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Economie et écologie dans la gestion des ressources naturelles renouvelables

M.K. Muthoo

Maharaj K. Muthoo dirige le Service des opérations du Département des forêts de la FAO.

L'une des idées-forces du présent article est qu'il devrait y avoir un partage équitable des coûts et des avantages entre tous les usagers de l'environnement. L'auteur examine certaines des questions qui influent sur les décisions économiques concernant les ressources naturelles renouvelables, et présente une approche globale de la planification qui devrait permettre d'harmoniser au mieux les facteurs économiques, écologiques et institutionnels dont dépend le développement.

Il existe une étroite corrélation entre la dégradation de l'environnement et la pauvreté. Pourtant, les responsables des pays en développement ne se laissent pas facilement convaincre de puiser dans leurs maigres ressources pour protéger l'environnement. Ils pensent avant tout à parer au plus pressé, c'est-à-dire à nourrir, vêtir et loger une population en constante expansion.

Quant aux pays industrialisés, l'impact de leur activité économique sur l'environnement mondial n'est pas compensé par des transferts appropriés de ressources et de technologies. Même chez eux, ces pays sont loin de faire tout ce qu'il faudrait pour défendre la qualité de l'environnement

On est certes de plus en plus sensible à la dégradation de l'environnement et au risque d'épuisement des ressources renouvelables mais en général. cette prise de conscience ne s'accompagne pas d'un effort financier suffisant. Cela tient en grande partie au fait que des concepts écologiques apparemment «abstraits» pèsent moins dans les décisions que les intérêts économiques immédiats. Pour y remédier, il faut présenter les problèmes d'environnement et de dégradation des ressources renouvelables en termes économiques «concrets».

Les pays en développement se préoccupent en priorité de répondre aux besoins d'une population en constante expansion

On a déjà commencé à y travailler, mais il reste beaucoup à faire pour convaincre les responsables au 'il est économiquement rentable de faire un effort budgétaire et de prendre des mesures fiscales, législatives et autres pour protéger l'environnement.

Les grandes questions

Comptabilité du revenu

Pour qu'un revenu soit durable, il faut que les dépenses qu'il finance sur une période donnée ne réduisent pas le potentiel de consommation futur. La comptabilité du revenu est un instrument important et très courant de la planification et des décisions économiques mais, la plupart du temps, les comptes de la nation ne prennent pas en considération les variations du stock de ressources renouvelables. Ils ne reflètent pas non plus l'impact sur les flux futurs et donc sur le potentiel de formation du revenu, pour ne pas parler des effets sur l'environnement. Dans le calcul du Produit intérieur brut (PIB), les dépenses de protection de l'environnement sont improprement considérées comme génératrices de revenus.

Il faut être conscient des défauts des méthodes actuelles de mesure du revenu et veiller à ce qu'une plus grande place soit faite aux problèmes d'environnement et de gestion des ressources dans les décisions économiques. On s'emploie actuellement à améliorer le Système de comptabilité nationale (SCN) de l'ONU (El Serafy et Lutz, 1989). En ce qui concerne la comptabilité environnementale, un travail de pionnier a été réalisé en France avec l'élaboration de «comptes du patrimoine naturel» (Theys, 1989) qui visent à rapporter la croissance économique aux quantités de ressources naturelles nécessaires pour que cette croissance soit possible. En outre, les dépenses d'exploitation sont distinguées des dépenses d'équipement et autres dépenses contribuant à la formation de capital (Bartalmus, 1987).

L'adjonction au SCN de comptes satellites concernant l'environnement permettrait d'ajuster le système traditionnel de mesure du revenu et du produit en vue de refléter la dégradation de l'environnement et l'épuisement des ressources naturelles. Ces comptes devraient notamment aider à optimiser la valeur économique des ressources naturelles disponibles, ainsi que leur utilisation en tant que facteurs de production, et à déterminer la part du PIB qu'il faut consacrer à la protection de l'environnement. Le but ultime devrait être d'intégrer la dynamique des ressources renouvelables et autres éléments du patrimoine environnemental dans le SCN, ce qui en ferait un instrument de planification propre à assurer une gestion économique véritablement globale.

