Table des matières - Précédente - Suivante


Les structures antiérosives en relation avec les modes de gestion de l'eau

[planches photographiques 26 et 27]

Il arrive forcément des averses pour lesquelles le sol ne peut absorber toute l'eau: ceci est capital en zone aride et semi-aride car on va pouvoir collecter cette eau et améliorer localement la production. La lutte antiérosive doit donc prévoir la gestion de ces eaux de ruissellement. Il existe quatre modes de gestion des eaux auxquels correspondent des structures antiérosives:

- la capture du ruissellement pour l'irrigation d'appoint (runoff harvesting),
- l'infiltration totale (water absorption),
- la diversion des eaux excédentaires (runoff diversion),
- la dissipation de l'énergie du ruissellement (runoff spreading).

LES STRUCTURES DE CAPTAGE DU RUISSELLEMENT VENANT D'UN IMPLUVIUM

Dans les pays semi-arides où la pluviosité ne permet pas la culture sur l'ensemble du versant, on réserve une partie de ce dernier pour favoriser le ruissellement, lequel est récupéré en aval pour irriguer des surfaces réduites, compléter les apports pluviométriques et améliorer la sécurité de production des cultures (Hudson, 1990).

Reij, Muler et Begeman (1988), dans leur ouvrage sur la capture des eaux de ruissellement en vue d'améliorer la production végétale, classent les techniques disponibles de la façon suivante:

• collecte des eaux sur une courte distance: microcatchment, demi-lune;
• collecte des eaux au bas d'une longue pente: digues de terre, boulis, "trapezoidal bunds" au Turkana (Kenya);
• collecte des eaux de rivière dans son lit;
• diversion des écoulements d'oued;
• barrage avec culture du réservoir après infiltration.

En Tunisie, Gosselin (1939) a étudié l'aménagement de l'espace rural en fonction des facteurs hydrogéologiques (El Amami, 1983).

Il distingue en amont des bassins, les "tabias", bourrelets de terre de forme trapézoïdale, armés à l'aval d'un mur de pierres et sur les côtés, d'un exutoire empierré, haut de 2 à 5 m qui barre une vallée de quelques dizaines de mètres de large. Derrière la tabia qui sert de chemin (rass), s'accumulent les eaux de ruissellement et des sédiments limono-sableux délimitant le jessour, sorte de champ bien alimenté en eau, où croissent des cultures annuelles (orge, pois, lentilles, fèves, pastèques) à l'ombre d'arbres bien adaptés aux apports sédimentaires successifs (figuiers, oliviers, grenadiers, amandiers) (figures 33 et 34).

Sur les versants, sont aménagées des terrasses ou "meskats" irriguées par des canaux captant le ruissellement sur les versants des collines.

Enfin dans la vallée, toute une série d'aménagements permettent de valoriser les eaux d'épandage des crues ou l'exploitation de la nappe phréatique (figures 35 et 36).

El Amami (1983), a pour sa part, classé les systèmes d'aménagements hydrauliques traditionnels en fonction des climats (figure 36).

Dans la zone soudano-sahélienne d'Afrique occidentale, la plupart des sols sont encroûtés en surface et donnent lieu à un ruissellement superficiel particulièrement dommageable sous ces climats semi-arides d'autant plus que ce ruissellement emporte sélectivement les matières organiques et les nutriments des horizons superficiels.

Toute une série de techniques traditionnelles de gestion conservatoire de l'eau et de la fertilité des sols peut être observée dans ces zones très diversifiées tant au niveau du bilan hydrique que du point de vue des ethnies.

Beaucoup de ces aménagements sont localisés sur le glacis en-dessous des collines rocheuses ou latéritiques utilisées comme parcours extensif du bétail, lequel parcours fonctionne comme un impluvium produisant un ruissellement abondant.

Le zaï

Le zaï est une méthode traditionnelle complexe permettant la récupération des sols dégradés sur les glacis sablo-limoneux qui allient la capture du ruissellement et la localisation de la fumure et de l'eau disponible dans des cuvettes avec la complicité des termites. Il existe de nombreuses variantes de zaï dont le zaï forestier, particulièrement bien adapté pour introduire l'agroforesterie en zone soudano-sahélienne (figure 5).

