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Dixième congrès forestier mondial

Paris, 1991

Dossier

Réunis du 17 au 26 septembre 1991 à Paris, plus de 2500 responsables forestiers provenant de 136 pays ont examiné et discuté au 10e Congrès forestier mondial les défis auxquels doit faire face la foresterie à l'échelle planétaire. Sous le thème général «La forêt, patrimoine de l'avenir», les participants au Congrès se sont penchés sur plus de 100 sujets spécifiques, couvrant tous les aspects de la conservation, de l'aménagement et de l'utilisation des forêts.

Le Congrès s'est ouvert par des allocutions de personnalités et de décideurs nationaux et internationaux, notamment de M. François Mitterrand, Président de la République française; M. Jacques Delors, Président de la Commission des Communautés européennes; M. Edouard Saouma, Directeur général de la FAO; M. Louis Mermaz, Ministre français de l'agriculture et de la forêt; le prince Bernard des Pays-Bas; M. Edgar Pisani, ex-Ministre français de l'agriculture; et M. Maurice Strong, Secrétaire général de la Conférence des Nations Unies pour l'environnement et le développement. Il s'est terminé par la «Déclaration de Paris», un appel solennel lancé au public, aux dirigeants politiques, aux organisations intergouvernementales et non gouvernementales.

Pour compléter la Déclaration de Paris, les participants au Congrès ont également formulé une série de conclusions et de recommandations détaillées, principalement à l'intention des ingénieurs forestiers. Ces conclusions et recommandations tiennent compte de tous les documents et rapports préparés pour le Congrès (plus de 700 au total), ainsi que des idées exprimées lors des débats du Congrès.

Le présent numéro d'Unasylva contient les allocutions liminaires du Président Mitterrand et de M. Saouma, ainsi que le texte de la Déclaration de Paris. Des exemplaires complets des travaux du Congrès sont en vente auprès d'ENGREF, Revue forestière française, 14, rue Giradet, F-54042 Nancy CEDEX, France.

Déclaration de Paris

Le 10e Congrès forestier mondial,
ayant réuni du 17 au 26 septembre 1991 plus de 2500 participants venus de 136 pays;

considérant le thème du 8e Congrès forestier mondial, tenu en 1978 à Jakarta, «La forêt au service de la collectivité»;

considérant le thème du 9e Congrès forestier mondial, tenu en 1985 à Mexico, «Le rôle de la forêt dans le développement intégré de la société», et son manifeste exhortant «tous les hommes de tous les peuples et leurs gouvernements, dans le cadre de leur souveraineté, à prendre conscience de l'importance des ressources forestières pour la biosphère et la survie de l'humanité»;

considérant la conférence internationale Silva, tenue en 1986 et conclue par l'«Appel de Paris sur l'arbre et la forêt»;

considérant son propre thème général, «La forêt, patrimoine de l'avenir», et l'ensemble des conclusions et recommandations détaillées qu'il vient d'adopter sur chacun des thèmes abordés;

considérant l'inquiétude générale face au déboisement et à la dégradation des forêts du monde provoqués par la compétition pour l'espace, l'insuffisance de gestion et les émissions polluantes dues aux activités humaines, toutes causes d'appauvrissement du patrimoine forestier, quoique à un degré différent d'irréversibilité selon les régions de la planète et les époques;

considérant que les problèmes de pauvreté, d'endettement et de sous-développement, ainsi que la nécessité de satisfaire les besoins vitaux de populations en croissance rapide sont les vraies causes du déboisement dans les pays en développement, bien plus que l'exploitation forestière;

considérant que les ressources forestières sont un important facteur de développement socio-économique, et tout particulièrement de développement rural;

considérant la responsabilité de notre génération envers les générations futures à l'égard du patrimoine naturel de la planète;

s'adresse

aux opinions publiques, aux responsables politiques et aux organisations internationales, intergouvernementales et non gouvernementales du monde entier;

rappelle

· l'importance des biens et services renouvelables offerts par les arbres et les forêts face à une demande croissante de l'humanité en matériau, combustible, faune, aliments, fourrage, espaces de loisir, etc.;