Etudes d'impact sur l'environnement Les études d'impact sur l'environnement (EIE) sont désormais une méthode couramment admise pour comparer les coûts, les avantages économiques et sociaux et les risques que comportent les projets, programmes et politiques pour l'environnement (FAO, 1990). Par opposition aux analyses des coûts et avantages (ACA), elles visent à inverser la tendance des décideurs à donner plus d'importance aux données et à la rentabilité économiques qu'aux données écologiques et au développement à long terme. Toutefois, il n'y a pas nécessairement conflit entre ces deux méthodes. Une EIE bien conçue peut révéler les limites environnementales de la croissance économique, de même qu'il y a des limites économiques à l'amélioration de la qualité de l'environnement (Alhéritière, 1982). Il faut donc adopter pour la gestion des ressources renouvelables des systèmes holistiques dans lesquels les critères de rentabilité sociale des analyses coûts/avantages et les indicateurs de développement durable des EIE sont convenablement combinés et constamment révisés.

Rareté et durabilité

Dans l'approche classique de la rareté des ressources, les forces du marché sont censées favoriser un taux optimal d'utilisation. Des critères de maximisation des profits à court terme pourraient justifier un épuisement des ressources naturelles. Mais le coût pour la société des pertes qu'entraînerait l'affaiblissement d'autres fonctions - par exemple, stabilité écologique devrait être évalué à l'aide de critères plus élaborés qui tiennent compte des interactions entre l'environnement et l'économie. Les écosystèmes assimilent les déchets de l'activité économique et remplissent d'autres fonctions essentielles à l'économie, y compris sur le plan de la santé et de la diversité génétique ou par leur rôle climatique (Barbier, 1990).

Un développement durable exige que les ressources renouvelables soient, à long terme, utilisées conformément à leur rythme de régénération et que la quantité de déchets ne dépasse pas la capacité d'assimilation de l'écosystème. Les capacités de régénération et d'assimilation doivent être traitées comme un capital naturel. Il faut se garder d'entamer ce capital, garant d'un développement durable (Daly, 1990). La viabilité du développement doit donc être analysée en mettant en regard la qualité de l'environnement, d'une part, et l'épuisement des ressources et la production de déchets de l'autre.

Epuiser irréversiblement une ressource renouvelable, c'est faire le pari que sa valeur à l'avenir ne serait pas plus grande que le profit que l'on tire de sa destruction dans l'immédiat. Compte tenu des incertitudes qui demeurent dans le domaine de l'écologie, c'est un pari extrêmement risqué. Toutefois, il faut comparer les avantages qu'il y a à attendre d'avoir plus d'informations aux coûts qu'entraînera un retard dans les décisions. Faire preuve de souplesse pour mieux exploiter les informations futures peut être considéré comme une «quasi-valeur d'option» (Freixas et Laffont, 1989) qu'une analyse des coûts et avantages sociaux devrait prendre en compte. On peut démontrer que l'irréversibilité de la destruction d'une ressource et la possibilité de nouvelles informations sur la valeur de cette ressource peuvent justifier que l'on abaisse le seuil de rentabilité utilisé dans les calculs coûts/avantages (Jewitt, 1990).

Il faudrait adopter un système d'évaluation économique qui permette d'estimer la valeur économique totale de toutes les fonctions d'un élément du patrimoine environnemental, dans l'immédiat et à l'avenir, et de mesurer les avantages de la conservation par rapport aux avantages économiques nets. Le but de cette évaluation des coûts et des avantages serait d'optimiser l'allocation des ressources et le choix entre plusieurs solutions technologiques en tenant compte des risques et des incertitudes associés aux diverses options possibles pour la gestion des ressources renouvelables.