Les demi-lunes (figure 37)

Sur les glacis limoneux qui se dégradent très vite, une fois la végétation naturelle disparue, on peut capter le ruissellement de 10 à 20 m2 en dressant des diguettes en forme de demi-lunes de 2 à 6 m de diamètre pour cultiver des céréales ou quelques arbres. A Ouramiza (Niger), la demi-lune creusée de 20 cm a une surface cultivée de 6 m2 pour une surface de réception de 16 m2 (les demi-cercles de 2 m de rayon sont distants de 4 m sur la courbe de niveau et 4 m de la courbe voisine) (313 demi-lunes par hectare sont formées pour un coût estimé à 900 FF = 80 h/j/ha). On peut aussi creuser des cuvettes de 3 x 0,6 x 0,6 (1 m3) drainant 10 m2, au fond desquelles on plante un ou deux arbres (projet FAO de la Vallée de Keita). Le risque de colmatage de ces micro-bassins est grave pour le mil et certains arbres à cause de la charge solide du ruissellement qui forme rapidement des croûtes peu perméables. L'apport de paille ou de branches permettrait de capter du sable éolien pour maintenir une bonne infiltration. L'apport localisé de fumier pourrait aussi aider à maintenir la capacité d'infiltration.

FIGURE 33

: Tabias et déversoirs

FIGURE 34

: Profil d'une tabia et de son jesser (d'après Bonvallot, 1986)

FIGURE 35

: Aménagement de l'espace rural maghrébin en fonction des facteurs hydrogéologiques (d'après Gosselin, 1939)

Les citernes ou boulis (figures 37, 38 et 41)

Les citernes ou boulis sont creusées dans le glacis à la limite du parcours (glacis gravillonnaire) et du bloc de culture (glacis limoneux). Certains paysans Mossi ont creusé progressivement des trous d'eau, citernes ou boulis de 1 à 2 m de profondeur et avec la terre extraite, ont construit une digue en forme de croissant s'étirant sur une centaine de mètres. Dès les premières pluies, ils disposent de 100 à 500 m3 d'eau de ruissellement assez chargée, soit pour irriguer un petit jardin qui, bien fumé et irrigué à la raie et au zaï peut produire deux cultures: maïs précoce de soudure et pastèques tardives. Elles peuvent aussi servir à alimenter en eau le bétail qui perdra moins de poids en fin de saison sèche s'il n'a pas à se déplacer jusqu'au point d'eau dans la vallée. Cet aménagement qui améliore surtout la sécurité alimentaire à l'époque de la soudure, demande beaucoup de travail, mais il peut s'exécuter progressivement au cours de plusieurs saisons sèches avec l'aide d'une équipe de voisins. On pourrait réduire le travail en plaçant le boulis en tête de ravine, là ou beaucoup de ruissellement se rassemble avant que les transports solides soient importants. On résoudrait par la même occasion, le problème de l'aménagement des ravines qui pourraient se stabiliser naturellement en aval des boulis du simple fait de la réduction des débits de pointe. Il existe maintenant des pompes manuelles (ex.: Etsher 2000 à Ouagadougou) capables d'élever 10 m3 d'eau par jour à 1 mètre de hauteur.

FIGURE 36 : Classification des systèmes hydrauliques traditionnels en fonction des climats (d'après El Amami, 1983)

1. ZONES SUB - HUMIDES : P > 550 mm/an

2. ZONES SEMI - ARIDES P : 400 < P < 550 mm/an

3. ZONES ARIDES, A ETAGE SUPERIEUR P: 200 < P < 400 mm/an

4. ZONES ARIDES A ETAGE INFERIEUR P: 100 < P < 200 mm/an

5. ZONES SAHARIENNES

FIGURE 37 : Collecte et stockage du ruissellement sur versant semi-aride (d'après Roose, 1989)

Paillage

(herbes + branchettes)

• les termites vienent manger les M.O.

