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Troisième partie: Le feu et l'amenagement forestier


Considérations préliminaires
Protection et extension de la forêt-climax
Forêt équatoriale
Forêt dense sèche tropicale
Aménagement de la forêt claire
Aménagement de la savane
Savanes guinéennes et périguinéennes
Savanes soudano-zambéziennes
Savanes et steppes sahéliennes
Protection des plantations forestières
Semis sur cendres


Considérations préliminaires

Le milieu socio-politique de l'Afrique intertropicale offre des facilités mais aussi des difficultés sérieuses au point de vue des aménagements agricoles et forestiers. Il est bon d'en relever quelques aspects pouvant exercer une influence sur les projets et modes d'action en rapport avec la lutte contre les feux de brousse.

Contrairement à d'autres régions, l'Europe par exemple, il n'y a pas de délimitation quelque peu fixe entre les domaines agricole, forestier et de l'élevage, à de rares exceptions près. Ainsi, même les forêts classées et autres réserves et parcs nationaux sont soumis à des droits coutumiers ou sont régulièrement pénétrés par les populations autochtones, faute d'une législation précise ou de moyens de la faire respecter, mais surtout faute d'alternatives offertes à ces populations. Les services administratifs et techniques, même s'ils sont convaincus du rôle qu'ils ont à remplir, sont généralement humainement et matériellement en état d'infériorité devant la masse des contrevenants. Dans bien des régions, seules les plantations d'essences exotiques sont respectées par les populations, comme biens privés ou publics soustraits aux droits d'usage coutumiers. Les atteintes à leur intégrité sont alors perçues comme les seuls délits forestiers punissables.

L'état de dépendance quasi total des populations riveraines vis-à-vis de la terre forestière et des produits qu'elle prodigue, n'est pas fait pour faciliter leur aménagement dans un contexte conservateur et répressif. Les forêts, dans bien des cas, sont avant tout une réserve de culture pour les riverains. Dans ce cas, le matériau ligneux qu'elles portent est autant une entrave au défrichement qu'une source de cendres fertilisantes. En dehors de la préparation des champs, la forêt est un simple fournisseur de bois et autres produits secondaires qu'elle a de tout temps produit vu qu'elle a toujours existé et existera toujours. Sa pérennité ne semble faire aucun doute et son rôle écologique est souvent incompris. Comme partout ailleurs dans le monde, les responsables de l'élevage sacrifient volontiers l'arbre à l'herbe, le feu étant le moyen le plus pratique d'y parvenir.

Parlant brièvement de la législation anciennement en vigueur dans les pays d'Afrique tropicale, nous avons vu qu'elle avait souvent abouti, en dehors des régions équatoriales, à l'effet inverse du but escompté. Réduisant le nombre d'incendiés de début de saison, elle a accru d'autant la fréquence, la violence et l'extension des feux tardifs. Et il n'est pas interdit de penser que, par la force des choses, le caractère tardif du feu de brousse soit devenu une tradition. Ce serait d'ailleurs une excellente chose qui laisserait espérer que, de la même manière, la généralisation du brûlage précoce pourrait devenir également une coutume. Nous baserons, en partie, notre programme en matière de lutte contre les feux de brousse sur cette mutation des habitudes et coutumes. Faute de pouvoir convaincre chacun des réels avantages du brûlage hâtif, il faut essayer qu'il se généralise par simple réflexe, la théorie pouvant venir plus tard.

Le même réflexe vis-à-vis de la forêt est partagé par l'agriculteur des zones périforestières qui doit lutter sans cesse contre la reforestation naturelle de ses défrichements et par l'éleveur toujours en quête de pâturages nouveaux pour faire survivre un cheptel trop important que la nature ne peut décemment nourrir. Au sud de l'équateur où l'élevage est peu développé ou nul, le rural a plus de raison encore de croire en l'immortalité de la forêt. Et pourtant nombreux sont ceux qui se plaignent de devoir aller de plus en plus loin pour trouver le bois de feu ou de quoi fabriquer du charbon de bois.