Biens communs et concessions

Dans le domaine de l'environnement, les externalités peuvent résulter, soit du libre accès aux ressources naturelles, soit des retombées en aval d'une activité économique. La poussée démographique, les empiétements et l'utilisation de technologies inappropriées ont porté un rude coup aux règles traditionnelles qui gouvernaient l'accès des particuliers aux ressources qui sont la propriété de tous pâturages, forêts, pêcheries -, ce qui ne fait qu'accélérer la dégradation de l'environnement. Cela aboutit souvent à une situation de liberté d'accès dans laquelle les usagers individuels ne sont limités que par leur capacité d'exploiter les ressources, sans qu'ils soient tenus de payer le coût de la dégradation ou de l'épuisement de celles-ci (Barbier, 1989). C'est seulement quand la ressource est presque épuisée ou gravement dégradée que sa rareté croissante commence à peser sur tous les usagers et souvent de manière disproportionnée sur les plus modestes d'entre eux.

Les forêts tropicales un capital pour l'avenir

Faute de marché parfait, notamment, certains effets ne sont pas compensés. Par exemple, le déboisement des terres en amont entraîne des inondations catastrophiques en aval. Les distorsions sont un trait commun des grands accords de concession des ressources renouvelables et, dans beaucoup de pays, les politiques agricoles encouragent la conversion des forêts tropicales à d'autres usages qui «ne seraient pas rentables sans incitations» (Repetto, 1990). Dans certains pays tropicaux, les concessions accordées pour l'élevage extensif des bovins ont abouti à une destruction de la végétation et on a pu constater que l'élevage n'était ni viable ni rentable, même pour l'éleveur, une fois supprimées les subventions et autres incitations distribuées avec largesse. A l'inverse, une taxe progressive sur la production animale pourrait réduire le surpâturage et le défrichage. Dans l'idéal, cette taxe devrait être conçue de manière, notamment, à compenser l'érosion du sol sur place et l'impact sur la productivité des terres ailleurs.

On considère souvent que les concessions accordées pour l'exploitation commerciale du bois ont encouragé une utilisation inefficiente des forêts et qu'une très petite part des recettes est allée aux propriétaires de ces forêts. Il existe des exemples qui montrent que les gouvernements ont peut-être perçu à peine le tiers de la valeur potentielle des ressources en bois (Gray et Hadi, 1990). Cette faible rentabilité risque de dissuader les propriétaires d'investir dans un aménagement durable. En outre, la durée des concessions ne dépasse pas 20 ans en principe, alors qu'il faut des intervalles beaucoup plus longs entre les récoltes successives. Les concessionnaires eux-mêmes ont donc souvent peu intérêt à sauvegarder la productivité pour les récoltes futures.

L'attribution de contrats de plus longue durée au plus offrant dans le cadre d'enchères publiques pourrait accroître les recettes. Malheureusement, la sécurité de jouissance des concessions à long terme ne peut pas toujours être garantie. En outre, la cherté de l'aménagement durant le cycle de croissance et l'incapacité de prévenir les empiétements dans l'intervalle sont des facteurs qui ne militent pas en faveur des concessions à long terme. En attribuant des droits de propriété, en instaurant un régime foncier équitable et en encourageant la participation populaire à la gestion des ressources renouvelables, on pourrait créer des incitations propres à redresser la situation.

Incitations et internalisation

Le coût social de l'entreprise privée peut se solder par des résultats loin d'être optimaux du point de vue de l'économie du bien-être. Quand l'accès aux ressources qui sont la propriété commune est libre, le comportement des particuliers, rationnel de leur point de vue, peut entraîner une surexploitation qui va à l'encontre des intérêts à long terme de la communauté. Les retombées de la culture itinérante pratiquée sur des pentes abruptes et la surexploitation des stocks de poisson au large des côtes en sont des exemples classiques.