- ouvrent des galeries
- favorisent la pénétration du ruissellement
- répartissent les nutriments

• améliore l'infiltration et la fumure

Zaï

(pitting + manure + termites)

• cuvette de 50-80 cm (D, 10-15 cm en profondeur, terre en aval en croissant ® capte le ruissellement sur bassin 3/1

• concentration eau + M.O. + nutriments ® rendement > 800 kg/ha sur sol épuisé

• action + + des termites sur infiltration. Grâce aux galeries l'eau infiltrée est à l'abri de l'évaporation directe

Demi-lunes

(micro catchment 1/5 - 1/10)

• sur glacis limoneux, capture du ruiss. sur 10-20 m2 pour irriguer:

- des céréales
- 1 ou 2 arbres

• protéger l'extrémité des diguettes par 3 cailloux pour éviter l'érosion lors du débordement

Boulis

= citerne creusée au bas d'un glacis à la limite du parcours

• digue construite avec la terre extraite progressivement du centre du croissant
• les sédiments fins apportés avec le ruissellement colmatent le fond de la citerne
• 3 objectifs:

- alimentation en eau du bétail (filtrer)
- irrigation d'appoint d'un jardin précoce (1000 m2)
- les sédiments fins peuvent être récupérés
® briques ou terre organique

FIGURE 38

: Citerne et parcelle servant à tester l'irrigation contre-aléatoire d'un jardin (d'après Dugue, 1986)

Certains dangers doivent être pris en compte: l'érosion sur le glacis amont risque de combler progressivement la mare. Il faut donc prévoir son aménagement pour retenir les terres en place (cordons de pierres, bandes enherbées) sans trop réduire le ruissellement. Une autre solution consiste à récupérer les sédiments frais lorsque les eaux baissent pour en faire des briques qui sècheront au soleil pendant toute la saison sèche. La digue risque de glisser dans la mare si on ne préserve pas un trottoir (environ 1 m de large), ou elle risque d'être dégradée par le bétail ou par la pluie. Il peut être utile de prévoir un péret (ou des herbages) sur la face amont de la digue, de bien la tasser et de la protéger du bétail par une haie vive d'épineux. Il ne doit pas être permis au bétail de patauger dans la mare à cause des risques de contagion par une bête malade. Il faut aménager à l'aval un abreuvoir alimenté par un tuyau souple siphonnant l'eau jusqu'à un filtre (fût de 200 litres rempli de lits successifs de sable et de charbon de bois). Pour éviter l'érosion des extrémités des digues en cas de débordement, il faut protéger la digue par quelques blocs de latérite et des touffes d'herbe pérenne (Andropogon, etc...).

Les digues de terre sous impluvium

Le ruissellement provenant de l'impluvium formé par des collines ou par le parcours, peut aussi être capté par une digue en terre et irriguer un champ aménagé en cordons de pierres. Pour que ce supplément d'eau, distribué pendant l'averse sur un champ qui tend déjà à ruisseler par lui-même, ne provoque pas de ravinement, il faut réduire le rapport surface impluvium sur champ cultivé à moins de trois dans la zone des 400 à 600 mm de pluie, et ralentir la nappe ruisselante à moins de 25 cm/sec., à l'aide d'une série de cordons pierreux disposés tous les 20 m (figure 39). Ce dernier mode de gestion des eaux de ruissellement est cependant délicat car en année sèche, l'impluvium risque d'être insuffisant pour nourrir les grains et en année humide, les apports d'eau trop abondants risquent de réduire la production par engorgement temporaire du sol (Hudson, 1990) et casser les digues.

Au Kenya dans le district de Turkana, Finkel (1986) a élaboré un modèle simple pour estimer le rapport entre la surface d'impluvium et le champ cultivé:


Dans cette région semi-aride du Kenya, ce rapport (P < 200 mm) varie entre 15 et 40 pour les cultures de sorgho et diverses légumineuses (d'après Reij et al., 1988), mais les digues ont été endommagées récemment, en année humide (communication de Reij, 1991). Dans la zone des 600 mm autour de Ouahigouya, ce rapport serait de 1 à 3.

Les micro-bassin (Negarim microcatchment)

Le système probablement le plus connu d'impluvium permettant de récolter de l'eau sur des courtes pentes pour irriguer une culture d'arbres, est certainement les micro-bassins (figure 40). L'élément de base est une petite excavation formant un bassin d'infiltration et une bordure formée d'une diguette en terre de 20 cm de haut tandis que le bassin aurait 40 cm de profondeur. Les diguettes peuvent avoir une forme en V ou en demi-lune. En Israël, dans un nouveau verger, la zone d'infiltration serait de l'ordre de 4 x 4 m, tandis que l'impluvium aurait 3 à6 fois plus de surface.