Un premier pas vers le respect de l'arbre a été fait dans certaines régions soudaniennes, orientales et sahéliennes, les plus densément habitées et les plus touchées par la déforestation. Cette valorisation découle, non seulement de la pénurie de bois dont souffrent ces populations, mais davantage, pensons-nous, du travail qu'elles ont dû fournir pour replanter des arbres, biens personnels ou collectifs, et les sauver de la destruction par le feu.

La région autour des centres miniers du Haut-Shaba, a connu un début de telle pénurie, du fait notamment de la surexploitation de la forêt pour l'extraction de produits d'étayage, qui avait pris des proportions inquiétantes au cours des dernières décennies. Pour reboiser les espaces désormais vides de l'ancienne forêt claire, une méthode simple et efficace de semis d'Eucalyptus avait été mise au point et proposée après vulgarisation à la population locale. Cette dernière refusa d'y avoir recours du fait qu'elle n'était pas accoutumée à cette essence et qu'un réflexe de méfiance basé sur les agissements antérieurs des colons lui donnant la certitude que cette action serait mise à profit pour leur retirer la terre encore une fois.

Sans vouloir généraliser de telles particularités locales, le forestier devra s'en enquérir avant de concevoir ses plans d'action pour chaque région. Aucun de ceux-ci ne réussira s'il heurte sans le modifier de façon convaincante et libre, un principe profondément ancré dans les mentalités. L'application des règles de lutte contre les feux de brousse sera donc précédée d'une campagne de sensibilisation menée avec la collaboration étroite des populations concernées. En outre, tout aménagement du domaine forestier, en vue du contrôle des feux de brousse, doit viser des objectifs précis. D'après 1. Guilloteau ( l 957) les plans d'action à concevoir varieront selon que l'on désire avant tout assurer la conservation de l'eau, que l'on a besoin en premier lieu de productions forestières ou que l'on doit satisfaire tout d'abord à des besoins en pâturages.


Protection et extension de la forêt-climax

Forêt équatoriale


Conclusions


Les divers types de forêts plus ou moins liées au climat équatorial ont peu à craindre des feux sauvages. Il n'y aurait donc rien à en dire si l'homme ne mettait intentionnellement le feu aux herbes des jachères pour maintenir ouvertes les clairières qui, sans cela, auraient souvent tendance à se refermer naturellement. En les incinérant, le cultivateur peut les étendre sans peine au point que, dans les zones déjà fort entamées, elles se rejoignent d'elles-mêmes. Nous avons vu que le phénomène s'accélère dès que ces trouées communiquent entre elles et forment un maillage continu, isolant des massifs forestiers attaqués de toute part par les incendies ultérieurs.

La lutte contre ces incendies pose davantage un problème sociologique que technique. Ainsi, il faudrait pouvoir limiter les nouveaux défrichements, surtout en cas de culture itinérante, aux secteurs forestiers qui viennent d'être exploités et ont ainsi perdu beaucoup de leur valeur forestière. A moins qu'une politique d'aménagement ne leur soit appliquée: ouverture de trouées et percées complémentaires, semis ou plantations, dégagement des semis naturels d'essences nobles, mises en lumière des recrûs, etc.

A côté des forêts denses, la région guinéo-congolaise compte des savanes, souvent très peu boisées, d'origine ancienne. La strate herbacée y est généralement abondante et alimente des incendies violents qui ne peuvent qu'être nuisibles au sol déjà, souvent, en assez mauvais état. Leur protection contre les feux ou les mises à feu précoces relèvent de la discipline et de l'éducation des populations autant que de la politique agricole adoptée par les autorités. La sédentarisation de l'agriculture et d'un élevage éventuel aura l'avantage de maintenir ces clairières anciennes ou qui furent ouvertes dans la forêt à grand-peine. Elle fixera les limites entre les deux domaines forestier et agricole mais nécessitera la mise au point d'une rotation appropriée et de mesures de conservation de la fertilité des sols comme la jachère et l'apport de fumure organique.