Pour réduire la mauvaise utilisation des ressources naturelles due au fait que les externalités ne sont pas à la charge des usagers, Costanza et Perrings (1990) proposent un système d'assurance qui obligerait les usagers à déposer une caution remboursable par couvrir les dommages qui pourraient être occasionnés à l'environnement. L'objectif est de faire concorder les coûts privés et les coûts sociaux en confrontant les usagers individuels au coût social marginal de leurs activités. Ce système exigerait une révision approfondie du système actuel d'incitations, ainsi que des informations et des méthodologies plus fiables en ce qui concerne l'évaluation des dommages et les prévisions technologiques. Pour favoriser un aménagement durable des ressources communes, on peut donc prévoir l'introduction de droits de propriété et d'accords de jouissance et de location. Toutefois, ces mesures doivent être mises au point à la lumière des coûts et des avantages, de manière à créer des incitations propres à améliorer l'aménagement en internalisant les externalités.

L'analyse des coûts et des avantages devra tenir compte du coût des mesures de réglementation dans la pratique. Par exemple, si l'on envisage de mesurer la consommation d'eau et de percevoir une taxe auprès des usagers, il faudra comparer le coût de ce système aux économies qu'il devrait permettre de réaliser. En outre, il faudra tenir compte des préférences des pollueurs et payeurs, qu'il s'agisse de la progressivité ou de l'ampleur de l'externalité, afin d'assurer une compensation adéquate. On pourrait atténuer les problèmes pratiques de coûts en traitant le système des ressources renouvelables comme un tout et en élaborant des stratégies d'aménagement des ressources qui tiennent compte des différentes options pour l'ensemble d'un système, par exemple un bassin versant. Ainsi, les déséconomies ou les économies d'un secteur ou d'une activité seront comptabilisées comme des coûts ou des avantages ailleurs dans le système.

Sur le plan conceptuel. tous les effets à prendre en compte pourraient donc être intégrés dans le système des ressources renouvelables et on pourrait pleinement internaliser les retombées. Une telle intégration permet d'éviter de surestimer ou de sous-estimer les conséquences externes et compense la divergence entre le produit net marginal social et privé.

Conception de systèmes optimaux

La planification des ressources naturelles renouvelables en vue d'un développement soutenu devrait se fonder sur des analyses biotechniques, économiques et institutionnelles, selon un processus interactif qui assure une interaction optimale entre l'économie et l'environnement. L'analyse biotechnique permet d'identifier ce qui est possible, considérations écologiques comprises, en fonction de la faisabilité de manipuler le mode d'utilisation des ressources renouvelables d'une zone donnée. L'analyse économique indique ce qui est rentable et permet d'établir un classement socio-économique des divers investissements possibles. L'analyse institutionnelle permet de savoir quelles sont les solutions qui peuvent être adoptées compte tenu du stade de développement d'une société. Ces analyses peuvent être collationnées pour produire des plans cohérents de gestion des ressources conformes aux objectifs du développement durable.

Dans ce cadre, il faudrait évaluer les options possibles pour la gestion des ressources renouvelables en procédant à une analyse des coûts et avantages sociaux qui permette d'évaluer objectivement les conséquences écologiques et économiques. Toutefois, cette analyse ne serait pas suffisante pour permettre une sélection optimale en raison de l'incompatibilité et de l'interdépendance potentielles des différentes options.

Pour arrêter une stratégie optimale de gestion des ressources dans une situation donnée, il est souhaitable de recourir à l'analyse de systèmes, fondée sur l'application d'une technique de programmation avec le principe de l'analyse marginale de l'allocation des ressources. Cela permet d'identifier la combinaison d'options la plus appropriée, c'est-à-dire celle qui contribue le plus à une utilisation socio-économique efficiente et durable des ressources dans les limites imposées par les disponibilités et la qualité des ressources en terre, en travail et en capital. L'analyse de systèmes devrait également prendre en compte les objectifs subsidiaires et les questions institutionnelles, y compris la création d'emplois, les préférences de la population, la répartition des revenus et l'impact social.

Cette procédure itérative permet d'étudier les effets de modifications marginales des niveaux des processus de production sur les productions, sur les utilisations des ressources et sur l'efficience du système. La programmation dynamique des ajustements optimaux de l'utilisation des ressources est rendue possible en intégrant les nouvelles possibilités de substitution, les effets consécutifs sur l'efficience et l'atténuation des contraintes, notamment en matière de budget et d'emploi.