· la richesse et la diversité des forêts du monde, et leur rôle positif dans les cycles de l'eau et du gaz carbonique, la protection des sols et la conservation de la biodiversité;

· l'existence, souvent méconnue, de modes de gestion des arbres et des forêts à même d'assurer la pérennité, voire l'amélioration, de leur offre de biens et de services;

· la nécessité d'éviter des dommages irréversibles à la biosphère, donc de planifier à long terme la gestion des ressources naturelles;

affirme

· que le véritable défi consiste à concilier utilisation économique des ressources naturelles et protection de l'environnement, par une démarche de développement intégré et soutenu;

· que la solution des problèmes forestiers appelle des efforts conjugués pour faire reculer la pauvreté, améliorer la productivité agricole, garantir la sécurité alimentaire et l'approvisionnement énergétique, et promouvoir le développement;

· que le concept même d'aménagement des forêts constitue un véritable outil de gestion de leurs fonctions économique, écologique, sociale et culturelle, élargissant ainsi la notion de rendement soutenu;

· que la conservation intégrale de certaines forêts en vue de protéger la biodiversité constitue un objectif particulier d'aménagement;

et recommande

· d'associer les populations à l'aménagement intégré de leur territoire en leur en donnant les moyens institutionnels, techniques et financiers;

· de planifier l'affectation à long terme des terres en fonction de leurs potentialités pour définir celles qui ont une vocation forestière; d'être attentifs dans cette planification aux besoins des populations concernées, en particulier celles qui dépendent de la forêt;

· de veiller à la continuité des politiques de gestion des arbres et des forêts, en raison de la durée des cycles forestiers;

· de poursuivre le classement de certaines forêts représentatives ou menacées en aires protégées, organisées en réseaux nationaux ou internationaux;

· de contribuer à la fixation de gaz carbonique par le recours à des techniques sylvicoles appropriées, l'extension des boisements et l'emploi pérenne du bois;

· d'intensifier le développement des systèmes agroforestiers, le boisement et le reboisement.

Le 10e Congrès forestier mondial,

conscient de la gravité, de l'urgence et du caractère global des problèmes de développement et d'environnement, mais soulignant le caractère renouvelable des ressources forestières, et convaincu du bien-fondé des solutions apportées, dans le cadre des politiques forestières nationales, par une gestion soutenue de toutes les forêts du monde,

appelle solennellement les décideurs à:

s'engager à reconstituer la couverture verte de la planète, par le boisement, le reboisement et la gestion soutenue des fonctions multiples des arbres et des forêts, grâce à des actions conduites sous forme de programmes intégrés, associant les populations concernées et s'inscrivant dans les politiques nationales d'aménagement du territoire;

suivre régulièrement l'évolution, aux niveaux national et international, des patrimoines forestiers, à partir de «l'évaluation des ressources forestières mondiales en 1990» conduite par l'OAA (FAO);

limiter toutes émissions d'agents polluants causant le dépérissement des forêts, et contenir les émissions de gaz à effet de serre, y compris celles d'origine énergétique;

adapter des mécanismes économiques et financiers au long terme de la forêt, et accroître les financements nationaux et internationaux, notamment en faveur des pays en développement;

oeuvrer au développement harmonieux du commerce international des produits forestiers, en prohibant toute restriction unilatérale, non conforme au GATT, et promouvoir leur utilisation;

développer la coopération au niveau politique, sur des questions forestières d'importance régionale, telles que la lutte contre la désertification, la protection des forêts, l'aménagement des grands bassins versants, etc.;

intensifier et coordonner la recherche et l'expérimentation, la formation, l'échange d'informations et la coopération dans toutes les disciplines concourant à la gestion soutenue des écosystèmes forestiers;

renforcer l'action et la coordination des organisations internationales concernées existantes;