FIGURE 39

: Agriculture sous impluvium: site expérimental de Bossomboré (Ziga, près de Ouahigouya, Burkina Faso) (d'après Bedu, 1986)

L'aménagement en planches collectant le drainage dans une citerne (vertisol)

Les vertisols sont des sols très argileux et assez fertiles chimiquement, mais extrêmement difficiles à cultiver en saison des pluies. A cette époque en effet, ils sont boueux et manquent de portance. Par contre, il est possible de les labourer en saison sèche un mois après la fin des pluies et de dessiner sur les champs un ensemble de planches de 1,50 m de largeur séparées par des petits sillons en pente légères (0,5 %) qui vont ramener les eaux de drainage vers un exutoire et une citerne creusée dans la terre (figure 41). Ce système permet une double culture: d'une part, une culture de saison des pluies grâce au drainage permet le développement de sorgho sur des planches préparées et semées avant le début des pluies et d'autre part, après la saison des pluies, le sol s'est tellement gorgé d'eau, qu'il a une réserve d'environ 400 mm d'eau lorsque le vertisol a une épaisseur de 1 m. Le réservoir qui récupère les eaux de ruissellement contient quelques centaines de mètres cubes et ne peut servir qu'à produire une irrigation d'appoint sur une partie des champs pour compenser l'arrêt brutal en cours ou en fin de saison. Ce système, mis au point par l'ICRISAT dans la région de Hyderabad au centre de l'Inde a permis de doubler les revenus des paysans mais en exigeant d'eux un travail considérable à une époque où ceux-ci préfèrent concentrer leurs efforts sur les rizières de bas-fond. Ce type d'aménagement ne convient que pour les sols vertiques riches en argile gonflante: il ne convient pas pour les sols rouges ferrugineux tropicaux dont la réserve hydrique est trop faible.

FIGURE 40 :

Plan d'un micro-bassin (d'après Evenari et al., 1968)

FIGURE 41

: Aménagement d'une parcelle en planches drainées par un sillon vers un exutoire enherbé et une citerne sur un vertisol du Centre ICRISAT de Hyderabad (d'après Kampen et al., 1981)

Conclusions

En observant les modes de gestion traditionnelle des eaux dans chaque région, on pourra choisir des méthodes mieux adaptées d'une part, aux conditions écologiques locales sur une longue période, et d'autre part aux habitudes des populations concernées.

Il est probable que sous l'effet de la dégradation des sols par la culture, on aboutisse à la conclusion qu'il n'est pas possible d'éviter le ruissellement. Avant donc de mettre en place des structures de lutte antiérosive, il est indispensable d'étudier l'origine du ruissellement dans les différents cas de culture observés dans le paysage local. L'attitude habituelle de l'ingénieur est de partir de l'hypothèse que les pluies les plus intenses ne peuvent être infiltrées et par conséquent, de négliger pour une bonne part les techniques culturales permettant d'augmenter ces infiltrations. Or, pour répondre à l'attente des paysans qui est d'augmenter l'efficacité, la rentabilité de leurs travaux, donc les rendements, il faut prévoir une amélioration des conditions d'alimentation hydrique et minérale des cultures et par conséquent, de favoriser au maximum l'infiltration totale des pluies (sauf si dans les cas particuliers de montagne, cette infiltration provoque des risques particuliers de glissement de terrain). Les techniques culturales telles que le billonnage cloisonné, le paillage, ou une couverture permanente, entraînent une infiltration quasi totale des eaux de pluie et cassent l'énergie des eaux de ruissellement en nappe. Dans ce cas, il n'est donc pas souhaitable d'investir dans la mise en place de structures antiérosives coûteuses et peu efficaces.

LES STRUCTURES D'INFILTRATION TOTALE

Les structures d'infiltration totale sont utilisées dans deux cas: lorsque les pluies suffisent à peine à assurer l'évapotranspiration des cultures, ou dans les milieux très perméables.

Les fossés aveugles avec talus enherbés du Rwanda (ou le fanya juu du Kenya) (figure 42).