Conclusions

La protection des savanes guinéennes et périguinéennes par brûlage hâtif ou toute autre technique, ne doit pas avoir nécessairement comme objectif d'en provoquer la reforestation naturelle mais, au moins, la sauvegarde des massifs denses en maintenant leurs lisières hors d'atteinte du feu.

La sédentarisation de l'agriculture, au sein de ces savanes, établira des limites relativement fixes entre elles et un domaine forestier mieux respecté. Epargné par de nouveaux défrichements, ce dernier pourra être l'objet d'un réel aménagement. Les anciennes coupes devraient être soit suivies de travaux d'enrichissement, si les perspectives de renouvellement de la forêt sont bonnes, soit servir à une extension de l'agriculture sédentaire, notamment lorsque la pression humaine n'autorise aucune autre alternative. Autorisés hors forêt, ces extensions laisseraient la forêt intacte. L'agriculteur aura tout à y gagner puisqu'une partie du peuplement aura déjà été défrichée et qu'il disposera de tout un réseau de voies d'accès et de pénétration. Dans ce cas de cession à l'agriculture itinérante, le système de la reforestation intercalaire sera utilement pratique. Les techniques en sont bien connues: système sylvo-bananier du Mayumbe zaïrois ou taungya asiatique, introduisant des essences secondaires de grande valeur, à intervalle régulier dans les cultures, le paysan s'engageant à les entretenir.


Forêt dense sèche tropicale


Intérêt des peuplements
Choix du mode de traitement
Effets de la protection
Conclusions

Intérêt des peuplements

Le caractère climacique de la forêt dense sèche tropicale et du fourré leur confère une supériorité écologique d'autant plus grande que le pédoclimax qui les porte est, lui-aussi, plus évolué et plus complet dans sa structure que le sol sous forêt claire et savane. La différence de végétation et de colonisation animale présente un autre attrait scientifique et bien souvent économique. Suivant les régions, on y trouve des arbres de réelle valeur tels qu'Enfandrophragma, Khaya et autres acajous africains, Erythrophleum sauveolens, Milicia (= Chlorophora) excelsa, Albizia zygia, Pterocarpas, Dialium, Aubrevilleana, etc. Ces diverses particularités militent en faveur de la sauvegarde de ces derniers massifs denses et de leur extension d'autant plus que, dans la majorité des cas, ils n'occupent plus que de très faibles superficies et ne soustraient donc que peu de terres à l'agriculture. Ajoutons la valeur esthétique de tels bosquets et le fait qu'en bien des régions, ils sont vénérés comme forêts sacrées, refuges des esprits et cimetières inviolables. Avec leur disparition, c'est toute une flore riche et variée, toute une faune particulière qui risquent de se perdre, tout un potentiel génétique irremplaçable. C'est aussi le climat qui évolue, le sol qui se dégrade, le vent et le feu que plus rien n'arrête.

Choix du mode de traitement

La grande sensibilité au feu des éléments de la forêt dense et du fourré climaciques voudraient, comme certains l'ont préconisé, que les secteurs qui en comportent encore des vestiges suffisants soient protégés de façon absolue. D'autant plus que nous savons que les incendies tardifs et violents attaquent leurs lisières et les font régresser. Et si la protection qu'ils exercent du côté opposé aux vents dominants permet une certaine extension dans la zone, ce n'est jamais que remplacer un peuplement adulte par une jeune régénération. Et il ne faut pas minimiser les feux de litière qui peuvent les parcourir grâce aux couloirs de pénétration de l'homme et des animaux.