intégrer ses propres conclusions et recommandations dans le processus de planification de la Conférence des Nations Unies sur l'environnement et le développement, qui se tiendra à Rio de Janeiro en 1992, afin de définir des «principes, non juridiquement contraignants mais faisant autorité, sur la gestion, la conservation et la mise en valeur de toutes les forêts du monde», comme dans les négociations en cours, sous l'égide des Nations Unies, sur la biodiversité et les changements climatiques;

renforcer la coopération internationale, notamment dans le cadre du Programme d'action forestier tropical (PAFT), d'un Programme d'action forestier méditerranéen et d'autres programmes à venir;

sensibiliser et informer le public, spécialement les jeunes générations, en vue d'une meilleure compréhension par tous des questions forestières;

prévoir des modalités du suivi de ses recommandations et inviter la FAO à en informer les instances intergouvernementales et le 10e Congrès forestier mondial.

Allocution de Monsieur Edouard Saouma

Directeur général de l'Organisation de Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture

Permettez-moi de vous dire, en commençant, ma joie de voir le 10e Congrès forestier mondial se tenir à Paris. Non seulement la France possède dans le domaine de la foresterie une longue et solide tradition, non seulement ses forestiers mènent depuis des siècles une action intelligente et résolue pour bien gérer et développer le patrimoine national, mais encore elle joue à cet égard un rôle de premier plan sur la scène internationale. Qu'il me soit permis, Monsieur le Président de la République, de rendre un hommage tout particulier aux efforts personnels et aux initiatives que votre amour de la forêt ne cesse de vous inspirer, depuis l'organisation de la Conférence Silva en 1986 jusqu'au présent Congrès.

Le temps me manque pour en dresser le catalogue, mais on ne saurait passer sous silence l'appui donné par la France à l'ensemble des programmes de développement forestier dans les pays du tiers monde, non plus que l'initiative franco-finlandaise qui fut à l'origine de la Conférence ministérielle de décembre 1990 pour la protection des forêts en Europe.

Dans cet effort, la France est unie à ses partenaires au sein de la Communauté européenne, qui multiplie elle aussi les initiatives pour la sauvegarde et le développement de la forêt. Votre présence ici, Monsieur le Président de la Commission des Communautés européennes, témoigne hautement de l'intérêt que la CEE porte au patrimoine forestier. Eu égard à ses relations présentes et futures avec la Communauté, la FAO ne peut que s'en réjouir.

Je voudrais encore saluer tous les délégués et observateurs qui apportent à ce congrès leur éminente compétence et leur attachement à la cause de la forêt.

L'homme et la forêt

Paul Valéry disait que, désormais, les civilisations se savaient mortelles. La nôtre est aux prises avec le problème de sa propre survie, et elle a une conscience aiguë des risques qu'elle court. L'avenir de la forêt représente à cet égard un enjeu capital, comme l'indique clairement le thème du présent Congrès: «La forêt, patrimoine de l'avenir». L'appauvrissement de ce patrimoine ne saurait que compromettre l'avenir de l'homme.

Il est de fait que l'homme entretient avec la forêt des rapports ambivalents. Dans sa mémoire et dans son imaginaire, elle revêt des aspects à la fois bénéfiques et maléfiques: berceau de la vie, abri, source d'aliments de toutes sortes et de bois pour le feu, les outils et la construction; mère de l'humus et de la fécondité, beauté des sous-bois, ombre, fraîcheur. En même temps, lieu des terreurs et des angoisses, obscurité touffue, silence oppressant où le moindre bruit semble une menace, repaire des bêtes féroces ou venimeuses, mystérieux dédale où tous les pièges de l'inconnu guettent celui qui s'y égare.

La même ambivalence apparaît dans le comportement de l'homme envers la forêt: il la considère comme un précieux héritage reçu du passé et qu'il faut transmettre aux générations futures; il sait qu'il faut l'utiliser avec mesure et de façon durable; il sent plus ou moins obscurément qu'elle est essentielle à l'hygiène et à l'équilibre de la planète. En même temps, pour survivre, il doit lui faire la guerre, conquérir sur elle l'espace de ses cultures et de ses implantations villageoises, urbaines ou industrielles. A mesure qu'il prolifère, il défriche toujours davantage et arrache à la forêt des quantités toujours plus énormes de bois d'œuvre et de feu.