Au Rwanda et Burundi, les Belges ont proposé jadis, vers les années 1935, de creuser des fossés hysohypses sur des pentes de moins de 20 % où la couverture pédologique ferrallitique est profonde et très perméable et où les risques de glissement de terrain sont assez réduits.

Pour éviter que les eaux de ruissellement captées par les fossés ne se rassemblent en un point bas (par erreur de réalisation ou fragilité locale) et ne creusent des ravines profondes, des cloisons de 50 cm d'épaisseur séparent les segments de fossés de 3 m de long et 60 cm de profondeur et de largeur. La terre doit être rejetée vers l'amont et fixée avec de grandes herbes pour créer une terrasse progressive concave. (Pennisetum purpureum, Setaria splendida ou sphacelata, Tripsacum laxum ou Vetiver).

FIGURE 42

: Fossés aveugles avec talus amont enherbé

FIGURE 43

: Gradin ou terrasse méditerranéenne ou encore terrasse radicale

Avantages: les fossés aveugles divisent bien les pentes trop longues en provoquant le stockage du ruissellement et des sédiments, ce qui peut être intéressant dans les zones sèches; ils favorisent aussi la formation de terrasses progressives si on rejette la terre et les sédiments vers l'amont et qu'on protège le talus avec des herbes fixatrices.

Ces fossés rechargent la nappe et humectent les environs permettant la plantation de bananiers et autres arbres exigeants en eau à proximité du fossé.

Inconvénients: cette technique est limitée à des sols profonds perméables et à des pentes de moins de 20 % (Tondeur, 1950).

• Or on a généralisé leur usage dans des conditions impropres (sols peu épais sur schistes ou sur granit) et abandonné leur entretien: d'où des ravinements et glissements de terrain.

• Cette méthode nécessite 300 jours de travail à l'hectare lors du creusement et 20 à 50 jours à l'entretien sans que les paysans ne constatent clairement d'amélioration de la production.

• La surface occupée par les fossés (1 m tous les 10 à 20 m) entraîne une perte de 5 à 10 % de surface cultivable sans augmenter beaucoup la production des bandes cultivées.

• Si la couverture pédologique est peu épaisse (sur les schistes à mica ou les cendres volcaniques sur granit), ces fossés augmentent les risques de glissement de terrain en accélérant l'accès de l'eau au plan de glissement.

• Si les sols sont peu perméables ou les fossés trop petits, non entretenus et encombrés de sédiments, le ruissellement déborde en créant des ravines qu'on voulait justement éviter.

• Les talus verticaux sont souvent mal stabilisés à cause du manque d'entretien des bandes enherbées et surtout du surcreusement par les ouvriers qui préparent les champs en aval.

Proposition: pour augmenter la stabilité de ces talus, il faut les retailler, faire glisser la partie haute et humifère avec les herbes sur l'entaille stérile non couverte. On a pu observer au Burundi que ces talus inclinés sont alors un lieu d'accumulation privilégiée d'eau, de terre et de nutriments qui peut être protégé et valorisé d'une part par la production fourragère intensive du talus, d'autre part par la plantation d'arbres qui vont drainer le pied du talus et réduire les risques de glissement, et enfin par des haies vives ou des arbustes fruitiers retaillés chaque année pour le maintien du haut du talus.

La plantation de grands arbres en haut du talus risque d'ébranler les talus lors des grands vents. Actuellement, on a tendance à abandonner les fossés, à y installer un sentier d'exploitation ou à transformer ceux qui existent en compostières et y planter des bananiers (Roose, 1990).

Les gradins ou terrasses méditerranéennes (bench terracing) (figure 43)

On observe le plus souvent les gradins dans les montagnes autour du bassin méditerranéen, mais aussi dans les Andes du Pérou, à Bali, en Indonésie et en Chine, là où les zones planes manquent, là où la population est dense ou menacée par un envahisseur comme les Dogons au Mali, là où le travail est obligatoire ou très bon marché, et là où l'on peut irriguer et sortir des produits de haute valeur ajoutée (ex.: les oeillets de Nice, les fraises en Espagne et en Lozère, le kif dans le Rif central et le khat dans la région de Hararghe en Ethiopie).

