - de la foresterie sociale, les fonctionnaires du Service des forêts n'ont pas appris à traiter les problèmes humains et socio-économiques qui y sont liés. C'est pourquoi le projet prévoyait la formation du personnel.

Les premiers intéressés ont été les sept fonctionnaires du Service des forêts travaillant à plein temps pour le projet. D'autres fonctionnaires du Service ont aussi eu l'occasion de se perfectionner et l'on s'est efforcé d'intégrer systématiquement les enseignements pédagogiques du projet dans l'ensemble du Service des forêts.

Des activités plus formelles ont aussi été proposées: deux des directeurs adjoints sur le terrain ont reçu une bourse pour préparer une maîtrise (Master), l'un en foresterie sociale à l'Université des Philippines (Los Baños), et l'autre en planification du développement rural à l'Institut asiatique de technologie (Bangkok). D'autres ont bénéficié de bourses de deux ou trois mois. Cinq ont suivi des cours de foresterie sociale à l'Université des Philippines. Le projet a parrainé quatre voyages d'étude de la foresterie sociale en République de Corée, en Indonésie, aux Philippines et au Népal, à chacun desquels ont participé quatre fonctionnaires du projet et deux agriculteurs locaux.

En outre, la Faculté des arts de la communication de l'Université Chulalongkorn (Bangkok) a organisé cinq stages de formation sur la communication à l'appui du développement à l'intention des fonctionnaires et autres agents du Service des forêts et des organismes publics collaborant au projet.

Evaluation du projet

A ce stade, on ne peut guère évaluer que la capacité du projet d'amorcer et de stimuler le changement; ses effets ne seront pas pleinement connus avant quelques années.

Le reboisement de 1163 ha de forêt dégradée a profondément modifié la zone du projet. Les collines autrefois dénudées sont maintenant couvertes de jeunes arbres, et les villageois se réjouissent de ce changement saisissant.

Il est indéniable que le sol a cessé de s'éroder sur les pentes plantées d'arbres. Les Leucaena, grâce à leur aptitude à fixer l'azote et à l'humus produit par leurs feuilles, ont amélioré les sols.

Il faudrait faire une nouvelle étude de terrain pour bien évaluer les progrès, mais l'analyse économique des exploitations agricoles montre clairement que l'utilisation des terres est beaucoup plus rationnelle dans la zone du projet. Toutefois, il faut encore du temps pour que tous les agriculteurs soient convaincus de l'avantage de ce progrès et que les plantations d'arbres et le développement agricole se poursuivent comme prévu.

L'organisation des villages est devenue un peu plus cohérente grâce au regroupement, spontané ou planifié, de foyers éparpillés en noyaux communautaires, principalement autour des nouvelles infrastructures (routes, retenues).

Le droit des villageois sur leurs parcelles est maintenant légalement reconnu. Ils vivent dans des communautés fonctionnelles dotées d'une infrastructure sociale normale, participent aux activités communautaires et bénéficient des services publics de base (enseignement, santé, administration locale, sécurité, appui au développement agricole).

Des services et des institutions répondant aux besoins de l'ensemble de la communauté ont été créés dans de nombreux villages, principalement à l'initiative des villageois.

Grâce aux routes et aux transports publics, les communications se sont beaucoup améliorées.

Depuis qu'ils fabriquent eux-mêmes les jarres en ciment, les villageois peuvent stocker beaucoup plus d'eau de pluie. Le pourcentage de ménages ayant des latrines (principalement des fosses d'aisance) est passé de moins de 10 pour cent à environ 25 pour cent.

Un système de soins de santé primaires fonctionne dans la zone du projet depuis le milieu de 1984. Les dispensaires, maintenant au nombre de trois, sont beaucoup plus utilisés, car on peut désormais y accéder facilement par la route.

Pendant la campagne de 1985, le mais, a continué de dominer, mais d'autres cultures, insignifiantes en 1981, ont pris de l'importance.

La population de la zone du projet a tiré un revenu d'appoint d'activités extra-agricoles, notamment, selon l'enquête économique: entretien des plantations du projet, travaux occasionnels, commercialisation, fabrication de charbon de bois, pêche, et autres (apiculture, menuiserie, conduite de véhicules, couture). Cinquante-deux pour cent des 300 ménages interrogés se sont livrés à des «travaux occasionnels», probablement dans de grandes exploitations; beaucoup aussi se sont occupés de l'«entretien des plantations» et de «commercialisation». Les renseignements recueillis sur le nombre et le revenu des ménages fabriquant du charbon de bois ne sont pas très fiables, les agriculteurs ne pouvant parler librement de cette activité, alors illégale.

Le projet a été jugé très positif par l'ensemble de la population, qui a surtout apprécié les routes ainsi que l'effet d'incitation qui a mobilisé de nombreux appuis pour le développement.

On favorise la foresterie communautaire dans l'espoir que l'effort communautaire aidera à reconstituer le patrimoine forestier national. C'est ce qui se passe dans la zone du projet où les villageois plantent beaucoup d'arbres fruitiers, mais font preuve de moins d'enthousiasme pour les autres essences.

On espère que les autres activités proposées prendront de l'essor: plantation d'arbres forestiers par les particuliers pour vendre le bois aux industries consommatrices, l'utiliser pour la construction, le chauffage ou la carbonisation, et arbres intercalés dans les cultures de rapport.

En pratique, les agriculteurs ont continué de disposer de la terre comme s'ils en étaient propriétaires.

Distribution des terres

Distribution des terres

Deux questions n'ont pas été réglées à ce jour: la redistribution des terres conformément aux lois et réglementations, et la grande disparité des revenus et de la taille des exploitations.