Recul de la forêt

Il est vrai qu'on enregistre actuellement une expansion de la forêt dans les pays développés, malgré les menaces que font peser les pluies acides, les incendies, la construction de grands ouvrages; ainsi, en France, l'étendue des terres boisées a pratiquement doublé en deux siècles. Encore faut-il préciser que le taux de couverture forestière d'ensemble des pays avancés est moindre que celui des pays en développement et que les premiers disposent de moyens très supérieurs pour mener une action de reboisement et de restauration. Quoi qu'il en soit, à l'échelle planétaire, le domaine forestier se rétrécit.

Inventaire et évaluation des ressources

Comment conserver et mettre en valeur la forêt, patrimoine de l'avenir? Comment gérer ce patrimoine pour assurer un développement durable à l'aube du troisième millénaire? Tels sont les grands sujets dont votre Congrès va débattre. Je ne saurais anticiper sur ses délibérations et me bornerai à évoquer brièvement quelques points essentiels.

Commençons par une vérité première: il faut d'abord savoir quelles sont les ressources forestières, les mesurer, en évaluer l'état et diffuser largement l'information ainsi obtenue. A cet égard, un rôle irremplaçable incombe à la FAO. Soucieuse d'honorer ses responsabilités, elle a mis en chantier l'an dernier un Projet d'évaluation des ressources forestières mondiales, dont les résultats seront disponibles dans le courant de 1992.

Nécessité d'une approche mondiale

Le titre même de cette étude témoigne de la dimension globale des problèmes: l'évolution du climat, les menaces qui pèsent sur l'environnement, les rapports entre Nord et Sud concernent la planète dans sa totalité. C'est donc à l'échelle mondiale qu'il faut envisager les moyens de préserver et de développer les fonctions essentielles de la forêt, sur le triple front de l'écologie, de l'économie et du social.

Remonter aux causes

Il est facile de jeter l'anathème sur les destructeurs qui réduisent en cendres des millions d'hectares de forêts tropicales. Mais encore faut-il savoir que la part de la déforestation dans l'effet de serre est faible par rapport à celle de notre consommation de carburants et combustibles fossiles; encore faut-il se demander si la situation socio-économique des pays en cause, sur le plan intérieur comme au niveau international, leur laisse d'autres choix. Dans ce domaine comme dans beaucoup d'autres, on ne pourra exercer une action efficace sur les effets qu'en remontant aux causes et en s'y attaquant résolument.

Trop souvent, ces causes complexes et multiples peuvent se résumer en quelques mots: pauvreté, maigres ressources en terres, sols fragiles, insuffisance des moyens technologiques et financiers, endettement, le tout aggravé par un accroissement démographique incontrôlé. Il apparaît évident que de telles situations ne peuvent se régler à coups de conventions contraignantes assorties de dispositions punitives et de mesures de rétorsion visant les exportations de produits forestiers et l'aide au développement.

Concertation et dialogue

Ce sont la concertation et le dialogue qui doivent mener à un accord international de caractère incitatif respectant la liberté et la dignité de chaque pays. La lutte contre la déforestation et toutes ses conséquences économiques et écologiques passe par une action vigoureuse contre ses causes. Au niveau international comme au niveau national, la prise en compte prioritaire des besoins concrets et des savoirs traditionnels des populations intéressées commande une approche fondée sur le dialogue et le partenariat.