Or en analysant les résultats de la protection absolue de la forêt claire, nous verrons qu'elle est pratiquement impossible à garantir malgré des mesures sévères et coûteuses de surveillance et d'entretien de pare-feu. En cas d'incendié tardif accidentel, les flammes trouvent une accumulation d'herbes, feuilles et bois morts et l'intense brasier occasionne des dégâts considérables. Dans les régions à longue saison sèche et aussi longtemps que les habitudes n'auront pas changé, un feu tardif accidentel est toujours à craindre. C'est pourquoi, dans les conditions actuelles, nous préconisons l'application préventive du brûlage précoce annuel. Divers essais ont d'ailleurs prouvé que c'est, de loin, la méthode de protection la plus sûre et finalement la plus rapide.

La mise à feu aura lieu par temps calme, lorsque la végétation herbacée proche des lisières du massif est encore turgescente et arrêtera le feu parcourant la strate herbeuse voisine relativement plus sèche. Progressant de l'extérieur vers le massif à protéger, le front d'incendie s'arrêtera de lui-même à son approche.

La parfaite acclimatation de la forêt dense et son dynamisme, conditions indispensables pour réaliser une formation climacique, expliquent l'abondance de semis naturels des espèces qui la constituent au coeur de la forêt claire ou de la savane voisines. Seul le feu les empêche de survivre. Mais les espèces pionnières, arbustives, sarmenteuses, lianeuses, s'enracinant aisément au contact du sol, supportent beaucoup mieux un incendie peu violent et rejettent souvent vigoureusement de souche, si celui-ci les rabat. Le feu précoce bien conduit qui les atteint ne les supprimera pas nécessairement. Epargnées ou léchées par les flammes, elles vont s'étendre, se multiplier, couvrir le sol et le nettoyer de toute autre végétation basse. Sans que ce type de Forêt dense implique toute une succession de peuplements secondaires pour préparer son rétablissement, il faut cependant attendre ce nettoyage et le relèvement du couvert des lianes et arbustes pionniers pour que puissent réellement s'implanter les espèces de la future futaie.

La progression de la lisière se fait de façon irrégulière. Ici, une liane rampe sur le sol puis monte à l'assaut d'un arbre. C'est le cas des Canthium, Mucuna, Artabotrys, Paullinia pinnata, Landolphia et genres apparentés. Ailleurs, ce sont des buissons à fructification abondante, précoce et recherchée des animaux, jouissant d'une régénération active tant par voie végétative que par semis: Ixora luxiflora, Psychotria psychotrioides, Ouratea, Abrus, Sorindeia, Sapium et bien d'autres. Les lisières avancent par bonds successifs allant en s'élargissant, se rejoignant, isolant dans leurs mailles de petites stations de formation ouverte, s'élevant au niveau de la strate arborescente qu'elles recouvrent et étouffent.

Allumé de l'extérieur, le feu précoce s'arrêtera suivant cette ligne irrégulière faute de trouver encore une végétation herbeuse sèche et suffisante.

Effets de la protection

Des essais expérimentaux et des observations in situ ont permis de suivre et de confirmer la parfaite acclimatation de la forêt dense sèche du Haut-Shaba et sa progression active dans les secteurs quelque peu protégés des feux annuels. Les résultats sont identiques en Zambie voisine. Nous avons vu un cas assez spectaculaire du phénomène dans une région peu hospitalière abandonnée par sa population (figure 2). Sur les hauts plateaux, la fermeture d'une petite exploitation minière a fait migrer les travailleurs et autres habitants vers des régions plus fertiles. Après quelques années, les anciennes jachères envahies de bambou, Oxythenanthera obyssinica furent rapidement colonisées par une jeune forêt dense climacique. Un relevé floristique montre encore une nette dominance des espèces pionnières dont les plus abondantes sont: Strychnos angolensis, Canthium lucidum, Salacia pyriformis, Rhaphiostylis beninensis, Combretum gossweileri, Canthium gueinzei, Sapium schmitzii, Ancylobotrys amoena, Diclyaphleba lucida, Strychnos lucens, S. kasengeensis, Sorindeia katangensis, etc. Cependant quelques espèces de futaie qui ont subsisté sur place ou à proximité se régénèrent déjà: Erythrophlenm suaveolens, Syygium guineense subsp. afromontanum, Parinari excelsa subsp. holstii, Entandrophragma delevoyi, etc. Ici aussi on ne peut invoquer que la réduction de la violence des feux car le sol graveleux y forme une crête drainée par de profonds ravins latéraux. C'est précisément dans de telles gorges encaissées et abritées du feu que se maintiennent les éléments du climax.