Les gradins sont formés d'un talus subvertical renforcé par des pierres ou par des herbes et d'une terrasse en pente douce inversée avec possibilité d'irrigation et de drainage de la pente en long.

Avantages:

• Les gradins créent des zones planes et suppriment l'érosion en nappe,
• ils permettent d'investir et d'améliorer la productivité des terres sur forte pente,
• ils augmentent l'eau disponible pour les plantes,
• et permettent d'irriguer en captant les eaux de montagne et le ruissellement sur les talus.

Inconvénients:

• C'est un aménagement extrêmement coûteux lors de la formation, qui exige 500 à 1 200 jours de travail pour aménager un hectare et exige ensuite l'entretien des talus.

• Il augmente les risques de glissement de terrain car il favorise l'infiltration près de la roche; il n'est donc pas possible de l'installer sur des schistes ni sur des gneiss, ni sur des sols peu épais, ni dans des zones à forte fréquence de secousses sismiques.

• Après cet aménagement, il faut restaurer la fertilité du sol par apport massif de fumier, de chaux et de phosphore pour voir les rendements doubler ou tripler après quelques années. Les talus n'étant pas verticaux, 20 à 50 % de la surface ne sont pas cultivables mais peuvent toutefois produire du fourrage.

• On augmente les risques de lixiviation des nutriments solubles en réduisant le ruissellement de surface.

• Une bonne partie de l'horizon humifère est concentrée près des mottes qui forment le talus; il faut donc restaurer la fertilité des sols avant d'en tirer profit.

FIGURE 44 :

(a) Microterrasses en escalier

(b) Terrasses discontinues en gradins forestiers

Pas de trace de ruissellement, mais un mouvement lent en masse de la couverture pédologique

Proposition: Cette méthode est trop coûteuse pour être vulgarisée n'importe où et trop risquée sur les sols peu profonds et dans les zones à mouvements sismiques fréquents. Cette méthode n'est valable actuellement que si l'on veut faire de la culture mécanisée dans une station à pente moyenne de 15 à 30 %. Il faut prévoir la disposition des chemins en aval des talus.

La méthode traditionnelle des micro-terrasses en escaliers (figure 44), directement dérivée de la méthode des gradins, consiste à creuser des marches de 50 cm de large que l'on va déplacer chaque année de 25 cm pour entretenir une surface rugueuse et enfouir la végétation qui pousse pendant la jachère. Cette méthode traditionnelle casse l'énergie du ruissellement sur les pentes pouvant atteindre 80 % mais elle n'arrête pas le glissement lent de la couverture pédologique vers le bas de la pente par l'érosion mécanique sèche (Rwehumbiza et Roose, 1991; Hudson, 1973; Fournier, 1967).

Dans les zones sèches, il existe une variante où une partie seulement du versant est transformée en terrasse, qui récupère le ruissellement sur les talus, favorise la complète infiltration des eaux de pluie et la récupération du ruissellement sur les talus. Dans ces conditions, la majorité des pluies, petites et moyennes, s'infiltrent totalement dans la bande de sol cultivé. Mais il est prévu un système de drainage permettant l'évacuation des pluies excédentaires lors des averses exceptionnelles si dangereuses dans les régions méditerranéennes.

Conclusion

Les structures d'infiltration totale apportent des solutions radicales en zone semi-aride où la production végétale est étroitement liée à la disponibilité en eau et sur les pentes fortes où il est délicat de gérer le ruissellement sans créer de ravines.

Cependant, ces méthodes exigent un fort investissement à l'installation et à l'entretien. De plus, elles ne peuvent s'implanter n'importe où sans augmenter les risques de glissement de terrain et de lixiviation des nutriments.

LA DIVERSION DES EAUX EXCEDENTAIRES

Lorsque les eaux de pluie sont trop abondantes ou trop intenses pour être stockées ou infiltrées totalement dans le sol, on organise leur drainage dans des fossés, le long de diguettes, banquettes ou des terrasses de diversion (figure 45) pour récupérer les nappes ruisselantes avant qu'elles aient acquis une énergie suffisante pour raviner le versant. Ces eaux de ruissellement sont alors évacuées en dehors de la zone de culture vers des exutoires naturels ou des exutoires qu'il faut aménager, en leur permettant d'atteindre le niveau de base de la rivière sans créer de dégâts trop importants.