Le Plan d'action forestier tropical

Est-ce là une utopie? Non, car il existe déjà un mécanisme international qui procède précisément d'une telle démarche et qui fonctionne concrètement. Je veux parler du Plan d'action forestier tropical - le PAFT - que la FAO a lancé en 1985, conjointement avec le Programme des Nations Unies pour le développement, la Banque mondiale et l'Institut mondial pour les ressources. Il s'agit essentiellement d'aider les pays en développement à mettre un terme à la destruction et à la dégradation des forêts tropicales, tout en poursuivant leur conservation et leur développement durable au profit des habitants de ces forêts et de ceux qui en vivent.

Le monde attend du présent Congrès qu'il approfondisse de telles initiatives et en amorce d'autres, peut-être d'une portée plus large, notamment dans la perspective de la Conférence des Nations Unies sur l'environnement et le développement qui va se tenir en 1992. Pour notre part, nous attendons avec le plus vif intérêt les recommandations qu'il formulera.

Les moyens nécessaires

Une précision s'impose: comme les pays développés en ont fait l'expérience et comme l'a démontré la mise en œuvre du PAFT, la sauvegarde des forêts est une entreprise qui exige des moyens financiers considérables pendant un temps assez long. Si la communauté internationale veut véritablement conserver son patrimoine forestier, elle doit consentir, avec l'ampleur et pour la durée nécessaires, des mises de fonds à la hauteur de son ambition.

Conclusion: le passé et l'avenir

Dans son immobilité apparente qui dissimule mal un appauvrissement progressif de la fonction régulatrice qu'elle exerce depuis toujours, la forêt constitue, ainsi que la mer, la mémoire du monde. Avec ses arbres, ses lichens, ses herbes et ses fleurs; avec ses animaux, ses oiseaux, ses insectes; avec les centaines de milliers d'espèces animales et végétales dont l'inconscience humaine la dépouille peu à peu; avec son action sur le climat et l'hydrographie, elle représente une sorte de dépôt d'un monde préhistorique en grande partie perdu, un vestige et un témoin de l'humanité primitive. L'homme qui la voit se dégrader progressivement assiste plus ou moins consciemment à la disparition de ses propres racines, de ses légendes, de ses fantasmes et de ses traditions. Mais il assiste aussi à la disparition de ses espérances car cette vision passéiste n'est qu'une facette de la réalité: la forêt, c'est aussi l'avenir de l'homme.

Ce sont les innombrables produits et services qu'elle seule peut fournir pour répondre à ses besoins de demain, c'est l'équilibre de la planète que seule sa pérennité peut assurer, c'est l'espace, la fraîcheur, le calme qu'elle peut seule apporter aux citoyens harassés de notre monde survolté. Il faut préserver cette richesse et l'espérance dont elle est porteuse. Ecologiquement, économiquement, socialement, des écosystèmes forestiers suffisamment étendus, sains et sagement gérés sont indispensables à la survie de notre espèce. C'est sur cette conviction que se fonde l'action menée depuis des siècles par ces extraordinaires humanistes que sont les forestiers. C'est sur cet immense espoir que s'ouvre le 10e Congrès forestier mondial, aux travaux duquel je souhaite de tout cœur le plus total succès.

Je vous remercie.

Allocution de Monsieur François Mitterrand

Président de la République française

Une très belle exposition se tien actuellement à Paris, au Muséum d'histoire naturelle. Elle se nomme «On a marché sur la terre» et elle montre que l'arbre est l'une des premières espèces vivantes apparues sur la planète - vous le saviez déjà, mais il est important que cela soit su par le plus grand nombre possible de gens - l'une des premières espèce. mais en même temps l'une des plus vivaces. Voyez ces séquoias millénaires ces chênes centenaires, parmi bien d'autres.

On a excellemment dit, avant que je ne prenne la parole, tout ce qu'il est important de savoir sur votre démarche à vous congressistes. Et c'est vrai que l'arbre façonne notre espace, qu'il nous aide à bâtir notre habitat, qu'il régénère notre atmosphère, et bien d'autres choses encore.