La parfaite acclimatation de ces espèces a également été mise en évidence par la bonne réussite des semis effectués en pépinière et leur plantation en parcelles au microclimat et au sol totalement différents de ceux de la forêt climacique. La seule protection contre l'incendie a ainsi permis la réussite de boisements expérimentaux en Canarium schweinfurthii, Entandrophragma delevoyi, Erythrophleum suaveolens, Ricinodendron heudelotii, etc. (Schmitz et Misson, 1959). A noter cependant que certaines espèces sont éliminées par des froids relativement sévères et périodiques.

Dans d'autres régions du Shaba, Desenfans (1952) écrit, au sujet du caractère climacique des muhulu ou massifs de forêt dense sèche disséminés en forêt claire et de leur dynamisme en cas de protection mitigée contre les feux de brousse:

...nous pensons aussi qu'il suffirait de supprimer les feux de brousse pour que la forêt puisse continuer son évolution vers le muhulu ou retourner à cette dernière formation. Le trait essentiel de ce district (de la Lueo) est l'évolution indiscutable vers une formation dense, le muhulu. La force d'expansion des muhulu se manifeste aussi par le fait qu'on trouve certaines de leurs espèces en régénération dans la savane ouverte.

Observant les effets d'une protection de la forêt claire, en Zambie, Delevoy (1950) reconnait la quasi-impossibilité d'empêcher le feu de passer et l'extension de la forêt dense favorisée par le brûlage hâtif.

Dans l'hémisphère Nord, tout au moins sous climat soudanien, la conversion doit être aussi facile là où la forêt dense était encore abondante il y a peu. Quant la région sahélienne, si le feu y sévit moins, par contre l'aridité du sol et de l'air y est plus grande et il est possible que le peuplement climacique y soit moins intéressant sinon des points de vue scientifique et écologique.

Adianohoun (1964) affirme qu'en Côte d'Ivoire, les feux précoces ne semblent pas entraver la reforestation mais l'autorisent à un rythme plus lent que la protection absolue. Un peuplement de Turraeanthus africanus, Heisteria parvifolia, Cola gabonensis, C. caricifolia, etc. a été défriché, essouché puis ensemencé en 35 herbacées, principalement graminées, cypéracées et légumineuses. Après deux ans seulement de traitement par brûlage hâtif, le site montre des signes d'une reforestation avancée. Pour l'auteur une telle protection par feu précoce d'une savane préforestière conduit inéluctablement à un embuissonnement, prélude à un reboisement naturel.

Dans la plaine d'Accra, Jenik et Hall (1976) admettent une séquence assez semblable à celle décrite pour le Shaba: large extension des fourrés et de la forêt dense en période humide, il y a 10 000 ans, puis une ère aride avec une avancée, vers le sud, des zones soudanienne et sahélienne et retrait des peuplements fermés en des refuges favorables comme les crêtes rocheuses. Depuis 5 000 ans, période encore sèche mais moins aride, il y eût maintien de la dualité floristique et extension des forêts et fourrés sans qu'il y ait eu, pour autant' élimination totale des formations ouvertes. Les auteurs citent d'autres sources selon lesquelles la plaine d'Accra aurait été occupée par des formations denses continues jusqu'à quelques centaines d'années d'ici. Les savanes devraient leur extension actuelle à la seule action de l'homme. Les auteurs regroupent ces forêts denses et fourrés climaciques dans une classe phytosociologique des Strombosio-Parinarietea regroupant les végétations climaciques de l'Afrique équatoriale, soudano-zambézienne et montagnarde dont celles du Shaba (Schmitz. 1988).