Ce mode de gestion des eaux développé par Bennett en 1930 pour répondre au problème de dégradation des sols soumis à la mécanisation dans les plaines des Etats-Unis d'Amérique, pose malheureusement de nombreux problèmes pour son application dans les pays en développement.

Avantages: ces fossés permettent d'évacuer les excès d'eau hors des parcelles cultivées

Inconvénients: Ces fossés constituent une perte de surface cultivable de 5 à 15 %.

L'érosion en nappe entre les structures peut rester vive. Dans ce cas, la terre sédimente dans les fossés (pente plus faible) et provoque des débordements et des ravines ruinant l'aménagement. Ces structures exigent un très bon levé topographique pour créer une pente de fossés croissant de 0,2 à 0,4 %. Ces structures sont chères à la réalisation ainsi qu'à l'entretien: elles nécessitent des moyens rapides d'entretien et de curage des fossés.

On constate deux sortes de risques de ravinement: sur les versants lorsque les fossés débordent, et aux exutoires où se concentrent les eaux de tout un versant. On a donc déplacé le problème. On n'a pas réduit la dégradation du sol, ni l'érosion en nappe entre les structures de lutte antiérosive. En Afrique, ce système étant rarement correctement entretenu, aboutit généralement à un échec au bout de 4 à 10 ans et parfois moins, car les canaux chargés d'évacuer les eaux ruisselantes se remplissent de terre érodée entre les structures antiérosives. Ces canaux vont donc déborder lors des averses les plus importantes.

On peut voir au tableau 34, la faible efficacité des bourrelets de diversion sur le ruissellement, l'érosion et les rendements pour des cultures menées avec un labour intensif motorisé sur un sol ferrugineux tropical peu profond sur nappe gravillonnaire (Roose, Piot, 1984). Sur un glacis d'une pente de 0,7 % le CTFT a comparé entre 1967 et 1972 sur quatre parcelles le ruissellement, l'érosion et les rendements sur une parcelle standard, sur un champ traditionnel Mossi non labouré, semé en direct, en poquets, comparé à deux parcelles aménagées avec des bourrelets de diversion sur lesquels on a développé des méthodes intensives de labour, de sarclobinage et de billonnage, soit parallèlement à la pente et non cloisonné, soit perpendiculairement à la pente et cloisonné certaines années. On constate que sur le sol nu, le ruissellement maximum observé lors des averses les plus importantes, atteint 70 %. Il varie de 37 à45 % sur les terrains cultivés quel que soit le mode de culture, et atteint même 31 % lorsque le billonnage est cloisonné.

FIGURE 45 : Diverses structures de diversion du ruissellement

Bourrelet de diversion en terre

• efficace sur pentes modestes de 1 à 8 % ;
• nécessite un entretien et fixation par les herbes et les arbustes;
• nécessite la lutte contre rongeurs et fouisseurs qui y trouvent une terre souple pour creuser leurs galeries;
• pas adapté aux vertisols et autres sols se fissurant en saison sèche.

Fossé de diversion

• efficace pour drainer les fortes pentes;
• permet parfois l'irrigation des prairies par débordement et cloisonnement;
• augmente les risques de glissement s'il augmente l'infiltration.

Banquette forestière

• adapté à la reforestation des zones de montagne dégradées;
• permet un bon démarrage des plants:
• demande en même temps l'implantation d'un sous-étage de plantes améliorantes (légumineuses, trèfle, Sylla).

Banquette algérienne

• apport d'arbres fruitiers qui diversifient la production sur les terres agricoles;
• perte de 5 à 15 % de surface;
• pas d'augmentation des rendements;
• 80 % d'échec sur les pentes > 40 % (Mathieu, 1975);
• peu acceptée par les paysans car gêne l'exploitation mécanisée des terres;
• cas d'abandon des terres car aménagées par les services de DRS de l'Etat (crainte d'appropriation par l'Etat) .