Eh bien, j'ai comme vous une grande amitié pour les arbres et pour les forêts. Pardonnez ces souvenirs personnels: j'ai été pendant 35 ans l'élu d'un petit coin de France. La forêt y était aimée et respectée. Et j'ai choisi de vivre plus tard, d'habiter, dans une autre forêt, la plus importante d'Europe. Mais je sais la fragilité des arbres et des forêts, les menaces qui les assaillent, la vigilance qu'il faut pour les protéger, l'état d'abandon et d'oubli que représente la forêt sauvage, l'importance de la forêt maîtrisée par le travail et l'intelligence de l'homme.

Un arbre qu'on coupe injustement, inutilement, c'est comme une souffrance, et on est malheureux de voir à quel point trop sont insensibles à la beauté et à l'utilité de la forêt.

C'est donc pour moi une vraie joie que d'accueillir le 10e Congrès forestier mondial. C'est aussi un grand honneur pour mon pays. Et je veux souhaiter la bienvenue à tous les délégués venus de plus de 100 pays, me dit-on, mobilisés pour la même cause.

Je remercie les organisations internationales qui participent à cette manifestation, et particulièrement l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture, notamment représentée ici par son Directeur général, Monsieur Edouard Saouma. L'Organisation des Nations Unies multiplie les initiatives en faveur de la protection de l'environnement. Vous venez d'entendre à l'instant Monsieur le Président de la Commission européenne. Heureusement que sont réunies ces initiatives tant il est vrai que l'arbre, que la forêt, et plus généralement les plantes, ne peuvent être protégés que par l'ensemble des nations et des états.

Ce patrimoine, que chaque génération utilise et cherche à faire fructifier, vous savez bien qu'il peut disparaître, qu'il est en passe de disparaître. Selon les estimations des Nations Unies, cela vient d'être rappelé par Monsieur le Ministre français de l'agriculture, 17 millions d'hectares disparaissent chaque année, soit plus - cela me permet de mieux mesurer ce drame - de la surface totale de la forêt française.

On comprend hélas pourquoi les hommes ont tendance à détruire la forêt; on pourrait même y trouver des excuses: par le besoin d'espace d'abord, le défrichement est une activité millénaire qui, sous la pression démographique accentuée et des usages anciens, met en danger la forêt; par besoin de bois de feu, ce besoin qui entraîne la surexploitation, on dira plutôt la mauvaise exploitation des forêts; par le développement des activités agricoles et industrielles qui peuvent altérer les milieux forestiers. C'est précisément pour prévenir en France leurs effets néfastes que le gouvernement applique un plan national pour l'environnement et renforce la police de la nature.

Les forêts européennes sont également atteintes - Monsieur Delors vient de le souligner - par les pluies acides. La limitation récente d'émissions de polluants atmosphériques décidée par les pays de la CEE, donc par la France, devrait y porter remède. Ces nouvelles réglementations devraient également limiter l'effet de serre qui conduit à un réchauffement de la planète, préjudiciable lui aussi à la forêt.

Enfin, citons les incendies accidentels, souvent provoqués, que nous connaissons malheureusement en France. Ils ne peuvent être limités que par la maîtrise de l'homme, par l'organisation méthodique du débroussaillage des bois et des forêts.

Je crois vraiment, et vous en êtes ici les témoins, que les atteintes à notre patrimoine collectif ont provoqué une prise de conscience, comme une sorte de réveil: l'homme devant son destin. La protection de ce patrimoine est l'affaire de tous et de chacun, y compris des plus jeunes auxquels il faut inculquer, dès l'école, que leur propre survie dépend du respect qu'ils témoignent à l'environnement.

La forêt représente pour l'ensemble de l'humanité - on l'a assez dit ici - une richesse économique, sociale et culturelle. C'est une composante majeure de l'équilibre écologique de la biosphère. Monsieur Saouma l'a fort bien dit.

Unissons-nous pour sensibiliser tous les citoyens de la planète sur la fragilité de l'arbre, le sens du temps, la responsabilité individuelle et collective qui est la nôtre quant à sa protection.