Etudiant la Chaîne de Fon, en Guinée, Schnell (1961) rencontre, même à basse altitude, des lambeaux de forêt haute plus ou moins dégradée qui témoignent de l'extension ancienne de la forêt dense dans ces régions actuellement couvertes de savanes. L'auteur donne plusieurs arguments militant en faveur du caractère climacique de la forêt dense et de son rétablissement dès que l'incendie se fait plus rare et moins violent.

Au Bénin, en région de Bassila, un essai récent d'extension d'une galerie forestière a été entrepris dans le cadre du programme de la FAO de lutte contre les feux de brousse (Schmitz, 1988). Il s'agit, en réalité, d'une forêt assez dégradée, bordant un ruisseau et s'étendant quelque peu sur une berge en pente douce. On y note un mélange d'espèces climaciques, édaphiques et secondaires. Le noyau hygrophile compte Khaya grandifolia, Raphia sadanica, Andira inermis, Allophylus africanus, etc., alors que sont davantage liés au groupement-climax, Manilkara multinervis, Erythrophleum sanveolens, Cola cordifolia, Diospyros mespiliformis, Garcinia ovalifolia, Milicia excelsa, Sterculia tragocantha, Fagara xanthoxyloides, Albizia zygia, Xylopia quintazii, etc. La savane boisée limitrophe est protégée du feu depuis quelques années. Il s'y est déjà créé quelques stations fermées de végétation pionnière de la galerie et les semis naturels des grands arbres autant que des espèces pionnières y sont très abondants. Parmi ces derniers, on peut citer Ixora latiflora, Psychotria psychotricides, Ouratea turnerae, Paullinia pinnata, Artabotrys, Mucuna, Abrus, etc. Quant à la végétation herbeuse savanicole, elle laisse place progressivement à Aframomum cuspidatum, Smilax kraussiana, Costus afer, Thalia geniculata, Olyra latifilia qui se montrent, par endroits, très envahissants. Dans la même région et plus au nord, de nombreux bosquets relictuels de forêt dense témoignent de sa destruction récente. Ils sont remarquables par les dimensions des arbres qu'ils portent encore. Leurs abords présentent aussi des espèces de forêt claire telles que Khaya senegalensis, Anogeissus leiocarpus, Parkia biglobosa, Vitellaria paradoxa, Parinari curatellifolia, Daniellia oliveri, Afzelia africana, etc., nettement plus développés que leurs congénères éduqués en forêt claire ancienne ou en savane. Schnell (1971) cite l'avis d'Aubréville, Chevalier, Adam et autres qui, chacun dans sa région, du Chari au Sénégal, signalent d'anciennes forêts denses sèches d'apparence climacique comportant ces diverses espèces.

Conclusions

Au tertiaire et au début du quaternaire, une forêt claire dont sont issus les peuplements ouverts soudano-zambéziens actuels, a pu représenter le climax dans des conditions beaucoup plus arides que les nôtres. Cette situation pourrait se rétablir progressivement si le climat que nous connaissons continue à évoluer vers une sécheresse accrue. Mais, depuis le Nakurien jusqu'à ce jour, les conditions relativement humides du climat de l'Afrique tropicale font que le climax est incontestablement réalisé par une forêt dense sèche apparentée à la flore guinéocongolaise. La forêt dense équatoriale, soudanienne, orientale et zambézienne présente encore une grande analogie mais aussi des différences acquises d'une évolution qui s'est poursuivie séparément depuis quelque 5 000 ans.