La taille moyenne des exploitations pour toutes les catégories d'agriculteurs est passée pendant le projet de 24,85 à 31,37 rai. Dans la catégorie des agriculteurs marginaux, elle est passée de 5 à 8,16 rai; leur situation s'est donc améliorée. La taille moyenne des grosses exploitations est passée de 59,5 à 92,85 rai.

Par ailleurs, l'inégalité dans la répartition de la propriété foncière s'est aggravée. La moitié des agriculteurs interrogés détenaient moins de 20 rai de terre, contre 42,5 pour cent en 1981.

Ainsi qu'il a été mentionné, les agriculteurs qui ont reçu des certificats STK ne sont pas propriétaires de la terre au sens juridique et n'en ont que l'usufruit. Toutefois, en pratique ils ont continué de disposer de la terre comme s'ils en étaient propriétaires, la vendant ou la louant comme ils l'entendaient.

Or, le mais, continue d'être la principale culture dans la zone du projet, et bien que l'adoption de pratiques améliorées y soit pour quelque chose, c'est surtout en élargissant la superficie qu'ils cultivent que les agriculteurs améliorent leur revenu.

La solution à long terme prévue par le projet est de faire bénéficier tous les agriculteurs du plan STK, et de leur permettre de survivre financièrement avec une parcelle de 15 rai grâce à des activités agroforestières. Toutefois, le plafond de 15 rai n'a jamais été bien accepté, et il est peut-être vain d'espérer que les agriculteurs qui occupent 68 pour cent des terres agricoles non encore allouées (en 1986) y renonceront sans recours aux tribunaux.

La politique du gouvernement en ce qui concerne l'allocation de terres forestières aux paysans sans terre est actuellement à l'examen et a déjà fait l'objet de plusieurs études depuis 1980. Certains estiment que le système STK n'est ni observé ni applicable. La terre continue de se vendre officieusement, et le Service des forêts n'a ni le personnel ni les ressources nécessaires pour s'y opposer. En outre, il semble que l'octroi des certificats d'usufruit ait un effet contraire à celui escompté. En effet, les paysans qui auparavant occupaient des terres illégalement savaient que personne ne les expulserait par crainte des conséquences politiques. Depuis l'introduction du système STK, ils sont le point de mire et craignent de ne pas pouvoir garder plus de 15 rai.

Pour le programme de réforme agraire en Thaïlande, administré par le Bureau de la réforme agraire (ALRO) qui relève du Ministère de l'agriculture et des coopératives, on a adopté une autre formule qu'il vaut la peine d'examiner. Ce programme prévoit aussi la restauration des forêts dégradées, mais celles-ci ont été déclassées et sont passées sous la juridiction de l'ALRO. L'occupation des terres est légalisée grâce à l'octroi d'un titre d'usufruit qui, contrairement au certificat STK, concède un droit permanent.

L'autre différence fondamentale est que l'ALRO reconnaît les droits des squatters qui, s'ils doivent céder une part des terres qu'ils occupent, ont donc droit à une compensation. Son programme vise essentiellement à redistribuer les terres. La taille maximale des parcelles est en principe de 50 rai (8 ha), et toute superficie excédentaire doit être vendue à l'ALRO.

Il conviendrait de redéfinir le rôle du Service des forêts ainsi que celui de l'ALRO dans la mise en œuvre des projets de foresterie sociale.

Enseignements du projet

Les résultats du projet sont positifs, en dépit de certains inconvénients qui ne sont pas imputables aux responsables.

Les «paysans squatters» se sont d'abord montrés hostiles au projet parce que les forestiers étaient pour eux des agents d'exécution de la loi. Ils craignaient d'être expulsés et de perdre ainsi leur moyen de subsistance. La première tâche des responsables a donc été de les rassurer et de gagner leur confiance en leur expliquant les objectifs du projet. Puis il a fallu les convaincre de l'utilité du reboisement, même sur les terres qu'ils occupaient, et les persuader d'accepter le régime d'usufruit mis en place selon le système STK. Enfin, les responsables du projet ont dû obtenir la coopération de la population et sa participation active aux diverses activités de développement socio-économique.

Tout a été fait pour établir une bonne communication entre la population et le personnel du projet. Les responsables ont évité tout comportement les assimilant à des représentants de l'autorité, se montrant au contraire très compréhensifs, prêts à servir de porte-parole des villageois auprès des instances supérieures, et ils se sont faits d'utiles intermédiaires apportant aux populations les bienfaits du développement.

A cet égard, les forestiers du projet ont été très appréciés, comme il ressort du sondage entrepris dans le cadre de l'enquête sociologique: plus de 85 pour cent des personnes interrogées se sont déclarées satisfaites ou très satisfaites d'eux (entente facile, courtoisie, sens du devoir, compétence).

Un autre aspect important du projet est le rôle de coordonnateur qu'il a joué auprès des organismes publics et de porte-parole des villageois. A cet égard, le parrainage par les Nations Unies ainsi que la compétence et le prestige du conseiller technique principal de la FAO ont beaucoup facilité les choses, et en général les organismes publics sollicités ont réagi plus rapidement que dans d'autres projets.

Enfin, et ce n'est pas là son moindre mérite, le projet doit beaucoup de son succès à la souplesse de la gestion. Sans modifier les objectifs essentiels ni abandonner des activités prévues, on a régulièrement révisé les plans en fonction de l'évolution des circonstances. Ce style de gestion a été possible grâce à la décentralisation des structures et à la souplesse des règles qui autorisaient les responsables à agir sur le terrain sans devoir en référer constamment aux autorités supérieures.

Il est évident que le Service des forêts, fort de cette réussite, fera tout pour mener à terme la phase suivante du projet et en tirera des enseignements précieux pour d'autres projets de foresterie sociale.


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