FIGURE 46 : La diversion des eaux de ruissellement: principes, pratique et inconvénients

L'érosion est fonction de :

- l'énergie des pluies (constante tout le long de la pente)
- l'énergie du ruissellement (qui croît avec la pente (MV2)/2. E = f (longueurn x pente)m

Les banquettes :

- peuvent évacuer l'énergie du ruissellement accumulée
- ne peuvent pas réduire l'énergie des pluies ni la dégradation du sol

Figure

INCONVENIENTS

1. Nécessité d'équipes de topographes experts (coût élevé)
2. Important travail d'installation et d'entretien d'où généralement;

• digues non protégées
• canaux encombrés de sédiments
• exutoires non enherbés ni protégés (surcreusés ou ensablés)

3. Perte de 5 à 15 % de la surface cultivée sans augmentation de rendement.
4. Perte d'eau et nutriments pour les champs cultivés en aval.
5. L'aménagement doit rompre s'il advient une pluie de fréquence inférieure à 1/10.
6. Variation de largeur des champs cultivés (mécanisation difficile).
7. N'arrête pas l'érosion en nappe ni la dégradation.
8. Finalement, risques graves de ravinement s'il y a rupture des digues (1 fois en 4 à 10 ans).
9. Accélération du temps de concentration des eaux:

• gros débits de pointe
• érosion marigots
• ravinement régressif

TABLEAU 34 : Faible efficacité sur le ruissellement, l'érosion et les rendements de diverses cultures, des bourrelets de diversion et d'un système intensif motorisé de préparation d'un sol ferrugineux peu profond sur nappe gravillonnaire. Gampela à 25 km de Ouagadougou (Burkina Faso) (d'après Roose et Piot, 1984)

Surface des parcelles (environ 0,5 ha)

Ruissellement: KR %

Erosion t/ha/an

Rapport des rendements en % du témoin


Max 24 h

KRAM



Bourrelets diversion dH = 40 cm + labour + sarclo binage





perpendiculaire à la pente

cloisonné

31

4

1,4



non cloisonné

37

20

3,4

106

Idem mais billons // pente, non cloisonnés

45

24

5,9

98

Traditionnel Mossi = non labour Semis direct en poquets, 2 puis sarclages

43

23

4,1

100

Sol nu (standard USLE) (100 m2)

70

40

16,0

-

Le ruissellement annuel moyen atteint 40 % sur les parcelles nues. Le couvert végétal réduit ce ruissellement à 20-24 % quel que soit le système de culture; seul le billonnage cloisonné réduit sérieusement le ruissellement (4 %). L'érosion sur ces faibles pentes peut atteindre 16 t/ha/an sur sol nu. Elle est réduite au quart sur les sols cultivés, un peu plus forte sur les sols billonnés dans le sens de la pente, mais significativement réduite si le billonnage est perpendiculaire à la pente et cloisonné. Il n'y a cependant pas de différence significative dans les rendements, que l'on soit dans un système traditionnel sans labour ou dans un système élaboré faisant intervenir de nombreuses techniques culturales ainsi que des structures antiérosives de diversion. Sur ces sols peu épais et peu productifs, il ne semble donc pas intéressant d'investir dans le travail du sol, ni dans les diguettes de diversion. En effet, les réductions de ruissellement sont minimes et même si celles-ci s'avéraient intéressantes, les sols ne sont pas capables de stocker les eaux et les nutriments ainsi sauvés du ruissellement risquent d'être entraînés par les eaux de drainage.

Conclusion sur les structures de diversion

Suite au manuel de Bennet et aux travaux des américains, des structures de diversion des eaux de ruissellement ont été implantées partout dans le monde pendant 50 ans sans aucune vérification de leur efficacité, ni de leur adaptation aux conditions socio-économiques régionales.

On constate aujourd'hui leur faible efficacité aussi bien en zone méditerranéenne, qu'en région soudano-sahélienne (Burkina Faso, Niger) que dans les montagnes d'Afrique centrale ou les longs glacis d'Afrique du sud. Ce sont des méthodes qui coûtent cher (surtout la topographie), réduisent les surfaces cultivables, n'arrêtent pas la dégradation de la fertilité du sol, ni l'érosion en nappe. Elles ne peuvent se justifier que dans des systèmes de culture motorisés, mais sont difficiles à maintenir: donc à éviter dans les pays en développement.

Continué


Table des matières - Précédente - Suivante