La pression démographique peut entraîner une surexploitation des ressources qui sont la propriété de tous

Une étude de sensibilité des combinaisons possibles peut être effectuée par une analyse paramétrique. Elle fera apparaître l'effet sur l'ensemble du système de diverses hypothèses concernant les taux d'actualisation, les ressources et les contraintes. Une solution optimale, compte tenu des contraintes actuelles, qui reste stable dans toutes sortes de scénarios et conforme à la demande probable de ressources peut être sélectionnée comme le plan le plus approprié. Elle se prêtera facilement à des ajustements en fonction de l'évolution économique et technologique et conservera la souplesse d'une planification à horizon mobile.

Politiques

Commerce international, aide, dette et développement

Rien que pour assurer le service de leur dette extérieure, les pays en développement ont besoin de près de 200 milliards de dollars U.S. par an. La dégradation des termes de l'échange ne fait qu'aggraver les choses. Les prix des produits primaires sont tombés à un niveau sans précédent depuis la grande dépression des années 30. Le transfert net de ressources entre les pays développés et les pays en développement est, comme il y a 10 ans, de l'ordre de 40 milliards de dollars U.S., mais le flux s'est inversé, au détriment des pays en développement.

Malgré l'inquiétude de plus en plus vive que suscitent les problèmes d'environnement, les pays en développement, parce qu'ils croulent sous le poids de leur dette, n'ont souvent guère d'autre solution que de puiser dans leur capital naturel afin d'en tirer le plus possible de produits primaires. Cela peut sembler un moyen relativement rationnel d'atteindre des objectifs de développement à court terme. Toutefois, cette stratégie risque d'être moins efficace pour stimuler le développement agricole à long terme dans des conditions agro-écologiques plus diverses et moins favorables (Barbier, 1989). Il faut comparer les avantages et les coûts de cette stratégie et des incitations économiques qui l'accompagnent. El risque notamment d'entraîner à long terme une dégradation des ressources, de compromettre la viabilité des systèmes agricoles et de créer des distorsions au détriment des ruraux pauvres. Par exemple, l'avenir de beaucoup de systèmes de petite agriculture, d'agroforesterie ou d'élevage nomade risque d'être compromis par des politiques de prix qui favorisent l'importation de denrées alimentaires, au détriment des produits locaux, ainsi que par des incitations qui conduisent à l'adoption de technologies inappropriées.

Les politiques de prix et les autres incitations économiques, ainsi que la stratégie agricole dont elles font partie, sont rarement analysées en fonction de leur impact sur les ressources renouvelables ainsi que des besoins des ruraux pauvres qui en dépendent. Par exemple, certains militants écologistes font pression sur les consommateurs des pays développés pour qu'ils boycottent en bloc les importations de bois tropicaux en l'absence d'un contrôle écologique. Or, la contraction des échanges qu'entraînerait ce boycottage ferait perdre de leur valeur aux forêts pluviales dans les pays producteurs, de sorte que leur destruction risquerait de s'accélérer, et elle aurait sans doute un effet négatif sur l'emploi et les revenus des populations locales et sur leur participation à l'aménagement et à l'utilisation durable des ressources naturelles. Les propositions tendant à limiter les échanges, par exemple par des embargos, sont en contradiction avec les objectifs des négociations commerciales multilatérales du GATT - Uruguay Round - qui visent à la libéralisation la plus complète possible du commerce des produits provenant des ressources naturelles.