Il est donc du plus grand intérêt scientifique, écologique et aussi technologique de sauvegarder un nombre suffisant des massifs témoins arrivés jusqu'à nous et d'en assurer l'extension là où ils se font rares. Un tel intérêt dépasse très largement l'inconvénient de soustraire quelques hectares à l'occupation humaine même si sa pression est grande. D'autant plus que, dans un proche avenir, ces massifs fourniront des produits de qualité devenus localement rares sinon inexistants.

Les services forestiers nationaux ont donc le devoir de choisir quelques secteurs spécialement intéressants, de les mettre sous protection et de les aménager. Nous étudierons les mesures pratiques à leur appliquer dans la partie consacrée aux expérimentations. Soustraites momentanément à toute exploitation, au défrichement et au pacage, ces réserves d'aménagement seront, avant tout, soumises à un brûlage précoce soigneusement conduit. Elles seront un milieu d'études écologiques tant pour le botaniste que pour le zoologiste, le pédologue ou le climatologue. Une fois l'extension des massifs bien amorcée grâce à l'envahissement de la forêt claire ou de la savane voisines par les éléments pionniers, il sera intéressant de compléter le peuplement définitif. En effet l'exiguïté des massifs actuels, comme c'est le cas dans le sud du Shaba, est telle qu'aucun d'eux n'offre l'espace nécessaire pour accueillir toutes les espèces de la futaie. Semences ou plantules des principales espèces manquantes seront donc introduites au sein des peuplements reformés.

Plus difficile mais combien plus intéressante sera la reconstitution de la forêt climacique là où elle a pratiquement disparu. Ainsi, dans le sud du Burundi, nous avons constaté que les forêts claires à Julbernardia globiflora et à Brachystegia boehmii var. katangensis et Ritchea quarrei protégées des feux violents accusent une nette tendance au retour vers le climax. Celui-ci est préparé par l'envahissement de lianes et arbustes très semblables à ceux du Sud-Shaba et selon un processus qui y est bien connu. Mais les arbres de la futaie semblent avoir pratiquement tous disparu. Un étude devrait être faite de la végétation climacique des régions voisines aux conditions climatiques et édaphiques similaires mais moins dégradées du HautShaba (Zaïre), de Tanzanie, du nord du Malawi et de l'Ouganda afin de reconstituer théoriquement ce que devait être la forêt dense sèche climacique locale. En ont certainement fait partie quelques espèces à large extension géographique comme Parinari excelsa subsp. holstii, Syzygium guineense subsp. afromontanum, Newtonia buchananii, Erythrophleum suaveolens, Chrysophyllum gorungosanum, Ochna afzelii, Tricalysia pallens, Nuxia congesta, Apodytes dimidiata, Clausena anisata, Mimusops zeyheri, Zanha golungensis, Rawsonia lucida, Blighia unijugata, Amorphospermum cerasiferum, etc. Plusieurs de ces espèces manquent dans la flore locale actuelle. D'autres éléments sont probablement davantage endémiques. Ainsi, le genre Entandrophragma était-il représenté par E. delevoyi, E. excelsum, E. utile, E. angolense? La même question se pose pour d'autres genres arborescents et lianeux comptant plusieurs espèces habituelles à ce type de formation: Khaya, Trichilia, Diospyros, Garcinia, Strychnos, Artabotrys, Landolphia et genres voisins.


Aménagement de la forêt claire


Effets du feu sur la forêt claire
Effets du feu sur le recrû forestier
Conditions de mise à feu
Conséquences pour la végétation forestière
Conséquences pour la végétation herbacée
Conséquences pour la faune
Conclusions


Bien qu'il s'agisse d'une formation secondaire, la forêt claire peut être aménagée pour elle-même, sans intention de lui voir substituer un peuplement dense climacique. Nous venons de voir, d'ailleurs, que le rétablissement naturel de ce dernier peut être rendu très difficile par manque de massifs témoins et donc de semenciers, dans certaines régions fort déboisées par suite de la pression humaine.


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