Aujourd'hui, le citoyen, le scientifique, le poète, tous doivent se retrouver dans la défense de la forêt. Il y a de quoi défendre une belle cause.

Mais la protection de l'environnement suppose une coordination des actions entreprises par l'ensemble des nations, riches ou pauvres. Ce qui a été dit avant moi suffit à le démontrer. Peut-on reprocher aux populations des zones tropicales, par exemple, de participer à la destruction de leurs forêts alors qu'elles le font pour ce qu'elles pensent être leur propre survie immédiate. Après tout, cela a été le cas pendant des siècles dans les régions dites aujourd'hui développées. A qui fera-t-on la leçon?

La solution à de tels problèmes ne réside donc pas en des réglementations de protection imposées, pas plus qu'en un classement de la forêt tropicale en réserve intégrale interdite à l'exploitation.

La solidarité internationale peut garantir aux populations en cause la satisfaction de leurs besoins élémentaires et leur apprendre, par la coopération, à gérer les ressources sylvestres et à les renouveler. Si les pays du Nord s'engagent davantage à aider les pays du Sud sur ce terrain comme sur les autres, en tout cas j'en serais heureux pour ce qui vous concerne, même si nous nous exprimons par égoïsme - mais c'est un égoïsme sain, un égoïsme écologique.

Et puis il faudra bien briser le cercle infernal de la pauvreté: surpopulation, famine, besoin de terres, défrichement de toutes sortes. Nous devons toucher le cœur et la raison des hommes et des dirigeants. Bref, le résultat seul compte, aimons-nous les uns les autres, faisons comprendre à tous les hommes sur la terre que leur destin est en jeu.

C'était le sens de l'appel de La Haye lancé par la France avec 23 autres pays en mars 1989. C'est aussi le sens de mon intervention, celle notamment que je fais ici mais aussi chaque année au Sommet des grands pays industrialisés.

L'Organisation des Nations Unies a reconnu l'importance de ces efforts lorsqu'elle a organisé la grande réunion mondiale sur l'environnement qui se tiendra au mois de juin 1992 à Rio. Les pays du Nord et du Sud auront alors l'occasion de réfléchir ensemble sur la façon de procéder à un développement écologique durable, développement de l'humanité, et donc de la planète.

Mon pays qui vous reçoit avec le plaisir que j'ai dit a tenu à apporter sa contribution à cet important rendez-vous. J'ai invité les organisations non gouvernementales du monde entier en décembre prochain à Paris, pour qu'elles s'y préparent. D'ailleurs votre Congrès sera lui-même un élément fort important de cette rencontre.

Voyez-vous, Mesdames et Messieurs, nos sociétés trop préoccupées par l'immédiat, se rappelleront que la protection des arbres, et plus généralement de la nature, obéit à des rythmes séculaires. Que chacun le comprenne, que chacun consente aux sacrifices nécessaires pour que vive la forêt d'aujourd'hui et de demain.

Les problèmes d'environnement font désormais partie ou doivent faire partie d'une formation de base dès l'enseignement initial.

Votre Congrès va nous aider, tous; il va contribuer à ce que les politiques, les scientifiques et les citoyens de la terre protègent le patrimoine commun de l'humanité de la façon la plus démocratique, donc la plus juste, en s'appuyant sur la coopération entre les peuples, sur l'éducation et sur la sensibilisation des plus jeunes.

En inaugurant vos travaux, je souhaite témoigner de l'importance que la France attache à cette richesse: la forêt. Je souhaite à votre Congrès d'utiles et de bons travaux. Je souhaite qu'au-delà des difficultés d'aujourd'hui - et il y en aura demain aussi -, qui exigeront volonté, ténacité, intelligence des choses et des êtres, je souhaite que vous donniez forme à de nouveaux espoirs. Et c'est dans cet esprit, Mesdames et Messieurs, que je vous dis: bon travail, bonne chance pour vous tous! Retrouvez vous bientôt pour savoir où nous en sommes. Vous êtes désormais vous aussi comptables de la vie des hommes sur la terre.


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