Pour résoudre les problèmes de la dette extérieure et du commerce international, il faudra de nouvelles initiatives et de nouveaux mécanismes internationaux propres à mobiliser des fonds qui pourront servir, soit pour l'aide directe et l'investissement, soit pour racheter la dette et subventionner les prix des produits de base. Les échanges «dette-nature» sont une option dont on parle beaucoup pour financer la gestion des ressources renouvelables. Ils consistent à racheter des créances avec une décote et à les céder à leur valeur faciale. Le Costa Rica a ainsi reçu 12,2 millions de dollars U.S. correspondant au rachat de 93,3 millions de dollars U.S. de dette pour protéger les zones forestières, renforcer les institutions et promouvoir le reboisement. Le même système a été utilisé dans d'autres pays, notamment la Bolivie, l'Equateur, Madagascar et les Philippines (Perez et Quiros, 1990).

Toutefois, les échanges «dette-nature» peuvent présenter des inconvénients pour les pays débiteurs. Ils risquent par exemple d'alimenter l'inflation car, en général, leur principal avantage n'est pas tant de réduire la dette que de convertir une créance en monnaie étrangère en une créance en monnaie locale. En outre, des nations souveraines peuvent difficilement accepter que les priorités de leurs politiques écologiques et monétaires leur soient dictées par l'étranger. Néanmoins, on peut moduler les échanges «dette-nature» de telle manière qu'une dette commerciale étrangère puisse être échangée contre un investissement local ou contre des ressources supplémentaires pour la gestion rationnelle de l'environnement et la création de réserves naturelles.

Pauvreté et environnement

La pauvreté rurale est la principale cause de la déforestation des tropiques. L'alourdissement de la pression démographique, l'aggravation du chômage et la répartition inéquitable des terres poussent les populations à défricher les forêts (empiétements spontanés, culture itinérante, pâturage non contrôlé). La dénudation des terres est également due à des coupes excessives de bois de feu qui visent à répondre à des besoins bien réels. Tout cela ne fait qu'aggraver la misère et accélérer l'exode rural. C'est ce qui expliquerait la montée de l'agitation sociale (Thompson et al., 1986).

La nécessité de réduire la dette peut conduire les pays à accorder des concessions forestières non viables

L'interdépendance entre systèmes écologiques et systèmes sociaux est étroite et délicate dans les économies en développement. Les plus pauvres des pauvres ont vu leur nombre s'accroître, passant d'environ 600 millions en 1980 à 1 milliard en 1990. Pas moins de 1,5 milliard de personnes manquent de bois de feu. Cette augmentation constante du nombre des pauvres érode la capacité des ressources naturelles de produire suffisamment de nourriture et d'eau potable pour soutenir l'activité humaine. Pour les masses rurales, la priorité immédiate est de trouver de quoi se nourrir et de satisfaire à leurs autres besoins essentiels. Les problèmes de conservation et d'environnement n'ont pas pour eux un caractère aussi pressant.

Pourtant, leur misère est à la fois la cause et l'effet de la faible productivité de l'agriculture, de la salinisation des sols, de la destruction des forêts tropicales et de la faune sauvage, du surpâturage, de l'épuisement des pêcheries continentales et côtières, de la dénudation des bassins versants, des inondations, des sécheresses et de la désertification. A cela est étroitement lié le problème du sous-emploi et de la surexploitation des ressources humaines. Dans ce contexte, les femmes rurales sont un groupe cible très important car elles peuvent beaucoup contribuer à sortir leurs familles de la misère et à promouvoir un développement agricole durable. Les ONG peuvent aider à convaincre les populations de stabiliser la démographie, de faire disparaître la discrimination dont souffrent les défavorisés et d'oeuvrer pour la conservation de l'environnement.

L'action à mener pour mettre un terme à la dégradation de l'environnement ne saurait se limiter au seul secteur des ressources renouvelables. L'optimisation de l'utilisation des terres et des eaux et la conservation des écosystèmes doivent aller de pair avec la réduction de la pauvreté rurale, la valorisation des ressources humaines et le développement des communautés locales. Des innovations institutionnelles et une aide internationale sont nécessaires pour atténuer les pressions économiques et créer des incitations adéquates, et permettre ainsi aux pays en développement de s'engager sur la voie d'un développement durable sans avoir à pénaliser indûment les couches les plus vulnérables de la population.

Choix macro-économiques et mondiaux

L'étude de l'impact macro-économique de deux scénarios concernant les politiques écologiques aux Pays-Bas fait apparaître un léger ralentissement de la croissance entre 1985 et 2010 - 95 pour cent dans un cas contre 98 pour cent dans le scénario ne prévoyant pas de changement des politiques (Opschoor et al., 1990). Le pourcentage est de 100 pour cent dans le scénario de croissance soutenue, sous réserve que les pays étrangers mènent des politiques analogues. A la condition d'être adoptées par tous les intéressés, les politiques écologiques pourraient donc stimuler l'économie. Toutefois, à court terme, elles peuvent coûter cher au budget national compte tenu de l'ampleur des interventions économiques et sociales nécessaires. Chaque pays souhaitera donc peut-être faire un bilan de sa situation et évaluer les coûts et effets économiques possibles, ainsi que les avantages écologiques de mesures propres à limiter les émissions de gaz à effet de serre ou à faire face aux changements du climat (Reilly, 1989).

La surexploitation des ressources humaines est étroitement lise à la dégradation de l'environnement

Les conseillers économiques du Président des Etats-Unis ont récemment estimé que la stabilisation des émissions de gaz carbonique pourrait coûter 1 pour cent du PNB par an. Les estimations des dommages mesurables qui pourraient être évités si l'on mettait un terme au réchauffement de notre planète vont de 0,25 à 2 pour cent du PNB, mais sont très approximatives. Cette incertitude mise à part et abstraction faite du coût de l'appauvrissement de la diversité biologique ou de l'assistance à apporter aux pays en développement pour limiter leurs émissions, les décideurs se doivent d'adapter leurs politiques à ces indicateurs macro-économiques.

La société doit répartir au mieux la production entre la consommation et les services pour améliorer l'environnement et choisir entre une formation accrue de capital et la dégradation du milieu (Barbier, 1990). Même si des incertitudes continuent à peser sur l'hypothèse d'un réchauffement du climat mondial, les politiques macro-économiques doivent en tenir compte. Ne rien faire, ce serait courir le risque d'un impact écologique irréversible.

On pourrait adopter une approche qui évite d'avoir des regrets en commençant par des mesures peu coûteuses, par exemple pour économiser l'énergie. A la suite des chocs pétroliers des années 70, l'utilisation de l'énergie s'est faite beaucoup plus efficace, et de nombreuses mesures de conservation d'un bon rapport coût/ efficacité ont été mises au point. La conservation de l'énergie sera d'autant plus rentable qu'elle sera associée au reboisement; ce pourrait être la méthode du meilleur rapport coût/efficacité pour garantir des sources concentrées et durables de matières premières. Ces mesures auraient des retombées bénéfiques en ce qui concerne la pollution de l'air et l'acidification et elles auraient un impact positif sur l'agriculture et sur le système des ressources renouvelables.

La réduction de la pollution atmosphérique transfrontière, qui est à l'origine de l'acidification, et d'autres impacts sur l'environnement pays par pays ne peut pas avoir un bon rapport coût/efficacité. En revanche, un système de partage des coûts au niveau international pourrait permettre de grosses économies (Almoco et al., 1988). Des conventions mondiales sont nécessaires mais elles ne seront efficaces que dans la mesure où elles s'accompagneront de mécanismes internationaux de financement.

Il y a plusieurs moyens de financer la protection de l'environnement mondial (Banque mondiale, 1990). Ils ne s'excluent pas mutuellement. Dans ce domaine, il faudrait tirer parti de l'expérience et de la capacité des banques de développement et du système des Nations Unies, notamment de ses institutions spécialisées, ainsi que des ressources des donateurs bilatéraux, des organisations privées et des ONG.

Les «dividendes de la paix» devraient offrir de nouvelles possibilités. Quatre jours de dépenses militaires dans le monde suffiraient à financer l'action jugée nécessaire pour protéger ce qui reste des forêts tropicales. Deux jours de ces mêmes dépenses permettraient de financer toute une année de lutte contre la désertification. L'engagement de grosses ressources économiques en faveur de l'environnement exige que l'on soit conscient de l'interdépendance internationale et que l'on ait la volonté politique de concilier le développement économique et le maintien d'un environnement capable de soutenir la croissance.

La structure actuelle du système économique international et la répartition inégale des richesses de notre planète creusent l'écart entre les pays développés et les pays en développement et créent des pressions qui risquent d'être dangereuses pour l'environnement. Il faut fournir, non seulement un soutien institutionnel et financier, mais aussi une assistance technique. Il faudrait notamment transférer les derniers résultats de la recherche-développement concernant les technologies les plus appropriées et les moins dangereuses pour l'environnement, notamment pour les agro-industries, le suivi météorologique et climatique, les nouveaux systèmes énergétiques, l'agriculture en milieu salin, les biotechnologies, etc.

Les pays industrialisés devraient s'employer à mettre de l'ordre dans leurs économies car ils restent la plus grosse menace pour l'environnement et le climat de notre planète (Colombo, 1989). Les politiques de développement mondial durable à long terme ne devraient pas freiner la croissance économique du monde en développement. Des estimations qui n'ont qu'une valeur indicative chiffrent le coût annuel d'un réchauffement de 2,5 °C du climat à 3 pour cent du produit mondial brut (Ettinger et al., 1989). Mais cela pourrait représenter 4 pour cent pourcentage inacceptable - du PNB des pays en développement où le secteur agricole est relativement plus important et plus vulnérable. Il est hors de doute que ces pays doivent prendre des initiatives qui leur soient propres et des mesures d'autodépendance pour promouvoir le développement sans destruction, dans toute la mesure possible.

Les pays en développement ne peuvent pas investir lourdement dans la lutte contre la dégradation de l'environnement mondial sans porter atteinte à leur croissance économique. Ils ne pourront participer aux politiques de protection de l'environnement mondial que dans la mesure où les pays industrialisés leur donneront accès à des capitaux supplémentaires et à des technologies appropriées.

Conclusion

L'équilibre à trouver entre l'amélioration de la qualité de l'environnement à moyen ou à long terme et le ralentissement de la croissance économique à court terme suppose des ajustements intra-générationnels et intergénérationnels ainsi que la volonté de payer une remise en ordre du système. Cela exige une justification économique des décisions concernant l'allocation des ressources, qui supportent un examen politique pragmatique.

L'économie d'un développement durable, sans danger pour l'environnement, demande que l'on calcule les coûts et les avantages de différentes politiques écologiques. Ces critères d'évaluation font ressortir le coût d'opportunité d'une continuation de la dégradation de l'environnement par la poursuite d'une croissance économique sans frein.

Les ressources à la disposition de la société sont rares. Les ressources renouvelables ont un grand rôle à jouer dans le développement. La comptabilité nationale doit être ajustée pour indiquer dans quelle mesure les économies puisent dans le capital de ressources renouvelables et compromettent ainsi le potentiel futur de croissance. L'analyse de systèmes est une approche appropriée pour harmoniser les aspects économiques, écologiques et institutionnels de la gestion des ressources renouvelables.

La pauvreté est l'une des plus grandes menaces qui pèsent sur l'environnement. Si les pays en développement font souvent des choix qui aboutissent à une dégradation de l'environnement, ce n'est pas parce qu'ils ne se soucient pas de l'avenir, mais parce qu'ils doivent assurer leur survie dans l'immédiat. Tout plan d'action destiné à améliorer l'environnement doit donc comprendre des programmes visant à réduire la pauvreté rurale.

L'alourdissement de la dette extérieure et la dégradation des termes de l'échange ont aggravé la situation économique des pays en développement. Il faut alléger le poids de leur dette, libéraliser les échanges, accroître l'aide et fournir à ces pays des technologies appropriées si le monde souhaite promouvoir un développement durable. C'est seulement à ces conditions que l'on pourra s'orienter vers une sécurité écologique mondiale.

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